Fahé Maurice est le vice-président de « Convergence pour une autre Côte d’Ivoire ». Diplômé en science politique, il analyse ici les tares de la Constitution ivoirienne, dont un parti politique, le Pit, annonce qu’il demandera la refonte ce matin.
•Le Parti ivoirien des travailleurs (Pit) organise aujourd’hui une conférence publique pour proposer la rédaction d’une nouvelle Constitution. Quel commentaire vous inspire un tel projet ?
Je suis très content qu’un parti légalement constitué et présent au gouvernement s’intéresse à cette question essentielle. En fait, dès 2000, avec des amis, nous avions animé au moins 4 conférences de presse pour demander aux populations de ne pas voter cette Constitution. J’ai également été à l’origine d’un appel public que nous avions lancé en 2006 à travers une plate-forme des intellectuels pour demander l’abrogation de cette Constitution. J’étais avec Bandama Maurice, Venance Konan et Yacouba Konaté. Aujourd’hui je suis content que ce débat dépasse le cadre très étroit que nous avions tracé.
•Pour le président du Pit, il est important de rédiger une nouvelle Constitution dans la perspective de la sortie de crise. Car, l’actuelle à une grande responsabilité dans la fragilisation du tissu social. Qu’en pensez-vous ?
Ce sont des arguments qui ne sont pas inutiles. Mais, attention de ne pas poser les problèmes de cette Constitution que par rapport à la situation présente. Il faut remonter plus loin. Il y a la disposition des forces politiques, et l’organisation des pouvoirs publics qu’il faut analyser. C’est donc aussi le type d’Etat, le type de gouvernement qu’il faut revoir. Or, fondamentalement, toutes ces questions ont été bâclées à l’origine. Le 2 mars 1990, le mot d’ordre c’était : «Houphouët démissionne !». On voulait changer de régime. Mais, alors que les manifestants voulaient remplacer un régime autocratique par un régime démocratique, j’ai été au regret de constater que ces changements profonds qui devraient conditionner des transformations profondes de notre Etat ont été remplacés par des questions de multipartisme.
•Vous pensez donc que la Constitution n’est pas à l’origine de la crise?
Je situe les origines de cette crise à deux niveaux. Primo, il s’agit d’une suite de la crise du système néo-colonialiste qui est l’émanation de la crise du capitalisme au plan international qui a commencé dans les années 1980. C’était une période de rupture dont beaucoup de pays ont profité pour faire des grands changements. Mais, les politiciens opportunistes de chez nous ont accueilli cela comme le moment opportun pour exprimer leurs ambitions en renversant militairement ou avec l’appui de la rue, les pouvoirs et les individus qui les incarnaient. Secundo, il y a eu l’affaiblissement de l’Etat qui a entrainé des crises au sein de la classe dirigeante. Il y a eu ici, la question de savoir qui de Bédié ou de Ouattara devrait être le chef de file de la bourgeoisie autocratique de l’époque. C’est cette dérive qui a compliqué les choses. Et dans la confusion, a surgi une troisième tête dont on connait la situation aujourd’hui. Le coup d’Etat de 1999, les différentes tentatives de renversement du pouvoir et le 19 septembre 2002 ne constituent pas la crise. Ce sont des moments de la crise.
•Quelle est alors la part de responsabilité de cette Constitution ?
J’ai dit tout à l’heure qu’il fallait savoir quel type d’Etat, quel type de pouvoir nous voulons. En lieu et place de ces questions, au moment d’adopter notre Constitution, l’on s’est contenté d’agiter devant le peuple le chiffon rouge de la suggestion économique et politique qui concerne la situation des étrangers. On s’est donc concentré sur une question dérisoire de savoir qui allait être notre président alors qu’il fallait plutôt demander pour quoi faire et qu’allait devenir la Côte d’Ivoire.
•En quoi notre Constitution a-t-elle raté ces questions essentielles ?
