En dépit des rapports pluvieux-orageux de ces derniers temps après surtout l`épisode de l`arrestation de Gnamantêh, le procureur de la république Tchimou Fehou Raymond a accepté de se confier au quotidien "Le Nouveau Réveil", afin d`échanger sur l`enquête du drame du stade Houphouët-Boigny. Pour vous, nos lecteurs, nous avons pris le risque d`aller sans peur à la rencontre du chef du parquet du tribunal de 1ère instance d`Abidjan. Et le moins que l`on puisse dire est que cette fois-ci ne fut pas "traquenard" mais un vrai rendez-vous de travail qui s`est déroulé dans un bel esprit. Nous avons interrogé Tchimou, voici ce qu`il nous a répondu.
Monsieur le procureur, le mardi dernier, vous avez animé une conférence de presse sur le drame survenu au stade Houphouët-Boigny. Au cours de cette conférence, on n`a pas bien compris un certain nombre de choses. On a eu l`impression que vous vouliez défendre une corporation à savoir les FDS qui étaient au cœur de toutes les incriminations des victimes.
Je vous remercie pour cette question qui me permet de bien clarifier les choses. La conférence de presse avait un objectif assez précis : informer toute la population que, concernant ce drame, une enquête est ouverte qui va nous permettre effectivement de savoir ce qui s`est passé. Et dans le même temps, inviter tous ceux qui ont été victimes, qui ont assisté au drame et qui sont en mesure de nous informer utilement, de se rendre à la police où à la gendarmerie pour nous aider à effectivement savoir ce qui s`est passé. Lorsque j`ai parlé des FDS, ce n`était pas dans le but de les protéger. J`ai bien dit, qu`il ne faudrait pas qu`on se focalise sur les FDS, de peur de faire piétiner l`enquête, mais que nous puissions rechercher toutes les pistes qui vont nous aider à savoir réellement ce qui s`est passé. Je n`ai pas manqué de souligner que sûrement, certains sont allés au stade avec des tickets, que sûrement aussi, d`autres sont allés au stade sans tickets. Il est possible que des FDS aient eu à poser des actes qui ne soient pas vraiment des actes acceptables. Mais tout le monde sera entendu. L`enquête ne vient qu`à peine de commencer. Et c`est à la fin, lorsque nous aurons les auditions des uns et des autres, les éclaircissements, les preuves, que nous pourrons dire que l`enquête a pris fin. Comme je le fais d`habitude, pour dire, voici ce que nous avons obtenu et la première personne qui sera informée, c`est d`abord celui qui m`a mandaté, donc le Président de la République. Alors, il n`y a pas tellement de polémiques dans cette affaire, ceux qui ont écrit dans cette affaire. Ceux qui ont écrit dans les journaux, tendant à dire qu`ils viennent pour me contredire, je dis non, ce sont des contributions…
Vous prenez cela comme des contributions ?
Ce sont des contributions qui seront utiles si ces éléments là vont à la gendarmerie ou à la police pour se faire entendre, pour que nous puissions consigner toutes leurs déclarations avec toutes les preuves à l`appui.
Monsieur le procureur, certains blessés sont encore dans les hôpitaux. Est-ce que vos services ne pourraient pas aller les entendre ?
Ça c`est déjà fait. Ceux qui sont dans les hôpitaux ont été entendus. Et je vais vérifier, si tout le monde a été entendu. Parce qu`ils ne peuvent pas se déplacer, on a préféré déplacer des officiers de police judiciaire à leur niveau pour que cela se fasse.
Monsieur le procureur, combien de temps pensez-vous que cette enquête va durer ?
Pour la durée, je ne peux pas vous donner de date. Je ne peux pas vous donner de date parce que nous avons plus de 500 personnes à entendre…
Et pourtant, tout le monde semble très pressé ?
Je sais que la population est toujours très pressée, mais en matière d`enquête, il ne faut jamais être très pressé…
Même le chef de l`Etat aussi a dit…
Oui, il a dit qu`il est pressé mais il n`a pas dit de faire une enquête à la hâte, dans laquelle les gens vont par la suite dire encore que l`enquête a été mal menée ! Il faut que l`enquête soit bien menée, que tous ceux qui sont en mesure de nous informer, se montrent et viennent nous informer, pour nous aider. Et ça, c`est assez important parce que présentement, nous ne sommes qu`au début de l`enquête. Il ne faudrait pas attendre à la fin pour qu`on vienne dire voilà, on a bouclé l`enquête alors que je n`ai pas été entendu. Donc, j`ai préféré faire un point de presse pour que vous les journalistes, vous puissiez informer toute la population, tous ceux qui étaient là pour dire qu`il y a eu un point de presse, voici ce que le procureur a dit, il demande à ce que les victimes, les témoins, se présentent au commissariat et à la brigade de gendarmerie pour apporter leur part de vérité, avec les preuves à l`appui. Et j`ai bien précisé que je n`aimerais pas que quelqu`un qui se présente là-bas, dise, non, c`est mon frère qui m`a dit ou bien c`est dans un salon de coiffure que j`ai entendu. Mais plutôt ce que lui a vécu. C`est assez important.
