à Bruxelles, a eu lieu, récemment, un colloque sous le thème “Culture et création, facteurs de développement”. Un plaidoyer en faveur des pays Acp.
Une réunion de plus? En tout cas, sur les visages de nombreux artistes, professionnels et entrepreneurs de la culture, venus des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), se lisait ce sentiment. Dans la Déclaration de Bruxelles, les mots n’ont pas trahi leurs pensées, pour dire leur scepticisme: «Après tant de colloques où des diagnostics clairs ont été établis et des recommandations précises formulées, mais sont restées sans suite, après tant de résolutions, de programmes et de plans d’action peu suivis d’application, c’est avec un mélange de scepticisme et d’espoir que nous sommes venus participer à ce colloque».
Sceptiques, ils l’étaient. Car, même si l’Union européenne a développé, depuis de nombreuses années, d’importants programmes de coopération culturelle avec l’ensemble des pays ACP, «ces programmes, comme ils le disent, sont restés peu structurants des politiques culturelles et des filières professionnelles artistiques nationales ou régionales. Ils sont restés, par ailleurs, limités au secteur culturel, sans emprise réelle sur les politiques de développement». Surtout, dans un continent où l’ensemble des pays sont confrontés à des crises de tous ordres: «Les politiques actuelles de coopération au développement, disent-ils, ne permettent guère de relever convenablement les défis qui se posent en termes de développement durable».
Il faut donc repenser l’approche du développement. En cela, la communication d’Etienne Minoungou, comédien, réalisateur, directeur de Récréatrales, Burkina Faso, à l’atelier sur le financement du développement culturel, a pris tout l’air d’un réquisitoire des instances d’aides au développement.
D’un, pour lui, il faut que le Marché des arts et du spectacle africain puisse se redéployer de nouveau, au moment où la situation, en Côte d’Ivoire, se normalise: «c’est, dit-il, le seul cadre pour les artistes du Sud de se faire connaître». Véritable brûlot, il constate, de deux, que la réflexion sur la culture africaine est décentrée, car entachée d’une perception idéologique : c’est le regard de l’autre, celui qui finance qui compte, réduisant ainsi l’autonomie créatrice : le cliché folklorique attaché à l’Afrique, selon lui, reste prégnant. Résultat? Des artistes essaient de faire ce qui marche; ils décident de se faire connaître d’abord avant la recherche identitaire. Et de s’interroger: «est-ce celui qui paie le flûtiste qui exige le son à jouer?». Pire, des artistes se fourvoient à force de vouloir s’inscrire dans le mécanisme décidé par ceux qui paient. A cela s’ajoute une contrainte de taille, ce qu’il appelle, «l’arsenal d’exigences méthodologiques qui évincent beaucoup de postulants locaux dont les objectifs sont modestes»; d’autant qu’il est plus facile de s’y perdre. Cette batterie des contraintes formelles fait primer, résume-t-il, la forme sur le fond même du projet ; générant ainsi des frustrations, à cause des «spécialistes de l’ingénierie culturelle qui évaluent si mal les projets».
Que faire, surtout que «les experts de la forme dans les institutions de financement ne croient plus aux structures étatiques (corrompues), encore moins aux artistes» taxés de ne pas être en phase avec elles?
Pour Minoungou, comme pour beaucoup d’autres, il faut: restaurer un climat de confiance; que les bailleurs adoptent des positions moins péremptoires, en passant par des concertations périodiques, etc. C’est le gage d’une nouvelle coopération: «Les artistes peuvent être porteurs de propositions nouvelles. Artistes, intellectuels peuvent créer un nouvel ordre artistique, créatif, plus égalitaire».
M. Koos Richelle, DG, EuropeAid Office de Coopération, Commission européenne, modérateur, aura ces mots: «C’est dépassé la vieille méthode! Il s’agit de s’approprier la Culture. On demande des propositions, même si tout cela est complexe. Les fonds étant très limités, il faut voir les possibilités que nous offre l’avenir. Nous ne sommes pas venus pour discuter des frustrations des uns et des autres».
L’avenir? C’est le chorus de la rupture d’avec le passé, «d’une diversité chantée, mais pas souvent appliquée», selon Joseph Borrel Fontelles, député européen, ancien président du parlement, parce que «le monde occidental a toujours eu des paramètres qu’il a eu tendance à imposer aux autres». Pour ce député, conscient que l’aide au développement ne se résume pas aux seuls indicateurs purement économiques, il faut donc intégrer la culture dans le domaine scolaire qui accorde plus d’intérêt aux sciences pures, alors que la culture reste quand
M. Jan Figel, dans une défense en règle en faveur de la Culture, ajoutera: «Il y a beaucoup de choses qu’on ne peut pas compter, mais qui comptent». Ainsi de la culture. Dans une allusion imagée, le Commissaire européen pour l’Education, la Formation, la Culture et la Jeunesse dira, qu’au départ de l’Ue, il y a eu le charbon et l’acier, puis il a fallu coller les gens pour qu’ils vivent ensemble.
Pour lui, c’est un patrimoine riche qui repose sur une responsabilité à prendre. Et l’esprit de Bruxelles qui met l’accent sur la culture, à travers la ratification par 97 pays de la convention sur la diversité culturelle, est important: «Il nous incombe de le suivre par des actions réalistes… L’Europe peut apporter ce levain essentiel à l’émergence d’un monde nouveau, un monde plus humain, basé sur l’égalité, la justice, la diversité». C’est ce que le Roumain Radu Milhaileanu, réalisateur, ambassadeur européen 2009 pour l’Année européenne de la Créativité, désigne par la belle formule: «(il nous) faut bousculer les impossibles d’hier. La crise nous offre cette opportunité».
