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Politique Publié le vendredi 27 mars 2009 | Le Nouveau Réveil

Maître Blessy Jean Chrysostome (Avocat de Gnamantêh et Edddy Péhé) : “Le parquet se livre à un jeu dangereux”

Au terme de l’audience de mardi dernier qui a vu la comparution des journalistes, Nanankoua Gnamantêh et Eddy Péhé, devant le tribunal des flagrants delits d’Abidjan, Me Blessy, avocat de nos confrères revient sur les empoignades verbales entre le parquet, la cour, les prévenus et les avocats de la défense. Il explique pourquoi le parquet fait fausse route dans son interpretation de la loi. Interview.

Maître Blessy, vous faites partie du collectif d'avocats constitués pour la défense des confrères de "Le Nouveau Réveil". Après l'audience du mardi 24 mars 2009 où le parquet a essayé de démontrer que Nanankoua Gnamantêh qui est détenu à la Maca a offensé le chef de l'Etat et qu'il n'est pas journaliste, je voudrais vous inviter à nous éclairer un peu sur cette affaire.
Je voudrais d'entrée de jeu dire merci à monsieur Gnamantêh et monsieur Eddy Péhé et au groupe "Le Réveil" qui m'a choisi parmi beaucoup d'avocats pour assurer la défense de M. Gnamantêh. J'ai eu un immense plaisir vraiment à défendre le principe de la liberté de presse. Je pense que c'est de cela qu'il s'agit. Je voudrais aussi profiter pour dire merci à l'ensemble des avocats qui, spontanément, sont venus se constituer pour la défense de cette cause. Maintenant n'oublions pas que notre fonction d'avocat nous donne à défendre de belles vertus et la liberté de presse est aussi une très belle vertu. Concernant le dossier lui-même, je voudrais instruire que contrairement à ce que beaucoup pensent, le rôle du parquet n'est pas de faire du droit. Je ne pense pas que le rôle du parquet, puisqu'il a reçu des instructions, est de démontrer, peut-être quelquefois même avec un brin de mauvaise foi, que le droit est de son côté, c'est la fonction du parquet, c'est sa mission. C'est le siège des magistrats qui sont assis qui doivent s'asseoir pour fouiller le droit et trouver la solution. Le parquet représente la société ivoirienne qui est opposée à des individus qui sont des avocats et qui défendent la cause de celui qui est poursuivi. Il appartient au siège de rester assis. C'est pourquoi il y a cette position traditionnelle des juges qui restent assis en parlant et puis des juges qui sont debout sur le parquet en parlant. C'est ceux-là qui sont le parquet, et l'autre côté est le siège puisqu'ils doivent rester dans une position bien pour pouvoir rendre le droit, pour fouiller le droit. La position du parquet dans ce dossier c'est quoi. Deux points : Un ; les propos tenus dans le fond de l'article seraient offensants. Deuxièmement, ces propos auraient été tenus par quelqu'un qui ne peut pas et qui n'a pas la qualité de journaliste. Sur ces deux points, le rôle de la défense, c'est de dire que cela n'est pas juste. Il n'y a rien d'offensant à dire des vérités, des faits, qui dans votre métier, sont sacrés. Il n'y a rien d'offensant à dire qu'en son temps, on a crié dans toute cette Côte d'Ivoire, Houphouët voleur, Houphouët voleur et que cela était le fait du FPI, des refondateurs. Il n'y a rien d'offensant à dire que le président a répondu face aux critiques concernant les détournements dont serait coupable son entourage, en disant, l'argent n'aime pas le bruit. Il n'y a rien d'offensant à dire que le Président de la République a dit que c'est chacun son tour et que cela était cyclique. Il n'y a rien d'offensant à dire que le Président de la République a tapé du poing sur la table pour envoyer en prison ceux qui sont présumés auteurs de détournement dans la filière café-cacao. Il n'y a rien d'offensant à dire que la secrétaire du Président de la République, sa secrétaire donc collaboratrice proche, a été surprise d'escroquerie portant sur la somme de 65 millions à un opérateur économique. Tout cela, ce sont des faits avérés qui, rappelés dans un article, ne peuvent nullement être offensants. Qu'est-ce qui est offensant ? De dire que Laurent Gbagbo serait Ali Baba ? Pour celui qui connaît la fable, il sait que Ali Baba n'est pas le voleur ! Ali Baba ne surprend que par indiscrétion du fait de sa position ce jour-là, le mot de passe qui permet aux voleurs d'accéder au butin qu'ils avaient caché. Qu'il y entre avec le même mot de passe et qu'il y extirpe des biens pour les distribuer aux démunis, pour faire des bonnes actions n'est-ce pas la vertu à laquelle tout homme prétend ? Donc si Laurent Gbagbo est cette personne-là, il n'y a rien d'offensant. A moins qu'on puisse nous dire que la culture des gens qui apprécient l'offense n'est pas à ce niveau, pour pouvoir comprendre ce que c'est que Ali Baba dans la fable. Donc deuxièmement, que Gnamantêh ne serait pas journaliste. Cela est grave et je voudrais, quand je lis la presse, m'inquiéter avec vous. M'inquiéter…