Monsieur le procureur, est-ce qu`il y a des dispositions sécuritaires particulières qui ont été mises en place pour protéger les témoins qui voudraient s`exprimer sans risquer leur vie ?
Vous constaterez que, c`est la particularité en Côte d`Ivoire, la plupart des témoins sont toujours respectés par les autres témoins. En ma connaissance, la plupart des grandes enquêtes que j`ai eu à mener, je n`ai pas encore entendu dire que l`un des témoins a eu sa vie en danger pour telle ou telle déclaration. Je ne sais pas si vous avez entendu dire cela ou s`il y a eu une plainte dans ce sens. Mais, il serait bien de demander à chaque témoin, après sa déclaration, d`apprendre à se taire. Parce que c`est fait sous serment. Il doit apprendre à se taire et non aller diffuser partout que moi, j`ai accusé un tel ou un tel. Ecoutez, quand vous provoquez, ne soyez pas surpris des conséquences de votre provocation. Vous avez fait une déposition sous serment, il faut que vous puissiez vous taire jusqu`à ce que l`affaire parte en audience. Donc pour la sécurité des uns et des autres, je dis que le problème ne se pose pas. Parce que ceux qui partent là-bas, parlent non pas devant toute la population mais devant des officiers de police judiciaire qui sont aussi tenus au silence, au respect du secret de l`instruction.
Monsieur le procureur, jusqu`où pourriez-vous aller dans vos auditions dans cette affaire qui, selon vous, n`est pas aussi complexe que ça ?
L`objectif d`une enquête, c`est de trouver les auteurs d`une infraction. Je vous ai dit qu`on pouvait écarter d`ores et déjà l`homicide volontaire. Il n`y a pas eu la volonté de donner la mort à quelqu`un. La mort est survenue, à la suite d`une bousculade, donc c`est vraiment un accident. En droit, on parlera peut-être d`homicide involontaire. Mais qu`est-ce qui a provoqué cette bousculade ? Pourquoi y a-t-il eu cette bousculade alors qu`il s`agissait d`un match à guichets fermés ? Et c`est ce que nous voulons savoir. Et dans cette enquête, on constate que présentement qu`il y a beaucoup de personnes à entendre. Et c`est pourquoi, nous avons essayé de ramener la chose à deux genres d`enquêteurs : La police et la gendarmerie, supervisées par des substituts avec un procureur adjoint, pour qu`on puisse rendre crédibles les différentes déclarations et les différentes auditions qui seront faites.
Quel est le rôle du procureur militaire Ange Kessy dans cette enquête ?
Bon, écoutez. A partir du moment où les FDS sont concernées, on verra à la fin de l`enquête si des FDS sont effectivement mises en cause et que cela relève de sa compétence, on verra si on peut les mettre à sa disposition pour qu`elles soient jugées. Vous savez qu`il a déjà jugé des FDS pour des cas de racket. Donc, pour le moment, nous ne sommes qu`au début de l`enquête. Si à la fin, l`enquête nous permet de savoir qu`il y a des personnes concernées qui relèvent de sa compétence, nous les mettrons à sa disposition pour qu`elles soient jugées par le tribunal militaire. Voilà un peu la particularité de l`enquête.
Monsieur le procureur, nous avons appris que le gouvernement a mis en place une commission nationale d`enquête sur les mêmes évènements. Ne faut-il pas craindre des chevauchements entre les deux enquêtes ?
Je n`ai pas connaissance qu`une commission d`enquête ait été mise en place. J`ai entendu qu`il y en aura. Mais dans tous les cas, l`enquête que nous, nous menons est une enquête judiciaire. C`est-à-dire que quand moi je mène mon enquête, s`il y a infraction, si les auteurs sont arrêtés, c`est pour que ceux-là soient jugés devant le tribunal correctionnel. Donc, si une autre commission administrative est créée pour connaître aussi ce qui s`est passé, cela ne me dérange pas. Les informations que cette commission pourra apporter pourront peut-être nous être utiles. Peut être que des choses peuvent nous échapper, c`est possible. Donc si cette commission est créée, cela ne dérange pas le parquet.