Il y a eu une grosse forfaiture avec cette Constitution. Car, le texte publié dans le Journal officiel le 18 mai 2000, n’est pas celui qui a été soumis au vote et adopté. Ainsi, alors que dans le texte originel, il devrait exister un Senat en Côte d’Ivoire, on n’en voit pas de trace aujourd’hui. Le «ou» avait été retenu dans le texte du Journal officiel, mais c’est le «et» qui a été retenu. Le général Guéi a falsifié le texte qui a fait l’objet du consensus des partis politiques et des intellectuels. Il faut le dénoncer. Ce qui me fait dire que la première raison pour laquelle il faut abroger cette Constitution c’est bien cela. Elle est caduque. La seconde raison, c’est que c’est une Constitution autocratique qui instaure un régime de pouvoir personnel. C’est justement parce qu’il s’agit d’un super pouvoir personnel qu’on veut faire le «ôte-toi que je m’y mette». Le pays ne préoccupe personne entre temps. Il y a 36 articles dans cette Constitution qui fondent le pouvoir du président de la République. Alors que l’Assemblée nationale qui est censée avoir un réel pouvoir autonome ne bénéficie au mieux que de 4 articles. Dans le règlement de l’Assemblée nationale, un article, le 21, je crois fait obligation à toutes les commissions de communiquer leurs ordres du jour au président de la République. Où est donc la séparation des pouvoirs. C’est un régime autocratique de pouvoir autoritaire. Si nous voulons la démocratie, il faut substituer au régime actuel, un régime de pratique qui équilibre le pouvoir.
•Que préconisez-vous concrètement?
Les notions de parlementarisme et de présidentialisme renvoient à des considérations de sciences politiques classiques. Disons simplement du point de vue des dispositions réelles du pouvoir ce qu’on veut. Qui du peuple, de la bourgeoisie ou d’une fraction de cette population détiendra le pouvoir. Je constate simplement que dans les régimes présidentiels, ce n’est pas le peuple qui a le pouvoir. On le voit. Le président élu devient le propriétaire du pays. Il n’est plus un mandataire, mais propriétaire de tout. C’est le cas avec le président Gbagbo. Et c’est cette nature du régime mis en place qui nous piège ainsi. Regardez le Conseil constitutionnel. C’est l’exécutif qui en nomme l’essentiel des membres. Et si le président nomme des amis à lui, c’est dans son droit. Car, rien ne l’en empêche. Les différentes oppositions visent le fauteuil de président, c’est tout. Personne ne pense à ces questions.
•Pour vous il faut donc un régime parlementaire ?
Je propose simplement qu’on abroge d’abord cette Constitution. Il faut appeler ensuite à une Assemblée constituante. Pour quoi faire et comment ? Il faut appeler le peuple à choisir le type de régime et de gouvernement qu’il veut. Il faudra choisir entre un autocratique et un mandataire. La Constituante doit engager le débat de sorte qu’à la fin des représentants du peuple rédigent un nouveau texte en balisant bien de sorte à aplanir nos difficultés. Sinon, il y a beaucoup trop de dispositions contradictoires dans notre Constitution. Aujourd’hui par exemple, nous avons réglé par une pirouette juridique la question de l’éligibilité depuis Marcoussis. C’est plus précisément après Pretoria que nous avons dit que tous ceux qui étaient à Marcoussis pouvaient être candidats à titre exceptionnel. Donc, Ouattara va l’être aussi. Or, nous savons que son cas a été au centre de tous les débats. Supposons un instant, et je le lui souhaite, qu’il gagne. Que sera-t-il ? Un président à titre exceptionnel ? Et s’il n’est pas élu cette fois, et qu’aux prochaines élections il désire se présenter. Que dira-t-on ? On a assisté également à une prolongation du mandat du chef de l’Etat sur des bases qui n’ont aucune base constitutionnelle et légale. Notre texte fondateur est caduc et pose plus de problème qu’il n’en résout.
•Etes-vous associé à la campagne que le Pit engage pour le renouvellement de la Constitution ?
J’épouse cette idée d’abrogation et de renouvellement. Donc, quiconque y adhère, peut me voir marcher à ses côtés. J’ai d’ailleurs été invité à la conférence de demain (Ndlr : aujourd’hui). Je ne rentre pas dans les considérations politiciennes, mais, je me range aux côtés de ceux qui veulent défendre la cause du peuple.
