Après la disparition de quatre gardes-côtes en pleine mer à Sassandra, abattus, dit-on par des pirates, les marins-pêcheurs ruminent leur colère. Selon leur leader syndical, l’Etat ne joue pas correctement son rôle dans la sécurisation des eaux territoriales et la préservation de la faune et de la flore aquatiques.
•L’invasion des eaux territoriales ivoiriennes par les bateaux pirates prend des proportions dramatiques. Quatre gardes-côtes sont portés disparus depuis le 11 mars au large de Sassandra alors qu’ils étaient allés arraisonner des navires clandestins. Quel commentaire faites-vous?
Le véritable problème dans notre secteur, c’est qu’on ne donne pas la place qui revient aux techniciens. C’est vraiment fondamental car nous dénoncions cela depuis 2005. Parlant justement des bateaux pirates, cela s’apparente au bandit qui, dans le but de vous cambrioler, prend le temps nécessaire pour vous étudier et s’armer pour venir vous attaquer. Quand on parle des ressources halieutiques, c’est une question de plusieurs milliards de Fcfa. La Côte d’Ivoire a plus de 500 kilomètres de côtes qui font l’objet de pillage systématique de jour comme de nuit. Ces bateaux pirates qui viennent piller nos ressources, sont des anciens navires de guerre, donc lourdement équipés et armés. Aujourd’hui, du fait du manque d’équipements, quatre gardes-côtes sont introuvables. Le comble, c’est que la Côte d’Ivoire n’a même pas les moyens de faire les plongées pour retrouver les corps de ces victimes tombées au front. Cela veut dire que ces agents vont à l’abattoir. C’est un danger pour toute la population. Parce que si les pirates ont pu les abattre aussi facilement, cela sous-tend qu’ils peuvent nous attaquer sur le territoire terrestre. Il ne s’agit pas seulement de pérenniser la flore et la faune aquatique, il s’agit aussi de notre survie et de notre sécurité. Les autorités doivent veiller à la sécurisation de nos côtes en prenant toutes les dispositions utiles. On dira qu’on n’a pas assez de moyens pour le faire parce qu’on est en crise, mais cela peut être fatal. N’oublions pas le Probo koala qui a intoxiqué et coûté la vie aux populations.
•Est-ce que les côtes ivoiriennes sont véritablement surveillées ?
Non, pas du tout. Nous avons rencontré à ce sujet les autorités en charge de la pêche qui nous ont dit qu’un nouvel opérateur se positionnait pour la surveillance de nos côtes à l’aide de satellite. Mais dans un pays comme le Ghana où ils n’ont pas de grands moyens, ils accentuent les patrouilles en mer. Pour nous, la volonté politique n’est pas suffisamment affirmée. Aujourd’hui à cause de pratiques illicites, la petite pêche est morte. Car ceux qui pillent y trouvent leur compte. Ils ne sont pas inquiétés, donc ils continuent à nous narguer en mer et de nous tuer.
•Qu’est-ce qu’il faut, selon vous, pour assurer un contrôle et une surveillance efficaces des eaux territoriales ?
On signe tous les deux ans des accords de pêche avec l’Union européenne qui nous rapporte des milliards de Fcfa en termes de subvention. Or ces accords ne peuvent se perpétuer que si les Européens trouvent des ressources dans nos eaux. On ne nous associe pas à la signature de ces accords y compris les armateurs. C’est le ministère de la Production animale et des Ressources halieutiques seul qui le fait. Ce n’est pas ce qui se fait dans les autres pays. Nous sommes des techniciens qui connaissons mieux la mer. On n’a pas besoin de gros moyens pour assurer la surveillance. On a surtout besoin de moyens de dissuasion pour traquer les pirates. Il faut par exemple un hélicoptère qui va patrouiller sur la zone pour répertorier les clandestins. La marine nationale, qui est chargée de sécuriser les eaux territoriales, ne fait rien. Il est temps de surveiller nos ressources et notre espace marin.
•Des bâtiments chinois qui envahissent les eaux territoriales nationales. Si de nombreux navires sont parmi les pirates, d’autres, à qui la tutelle délivre des licences, ne respectent pas, dit-on, les règles en vigueur pour la pratique de la pêche. Pourquoi cette cacophonie dans le secteur ?