Monsieur le procureur, vous avez dit que l`enquête n`est qu`à son début et qu`il y a plus de 500 personnes à entendre. Mais est-ce que déjà vous avez des pistes ?
Nous avons déjà des pistes, beaucoup de pistes mais je ne peux pas vous les donner. Dans tous les cas, chacun à sa petite idée. Ceux qui ont vécu les faits nous aideront vraiment à mieux préciser nos pistes. Et quand je parle de 500 personnes, vous savez qu`il y a eu plus de 31.000 tickets vendus pour 35.000 places et tout cela reste à vérifier. Officiellement, les victimes sont 132 blessés et 19 morts. Donc dans ce cas, s`agissant des morts, nous allons entendre leurs ayants droit, c`est-à-dire leurs parents, dans le cadre du dédommagement de ces parents. C`est la loi qui nous impose cela. Il faut entendre aussi les 132 blessés. Il faut entendre également tous ceux qui ont été témoins des faits. Et quand on va sortir de là, il faut entendre tout le comité d`organisation. Vous voyez ? Tout le comité d`organisation. Et quand nous avons fini tout ça, il faut entendre maintenant ceux qui sont accusés ou mis en cause. Voilà un peu la situation ! On ne peut pas donner des chiffres exacts, mais ça peut avoisiner ou aller au-delà de 500.
Que pourraient risquer les mis en cause dans cette affaire ?
Au stade où nous en sommes, nous voulons d`abord arriver à cerner l`ensemble. Si la bousculade est due au fait que certaines personnes ont vraiment provoqué cette bousculade ayant entraîné mort d`hommes, on risque d`aller vers des sanctions pénales dans le cadre de l`homicide involontaire. Et là, ce sont des hypothèses que nous émettons. On pourra peut-être aussi retenir l`omission de porter secours. Mais ça aussi il faudra vérifier si des gens n`ont pas voulu porter secours… Pour le moment, nous retenons l`homicide involontaire.
Est-ce qu`il y a des sanctions qui sont envisagées contre les responsables de la sécurité qui savaient ce qui s`était passé et qui ne sont pas intervenus pour faire annuler le match ou qui n`auraient pas informé le Chef de l`Etat qui est venu faire un tour d`honneur dans le stade ?
Pour le moment, je ne peux pas envisager de sanctions. Nous sommes dans le cadre d`une enquête. Il y a eu un drame. Est-ce que, le fait de ne pas avoir porté cela à la connaissance du Chef de l`Etat ou des autres, a entraîné d`autres drames? Puisque le drame est survenu avant le match. Est-ce que ces informations pouvaient empêcher la survenance de ce drame qui a eu lieu avant ? Maintenant, si quelqu`un leur a dit que voilà, des gens sont en train de s`entretuer et qu`ils n`ont pas réagi, ce qui est vraiment difficile à accepter, mais pour le moment, nous sommes en train d`entendre les uns et les autres et à mon avis, les enquêteurs pourront faire la part des choses. On va écouter et puis on va apprécier. Sinon, ce ne sont que des hypothèses. Supposons : Un match où il y a eu un nombre assez important d`individus qui voulaient le regarder… Il y a beaucoup qui n`étaient même pas informés qu`il y a eu un drame, et cela même après le match, les gens sont retournés chez eux, heureux de ce que la Côte d`Ivoire ait gagné son match. Cette fois-ci, contrairement au CHAN, les gens sont repartis tous heureux. Il parait même que c`est surtout le premier but qui a chauffé les supporters. Un but qui a été marqué, je crois à la 26ème où à la 27ème seconde du match. C`est ce que j`ai cru entendre. Et ceux qui étaient dehors, étant supporters, n`étaient pas venus pour qu`on leur dise que quelqu`un a gagné ! Ils voulaient voir qui a marqué. Et peut-être cette euphorie-là, a entraîné ce qu`on a constaté. Alors, informer qu`il y a un tel drame ? Les gens ne sont même pas au courant, c`est-à-dire ceux qui sont en train de jouer et vous allez leur dire, on arrête tout ? Je ne sais pas hein ? J`imagine ce que cela pouvait entraîner encore comme autre drame. Donc ce sont des informations qui, peut-être, sont restées secrètes dans l`intérêt de sécuriser non seulement le match mais aussi tous ceux qui étaient là, pour éviter qu`il y ait d`autres drames. L`enquête nous permettra d`apprécier. Que cela ait eu une cause directe ou indirecte sur ce drame.
Est-ce que vous explorez aussi la piste d`une information qui revient souvent et qui tend à dire que des jeunes sans tickets auraient été convoyés pour remplir le terrain alors que la FIF dit qu`elle n`a vendu que 31.000 tickets ?
