17 avril 2008, au petit matin, Aimé Césaire rendait l'âme. Le plus grand et le plus magnifié d'entre les poètes négro africains venait ainsi de partir. Le monde des hommes de culture et de lettres a salué la Mémoire de l'écrivain comme il se le devait ; et nul d'entre la vaste communauté des écrivains n'aurait pu dire que ce furent, là, des hommages surfaits, car il n'y aura jamais assez de qualificatifs pour rendre compte de la densité du discours ''césairien''. L'œuvre qu'il laisse à la postérité est immense : elle est composée de textes dramatiques, d'essais, de discours et, bien sûr, de poèmes ? le roman ne figure pas dans son espace onirique. Il en est ainsi de l'œuvre de nombreux poètes (surtout les grands poètes, comme s'ils dédaignaient la prose romanesque, d'essence narrative).
C'est donc dans la poésie que Césaire a le plus marqué le monde de la littérature. L'homme était effectivement un poète ; non pas un créateur de vers, mais un poète, un vrai ; c'est-à-dire de cette espèce de maître de la parole chez qui le verbe ne se contente pas de dire le monde, mais de le transmuer, le soustraire à la raison et le livrer au lecteur comme un cadeau incandescent où brûle le souffle des dieux. Et cette capacité de suggérer le monde irradie tous ses textes, même les discours (comme celui sur le colonialisme) et les textes dramatiques (La tragédie du roi Christophe par exemple).
17 avril 2008-17 avril 2009. Voilà un an que cette ombre forte de la littérature est partie. Nous ne le pleurerons pas. Nous ne nous engagerons pas non plus dans des hommages qui, d'ailleurs, ne sont d'aucune opportunité et, pis, n'auront aucune originalité. Laissons-nous aller à la (re) découverte des mots du poète ; comme ce bel extrait que mon regard a saisi dans " Cahier d'un retour au pays natal, p. 61-62 ". Il conte le réveil de la race noire, à travers le récit métaphorique d'une mutinerie (réussie) d'esclaves, sur un bateau négrier - on sait comment le thème de la déportation orchestre presque la ''pensée poétique'' césairienne.
Et elle est debout la négraille
La négraille assise
inattendument debout
debout dans la cale
debout dans les cabines
debout sur le pont
debout dans le vent
debout sous le soleil
debout dans le sang
debout
et
libre
debout et non point pauvre folle dans sa liberté et
son dénuement maritimes girant en la dérive parfaite
et la voici :
plus inattendument debout
debout dans les cordages
debout à la barre
debout à la boussole
debout à la carte
debout sous les étoiles
debout
et
libre
et le navire lustral s'avancer impavide sur les eaux
écroulées
Et maintenant pourrissent nos flocs d'ignominie !
Par la mer cliquetante de midi
Par le soleil bourgeonnant de minuit
On admirera, dans ce court texte, la richesse du champ lexical de la navigation : cale, cabine, pont, maritimes, dérive, cordage, barre, boussole, carte, étoiles, navire, eaux, mer. Le mot "flocs" suggère habilement "flots", par homophonie. Si la réitération de l'adjectif ''debout'', altère la charpente sémantique du propos (c'est le principe même de l'anaphore qui n'est qu'une forme d'insistance), elle est cependant d'un intérêt stylistique indiscutable : elle donne au texte, tout le rythme nécessaire à la scène de l'insurrection. Le poème se vit ainsi comme un chant ; nous songeons ici plus particulièrement au blues qui se caractérise par des riffs mélodiques, des ritournelles. La position ''debout'' crée l'image de la victoire ; une victoire durable donc, sinon permanente, car ce mot domine tout le corpus lexical…
Sur le plan visuel, la scène est d'un intérêt plastique indiscutable : on remarquera ici que le poète part du détail vers l'ensemble, en une sorte de progression filmique intéressante : les insurgés d'abord, puis des élements constituifs du navire - la cale, les cabines, le pont ; et ce n'est que vers la fin du tableau que le poète nous donne à voir l'image du navire ; un ''navire lustral s'avancer impavide sur les eaux écroulées"...
Césaire, on le sait, excelle dans les associations surprenantes de mots ? dans une sorte d'incompatibilité ''glossématique''. Nous en découvrons ici : " mer cliquetante ", " eaux écroulées ". A tout cela, on ajoutera, bien sûr, ces inventions lexicales qui font partie de l'armature du verbe césairien : " négraille ", " inattendument ". La forme adverbiale du mot ''inattendu'' n'existe pas ; sinon, elle est d'un usage rare…
On peut commenter Césaire, à l'infini. Mais on éprouve assurément plus de plaisir à entendre sonner ces vers. Alors, laissons-les sonner aux oreilles du lecteur.