Interview réalisée par Djama Stanislas
•Le Parti ivoirien des travailleurs (Pit) organise aujourd’hui une conférence publique pour proposer la rédaction d’une nouvelle Constitution. Quel commentaire vous inspire un tel projet ?
Je suis très content qu’un parti légalement constitué et présent au gouvernement s’intéresse à cette question essentielle. En fait, dès 2000, avec des amis, nous avions animé au moins 4 conférences de presse pour demander aux populations de ne pas voter cette Constitution. J’ai également été à l’origine d’un appel public que nous avions lancé en 2006 à travers une plate-forme des intellectuels pour demander l’abrogation de cette Constitution. J’étais avec Bandama Maurice, Venance Konan et Yacouba Konaté. Aujourd’hui je suis content que ce débat dépasse le cadre très étroit que nous avions tracé.
•Pour le président du Pit, il est important de rédiger une nouvelle Constitution dans la perspective de la sortie de crise. Car, l’actuelle à une grande responsabilité dans la fragilisation du tissu social. Qu’en pensez-vous ?
Ce sont des arguments qui ne sont pas inutiles. Mais, attention de ne pas poser les problèmes de cette Constitution que par rapport à la situation présente. Il faut remonter plus loin. Il y a la disposition des forces politiques, et l’organisation des pouvoirs publics qu’il faut analyser. C’est donc aussi le type d’Etat, le type de gouvernement qu’il faut revoir. Or, fondamentalement, toutes ces questions ont été bâclées à l’origine. Le 2 mars 1990, le mot d’ordre c’était : «Houphouët démissionne !». On voulait changer de régime. Mais, alors que les manifestants voulaient remplacer un régime autocratique par un régime démocratique, j’ai été au regret de constater que ces changements profonds qui devraient conditionner des transformations profondes de notre Etat ont été remplacés par des questions de multipartisme.
•Vous pensez donc que la Constitution n’est pas à l’origine de la crise?
Je situe les origines de cette crise à deux niveaux. Primo, il s’agit d’une suite de la crise du système néo-colonialiste qui est l’émanation de la crise du capitalisme au plan international qui a commencé dans les années 1980. C’était une période de rupture dont beaucoup de pays ont profité pour faire des grands changements. Mais, les politiciens opportunistes de chez nous ont accueilli cela comme le moment opportun pour exprimer leurs ambitions en renversant militairement ou avec l’appui de la rue, les pouvoirs et les individus qui les incarnaient. Secundo, il y a eu l’affaiblissement de l’Etat qui a entrainé des crises au sein de la classe dirigeante. Il y a eu ici, la question de savoir qui de Bédié ou de Ouattara devrait être le chef de file de la bourgeoisie autocratique de l’époque. C’est cette dérive qui a compliqué les choses. Et dans la confusion, a surgi une troisième tête dont on connait la situation aujourd’hui. Le coup d’Etat de 1999, les différentes tentatives de renversement du pouvoir et le 19 septembre 2002 ne constituent pas la crise. Ce sont des moments de la crise.
•Quelle est alors la part de responsabilité de cette Constitution ?
J’ai dit tout à l’heure qu’il fallait savoir quel type d’Etat, quel type de pouvoir nous voulons. En lieu et place de ces questions, au moment d’adopter notre Constitution, l’on s’est contenté d’agiter devant le peuple le chiffon rouge de la suggestion économique et politique qui concerne la situation des étrangers. On s’est donc concentré sur une question dérisoire de savoir qui allait être notre président alors qu’il fallait plutôt demander pour quoi faire et qu’allait devenir la Côte d’Ivoire.
•En quoi notre Constitution a-t-elle raté ces questions essentielles ?