Nous explorons toutes les pistes. Mais quand un drame survient, il y a beaucoup, beaucoup de commentaires. Il y a des gens qui savent plus que ceux-là mêmes qui ont vécu la chose. Chacun dit ce qu`il pense, ce qu`il a entendu, ce qu`il croit. Mais, l`enquête nous permet de vérifier les dires des uns et des autres. Qu`on ait convoyé tel nombre de personnes ou quoi, nous allons voir si ça eu une répercussion ou si ça eu un effet direct sur le drame. Nous, ce qui nous intéresse présentement, c`est pourquoi il y a eu cette bousculade, alors qu`on parle d`un match à guichets fermés. C`est ça ! Et nous nous en tenons à cela. Un match à guichets fermés, on pense que dans ce cadre-là, en principe, tout devait être fait en sorte que ça soit à guichets fermés. Qu`est-ce qui s`est passé ? C`est ce qu`on veut savoir. Et c`est l`enquête qui nous permettra de savoir ce qui s`est passé.
Monsieur le procureur, vous avez conduit l`enquête sur les déchets toxiques, vous conduisez également l`enquête sur la filière café-cacao, tout cela à la diligence du chef de l`Etat. Mais pour cette affaire-ci, le chef de l`Etat a versé des larmes et les Ivoiriens ont réalisé que cela était grave. Au vu de cela, quel est l`état d`esprit dans lequel vous menez cette procédure ?
Il faut reconnaître que moi-même j`ai été frappé par ce qui s`est passé et surtout voir un Chef d`Etat qui pleure pour la nation. Je disais tantôt aux gens que, quand il y a un blessé, on peut le soigner. Un blessé, on peut le soigner, mais celui qui est mort, c`est fini. Donc l`enquête est sérieuse à cause de ce deuil national déclaré pour que toute la nation se sente concernée par ce qui s`est passé. Donc, cette enquête va dans le même sens du sérieux pour effectivement voir ce qui s`est passé et il a même souligné dans la lettre qu`il m`a adressée, de voir les mesures à prendre pour éviter que cette tragédie ne se répète. C`est-à-dire que l`enquête va même au-delà de la saisine même du parquet. On ne doit pas s`arrêter seulement au niveau des responsabilités, il faut aussi prendre des mesures appropriées pour que de telles tragédies ne se répètent. Et là c`est assez important pour notre enquête pour que nous puissions effectivement déceler toutes les failles. Il y en a tellement qu`on a constatées. Donc déceler toutes les failles constatées qui vont vraiment aider le Président à prendre les décisions appropriées, tant sur le plan de la sécurité de la confection des billets que de la sécurisation des personnes qui viennent…Il y a beaucoup de choses à dire dans cette affaire et pour le moment, je ne peux pas entrer dans les détails. Mais lorsque l`enquête prendra fin, je prendrai la parole au moins pour vous informer des suites.
Monsieur le procureur, les Ivoiriens, on le sait, sont très sceptiques sur les résultats des enquêtes. Est-ce que monsieur le procureur a un message particulier pour eux pour les rassurer sur l`aboutissement de cette enquête-ci ?
J`ai un message. C`est que les Ivoiriens aient confiance en notre justice. Il est vrai que les Ivoiriens sont pressés. Mais je tiens à vous souligner qu`il y a eu des enquêtes où nous sommes allés plus vite. Dernièrement, avec la Secrétaire du Président, l`enquête a duré moins d`un mois. C`est le cas aussi pour l`enquête sur les faux fonctionnaires de la présidence. Mais, ce qui est assez étonnant, on ne se réfère pas à ça, on dit non, les enquêtes n`aboutissent jamais en Côte d`Ivoire. Quand on arrive à ce niveau, je dis mais, il s`agit de quelle enquête ? Parce qu`il faut maintenant être assez précis. Quand on dit oui, telle enquête n`a pas abouti, voilà ça nous permet de vérifier effectivement si ça n`a pas abouti, qu`est-ce qui se passe a tel niveau ? Il faut que les Ivoiriens sachent que, depuis que je suis là, vraiment nous faisons l`effort pour que les enquêtes que nous menons, puissent avoir une suite. Ça peut être favorable ou défavorable. Quand je dis favorable, ça dépend de la personne qui est poursuivie. La personne qui est condamnée ou bien ses parents vont dire c`est pas une bonne enquête. La personne qui a gagné son procès, trouvera que c`est satisfaisant. Mais dans l`ensemble, je dirai aux Ivoiriens que s`agissant de ce dossier, puisque, on a demandé à tous les Ivoiriens qui ont quelque chose à dire, à apporter comme preuve, on attend leur participation. Il ne s`agit pas de dire qu’on vient pour contredire le procureur. Non, nous venons pour contribuer, pour l`aider à avancer dans son enquête. C`est pas l`affaire du procureur seul. On a parlé d`un deuil national. C`est toute la nation qui est concernée par cette affaire.
