Le président du Rassemblement des Républicains, Rdr, Alassane Dramane Ouattara, économiste et ancien Directeur général adjoint du Fonds monétaire international, Fmi, était, lundi 30 mars dernier, l'invité du groupe "Fraternité Matin". A cette tribune, répondant aux questions des confrères du journal progouvernemental, il a opiné, sans fioritures, sur des sujets majeurs d'actualité, telles l'initiative des Pays pauvres très endettés, (Ppte), la grande pauvreté des populations ivoiriennes, la crise financière internationale dont, selon lui, les conséquences se feront ressentir dans les six (6) mois à venir. Ci-dessous ses éléments de réponse.
Paupérisation
La Côte d'Ivoire avait tout de même fait des progrès considérables. Elle avait une espérance de vie de plus de 55 ans, voire 58 ans. En 90, le chômage, c'est vrai, était important, mais il n'atteignait pas le niveau d'aujourd'hui. Beaucoup de jeunes étaient au chômage, mais pas autant qu'aujourd'hui, où le pourcentage de pauvres a atteint presque 50%. Il s'agit d'une détérioration considérable. Je crois que cette situation est préoccupante pour nous tous. Nous voyons au quotidien la pauvreté partout… les difficultés des ménages, la situation de survie pour beaucoup de gens. Vous les relatez chaque fois dans Fraternité Matin. C'est pénible. C'est pénible que le pays d'Houphouët-Boigny en arrive-là, et que nous soyons classés parmi les pays pauvres très endettés. Certes, nous étions très endettés, mais, nous n'étions pas pauvres à ce point. Nous nous sommes appauvris de notre fait. C'est un peu pour cela que je dénonce ce qui se passe ici et par rapport aux insurrections, aux coups d'Etat. Parce qu'en réalité, c'est le résultat de toutes ces crises successives. La Côte d'Ivoire avait à peu près bien réussi, la dévaluation avait été bien préparée. Des ressources considérables avaient été obtenues; jusqu'en 98, ce pays se portait très bien. Nous sommes entrés dans la tourmente politique qui a eu les conséquences que nous avons aujourd'hui.
Initiative Ppte
Le Ppte est un mécanisme que notre équipe a mis en place au Fmi en 1995-1996, avec Michel Camdessus, l'ex-Dg du Fmi. Nous avions constaté que les ressources normales du Fonds étaient trop chères pour les pays pauvres. Et il y avait ce qu'on appelait une facilité concessionnelle avec un taux d'intérêt faible. Mais les montants étaient très faibles. Très rapidement, nous avons estimé que même si ces pays recevaient des ressources du Fonds, le problème de la dette n'était pas réglé. C'est ainsi que nous avons imaginé ce mécanisme, cette facilité des pays pauvres très endettés, et je peux vous dire qu'au départ, certains pays comme la Côte d'Ivoire et le Cameroun n'étaient pas vraiment éligibles à cette initiative. Maintenant nous sommes éligibles et cela nous permet de nous débarrasser de ces dettes. Ce sont tout de même 14 milliards de dollars, c'est-à-dire 7 mille milliards de francs cfa au taux de change d'aujourd'hui. La Banque mondiale devrait adopter le programme de réduction de la pauvreté, le 31 mars (Ndlr : aujourd'hui), et les premiers décaissements vont intervenir. Je suis heureux que nous ayons cette facilité d'effacer notre dette. Mais ce n'est que le point d'entrée, le point de départ d'un processus. Il y aura des décaissements qui sont importants, mais qui ne règlent pas le problème. Ils permettront à la Côte d'Ivoire de renflouer les caisses, de se remettre un peu à flot, d'avoir les ressources que nous avons utilisées pour payer le Fonds, la Banque africaine de développement, la Banque mondiale. Ces ressources nous seront restituées en partie. Mais, je ne suis pas sûr que ce qu'on appelle le flux net, c'est-à-dire entre ce que l'on reçoit et ce qui sort, sera positif. Dans tous les cas, nous serons soulagés. Mais l'allègement de la dette n'interviendra, au mieux, que dans un an, peut-être même dans deux ou trois. Tout dépendra de la gestion qui sera faite au cours des prochaines années. Le plus difficile, en