Il y a eu une grosse forfaiture avec cette Constitution. Car, le texte publié dans le Journal officiel le 18 mai 2000, n’est pas celui qui a été soumis au vote et adopté. Ainsi, alors que dans le texte originel, il devrait exister un Senat en Côte d’Ivoire, on n’en voit pas de trace aujourd’hui. Le «ou» avait été retenu dans le texte du Journal officiel, mais c’est le «et» qui a été retenu. Le général Guéi a falsifié le texte qui a fait l’objet du consensus des partis politiques et des intellectuels. Il faut le dénoncer. Ce qui me fait dire que la première raison pour laquelle il faut abroger cette Constitution c’est bien cela. Elle est caduque. La seconde raison, c’est que c’est une Constitution autocratique qui instaure un régime de pouvoir personnel. C’est justement parce qu’il s’agit d’un super pouvoir personnel qu’on veut faire le «ôte-toi que je m’y mette». Le pays ne préoccupe personne entre temps. Il y a 36 articles dans cette Constitution qui fondent le pouvoir du président de la République. Alors que l’Assemblée nationale qui est censée avoir un réel pouvoir autonome ne bénéficie au mieux que de 4 articles. Dans le règlement de l’Assemblée nationale, un article, le 21, je crois fait obligation à toutes les commissions de communiquer leurs ordres du jour au président de la République. Où est donc la séparation des pouvoirs. C’est un régime autocratique de pouvoir autoritaire. Si nous voulons la démocratie, il faut substituer au régime actuel, un régime de pratique qui équilibre le pouvoir.
•Que préconisez-vous concrètement?
Les notions de parlementarisme et de présidentialisme renvoient à des considérations de sciences politiques classiques. Disons simplement du point de vue des dispositions réelles du pouvoir ce qu’on veut. Qui du peuple, de la bourgeoisie ou d’une fraction de cette population détiendra le pouvoir. Je constate simplement que dans les régimes présidentiels, ce n’est pas le peuple qui a le pouvoir. On le voit. Le président élu devient le propriétaire du pays. Il n’est plus un mandataire, mais propriétaire de tout. C’est le cas avec le président Gbagbo. Et c’est cette nature du régime mis en place qui nous piège ainsi. Regardez le Conseil constitutionnel. C’est l’exécutif qui en nomme l’essentiel des membres. Et si le président nomme des amis à lui, c’est dans son droit. Car, rien ne l’en empêche. Les différentes oppositions visent le fauteuil de président, c’est tout. Personne ne pense à ces questions.
•Pour vous il faut donc un régime parlementaire ?
Je propose simplement qu’on abroge d’abord cette Constitution. Il faut appeler ensuite à une Assemblée constituante. Pour quoi faire et comment ? Il faut appeler le peuple à choisir le type de régime et de gouvernement qu’il veut. Il faudra choisir entre un autocratique et un mandataire. La Constituante doit engager le débat de sorte qu’à la fin des représentants du peuple rédigent un nouveau texte en balisant bien de sorte à aplanir nos difficultés. Sinon, il y a beaucoup trop de dispositions contradictoires dans notre Constitution. Aujourd’hui par exemple, nous avons réglé par une pirouette juridique la question de l’éligibilité depuis Marcoussis. C’est plus précisément après Pretoria que nous avons dit que tous ceux qui étaient à Marcoussis pouvaient être candidats à titre exceptionnel. Donc, Ouattara va l’être aussi. Or, nous savons que son cas a été au centre de tous les débats. Supposons un instant, et je le lui souhaite, qu’il gagne. Que sera-t-il ? Un président à titre exceptionnel ? Et s’il n’est pas élu cette fois, et qu’aux prochaines élections il désire se présenter. Que dira-t-on ? On a assisté également à une prolongation du mandat du chef de l’Etat sur des bases qui n’ont aucune base constitutionnelle et légale. Notre texte fondateur est caduc et pose plus de problème qu’il n’en résout.
•Etes-vous associé à la campagne que le Pit engage pour le renouvellement de la Constitution ?
J’épouse cette idée d’abrogation et de renouvellement. Donc, quiconque y adhère, peut me voir marcher à ses côtés. J’ai d’ailleurs été invité à la conférence de demain (Ndlr : aujourd’hui). Je ne rentre pas dans les considérations politiciennes, mais, je me range aux côtés de ceux qui veulent défendre la cause du peuple.
Interview réalisée par Djama Stanislas