Interview réalisée par Patrice Yao
Akwaba Saint-Clair et Assalé Tiémoko
Monsieur le procureur, le mardi dernier, vous avez animé une conférence de presse sur le drame survenu au stade Houphouët-Boigny. Au cours de cette conférence, on n`a pas bien compris un certain nombre de choses. On a eu l`impression que vous vouliez défendre une corporation à savoir les FDS qui étaient au cœur de toutes les incriminations des victimes.
Je vous remercie pour cette question qui me permet de bien clarifier les choses. La conférence de presse avait un objectif assez précis : informer toute la population que, concernant ce drame, une enquête est ouverte qui va nous permettre effectivement de savoir ce qui s`est passé. Et dans le même temps, inviter tous ceux qui ont été victimes, qui ont assisté au drame et qui sont en mesure de nous informer utilement, de se rendre à la police où à la gendarmerie pour nous aider à effectivement savoir ce qui s`est passé. Lorsque j`ai parlé des FDS, ce n`était pas dans le but de les protéger. J`ai bien dit, qu`il ne faudrait pas qu`on se focalise sur les FDS, de peur de faire piétiner l`enquête, mais que nous puissions rechercher toutes les pistes qui vont nous aider à savoir réellement ce qui s`est passé. Je n`ai pas manqué de souligner que sûrement, certains sont allés au stade avec des tickets, que sûrement aussi, d`autres sont allés au stade sans tickets. Il est possible que des FDS aient eu à poser des actes qui ne soient pas vraiment des actes acceptables. Mais tout le monde sera entendu. L`enquête ne vient qu`à peine de commencer. Et c`est à la fin, lorsque nous aurons les auditions des uns et des autres, les éclaircissements, les preuves, que nous pourrons dire que l`enquête a pris fin. Comme je le fais d`habitude, pour dire, voici ce que nous avons obtenu et la première personne qui sera informée, c`est d`abord celui qui m`a mandaté, donc le Président de la République. Alors, il n`y a pas tellement de polémiques dans cette affaire, ceux qui ont écrit dans cette affaire. Ceux qui ont écrit dans les journaux, tendant à dire qu`ils viennent pour me contredire, je dis non, ce sont des contributions…
Vous prenez cela comme des contributions ?
Ce sont des contributions qui seront utiles si ces éléments là vont à la gendarmerie ou à la police pour se faire entendre, pour que nous puissions consigner toutes leurs déclarations avec toutes les preuves à l`appui.
Monsieur le procureur, certains blessés sont encore dans les hôpitaux. Est-ce que vos services ne pourraient pas aller les entendre ?
Ça c`est déjà fait. Ceux qui sont dans les hôpitaux ont été entendus. Et je vais vérifier, si tout le monde a été entendu. Parce qu`ils ne peuvent pas se déplacer, on a préféré déplacer des officiers de police judiciaire à leur niveau pour que cela se fasse.
Monsieur le procureur, combien de temps pensez-vous que cette enquête va durer ?
Pour la durée, je ne peux pas vous donner de date. Je ne peux pas vous donner de date parce que nous avons plus de 500 personnes à entendre…
Et pourtant, tout le monde semble très pressé ?
Je sais que la population est toujours très pressée, mais en matière d`enquête, il ne faut jamais être très pressé…
Même le chef de l`Etat aussi a dit…
Oui, il a dit qu`il est pressé mais il n`a pas dit de faire une enquête à la hâte, dans laquelle les gens vont par la suite dire encore que l`enquête a été mal menée ! Il faut que l`enquête soit bien menée, que tous ceux qui sont en mesure de nous informer, se montrent et viennent nous informer, pour nous aider. Et ça, c`est assez important parce que présentement, nous ne sommes qu`au début de l`enquête. Il ne faudrait pas attendre à la fin pour qu`on vienne dire voilà, on a bouclé l`enquête alors que je n`ai pas été entendu. Donc, j`ai préféré faire un point de presse pour que vous les journalistes, vous puissiez informer toute la population, tous ceux qui étaient là pour dire qu`il y a eu un point de presse, voici ce que le procureur a dit, il demande à ce que les victimes, les témoins, se présentent au commissariat et à la brigade de gendarmerie pour apporter leur part de vérité, avec les preuves à l`appui. Et j`ai bien précisé que je n`aimerais pas que quelqu`un qui se présente là-bas, dise, non, c`est mon frère qui m`a dit ou bien c`est dans un salon de coiffure que j`ai entendu. Mais plutôt ce que lui a vécu. C`est assez important.