Pourquoi êtes-vous inquiet ?
Oui, je m'inquiète parce que certains de vos confrères continuent à faire des petites palabres de petit groupe. La palabre qu'il y a sur la qualité de journaliste est une palabre qui concerne tout l'ensemble des journalistes et qui ne peut pas faire l'objet d'un traitement partial parce que c'est "Le Nouveau Réveil" aujourd'hui. Demain, ça peut être le groupe Olympe, Soir Info et l'Inter ainsi de suite et qui en leur sein, n'ont qu'un seul journaliste qui a une carte professionnelle. Ça peut concerner Fraternité Matin et dire que l'article écrit par Jean Baptiste Akrou qui en est le DG est offensant et extirper Jean Baptiste Akrou de l'immunité que lui donne la loi sur la presse. Ça peut être le DG de la RTI à l'occasion de propos qu'il aurait tenus sur un plateau, parce qu'il ne serait pas journaliste parce qu'il n'a pas la carte de journaliste professionnel. Donc c'est une situation assez importante et je pense que ce que les journalistes doivent faire, ce n'est pas de dire que "Le Nouveau Réveil" a employé quelqu'un qui est à la retraite et qui n'a pas la qualité de journaliste. Ils doivent se poser la question de savoir : pendant le temps que nous n'avons pas la carte de journaliste, qui est-ce que nous sommes ? Qui est-ce que nous sommes ? Et là, le parquet répond : Vous n'êtes pas journaliste en ce moment-là. Donc il n'y a en Côte d'Ivoire que 129 journalistes puisque la seule session qu'il y a eu à la commission de l'attribution des cartes a eu lieu en novembre 2008. De 2002 à 2008, il n'y a pas eu de session, donc il n'y a que 129 journalistes en Côte d'Ivoire ; c'est grave ! Je voudrais pouvoir, moi, les rassurer pour dire qu'ils doivent faire une relecture de la loi portant régime juridique de la presse. Notamment en son article 30 qui est un article important qui nous dit que : " seuls peuvent se prévaloir de la qualité de journaliste professionnel de professionnel de la communication les personnes remplissant les conditions énumérées aux articles 23 ; 24 et 29 et ce qui est très important, l'article nous dit " toute personne qui en a la qualité a droit à une carte d'identité ". Cela veut dire simplement que la qualité de journaliste précède la formalité d'acquisition d'une carte. Donc on est journaliste d'abord avant d'avoir une carte. Donc la carte ne fait pas le journaliste comme l'habit ne fait pas le moine. C'est le journaliste qui a une carte c'est pas la carte qui fait le journaliste. C'est ce que nous voulons répondre au parquet…

La carte a une fonction d'attestation…
C'est juste une attestation comme le dit la loi. Donc elle ne fait que présumer simplement que c'est un journaliste. La preuve se fait par d'autres choses assez importantes. Ce que nous voulons dire, c'est qu'en réalité, tout le monde s'est précipité sur cette question : Gnamantêh est journaliste ou il n'est pas journaliste ? La question qui était posée au tribunal, n'est pas de savoir si Gnamantêh était journaliste ou pas. C'était d'abord d'appliquer à cette personne le régime juridique de la presse. Or que dit l'article 89 de cette loi ? Cet article 89 de la loi nous dit précisément que : " Sont passibles, comme auteurs principaux des peines que constituent la repression des delits commis par voie de presse, les directeurs de publication, les journalistes ou autres personnes, auteurs directs des faits incriminés”. Cela veut dire que, et si vous lisez la loi, cette loi ne dit pas que ces journalistes ne peuvent pas faire l'objet de peine. Cette loi dit que le délit de presse ne peut faire l'objet de condamnation à une peine d'emprisonnement. Donc la question qu'on doit se poser, c'est de savoir si l'acte qui est poursuivi, l'acte qui est incriminé est un délit de presse sans regarder la qualité de la personne qui a posé l'acte. On cherche surtout la qualification de délit de presse.