C’est une situation réelle. Aujourd’hui, on a délivré des licences à des bateaux sans qu’on ne les contrôle avant leur départ en mer. Or la vérification des mailles des filets est déterminante dans la pêche. Ces bateaux chinois qui vont en mer, utilisent tous les moyens légaux et illégaux pour la pêche. Toute chose qui met en danger la reproduction des animaux puisque ces Asiatiques vont opérer dans les zones interdites. On ne fait pas de patrouille et on ne cherche pas à les arraisonner donc ils font ce qu’ils veulent. La journée, ils sont en haute mer et le soir ils redescendent sans être inquiétés. C’est pourquoi devant l’octroi abusif des licences, nous avons demandé que ces opérateurs aient un cahier de charges. De sorte que quand il y a un problème, on situe les responsabilités. Si certaines personnes délivrent ces documents à leurs amis qui ne connaissent rien à la pêche, c’est clair que cela risque de porter un coup dur au secteur. Chose grave, même des bateaux qui sont dits arraisonnés par le directeur de la pêche, continuent de naviguer en mer. Il s’agit de 9 navires chinois Liaodong Yu. Ils pratiquaient une pêche illicite. Malgré la suspension de leur licence, ils n’ont pas mis un terme à leurs activités. La conséquence, il n’y a plus de captures. Elles ont baissé de façon drastique. De 30.000 caisses par jour il y a quatre ans, nous sommes aujourd’hui pratiquement sans rien. Les embarcations reviennent quasiment bredouilles, cela dure deux ans maintenant. D’ailleurs beaucoup d’armements sont à quai. Parce que les charges sont devenues énormes. Il faut rappeler également le cas de la marée noire suite au déversement (du 27 au 28 mars 2006) en mer de 5.035 m3 de mazout par la société Cnr. Or, au niveau international, lorsque vous atteignez 50 m3, on déclare la catastrophe. L’Etat a commis dans le temps, des experts pour faire des analyses. Il s’est avéré que le dégazage est fait en pleine mer. Ce qui n’est pas normal. Quand ils ont déversé le produit, ils y ont ajouté un dispersant pour le volatiliser. Malheureusement, il est allé se former en dépôt dans les profondeurs maritimes, là où les poissons se reproduisent. Cette catastrophe est également pour quelque chose dans la situation que nous vivons. D’ailleurs, nous avons posé plainte et gagné le procès contre la Cnr parce que c’est le pollueur qui doit payer. La grosse est là, mais la Cnr ne veut pas s’exécuter. Il n’y a aucune subvention de la part de l’Etat pour soutenir le secteur. Plus de la moitié du poisson que nous consommons, est importé de la Mauritanie, du Sénégal, du Maroc,…
•Est-ce que vous avez le sentiment qu’on vous écoute?
A notre connaissance, il n’y a rien qui bouge. Nous avons demandé les états généraux de la pêche en Côte d’Ivoire. Dans le courrier qu’on nous a adressé, on nous demande un seul représentant. Alors qu’eux-mêmes viendront avec au moins 10 représentants. A cette allure, les jeux semblent être déjà faits. Quand on veut nous associer à une réunion, on attend toujours la veille (la nuit) pour nous informer, de sorte qu’on n’ait pas le temps de prendre connaissance des documents à traiter. C’est un manque de professionnalisme. Mieux encore lors du Conseil de gouvernement du 19 février 2008 où le Premier ministre a fait remarquer au ministre Douati les nombreux remous dans le secteur, d’importantes mesures ont été prises. Il s’agit de la mise en place d’un programme d’appui à la gestion durable des ressources halieutiques cofinancé par la Côte d’Ivoire, l’Union européenne et d’autres partenaires, du renforcement du dispositif d’octroi des licences de pêche, de l’application des mesures coercitives à l’encontre de tout navire exerçant illégalement et de la création d’un comité interministériel présidé par le Premier ministre et une commission technique chargée de proposer des mesures de redynamisation de la pêche maritime nationale. Cela fait plus d’un an que ces mesures ont été annoncées, mais au jour d’aujourd’hui, les choses ne bougent pas réellement. Pourtant on espérait beaucoup. Si la pêche meurt, ce sont des milliers d’emplois qui vont disparaître, sans compter le danger que cela constitue pour la sécurité alimentaire.