Monsieur le procureur, est-ce qu`il y a des dispositions sécuritaires particulières qui ont été mises en place pour protéger les témoins qui voudraient s`exprimer sans risquer leur vie ?
Vous constaterez que, c`est la particularité en Côte d`Ivoire, la plupart des témoins sont toujours respectés par les autres témoins. En ma connaissance, la plupart des grandes enquêtes que j`ai eu à mener, je n`ai pas encore entendu dire que l`un des témoins a eu sa vie en danger pour telle ou telle déclaration. Je ne sais pas si vous avez entendu dire cela ou s`il y a eu une plainte dans ce sens. Mais, il serait bien de demander à chaque témoin, après sa déclaration, d`apprendre à se taire. Parce que c`est fait sous serment. Il doit apprendre à se taire et non aller diffuser partout que moi, j`ai accusé un tel ou un tel. Ecoutez, quand vous provoquez, ne soyez pas surpris des conséquences de votre provocation. Vous avez fait une déposition sous serment, il faut que vous puissiez vous taire jusqu`à ce que l`affaire parte en audience. Donc pour la sécurité des uns et des autres, je dis que le problème ne se pose pas. Parce que ceux qui partent là-bas, parlent non pas devant toute la population mais devant des officiers de police judiciaire qui sont aussi tenus au silence, au respect du secret de l`instruction.
Monsieur le procureur, jusqu`où pourriez-vous aller dans vos auditions dans cette affaire qui, selon vous, n`est pas aussi complexe que ça ?
L`objectif d`une enquête, c`est de trouver les auteurs d`une infraction. Je vous ai dit qu`on pouvait écarter d`ores et déjà l`homicide volontaire. Il n`y a pas eu la volonté de donner la mort à quelqu`un. La mort est survenue, à la suite d`une bousculade, donc c`est vraiment un accident. En droit, on parlera peut-être d`homicide involontaire. Mais qu`est-ce qui a provoqué cette bousculade ? Pourquoi y a-t-il eu cette bousculade alors qu`il s`agissait d`un match à guichets fermés ? Et c`est ce que nous voulons savoir. Et dans cette enquête, on constate que présentement qu`il y a beaucoup de personnes à entendre. Et c`est pourquoi, nous avons essayé de ramener la chose à deux genres d`enquêteurs : La police et la gendarmerie, supervisées par des substituts avec un procureur adjoint, pour qu`on puisse rendre crédibles les différentes déclarations et les différentes auditions qui seront faites.
Quel est le rôle du procureur militaire Ange Kessy dans cette enquête ?
Bon, écoutez. A partir du moment où les FDS sont concernées, on verra à la fin de l`enquête si des FDS sont effectivement mises en cause et que cela relève de sa compétence, on verra si on peut les mettre à sa disposition pour qu`elles soient jugées. Vous savez qu`il a déjà jugé des FDS pour des cas de racket. Donc, pour le moment, nous ne sommes qu`au début de l`enquête. Si à la fin, l`enquête nous permet de savoir qu`il y a des personnes concernées qui relèvent de sa compétence, nous les mettrons à sa disposition pour qu`elles soient jugées par le tribunal militaire. Voilà un peu la particularité de l`enquête.
Monsieur le procureur, nous avons appris que le gouvernement a mis en place une commission nationale d`enquête sur les mêmes évènements. Ne faut-il pas craindre des chevauchements entre les deux enquêtes ?
Je n`ai pas connaissance qu`une commission d`enquête ait été mise en place. J`ai entendu qu`il y en aura. Mais dans tous les cas, l`enquête que nous, nous menons est une enquête judiciaire. C`est-à-dire que quand moi je mène mon enquête, s`il y a infraction, si les auteurs sont arrêtés, c`est pour que ceux-là soient jugés devant le tribunal correctionnel. Donc, si une autre commission administrative est créée pour connaître aussi ce qui s`est passé, cela ne me dérange pas. Les informations que cette commission pourra apporter pourront peut-être nous être utiles. Peut être que des choses peuvent nous échapper, c`est possible. Donc si cette commission est créée, cela ne dérange pas le parquet.
Monsieur le procureur, vous avez dit que l`enquête n`est qu`à son début et qu`il y a plus de 500 personnes à entendre. Mais est-ce que déjà vous avez des pistes ?