Qu'est-ce qu'un délit de presse maître Blessy ?
La loi répond clairement pour dire que c'est un délit de défiance d'offense, d'outrage qui se pose par les dispositions de l'article 174 très certainement sur un support de presse, un journal, un périodique, un film ainsi de suite ou sur un plateau de télévision. Donc le support de presse est l'élément essentiel. Or dans le cas qui nous concerne, Gnamantêh a écrit un article qui est paru dans "Le Repère". "Le Repère" est un hebdomadaire qui est connu, qui est régulier, qui a tous ses papiers, qui paraît correctement, qui est connu du procureur de la République puisque toutes les constitutions se font devant le Procureur de la République. Donc le support de presse existe et que l'offense qu'on suppose avoir été faite au chef de l'Etat a été faite dans ce support de presse, il y a donc un délit de presse. S'il y a délit de presse, alors Gnamantêh peut être poursuivi mais ne peut pas encourir une peine d'emprisonnement. C'est ce que nous avons dit au tribunal. C'est simplement des textes. Nous n'inventons rien simplement.

Mais pourquoi pensez-vous que le parquet qui a une connaissance très claire des textes, réoriente un peu sa lecture pour dire autrement ce que la loi a dit ?
Je vous ai dit tantôt que le parquet joue son rôle. Ce rôle… C'est mauvais quand même de rester simplement dans ce rôle puisqu'on nous dit que le parquet prend ses réquisitions à charge et à décharge. Nous devions nous attendre à ce que le parquet reste quand même dans un rôle de juriste. De dire que la loi ne peut pas faire l'objet de deux interprétations différentes. La loi c'est la loi. Elle n'arrange pas le parquet, le parquet obéit et doit se ranger à l'interprétation, et à ce que dit la loi, aux termes de la loi. Et cette loi n'a pas été changée pour Assalé Tiémoko ou alors pour Gnamantêh. Elle est la même. Le parquet, tel que représenté ce jour-là, était représenté par des brillants juristes que nous avons connus au siège ainsi de suite. Donc nous ne disons pas que c'est par pure mauvaise foi. Mais nous avons été surpris que le parquet s'accroche à charger, à charger, à charger, mais dans une direction qui n'était pas la bonne et qui n'était pas juste.

Vous avez dit maître Blessy, que le parquet agit sur instruction. Alors que dans le cas d'espèce, il nous est revenu que le parquet s'est auto saisit.
Non, il faut savoir l'organigramme du parquet. Le parquet peut s'auto saisir. Mais qui est le chef du parquet. Le parquet de la société ivoirienne, c'est le Président de la République entre autres ainsi de suite. Nous ne disons pas les choses comme ça. “Monsieur ne reçoit pas d'instruction”. Le parquet s'est auto saisi. Mais très souvent, on s'auto saisit, et on s'auto censure aussi. Donc quelquefois, on a l'impression que là où le droit était clair, volontairement, on a voulu omettre ce pan du droit. C'est de bonne guerre, nous sommes habitués au palais et à traiter les choses de cette façon. Il appartenait aux avocats de démontrer aux juges qui étaient là, au siège, que le parquet ne faisait pas l'interprétation exacte de la loi. Et c'est ce que nous avons essayé de démontrer, c'est dans son jeu fonctionnel que le parquet agisse de cette façon.