Interview réalisée par Cissé Cheick Ely
•L’invasion des eaux territoriales ivoiriennes par les bateaux pirates prend des proportions dramatiques. Quatre gardes-côtes sont portés disparus depuis le 11 mars au large de Sassandra alors qu’ils étaient allés arraisonner des navires clandestins. Quel commentaire faites-vous?
Le véritable problème dans notre secteur, c’est qu’on ne donne pas la place qui revient aux techniciens. C’est vraiment fondamental car nous dénoncions cela depuis 2005. Parlant justement des bateaux pirates, cela s’apparente au bandit qui, dans le but de vous cambrioler, prend le temps nécessaire pour vous étudier et s’armer pour venir vous attaquer. Quand on parle des ressources halieutiques, c’est une question de plusieurs milliards de Fcfa. La Côte d’Ivoire a plus de 500 kilomètres de côtes qui font l’objet de pillage systématique de jour comme de nuit. Ces bateaux pirates qui viennent piller nos ressources, sont des anciens navires de guerre, donc lourdement équipés et armés. Aujourd’hui, du fait du manque d’équipements, quatre gardes-côtes sont introuvables. Le comble, c’est que la Côte d’Ivoire n’a même pas les moyens de faire les plongées pour retrouver les corps de ces victimes tombées au front. Cela veut dire que ces agents vont à l’abattoir. C’est un danger pour toute la population. Parce que si les pirates ont pu les abattre aussi facilement, cela sous-tend qu’ils peuvent nous attaquer sur le territoire terrestre. Il ne s’agit pas seulement de pérenniser la flore et la faune aquatique, il s’agit aussi de notre survie et de notre sécurité. Les autorités doivent veiller à la sécurisation de nos côtes en prenant toutes les dispositions utiles. On dira qu’on n’a pas assez de moyens pour le faire parce qu’on est en crise, mais cela peut être fatal. N’oublions pas le Probo koala qui a intoxiqué et coûté la vie aux populations.
•Est-ce que les côtes ivoiriennes sont véritablement surveillées ?
Non, pas du tout. Nous avons rencontré à ce sujet les autorités en charge de la pêche qui nous ont dit qu’un nouvel opérateur se positionnait pour la surveillance de nos côtes à l’aide de satellite. Mais dans un pays comme le Ghana où ils n’ont pas de grands moyens, ils accentuent les patrouilles en mer. Pour nous, la volonté politique n’est pas suffisamment affirmée. Aujourd’hui à cause de pratiques illicites, la petite pêche est morte. Car ceux qui pillent y trouvent leur compte. Ils ne sont pas inquiétés, donc ils continuent à nous narguer en mer et de nous tuer.
•Qu’est-ce qu’il faut, selon vous, pour assurer un contrôle et une surveillance efficaces des eaux territoriales ?
On signe tous les deux ans des accords de pêche avec l’Union européenne qui nous rapporte des milliards de Fcfa en termes de subvention. Or ces accords ne peuvent se perpétuer que si les Européens trouvent des ressources dans nos eaux. On ne nous associe pas à la signature de ces accords y compris les armateurs. C’est le ministère de la Production animale et des Ressources halieutiques seul qui le fait. Ce n’est pas ce qui se fait dans les autres pays. Nous sommes des techniciens qui connaissons mieux la mer. On n’a pas besoin de gros moyens pour assurer la surveillance. On a surtout besoin de moyens de dissuasion pour traquer les pirates. Il faut par exemple un hélicoptère qui va patrouiller sur la zone pour répertorier les clandestins. La marine nationale, qui est chargée de sécuriser les eaux territoriales, ne fait rien. Il est temps de surveiller nos ressources et notre espace marin.
•Des bâtiments chinois qui envahissent les eaux territoriales nationales. Si de nombreux navires sont parmi les pirates, d’autres, à qui la tutelle délivre des licences, ne respectent pas, dit-on, les règles en vigueur pour la pratique de la pêche. Pourquoi cette cacophonie dans le secteur ?