fait, commence. Je crois qu'on devrait essayer d'être très clair avec nos compatriotes; il ne faudrait pas que les gens pensent qu'il y aura de l'argent et qu'on pourra faire ce qu'on voudra, ce n'est pas le cas. Souvenez-vous que le 6 décembre 93, au soir, alors que nous préparions la dévaluation, j'avais été clair et honnête avec mes concitoyens. J'avais dit : écoutez, nous allons entrer dans les difficultés. Parce que la situation économique qui s'est améliorée n'est pas encore satisfaisante. Et j'avais même politiquement pris des contacts avec Laurent Gbagbo et d'autres membres de l'opposition pour qu'ils entrent au gouvernement avant le décès du Président Houphouët, parce que j'estimais, que c'était dans un cadre consensuel, qu'il fallait gérer la dévaluation et ses conséquences. Après, j'ai cru comprendre qu'on me disait que j'avais dit que l'Etat était en banqueroute. Je dis la même chose aujourd'hui. En fait, le Ppte qui sera approuvé demain (Ndlr: aujourd'hui) par la Banque mondiale après l'accord du Fonds monétaire vendredi, va demander une rigueur importante dans la gestion des fonds publics: le budget, les ressources pétrolières, le cacao, le café, tout cela demandera beaucoup d'effort, de vigilance. L'allègement de la dette ne viendra qu'au bout de ce processus. Nous devons donc comprendre que ce n'est pas encore la fin. Et que nous devrions faire beaucoup d'efforts.
Etait-ce le meilleur choix? On me demande quel est le revers de la médaille. Moi, je crois que c'était le meilleur choix. C'est pour cela que quand les gens me parlent de socialisme, de capitalisme… je dis que tout cela c'est du verbiage politique; parce qu'il n'y a plus vraiment de politique économique, socialiste, capitaliste; le programme du Fonds monétaire international est un programme libéro-social, ou socio-libéral. Il y a des engagements que nous avons pris par rapport à la fonction publique, par rapport au secteur minier, par rapport à l'agriculture, par rapport à la santé, c'est un programme qui sera exécuté par n'importe lequel des trois grands candidats. Si c'est Laurent Gbagbo qui est reconduit; il sera obligé d'appliquer ce programme. Si c'est Bédié ou moi, de toute façon, nous sommes de la tendance, libérale. Par conséquent, il n'y a pas de revers de la médaille, c'est tout simplement la rigueur. Et l'on n'aurait jamais dû quitter cette rigueur parce que c'est aussi cela la conséquence de ce que nous vivons actuellement.
La crise financière
Je crois que vous avez déjà reçu les représentants de la Banque mondiale qui vous ont parlé longuement de ces questions. Je pense que les pays africains ont pris la mesure des difficultés à venir. C'est vrai que nous ne sommes pas les mieux intégrés dans la mondialisation, mais nous sommes très affectés par les conséquences de la mondialisation. Parce que les matières premières subissent une récession dans les pays occidentaux, les gens essayeront de faire des économies sur les dépenses des ménages. C'est-à-dire que les prix du café, du cacao et du textile vont baisser, de manière importante dans les six mois à venir. Les prix des capitaux, les investissements directs avec les difficultés des banques, les banques maisons mères vont peut-être peser sur les portefeuilles et sur la situation de leurs filiales à l'étranger. Pour se renflouer. Ou même pour demander qu'il y ait des mesures de dégraissage. Pour que les bénéfices obtenus soient transférés à la maison mère. Les crédits à l'exportation seront contrôlés. La seule chance que nous avons, c'est que nous n'avons pas beaucoup d'Ivoiriens à l'étranger, et le transfert de ces Ivoiriens à l'étranger, ne va pas trop peser sur notre économie contrairement à des pays comme le Mali ou le Sénégal qui ont des millions de compatriotes à l'étranger. Nous avons besoin de cohésion nationale pour résister aux effets de la crise. Je n'insisterai pas là-dessus puisque les responsables de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international vous en ont parlé déjà.
