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Société Publié le vendredi 3 avril 2009 | Nord-Sud

Course à l’enrichissement illicite - L’Abbé Abekan Norbert: "Ministres, PCA, PDG, DG…Attention !"

Le curé de la paroisse Notre Dame de la Tendresse de la Riviera golf, fustige les crimes économiques et propose ses solutions.

•Nous constatons aujourd’hui une course effrénée des Ivoiriens vers l’enrichissement ? Partagez-vous ce constat ?

Exactement, je fais le même constat. Je crois que ce phénomène ne date pas d’aujourd’hui car, la course à l’argent est de tous les temps et sous tous les cieux. Mais aujourd’hui, il y a une transe généralisée dans cette course à l’argent qui s’est emparée de tous les Ivoiriens et de ceux qui habitent ce pays. Aujourd’hui, c’est lescandale des banques volantes, la cybercriminalité, les phénomènes de multiplication d’argent. L’argent rapide en un mot. Mais ceci n’a qu’un seul objectif : arnaquer les gens.

•Chercher l’argent est-il anti religieux ?

Je ne le crois pas. L’Eglise a besoin d’argent pour bâtir des églises. La preuve, chez nous à Notre Dame de la Tendresse, nous sommes en train de lancer des appels à des paroissiens, à des âmes généreuses pour construire notre église. Mais il faut situer l’argent à sa vraie place. L’argent est un mauvais maître, mais, un bon serviteur. Donc sur ce plan-là, l’Eglise a besoin d’argent mais de l’argent acquis honnêtement. Travailler à la sueur de son front pour avoir cet argent et essayer d’en faire bénéficier les autres.

•Selon vous, pourquoi les choses ne semblent pas changer malgré tous les appels lancés par les hommes de Dieu ?
C’est un peu le cas d’un père de famille qui a plusieurs enfants. Il leur donne des conseils pour leur avenir. Dans ce lot d’enfants, certains prennent sérieusement en main leur avenir, d’autres vont jouer avec leur avenir. C’est pareil, les chefs spirituels que sont les évêques, les curés de paroisse et les imams parlent à tous ceux dont ils ont la charge. Souvent, il y a certains qui n’écoutent pas. Vous savez, même au temps de Jésus-Christ, il a parlé aux peuples mais, ce n’est pas tout le monde qui a mis en application. Je suis entièrement d’accord que malgré tout ce qui est dit, il y a beaucoup qui ne suivent pas les consignes.

•Ceux qui acquièrent mal leur argent sont souvent les plus généreux. Ils offrent les plus gros montants lors des quêtes et font beaucoup de cadeaux aux guides religieux. Qu’en dites-vous ?
Le guide religieux n’est pas là pour condamner, il est là en tant que guetteur pour prévenir, pour annoncer. Mais concernant les dons, je ne peux pas savoir que la personne qui vient de me faire ce don est un voleur. Je ne peux pas non plus savoir que ce don que je viens de recevoir est un fruit de racket. C’est très délicat. Mais si on le sait, on ne le prendra pas.

•Quelle est la règle en la matière dans votre paroisse ?
On ne doit pas faire la charité avec le bien d’autrui. Venir faire par exemple la charité à l’église en allant piller les biens de la nation, en allant piller les biens des autres. L’église ne le cautionnera jamais.

•Y a-t-il un contrôle sur l’origine des dons ?
Pour ça, il n’y a pas de gendarme, ni de surveillant.

•Vous est-il déjà arrivé de refuser un don d’origine douteuse ?
Oui, il m’est arrivé plusieurs fois de refuser des dons. Quand j’ai accompli une mission et que la personne veut me payer. Je refuse car je veux montrer aux gens que je ne suis pas là pour cela. Je refuse des enveloppes sans même voir le contenu. J’ai aussi apprécié l’attitude d’un évêque qui a refusé le don d’une voiture.

•Parce qu’il reprochait quelque chose au donateur ?
Parce qu’il ne voulait pas cautionner certaines choses.