De Paris, Tiburce Koffi
Professeur certifié de lettres, écrivain (00336) 1602-3953.
tiburce_koffi@yahoo.fr
C'est donc dans la poésie que Césaire a le plus marqué le monde de la littérature. L'homme était effectivement un poète ; non pas un créateur de vers, mais un poète, un vrai ; c'est-à-dire de cette espèce de maître de la parole chez qui le verbe ne se contente pas de dire le monde, mais de le transmuer, le soustraire à la raison et le livrer au lecteur comme un cadeau incandescent où brûle le souffle des dieux. Et cette capacité de suggérer le monde irradie tous ses textes, même les discours (comme celui sur le colonialisme) et les textes dramatiques (La tragédie du roi Christophe par exemple).
17 avril 2008-17 avril 2009. Voilà un an que cette ombre forte de la littérature est partie. Nous ne le pleurerons pas. Nous ne nous engagerons pas non plus dans des hommages qui, d'ailleurs, ne sont d'aucune opportunité et, pis, n'auront aucune originalité. Laissons-nous aller à la (re) découverte des mots du poète ; comme ce bel extrait que mon regard a saisi dans " Cahier d'un retour au pays natal, p. 61-62 ". Il conte le réveil de la race noire, à travers le récit métaphorique d'une mutinerie (réussie) d'esclaves, sur un bateau négrier - on sait comment le thème de la déportation orchestre presque la ''pensée poétique'' césairienne.
Et elle est debout la négraille
La négraille assise
inattendument debout
debout dans la cale
debout dans les cabines
debout sur le pont
debout dans le vent
debout sous le soleil
debout dans le sang
debout
et
libre
debout et non point pauvre folle dans sa liberté et
son dénuement maritimes girant en la dérive parfaite
et la voici :
plus inattendument debout
debout dans les cordages
debout à la barre
debout à la boussole
debout à la carte
debout sous les étoiles
debout
et
libre
et le navire lustral s'avancer impavide sur les eaux
écroulées
Et maintenant pourrissent nos flocs d'ignominie !
Par la mer cliquetante de midi
Par le soleil bourgeonnant de minuit
On admirera, dans ce court texte, la richesse du champ lexical de la navigation : cale, cabine, pont, maritimes, dérive, cordage, barre, boussole, carte, étoiles, navire, eaux, mer. Le mot "flocs" suggère habilement "flots", par homophonie. Si la réitération de l'adjectif ''debout'', altère la charpente sémantique du propos (c'est le principe même de l'anaphore qui n'est qu'une forme d'insistance), elle est cependant d'un intérêt stylistique indiscutable : elle donne au texte, tout le rythme nécessaire à la scène de l'insurrection. Le poème se vit ainsi comme un chant ; nous songeons ici plus particulièrement au blues qui se caractérise par des riffs mélodiques, des ritournelles. La position ''debout'' crée l'image de la victoire ; une victoire durable donc, sinon permanente, car ce mot domine tout le corpus lexical…
Sur le plan visuel, la scène est d'un intérêt plastique indiscutable : on remarquera ici que le poète part du détail vers l'ensemble, en une sorte de progression filmique intéressante : les insurgés d'abord, puis des élements constituifs du navire - la cale, les cabines, le pont ; et ce n'est que vers la fin du tableau que le poète nous donne à voir l'image du navire ; un ''navire lustral s'avancer impavide sur les eaux écroulées"...
Césaire, on le sait, excelle dans les associations surprenantes de mots ? dans une sorte d'incompatibilité ''glossématique''. Nous en découvrons ici : " mer cliquetante ", " eaux écroulées ". A tout cela, on ajoutera, bien sûr, ces inventions lexicales qui font partie de l'armature du verbe césairien : " négraille ", " inattendument ". La forme adverbiale du mot ''inattendu'' n'existe pas ; sinon, elle est d'un usage rare…
On peut commenter Césaire, à l'infini. Mais on éprouve assurément plus de plaisir à entendre sonner ces vers. Alors, laissons-les sonner aux oreilles du lecteur.
De Paris, Tiburce Koffi
Professeur certifié de lettres, écrivain (00336) 1602-3953.
tiburce_koffi@yahoo.fr