Nous avons déjà des pistes, beaucoup de pistes mais je ne peux pas vous les donner. Dans tous les cas, chacun à sa petite idée. Ceux qui ont vécu les faits nous aideront vraiment à mieux préciser nos pistes. Et quand je parle de 500 personnes, vous savez qu`il y a eu plus de 31.000 tickets vendus pour 35.000 places et tout cela reste à vérifier. Officiellement, les victimes sont 132 blessés et 19 morts. Donc dans ce cas, s`agissant des morts, nous allons entendre leurs ayants droit, c`est-à-dire leurs parents, dans le cadre du dédommagement de ces parents. C`est la loi qui nous impose cela. Il faut entendre aussi les 132 blessés. Il faut entendre également tous ceux qui ont été témoins des faits. Et quand on va sortir de là, il faut entendre tout le comité d`organisation. Vous voyez ? Tout le comité d`organisation. Et quand nous avons fini tout ça, il faut entendre maintenant ceux qui sont accusés ou mis en cause. Voilà un peu la situation ! On ne peut pas donner des chiffres exacts, mais ça peut avoisiner ou aller au-delà de 500.
Que pourraient risquer les mis en cause dans cette affaire ?
Au stade où nous en sommes, nous voulons d`abord arriver à cerner l`ensemble. Si la bousculade est due au fait que certaines personnes ont vraiment provoqué cette bousculade ayant entraîné mort d`hommes, on risque d`aller vers des sanctions pénales dans le cadre de l`homicide involontaire. Et là, ce sont des hypothèses que nous émettons. On pourra peut-être aussi retenir l`omission de porter secours. Mais ça aussi il faudra vérifier si des gens n`ont pas voulu porter secours… Pour le moment, nous retenons l`homicide involontaire.
Est-ce qu`il y a des sanctions qui sont envisagées contre les responsables de la sécurité qui savaient ce qui s`était passé et qui ne sont pas intervenus pour faire annuler le match ou qui n`auraient pas informé le Chef de l`Etat qui est venu faire un tour d`honneur dans le stade ?
Pour le moment, je ne peux pas envisager de sanctions. Nous sommes dans le cadre d`une enquête. Il y a eu un drame. Est-ce que, le fait de ne pas avoir porté cela à la connaissance du Chef de l`Etat ou des autres, a entraîné d`autres drames? Puisque le drame est survenu avant le match. Est-ce que ces informations pouvaient empêcher la survenance de ce drame qui a eu lieu avant ? Maintenant, si quelqu`un leur a dit que voilà, des gens sont en train de s`entretuer et qu`ils n`ont pas réagi, ce qui est vraiment difficile à accepter, mais pour le moment, nous sommes en train d`entendre les uns et les autres et à mon avis, les enquêteurs pourront faire la part des choses. On va écouter et puis on va apprécier. Sinon, ce ne sont que des hypothèses. Supposons : Un match où il y a eu un nombre assez important d`individus qui voulaient le regarder… Il y a beaucoup qui n`étaient même pas informés qu`il y a eu un drame, et cela même après le match, les gens sont retournés chez eux, heureux de ce que la Côte d`Ivoire ait gagné son match. Cette fois-ci, contrairement au CHAN, les gens sont repartis tous heureux. Il parait même que c`est surtout le premier but qui a chauffé les supporters. Un but qui a été marqué, je crois à la 26ème où à la 27ème seconde du match. C`est ce que j`ai cru entendre. Et ceux qui étaient dehors, étant supporters, n`étaient pas venus pour qu`on leur dise que quelqu`un a gagné ! Ils voulaient voir qui a marqué. Et peut-être cette euphorie-là, a entraîné ce qu`on a constaté. Alors, informer qu`il y a un tel drame ? Les gens ne sont même pas au courant, c`est-à-dire ceux qui sont en train de jouer et vous allez leur dire, on arrête tout ? Je ne sais pas hein ? J`imagine ce que cela pouvait entraîner encore comme autre drame. Donc ce sont des informations qui, peut-être, sont restées secrètes dans l`intérêt de sécuriser non seulement le match mais aussi tous ceux qui étaient là, pour éviter qu`il y ait d`autres drames. L`enquête nous permettra d`apprécier. Que cela ait eu une cause directe ou indirecte sur ce drame.
Est-ce que vous explorez aussi la piste d`une information qui revient souvent et qui tend à dire que des jeunes sans tickets auraient été convoyés pour remplir le terrain alors que la FIF dit qu`elle n`a vendu que 31.000 tickets ?