Maître Blessy, au cours de l'audience le substitut du procureur a dit des choses quand même assez graves. Des propos comme " aujourd'hui tout ça va finir. Aujourd'hui tout va finir " et puis il y a eu quand même des lapsus inimaginables parlant de "Le Repère", il se rabat sur "Le Nouveau Réveil". Est-ce qu'il n'y a pas des dessous comme les gens le pensent dans cette procédure ?
Je gère les dossiers sans chercher les dessous. Vous savez, pendant un procès, les avocats, le parquet, ils s'amusent à se faire peur. C'est des intimidations à gauche ou à droite. Pour ceux qui ne sont pas dans la culture d'un procès, on a l'impression que beaucoup de choses… peut-être le parquet a voulu dire dans son message que ce que nous voulons aujourd'hui, la position que nous prenons à défendre pour dire que si tu n'es pas journaliste, tu ne peux pas bénéficier du régime juridique de la loi sur la presse pour donner un avertissement à ceux qui, de façon intempestive selon le parquet, écrivent dans les journaux et qui, très souvent, sont comme des leaders d'opinion ces temps-ci. Peut-être c'est cela. Mais ce qu'il a dit n'avait rien de juridique et donc comme il l'a précisé, c'était à l'endroit de tous les journalistes ainsi de suite. Mais en fait, on ne fait pas un procès pour s'adresser à ceux qui ne sont même pas partie au procès. Donc nous, nous considérons n'avoir pas entendu ce qu'il a dit. Ce que nous avons entendu, simplement, c'est que le parquet a dit que ce n'est pas possible que monsieur Gnamantêh, qui a commis un délit de presse, puisse bénéficier de la loi portant régime juridique de la loi sur la presse.

Quelle est la question qui est aujourd'hui posée au tribunal ?
La question qui est posée au tribunal, que la loi portant régime de la presse pose au tribunal, c'est celle de savoir : est-ce que monsieur Gnamantêh, qui a utilisé un journal comme support, pour publier un article qui est considéré comme offensant pour le Président de la République peut encourir une peine d'emprisonnement ? En réalité, ce n'est même pas une question, c'est une porte ouverte, puisque c'est un délit de presse. La question qu'on doit poser, est-ce que le contenu de l'article est vraiment offensant ? Si donc, sur le fait d'écarter une peine d'emprisonnement, nous pensons que cela est déjà acquis puisque la loi le dit. Donc c'est de savoir si ce qu'il a dit est offensant. Bien, sur cette question, le tribunal est libre. C'est une question d'émotion.

On a le sentiment en Côte d'Ivoire que quand le nom du chef de l'Etat est cité dans une procédure, ça devient difficile pour le tribunal de trancher par rapport au droit.
Je ne le dirai pas comme ça. Je dis qu'un dossier au tribunal devient particulier lorsqu'une des parties est le Président de la République. Mais je ne dirai pas que le tribunal n'apprécie pas en droit. Je n'irai pas jusqu'à cela.

Parce que vous avez foi en la justice ?
Mais, j'ai la chance de connaître peut-être beaucoup parmi ces magistrats qui sont au siège, qui sont au parquet, qui sont de très très bons juristes. Je pense qu’ils ont la capacité de dépasser les contingences d'un dossier pour rendre une décision en droit. Cela s'est déjà passé. Quelquefois, il y a eu des errements, mais nous ne pensons pas que cela ait été toujours des errements volontaires. Nous évoluons, la Côte d'Ivoire évolue. Et donc ils savent, la magistrature sait qu'elle doit aussi évoluer avec la Côte d'Ivoire. Nous avons confiance, nous savons que les magistrats qui sont là, connaissent la loi, lisent la loi, savent lire la loi et savent dire le droit sans se censurer. Ils ne se censurent pas souvent. Il peut arriver que lorsque nous perdons un dossier, on ait l'impression qu'ils se censurent et qu'ils respectent, qu'ils suivent des instructions. Mais c’est un pas qui est trop vite franchi et qui doit être regardé avec beaucoup plus de… Il faut édulcorer le point de vue.

