Il y a d’abord le cadre, majestueux, qui accueille l’exposition : une sorte de vaisseau renversé, la coque en bois servant de plafond à cet espace ventru (en fait, l'ancienne salle des malades) avec en guise de figure de proue une chapelle baroque et, à bâbord, une excroissance qui nous conduit à l’étage dans de minuscules salles plus ou moins sombres, plus ou moins étroites. Bref la sensation d’un dédale qui déroulerait son fil d’Ariane à travers les méandres des inconscients européens, selon une progression qui se veut à la fois thématique et chronologique. Trois temps, trois chapitres (Le cosmos intériorisé 1900-1918, Une géopolitique de l’inconscient 1918-1933, L’heure dangereuse 1933-1949) qui s’organisent autour de 350 œuvres soit un ensemble extrêmement dense et complexe à l’image finalement de l’hôte qui les réunit : Hypnos, le dieu du sommeil.
« Esprit es-tu là ? »
Si 1900 constitue l’incontestable clé de voûte du propos - cette année-là, Freud (1856-1939) publie L’Interprétation des rêves -, les milieux spirites n’ont pas attendu cet événement pour convoquer les esprits. Dès la seconde moitié du XIXe siècle, le spiritisme est à la mode dans tous les milieux, que l’on songe à Victor Hugo, adepte déclaré des séances avec tables tournantes. A cette même période, le développement de la photographie renforcera plus encore ce goût pour « l’autre monde » comme en témoignent les images de Louis Darget qui dans les années 1890 se faisait fort de photographier la pensée, et donc les rêves. Même démarche (quête ?) spirituelle chez certains peintres dont le travail, pour beaucoup d’entre eux, a été exposé sur le tard faute d’avoir été compris. Le visiteur découvrira, par exemple, les grandes toiles de la Suédoise Hilma af Klint (1862-1944), disciple de l’anthroposophie et dont la main était, disait-elle, guidée par les esprits. Ainsi se percevait-elle comme une sorte de medium, d’intermédiaire entre deux mondes ; le message était sa peinture.
« Un bouillon de cultures »
Hilma af Klint (déjà entraperçue à Beaubourg lors de l’exposition Traces du sacré) mais aussi Elise Mûller, Augustin Lesage et surtout Frantisek Kupka… L’heureuse surprise d’une exposition qui aux noms attendus (les Ernst, Dali, Ray, Breton, Arp, Murnau et autres Brauner) mêlent des artistes plus confidentiels mais non moins importants dès lors que tous concourent à dessiner les contours d’une Europe artistique qui tentent d’élaborer un nouveau langage en faisant la symbiose des découvertes les plus récentes, qu’il s’agisse de la science des rêves ou de la découverte du cinéma, etc. « Au croisement des XIXe et XXe siècles, on assiste à un bouillon de cultures très étrange », note Christophe Boulanger, l’un des trois commissaires de l’exposition.
Du reste, les collages des Dadaïstes et l’écriture automatique des Surréalistes, pour ne citer que ces deux courants, empruntent justement à la psychanalyse. Ainsi de Jean Arp qui qualifie, dans les années 1910, ses dessins automatiques de « fruits de l’inconscient » ou encore de Joan Miro qui à partir de 1924 peint une série de toiles connues sous le nom de « peintures de rêve ». La psychanalyse viennoise s’est bel et bien propagée sur tout le vieux continent. Pour autant, et c’est ce que démontre la deuxième partie de l’exposition, les œuvres réalisées à cette époque-là nous éclairent aussi sur l’identité et les imaginaires des différentes avant-gardes.
« Une géopoétique de l’inconscient »
Berlin, Budapest, Cologne, Paris, Prague, Zurich sont les principaux foyers de ce que les commissaires ont appelé « une géopoétique de l’inconscient ». Immense plaisir de revoir des images des premiers films de l’Allemand Murnau dont son incontournable Nosferatu (1922) et de son compatriote Fritz Lang qui, la même année, réalise Le docteur Mabuse, chef d’une bande de criminels qu’il mène comme bon lui semble grâce à la pratique de l’hypnose. Etude des pulsions, apparition de créatures inquiétantes (on est au lendemain de la Première guerre mondiale)… La séance de cinéma se fait séance de psychanalyse. C’est toute l’anxiété du siècle nouveau qui s’exprime ainsi, et plus encore à travers Metropolis ou dans les peintures « très MittelEuropa » des artistes tchèques, particulièrement tourmentés et sombres, et qui développeront un Cubisme terriblement anxieux. Symbole de cette noirceur, la sculpture d’Otto GutFreund baptisée L’Angoisse et qui représente une femme, le cou enfoncé dans les épaules, les bras croisés et les mains repliées sur ses bras comme les serres d’un rapace sur une proie.