Nous explorons toutes les pistes. Mais quand un drame survient, il y a beaucoup, beaucoup de commentaires. Il y a des gens qui savent plus que ceux-là mêmes qui ont vécu la chose. Chacun dit ce qu`il pense, ce qu`il a entendu, ce qu`il croit. Mais, l`enquête nous permet de vérifier les dires des uns et des autres. Qu`on ait convoyé tel nombre de personnes ou quoi, nous allons voir si ça eu une répercussion ou si ça eu un effet direct sur le drame. Nous, ce qui nous intéresse présentement, c`est pourquoi il y a eu cette bousculade, alors qu`on parle d`un match à guichets fermés. C`est ça ! Et nous nous en tenons à cela. Un match à guichets fermés, on pense que dans ce cadre-là, en principe, tout devait être fait en sorte que ça soit à guichets fermés. Qu`est-ce qui s`est passé ? C`est ce qu`on veut savoir. Et c`est l`enquête qui nous permettra de savoir ce qui s`est passé.
Monsieur le procureur, vous avez conduit l`enquête sur les déchets toxiques, vous conduisez également l`enquête sur la filière café-cacao, tout cela à la diligence du chef de l`Etat. Mais pour cette affaire-ci, le chef de l`Etat a versé des larmes et les Ivoiriens ont réalisé que cela était grave. Au vu de cela, quel est l`état d`esprit dans lequel vous menez cette procédure ?
Il faut reconnaître que moi-même j`ai été frappé par ce qui s`est passé et surtout voir un Chef d`Etat qui pleure pour la nation. Je disais tantôt aux gens que, quand il y a un blessé, on peut le soigner. Un blessé, on peut le soigner, mais celui qui est mort, c`est fini. Donc l`enquête est sérieuse à cause de ce deuil national déclaré pour que toute la nation se sente concernée par ce qui s`est passé. Donc, cette enquête va dans le même sens du sérieux pour effectivement voir ce qui s`est passé et il a même souligné dans la lettre qu`il m`a adressée, de voir les mesures à prendre pour éviter que cette tragédie ne se répète. C`est-à-dire que l`enquête va même au-delà de la saisine même du parquet. On ne doit pas s`arrêter seulement au niveau des responsabilités, il faut aussi prendre des mesures appropriées pour que de telles tragédies ne se répètent. Et là c`est assez important pour notre enquête pour que nous puissions effectivement déceler toutes les failles. Il y en a tellement qu`on a constatées. Donc déceler toutes les failles constatées qui vont vraiment aider le Président à prendre les décisions appropriées, tant sur le plan de la sécurité de la confection des billets que de la sécurisation des personnes qui viennent…Il y a beaucoup de choses à dire dans cette affaire et pour le moment, je ne peux pas entrer dans les détails. Mais lorsque l`enquête prendra fin, je prendrai la parole au moins pour vous informer des suites.
Monsieur le procureur, les Ivoiriens, on le sait, sont très sceptiques sur les résultats des enquêtes. Est-ce que monsieur le procureur a un message particulier pour eux pour les rassurer sur l`aboutissement de cette enquête-ci ?
J`ai un message. C`est que les Ivoiriens aient confiance en notre justice. Il est vrai que les Ivoiriens sont pressés. Mais je tiens à vous souligner qu`il y a eu des enquêtes où nous sommes allés plus vite. Dernièrement, avec la Secrétaire du Président, l`enquête a duré moins d`un mois. C`est le cas aussi pour l`enquête sur les faux fonctionnaires de la présidence. Mais, ce qui est assez étonnant, on ne se réfère pas à ça, on dit non, les enquêtes n`aboutissent jamais en Côte d`Ivoire. Quand on arrive à ce niveau, je dis mais, il s`agit de quelle enquête ? Parce qu`il faut maintenant être assez précis. Quand on dit oui, telle enquête n`a pas abouti, voilà ça nous permet de vérifier effectivement si ça n`a pas abouti, qu`est-ce qui se passe a tel niveau ? Il faut que les Ivoiriens sachent que, depuis que je suis là, vraiment nous faisons l`effort pour que les enquêtes que nous menons, puissent avoir une suite. Ça peut être favorable ou défavorable. Quand je dis favorable, ça dépend de la personne qui est poursuivie. La personne qui est condamnée ou bien ses parents vont dire c`est pas une bonne enquête. La personne qui a gagné son procès, trouvera que c`est satisfaisant. Mais dans l`ensemble, je dirai aux Ivoiriens que s`agissant de ce dossier, puisque, on a demandé à tous les Ivoiriens qui ont quelque chose à dire, à apporter comme preuve, on attend leur participation. Il ne s`agit pas de dire qu’on vient pour contredire le procureur. Non, nous venons pour contribuer, pour l`aider à avancer dans son enquête. C`est pas l`affaire du procureur seul. On a parlé d`un deuil national. C`est toute la nation qui est concernée par cette affaire.
Interview réalisée par Patrice Yao
Akwaba Saint-Clair et Assalé Tiémoko