Maître Blessy, je voudrais vous amener à vous prononcer sur les réquisitions mêmes du substitut du procureur de la République : 10 millions d'amende, suspension de huit parutions de "Le Repère", 2 ans de privation de liberté et 500.000 francs d'amende pour Gnamantêh. Ça semble un peu excessif ?
Oui, ça semble excessif. Les réquisitions du procureur, pour la défense, ne contenaient pas ce qu'on attendait parce que, il n'est pas bien de dire, tel terme est offensant. Il faut dire pourquoi ce terme est offensant. La loi précise que c'est des propos diffamatoires, outrageants ou offensants qui constituent l'insulte. Mais qu'on nous dise en quoi est-ce que reproduire une partie du discours du Président Gbagbo est offensant ? Qu'on nous dise pourquoi dire que les Ivoiriens sont désillusionnés parce que le "V" de la refondation est en fait, pas un "V" de victoire mais un "V" de vol ? Pourquoi est-ce que cela est offensant ? Il n'est pas interdit à un journaliste d'apprécier la politique d'une personnalité politique, si cette appréciation se fait sur des faits, des éléments qui sont objectifs, observés par tout le monde. Bien, le parquet demande la suspension du "Repère" pour huit parutions. C'est excessif, c'est beaucoup excessif. C'est excessif parce que, comme me l'a dit quelqu'un au sortir de l'audience, " Ali Baba et les 40 voleurs " est un titre qui a été déjà utilisé par "Le Nouvel Horizon" à l'époque. Il n'y a pas eu de poursuites nulle part ! Et puis vous avez remarqué, le Président de la République se fait absent même de ce procès. Parce qu'il n'y a même pas eu de constitution de partie civile. Il n'y était pas. C'est quelque chose qui lui glisse sur la peau, qui ne lui fait rien parce que lui-même en tant que opposant est habitué au langage dur, pas au langage offensant, mais au langage dur et habitué aux critiques et ça c'était une critique objective, une invitation, une exhortation de monsieur Gnamantêh au Président de la République d'avoir à regarder dans son entourage.

Vous dites que le Président n'était pas partie au procès, pourtant le parquet a dit qu'il représentait le Président. C'est sorti de la bouche du substitut du procureur ?
Non, il y a le ministère public et puis il y a le Président de la République. Le Président de la République n'est pas venu en tant que partie civile pour demander un franc symbolique ou bien 50 millions de dommages et intérêts. Donc le Président de la République n'était pas présent dans ce procès. C'est le parquet qui représente la société ivoirienne. Il dit qu'il représente la société ivoirienne donc il représente le président de la République ? Non ! C'est un pas de géant qu'il a posé. Ce n'est pas possible, le Président n'était pas présent à ce procès. Il n'y avait pas de partie civile dans ce dossier. Donc les réquisitions conduisaient à des condamnations trop fortes. Il faut savoir que Gnamantêh a 62 ans. On va le condamner à deux ans ? La Côte d'Ivoire a besoin d'autres choses que ça. Que des journalistes soient en prison pour deux ans, que des journalistes soient en prison pour un mois même, que des journalistes soient mis sous mandat de dépôt, soient à la Maca. Or, on sait que le mandat de dépôt, c'est pour éviter que la personne en liberté, ne vienne troubler l'exactitude des faits, manipule les témoins ainsi de suite. De quel besoin répond la mise sous mandat de dépôt de monsieur Gnamantêh ? La prolongation de mandat de dépôt par le délai de délibération qui vient violer et donner un non sens, à l'exigence des délais pour que l'affaire vienne rapidement devant le tribunal quand il y a un flagrant délit. Il y a des choses qui sont de droit commun, des principes généraux de droit qu'on n'a pas besoin d'écrire dans un document, dans un livre ou bien dans une loi. On sait que le flagrant délit, quand tu es pris en flagrant délit, que tu es mis sous mandat de dépôt, tu dois être présenté pour jugement devant le tribunal. Mais pourquoi est-ce qu'on enferme ça dans un délai aussi court ? Simplement parce qu'il y a des intérêts qu'on défend. On ne peut pas, pour des questions de délibération, renvoyer à une semaine. Pendant ce temps, la personne purge une peine. Quand on ressort de la peine et qu'on est innocent, tu ne peux pas poursuivre l'Etat de Côte d'Ivoire. Il n'y a pas de loi pour l'indemniser de cette façon, rien. Donc tu as perdu du temps, passé ta vie là-bas, l'opprobre à la Maca, c'est grave ! Ce n'est pas respecter les droits de l'homme.