Source : Fraternité Matin
Paupérisation
La Côte d'Ivoire avait tout de même fait des progrès considérables. Elle avait une espérance de vie de plus de 55 ans, voire 58 ans. En 90, le chômage, c'est vrai, était important, mais il n'atteignait pas le niveau d'aujourd'hui. Beaucoup de jeunes étaient au chômage, mais pas autant qu'aujourd'hui, où le pourcentage de pauvres a atteint presque 50%. Il s'agit d'une détérioration considérable. Je crois que cette situation est préoccupante pour nous tous. Nous voyons au quotidien la pauvreté partout… les difficultés des ménages, la situation de survie pour beaucoup de gens. Vous les relatez chaque fois dans Fraternité Matin. C'est pénible. C'est pénible que le pays d'Houphouët-Boigny en arrive-là, et que nous soyons classés parmi les pays pauvres très endettés. Certes, nous étions très endettés, mais, nous n'étions pas pauvres à ce point. Nous nous sommes appauvris de notre fait. C'est un peu pour cela que je dénonce ce qui se passe ici et par rapport aux insurrections, aux coups d'Etat. Parce qu'en réalité, c'est le résultat de toutes ces crises successives. La Côte d'Ivoire avait à peu près bien réussi, la dévaluation avait été bien préparée. Des ressources considérables avaient été obtenues; jusqu'en 98, ce pays se portait très bien. Nous sommes entrés dans la tourmente politique qui a eu les conséquences que nous avons aujourd'hui.
Initiative Ppte
Le Ppte est un mécanisme que notre équipe a mis en place au Fmi en 1995-1996, avec Michel Camdessus, l'ex-Dg du Fmi. Nous avions constaté que les ressources normales du Fonds étaient trop chères pour les pays pauvres. Et il y avait ce qu'on appelait une facilité concessionnelle avec un taux d'intérêt faible. Mais les montants étaient très faibles. Très rapidement, nous avons estimé que même si ces pays recevaient des ressources du Fonds, le problème de la dette n'était pas réglé. C'est ainsi que nous avons imaginé ce mécanisme, cette facilité des pays pauvres très endettés, et je peux vous dire qu'au départ, certains pays comme la Côte d'Ivoire et le Cameroun n'étaient pas vraiment éligibles à cette initiative. Maintenant nous sommes éligibles et cela nous permet de nous débarrasser de ces dettes. Ce sont tout de même 14 milliards de dollars, c'est-à-dire 7 mille milliards de francs cfa au taux de change d'aujourd'hui. La Banque mondiale devrait adopter le programme de réduction de la pauvreté, le 31 mars (Ndlr : aujourd'hui), et les premiers décaissements vont intervenir. Je suis heureux que nous ayons cette facilité d'effacer notre dette. Mais ce n'est que le point d'entrée, le point de départ d'un processus. Il y aura des décaissements qui sont importants, mais qui ne règlent pas le problème. Ils permettront à la Côte d'Ivoire de renflouer les caisses, de se remettre un peu à flot, d'avoir les ressources que nous avons utilisées pour payer le Fonds, la Banque africaine de développement, la Banque mondiale. Ces ressources nous seront restituées en partie. Mais, je ne suis pas sûr que ce qu'on appelle le flux net, c'est-à-dire entre ce que l'on reçoit et ce qui sort, sera positif. Dans tous les cas, nous serons soulagés. Mais l'allègement de la dette n'interviendra, au mieux, que dans un an, peut-être même dans deux ou trois. Tout dépendra de la gestion qui sera faite au cours des prochaines années. Le plus difficile, en fait, commence. Je crois qu'on devrait essayer d'être très clair avec nos compatriotes; il ne faudrait pas que les gens pensent qu'il y aura de l'argent et qu'on pourra faire ce qu'on voudra, ce n'est pas le cas. Souvenez-vous que le 6 décembre 93, au soir, alors que nous préparions la dévaluation, j'avais été clair et honnête avec