•Etes-vous prêt à dire à ceux qui ont mal acquis leur argent de s’abstenir de participer à vos quêtes?
Nous le disons d’une certaine manière. Peut-être pas clairement mais, nous le disons. En disant d’arrêter ces vols, c’est une manière de le dire. Nous ne pouvons pas dire d’arrêter les vols et venir accepter des dons tout en sachant qu’ils sont les fruits de vols.

•Il faut aujourd’hui dissocier deux faits, il y a la course illicite à l’enrichissement et il y a la course plus ou moins licite. Les Ivoiriens veulent devenir riches. Qu’est-ce qui explique cela ?
Il y a d’abord la situation sociopolitique. La guerre a entraîné une paupérisation galopante. Il y a beaucoup de pauvres et il y a certains qui se sont enrichis à travers cette situation. L’on cherche l’argent par tous les moyens pour survivre. Les jeux du hasard font rêver parce que de fortes sommes d’argent sont proposées aux joueurs. Et nombreux sont ceux qui empruntent ce chemin. Il y a aussi l’envie et le désir d’être, le désir de paraître, le désir d’imiter et de dominer. Il faut le dire qu’à ce niveau-là, l’avoir, le pouvoir et le sexe marchent ensemble. Je veux avoir plus d’argent pour avoir plus de femmes et même prendre la femme de l’autre. Et aujourd’hui, les femmes s’achètent avec de l’argent, les hommes aussi. Plus j’ai l’argent, plus j’ai le pouvoir. Plus j’ai le pouvoir, plus je veux dominer et plus je veux acheter l’autre. Mais je crois que la cause fondamentale et première, c’est quand la vie de l’homme est réduite à une dimension matérialiste. On n’a plus la crainte de Dieu et naturellement on peut tuer l’homme pour l’argent, on peut détruire un homme pour l’argent. Il n’y a plus de repère.

•Et pourquoi il n’y a plus la crainte de Dieu ?
Il n’y a plus la crainte de Dieu parce que volontairement on se dit que Dieu gène ou qu’il n’existe pas.

•L’Afrique baigne dans une sphère économique dominée par le capitalisme, la recherche du gain. Le matérialisme que nous vivons n’était-il pas alors inévitable ?
Je ne me situe pas à ce niveau de capitalisme, communisme, socialisme et autres. On a vu que où il y a l’homme, il y a le mérite. Tant que l’éducation de base n’est pas faite, qu’on soit dans le communisme, le socialisme ou le capitalisme et qu’on n’a pas le respect de la personne humaine, on connaîtra toujours ce problème. On connait des pays d’Afrique qui ont choisi le communisme, on voit leur stade de développement. Ils ont changé et maintenant, ils sont capitalistes. Le problème n’est pas à ce niveau. C’est plutôt un problème de la personne, de l’individu. Il faut qu’on ait des pays où on punit tous ceux qui font des mauvaises choses. Par exemple, tu es un policier, tu pratiques le racket, on t’attrape et on te radie. C’est ce qu’on fait au Canada et même dans certains pays d’Europe. Malheureusement, on copie mal, on ne fait que copier ce qui est mauvais.

•Voulez-vous dire qu’il n’y a pas de punition en Côte d’Ivoire ?
Ailleurs, quand on n’a pas la preuve spontanément que vous avez détourné de l’argent et que vous vivez au-dessus de votre salaire, on ouvre une enquête. Et l’enquête doit aboutir. Malheureusement, dans ce pays, les enquêtes n’aboutissent jamais. Et c’est depuis toujours. Que les dirigeants fassent en sorte que les enquêtes aboutissent et que les coupables soient punis

•Des personnalités soupçonnées d’avoir détourné des fonds publics ont été arrêtées et emprisonnées. Que pensez-vous de cette opération ?
Je l’approuve pour le bien du pays. Je n’ai rien contre ces personnes. C’est le système même qu’il faut changer. Avec beaucoup de rigueur, le système changera. Mais, il faut qu’on bannisse l’impunité. Je salue le président de la République pour cette décision. Mais il faut aussi faire attention en ne dépassant pas les limites. Il ne faudrait pas que cela se transforme en chasse aux sorcières.