Le substitut du procureur a dit, s'adressant sûrement aux responsables des journaux : " Ecartez de vous ceux qui ne sont pas des journalistes professionnels ". Est-ce à dire que si le tribunal entérine les réquisitions du parquet, à partir du mardi 31 mars 2009, tous les journalistes qui ne sont pas détenteurs de la carte de journaliste professionnel tomberaient immédiatement sous le coup de la loi qui réprime l'usurpation de titre ?
Il restera alors en Côte d'Ivoire, si le mardi prochain, une décision était fondée sur ce que monsieur Gnamantêh, parce que ne possédant pas la carte de presse n'est pas journaliste, donc ne peut pas être protégé par la loi qui porte régime juridique de la presse, il restera en Côte d'Ivoire 129 journalistes. Seules ces personnes, si elles commettent des infractions, ne pourront pas être susceptibles d'être condamnées à des peines d'emprisonnement. Cela veut dire que tous ceux qui ne possèdent pas la carte de journaliste en ce moment-là, à partir de mardi, doivent savoir qu'ils peuvent être poursuivis quand ils se présentent quelque part pour faire une interview qu'ils aient sur leur papier le titre de journaliste, ils usurpent le titre de journaliste professionnel. Ils peuvent être poursuivis. Deuxièmement, c'est qu'il n'existe pas de journaliste en Côte d'Ivoire. Donc, ça veut dire que, avant novembre 2008, il n'existait pas de journalistes en Côte d'Ivoire. Il n'en existait pas. Parce que de 2002 à novembre 2008, il n'y a pas de session organisée pour attribuer des cartes de journaliste. Et tous ceux qui avaient une carte de journaliste, ces cartes de journalistes étaient enfermés dans un délai de validité d'un an qui était déjà expiré. Donc ils n'étaient pas journalistes. Donc de 2002 à 2008, il n'y avait pas de journalistes en Côte d'Ivoire. Mais là c'est grave, c'est très grave ! C'est-à-dire qu'on peut avoir la volonté de poursuivre, de sanctionner un fait qui nous rebute sans que ce fait ne tombe sous le coup d'un délit. Soit. Ça c'est une réaction normale. Mais vouloir faire dire à une loi, ce qu'elle ne dit pas, c'est dangereux, parce qu'on ne maîtrise pas les conséquences de l'acte qu'on va poser. Ce n'est pas pour un individu qu'on va faire dire à la loi ce qu'elle ne dit. Parce qu'on ne sait pas alors demain, où est-ce qu'on s'en va.

Maître Blessy, certaines personnes pensent que ce procès a des relents politiques. A la lumière de la prestation du parquet, est-ce que vous partagez cette conviction ?
Moi, je ne regarderai pas à la lumière du parquet. Je regarderai à la lumière de ce qu'est "Le Nouveau Réveil", ce qu'est "Le Repère". "Le Nouveau Réveil" aujourd'hui est comme un porte-voix, tous les scandales qui sont arrivés ces temps-ci, "Le Nouveau Réveil" a eu le nez creux et les a dévoilés jusqu'à ce que certaines personnes arrivent à la Maca, jusqu'à ce que des enquêtes soient diligentées dans certaines structures de l'Etat. Il est sûr que, pour l'observateur, pas du juriste que je suis, "Le Nouveau Réveil" peut déranger. Et puis vous savez qu'en Côte d'Ivoire, la presse est partagée à l'intérieur des couleurs des Unes. Le vert blanc, nous savons que c'est l'opposition et "Le Nouveau Réveil" a tendance PDCI, tendance opposition. De là à dire que tout le harcèlement qui arrive est un harcèlement politique, beaucoup franchissent le pas. Mais le juriste que je suis, reste complètement enfermé dans la poursuite des faits et cette poursuite, si elle se répète sur des éléments de la loi qui sont clairs et auxquels on tort le cou, je serai fondé à penser réellement que nous sommes dans un harcèlement politique qui n'a rien à voir avec le métier de journaliste ou bien à des fautes ayant été commises par des journalistes.