C’est une situation réelle. Aujourd’hui, on a délivré des licences à des bateaux sans qu’on ne les contrôle avant leur départ en mer. Or la vérification des mailles des filets est déterminante dans la pêche. Ces bateaux chinois qui vont en mer, utilisent tous les moyens légaux et illégaux pour la pêche. Toute chose qui met en danger la reproduction des animaux puisque ces Asiatiques vont opérer dans les zones interdites. On ne fait pas de patrouille et on ne cherche pas à les arraisonner donc ils font ce qu’ils veulent. La journée, ils sont en haute mer et le soir ils redescendent sans être inquiétés. C’est pourquoi devant l’octroi abusif des licences, nous avons demandé que ces opérateurs aient un cahier de charges. De sorte que quand il y a un problème, on situe les responsabilités. Si certaines personnes délivrent ces documents à leurs amis qui ne connaissent rien à la pêche, c’est clair que cela risque de porter un coup dur au secteur. Chose grave, même des bateaux qui sont dits arraisonnés par le directeur de la pêche, continuent de naviguer en mer. Il s’agit de 9 navires chinois Liaodong Yu. Ils pratiquaient une pêche illicite. Malgré la suspension de leur licence, ils n’ont pas mis un terme à leurs activités. La conséquence, il n’y a plus de captures. Elles ont baissé de façon drastique. De 30.000 caisses par jour il y a quatre ans, nous sommes aujourd’hui pratiquement sans rien. Les embarcations reviennent quasiment bredouilles, cela dure deux ans maintenant. D’ailleurs beaucoup d’armements sont à quai. Parce que les charges sont devenues énormes. Il faut rappeler également le cas de la marée noire suite au déversement (du 27 au 28 mars 2006) en mer de 5.035 m3 de mazout par la société Cnr. Or, au niveau international, lorsque vous atteignez 50 m3, on déclare la catastrophe. L’Etat a commis dans le temps, des experts pour faire des analyses. Il s’est avéré que le dégazage est fait en pleine mer. Ce qui n’est pas normal. Quand ils ont déversé le produit, ils y ont ajouté un dispersant pour le volatiliser. Malheureusement, il est allé se former en dépôt dans les profondeurs maritimes, là où les poissons se reproduisent. Cette catastrophe est également pour quelque chose dans la situation que nous vivons. D’ailleurs, nous avons posé plainte et gagné le procès contre la Cnr parce que c’est le pollueur qui doit payer. La grosse est là, mais la Cnr ne veut pas s’exécuter. Il n’y a aucune subvention de la part de l’Etat pour soutenir le secteur. Plus de la moitié du poisson que nous consommons, est importé de la Mauritanie, du Sénégal, du Maroc,…
•Est-ce que vous avez le sentiment qu’on vous écoute?
A notre connaissance, il n’y a rien qui bouge. Nous avons demandé les états généraux de la pêche en Côte d’Ivoire. Dans le courrier qu’on nous a adressé, on nous demande un seul représentant. Alors qu’eux-mêmes viendront avec au moins 10 représentants. A cette allure, les jeux semblent être déjà faits. Quand on veut nous associer à une réunion, on attend toujours la veille (la nuit) pour nous informer, de sorte qu’on n’ait pas le temps de prendre connaissance des documents à traiter. C’est un manque de professionnalisme. Mieux encore lors du Conseil de gouvernement du 19 février 2008 où le Premier ministre a fait remarquer au ministre Douati les nombreux remous dans le secteur, d’importantes mesures ont été prises. Il s’agit de la mise en place d’un programme d’appui à la gestion durable des ressources halieutiques cofinancé par la Côte d’Ivoire, l’Union européenne et d’autres partenaires, du renforcement du dispositif d’octroi des licences de pêche, de l’application des mesures coercitives à l’encontre de tout navire exerçant illégalement et de la création d’un comité interministériel présidé par le Premier ministre et une commission technique chargée de proposer des mesures de redynamisation de la pêche maritime nationale. Cela fait plus d’un an que ces mesures ont été annoncées, mais au jour d’aujourd’hui, les choses ne bougent pas réellement. Pourtant on espérait beaucoup. Si la pêche meurt, ce sont des milliers d’emplois qui vont disparaître, sans compter le danger que cela constitue pour la sécurité alimentaire.
Interview réalisée par Cissé Cheick Ely