•La solution n’est-elle pas aussi morale ?
C’est vrai. Avant, à l’école, on nous apprenait beaucoup de choses. La politesse, le respect, le travail. On nous disait de nous habiller correctement, de ne pas voler, de ne pas casser. Je crois qu’il faut revenir sur tout cela. Il faut revenir à la formation de base, donc instituer des cours de morale dans nos écoles. Revoir le système d’éducation pour que dès la base, les enfants soient formés dans les familles et à l’école. Le mal est très profond. Prenons le cas du Ghana qui est tout proche de nous. Il y avait beaucoup de Ghanéens ici. Mais aujourd’hui, ils sont retournés chez eux parce qu’il y a un boom économique là-bas. Ici tout est sale, les rues, les édifices publics, tout est sale. Il y a donc un problème profond au niveau de la personne humaine.

•La population ne souffre-t-elle pas d’un manque de repères ?
Exactement, au manque de repères s’ajoute le manque de modèle. On voit un tel grand, il détourne l’argent, il a ses enfants, il a des responsables qu’il dirige et ceux-là veulent l’imiter. Aujourd’hui, ce sont les parvenus qu’on envie. Des gens qui ne pensaient même pas avoir une voiture et qui roulent dans de grosses Mercédès aujourd’hui parce qu’ils occupent des responsabilités importantes. Ils sont PDG, PCA de sociétés, directeurs de société ou ministres. Ensemble avec leurs collaborateurs, ils créent le désordre au sein des entreprises en surfacturant les projets. Et on voit le résultat après, du n’importe quoi. Je vais te donner un témoignage. J’étais au Canada en train de faire des études. A ma table, se trouvaient des responsables canadiens qui parlaient de l’Afrique. Ils disaient que leur argent ne viendra plus en Afrique. Ce n’est pas normal car, on donne l’argent et ça rentre dans les poches des responsables et c’est le peuple qui souffre. Effectivement, on le constate à tous les niveaux. Quelqu’un qui est ministre de ceci, on vote un budget pour les projets de son ministère, et on a l’impression que l’argent est d’abord pour lui-même. C’est après qu’une partie insignifiante est consacrée aux différents projets. Et comme l’argent ne suffit pas, le projet n’est pas réalisé et cela, on le voit partout.

•On constate que des personnes nommées à des postes de responsabilité ne veulent pas faire de magouilles, mais, finissent par le faire sous la pression de leurs propres parents. Qu’en pensez-vous ?
Vous avez parfaitement raison. Vous faites une analyse juste. Il y a beaucoup qui, au début, sont venus avec des idées saines et l’honnêteté. Mais à force de pressions extérieures, les gens ont cédé et dans plusieurs domaines. Sur le plan économique, vous savez que l’argent tente et beaucoup cèdent. Et c’est dommage. Mais il y a des cas aussi que je connais où ces gens n’ont jamais cédé et ont perdu leur poste. Vous les journalistes, vous devez aller vers ces gens et parler d’eux au monde. Ce sont des exemples.

•Pensez-vous vraiment que le changement est possible ? On a l’impression d’être dans une fatalité que personne ne pourrait transformer…
Je ne suis pas de ceux pour qui tout est utopique. Ceux qui se résignent. Je tire mon chapeau à M. Paul Agodio. Il a crée une Ong dénommée « Côte d’Ivoire contre la corruption ». Mais c’est formidable, la sensibilisation est en train de se faire. Et c’est très important que ce genre d’Ong joue véritablement leur rôle. Car la corruption est une question d’injustice. Il faut que les responsables soient sensibilisés et, à tous les niveaux. Dieu nous fait confiance et il faut que nous nous fassions confiance.

Interview réalisée par Cissé Sindou
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