Dans cette affaire, vous étiez une poignée d'avocats et puis finalement, il y a de nombreux avocats qui se sont constitués, qui sont venus par solidarité vous soutenir. Comment est-ce que vous analysez cette réaction collective de vos collègues ?
Les avocats qui sont venus se constituer par la suite ont fait une analyse. Que je veux pouvoir traduire. Vous avez vu que certains sont venus se constituer lorsqu'ils ont vu la position du parquet sur la loi. Au départ, ils se sont dit clairement mais oui, c'est un journaliste, c'est pas un journaliste, c'est autre débat, c'est encore politique. Mais après, quand chacun a eu la loi, que la loi a été distribuée par nous-mêmes, et que nous avons visé les points, tout le monde a lu et tout le monde s'est rendu compte qu'en fait le débat n'était pas de savoir si quelqu'un est journaliste ou pas. Mais de savoir si les faits qui sont reprochés sont des faits qui constituent le délit de presse. Et quand vous savez que lorsque un juriste se retrouve devant une analyse qui est farouchement fausse, le juriste est ulcéré. Il est ulcéré. Et je pense que c'est dans cette situation que se sont retrouvés les confrères qui nous ont rejoints, parce qu'ils défendent le principe de la liberté. Et que si cette liberté devrait être freinée, cantonnée, il faudrait que les raisons de ce cantonnement soient des raisons justes et légitimes. Il ne faudrait pas qu'on utilise mal à propos la loi, ce qu'elle ne dit pas, pour pouvoir cantonner une liberté chèrement acquise et dont beaucoup aujourd'hui se félicitent comme étant ceux-là qui ont donné la liberté aux journalistes. Si vous avez donné la liberté aux journalistes, respectez les textes dans lesquels vous avez donné cette liberté. Ils avaient l'impression que ceux qui ont écrit la loi se rendaient aujourd'hui compte, ceux qui ont initié la loi se rendaient aujourd'hui compte peut-être que les termes étaient trop larges que ça n'enfermait pas seulement les journalistes professionnels mais aussi tout quidam qui avait écrit et qui avait pris un support de texte. Or c'est ce que la loi dit et ce que la loi dit ne doit pas être contrarié ; c'est mauvais, c'est mal rédigé mais c'est ce que la loi dit et on est en matière pénale, c'est l'interprétation stricte ; le juge ne peut pas interpréter en opportunité ou pas, non, il n’interprète que ce que la loi dit. Et c'est parce que les avocats, les confrères se sont rendu compte qu'en réalité, ce qu'on reprochait, n'était pas reprochable. La façon dont Gnamantêh avait été arrêté, la façon dont on avait conduit le mandat de dépôt, ainsi de suite, ressemblait fort à un détournement de la loi. Il faut se rappeler que le parquet, dans une analyse publiée, a fait dire que si la loi dit que les journalistes ne vont pas en prison, la détention préventive n'est pas une peine d'emprisonnement. Cela veut dire qu'on peut convoquer un journaliste, qu'il peut rester dans les geôles de la gendarmerie ou de la police, ou alors on peut le mettre sous mandat de dépôt, il peut partir à la Maca et tant que une décision n'est pas arrivée pour dire je te condamne à une peine de prison, ce qu'il est en train de vivre n'est pas une prison. Vous voyez. Donc il y a un dévoiement de la loi. Et nous sommes les avocats, défenseurs des libertés. Et c'est ce qui a inspiré les confrères qui se sont trouvés directement à défendre monsieur Gnamantêh. Ils vous diront peut-être des raisons personnelles à eux, mais c'est la raison fondamentale qui les a guidés.

Au sortir de l'audience le mardi dernier, maître Adjé Luc a demandé pourquoi au regard de la loi sur la presse, Assalé Tiémoko a été emprisonné ? Est-ce que le tribunal ne pourrait pas s'appuyer sur ce précédant pour condamner Gnamantêh ?
Si je ne m'abuse, Assalé Tiémoko avait été poursuivi pour outrage à magistrat. On a trouvé que ce qu'il avait écrit, était un outrage à magistrat. C'était donc un délit qui avait été commis par voie de presse. En principe, de ce que je sais théoriquement, ce délit de presse ne pouvait pas faire l'objet d'une peine d'emprisonnement suivant l'application de l'article 89. Or, Assalé a été mis en prison. Il appartient au tribunal, parce que c'est une mauvaise application de la loi, de dépasser les émotions professionnelles, de protection de leur intégrité morale ou autre pour dire la loi. Il y a d'autres voies de corriger que d'enjamber la loi, parce que si eux qui sont les magistrats, ils enjambent la loi, ç'en sera fini de l'ordre public parce qu'en réalité, personne ne respectera la loi. Il est important que la loi soit respectée.
Interview réalisée par Akwaba Saint Clair et Assalé Tiémoko
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