Source : RFI
« Esprit es-tu là ? »
Si 1900 constitue l’incontestable clé de voûte du propos - cette année-là, Freud (1856-1939) publie L’Interprétation des rêves -, les milieux spirites n’ont pas attendu cet événement pour convoquer les esprits. Dès la seconde moitié du XIXe siècle, le spiritisme est à la mode dans tous les milieux, que l’on songe à Victor Hugo, adepte déclaré des séances avec tables tournantes. A cette même période, le développement de la photographie renforcera plus encore ce goût pour « l’autre monde » comme en témoignent les images de Louis Darget qui dans les années 1890 se faisait fort de photographier la pensée, et donc les rêves. Même démarche (quête ?) spirituelle chez certains peintres dont le travail, pour beaucoup d’entre eux, a été exposé sur le tard faute d’avoir été compris. Le visiteur découvrira, par exemple, les grandes toiles de la Suédoise Hilma af Klint (1862-1944), disciple de l’anthroposophie et dont la main était, disait-elle, guidée par les esprits. Ainsi se percevait-elle comme une sorte de medium, d’intermédiaire entre deux mondes ; le message était sa peinture.
« Un bouillon de cultures »
Hilma af Klint (déjà entraperçue à Beaubourg lors de l’exposition Traces du sacré) mais aussi Elise Mûller, Augustin Lesage et surtout Frantisek Kupka… L’heureuse surprise d’une exposition qui aux noms attendus (les Ernst, Dali, Ray, Breton, Arp, Murnau et autres Brauner) mêlent des artistes plus confidentiels mais non moins importants dès lors que tous concourent à dessiner les contours d’une Europe artistique qui tentent d’élaborer un nouveau langage en faisant la symbiose des découvertes les plus récentes, qu’il s’agisse de la science des rêves ou de la découverte du cinéma, etc. « Au croisement des XIXe et XXe siècles, on assiste à un bouillon de cultures très étrange », note Christophe Boulanger, l’un des trois commissaires de l’exposition.
Du reste, les collages des Dadaïstes et l’écriture automatique des Surréalistes, pour ne citer que ces deux courants, empruntent justement à la psychanalyse. Ainsi de Jean Arp qui qualifie, dans les années 1910, ses dessins automatiques de « fruits de l’inconscient » ou encore de Joan Miro qui à partir de 1924 peint une série de toiles connues sous le nom de « peintures de rêve ». La psychanalyse viennoise s’est bel et bien propagée sur tout le vieux continent. Pour autant, et c’est ce que démontre la deuxième partie de l’exposition, les œuvres réalisées à cette époque-là nous éclairent aussi sur l’identité et les imaginaires des différentes avant-gardes.
« Une géopoétique de l’inconscient »
Berlin, Budapest, Cologne, Paris, Prague, Zurich sont les principaux foyers de ce que les commissaires ont appelé « une géopoétique de l’inconscient ». Immense plaisir de revoir des images des premiers films de l’Allemand Murnau dont son incontournable Nosferatu (1922) et de son compatriote Fritz Lang qui, la même année, réalise Le docteur Mabuse, chef d’une bande de criminels qu’il mène comme bon lui semble grâce à la pratique de l’hypnose. Etude des pulsions, apparition de créatures inquiétantes (on est au lendemain de la Première guerre mondiale)… La séance de cinéma se fait séance de psychanalyse. C’est toute l’anxiété du siècle nouveau qui s’exprime ainsi, et plus encore à travers Metropolis ou dans les peintures « très MittelEuropa » des artistes tchèques, particulièrement tourmentés et sombres, et qui développeront un Cubisme terriblement anxieux. Symbole de cette noirceur, la sculpture d’Otto GutFreund baptisée L’Angoisse et qui représente une femme, le cou enfoncé dans les épaules, les bras croisés et les mains repliées sur ses bras comme les serres d’un rapace sur une proie.
Source : RFI