mes concitoyens. J'avais dit : écoutez, nous allons entrer dans les difficultés. Parce que la situation économique qui s'est améliorée n'est pas encore satisfaisante. Et j'avais même politiquement pris des contacts avec Laurent Gbagbo et d'autres membres de l'opposition pour qu'ils entrent au gouvernement avant le décès du Président Houphouët, parce que j'estimais, que c'était dans un cadre consensuel, qu'il fallait gérer la dévaluation et ses conséquences. Après, j'ai cru comprendre qu'on me disait que j'avais dit que l'Etat était en banqueroute. Je dis la même chose aujourd'hui. En fait, le Ppte qui sera approuvé demain (Ndlr: aujourd'hui) par la Banque mondiale après l'accord du Fonds monétaire vendredi, va demander une rigueur importante dans la gestion des fonds publics: le budget, les ressources pétrolières, le cacao, le café, tout cela demandera beaucoup d'effort, de vigilance. L'allègement de la dette ne viendra qu'au bout de ce processus. Nous devons donc comprendre que ce n'est pas encore la fin. Et que nous devrions faire beaucoup d'efforts.
Etait-ce le meilleur choix? On me demande quel est le revers de la médaille. Moi, je crois que c'était le meilleur choix. C'est pour cela que quand les gens me parlent de socialisme, de capitalisme… je dis que tout cela c'est du verbiage politique; parce qu'il n'y a plus vraiment de politique économique, socialiste, capitaliste; le programme du Fonds monétaire international est un programme libéro-social, ou socio-libéral. Il y a des engagements que nous avons pris par rapport à la fonction publique, par rapport au secteur minier, par rapport à l'agriculture, par rapport à la santé, c'est un programme qui sera exécuté par n'importe lequel des trois grands candidats. Si c'est Laurent Gbagbo qui est reconduit; il sera obligé d'appliquer ce programme. Si c'est Bédié ou moi, de toute façon, nous sommes de la tendance, libérale. Par conséquent, il n'y a pas de revers de la médaille, c'est tout simplement la rigueur. Et l'on n'aurait jamais dû quitter cette rigueur parce que c'est aussi cela la conséquence de ce que nous vivons actuellement.
La crise financière
Je crois que vous avez déjà reçu les représentants de la Banque mondiale qui vous ont parlé longuement de ces questions. Je pense que les pays africains ont pris la mesure des difficultés à venir. C'est vrai que nous ne sommes pas les mieux intégrés dans la mondialisation, mais nous sommes très affectés par les conséquences de la mondialisation. Parce que les matières premières subissent une récession dans les pays occidentaux, les gens essayeront de faire des économies sur les dépenses des ménages. C'est-à-dire que les prix du café, du cacao et du textile vont baisser, de manière importante dans les six mois à venir. Les prix des capitaux, les investissements directs avec les difficultés des banques, les banques maisons mères vont peut-être peser sur les portefeuilles et sur la situation de leurs filiales à l'étranger. Pour se renflouer. Ou même pour demander qu'il y ait des mesures de dégraissage. Pour que les bénéfices obtenus soient transférés à la maison mère. Les crédits à l'exportation seront contrôlés. La seule chance que nous avons, c'est que nous n'avons pas beaucoup d'Ivoiriens à l'étranger, et le transfert de ces Ivoiriens à l'étranger, ne va pas trop peser sur notre économie contrairement à des pays comme le Mali ou le Sénégal qui ont des millions de compatriotes à l'étranger. Nous avons besoin de cohésion nationale pour résister aux effets de la crise. Je n'insisterai pas là-dessus puisque les responsables de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international vous en ont parlé déjà.
Source : Fraternité Matin