Rompre avec les anciennes pratiques de la coopération culturelle. Tous l’ont dit. Le Secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie, (Oif) Abdou Diouf, résume la situation. En «témoin indigné et engagé».
Face à un monde qui n’existe pas encore, s’engager, précisera-t-il, c’est s’armer pour y parvenir. Car, aux «oubliés de la globalisation économique», il ne faudrait pas que s’ajoutent «les exclus de la globalisation culturelle». Contre « l’instauration d’un apartheid culturel», l’Oif qui s’est donné une mission au Sud, entend «soutenir les artistes et leurs œuvres». «Je suis, dira-t-il encore, à vos côtés; la Francophonie, également, lorsque la culture est revendiquée pour être prise en compte dans le développement; la Francophonie est à vos côtés, lorsque vous proposez un visa culturel, etc.».
«Création de l’avenir dans le présent» (Léopold Sedar Senghor), Louis Michel, Commissaire européen en charge du Développement et de l’Aide humanitaire, réitéra ce que les autres avaient dit: il faut affirmer la culture comme vecteur de développement. Car les crises actuelles risquent d’exacerber les replis identitaires.
Impressionné par l’engagement et l’énergie de rénover, il aura, tour à tour ces mots, véritables professions de foi. A l’endroit, primo, des créateurs, des professionnels: «Je vous ai écoutés, je vous ai entendus…La Déclaration de Bruxelles (va se traduire) en vision politique, en rêves mobilisateurs… L’audace de la pensée, la force vivante de l’imaginaire deviendront une énergie renouvelable des sociétés du Sud… Cessez définitivement d’être sceptiques».
Secundo, avec force, aux ministres: «les créateurs ne sont pas vos adversaires. Ils voient plus vite et plus loin que nous!». Message d’espoir, il ajoutera: «les perspectives sont enthousiasmants… L’union économique entend passer à l’action».
A l’heure où les puissants s’interrogent sur le cynisme d’une politique économiste qui a démontré ses limites, la Déclaration de Bruxelles prend tout son sens. Les experts ACP ont, en tout cas, approuvé de toutes les mains l’approche nouvelle des partenaires au développement, qui ont choisi «d’articuler la culture, la création et le développement en les associant à des responsables politiques au plus haut niveau des Etats ACP et de l’Union européenne».
Les attentes sont grosses, en effet. C’est pourquoi, les artistes, professionnels et entrepreneurs culturels ont formulé ces trois revendications centrales. D’abord, «que la culture fasse l’objet de politiques publiques structurantes, aux niveaux national,, régional et international; ensuite, «que la dimension culturelle soit prise en compte par les autres politiques sectorielles et inscrite dans une approche transversale du développement»; enfin «que les artistes et les créateurs soient reconnus pleinement comme acteurs du développement et soient dotés d’un statut professionnel et social adapté à leur contexte». Pour eux, tout comme l’Union européenne, «le moment est venu d’agir» (Voir Focus)
Pour en donner le ton, en marge du colloque, à la place Flagey, Manou Gallo, l’Ivoirienne; Mounira Mitchala du Tchad et Chiwoniso du Zimbabwe, trois voix d’Afrique au féminin donnaient le ton de ce nouveau pari. Trois voix au féminin pour une coopération accoucheuse d’idées neuves, dans l’élan d’une diversité culturelle à mettre en marche.
Michel Koffi
Envoyé spécial à Bruxelles
Une réunion de plus? En tout cas, sur les visages de nombreux artistes, professionnels et entrepreneurs de la culture, venus des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), se lisait ce sentiment. Dans la Déclaration de Bruxelles, les mots n’ont pas trahi leurs pensées, pour dire leur scepticisme: «Après tant de colloques où des diagnostics clairs ont été établis et des recommandations précises formulées, mais sont restées sans suite, après tant de résolutions, de programmes et de plans d’action peu suivis d’application, c’est avec un mélange de scepticisme et d’espoir que nous sommes venus participer à ce colloque».
Sceptiques, ils l’étaient. Car, même si l’Union européenne a développé, depuis de nombreuses années, d’importants programmes de coopération culturelle avec l’ensemble des pays ACP, «ces programmes, comme ils le disent, sont restés peu structurants des politiques culturelles et des filières professionnelles artistiques nationales ou régionales. Ils sont restés, par ailleurs, limités au secteur culturel, sans emprise réelle sur les politiques de développement». Surtout, dans un continent où l’ensemble des pays sont confrontés à des crises de tous ordres: «Les politiques actuelles de coopération au développement, disent-ils, ne permettent guère de relever convenablement les défis qui se posent en termes de développement durable».
Il faut donc repenser l’approche du développement. En cela, la communication d’Etienne Minoungou, comédien, réalisateur, directeur de Récréatrales, Burkina Faso, à l’atelier sur le financement du développement culturel, a pris tout l’air d’un réquisitoire des instances d’aides au développement.
D’un, pour lui, il faut que le Marché des arts et du spectacle africain puisse se redéployer de nouveau, au moment où la situation, en Côte d’Ivoire, se normalise: «c’est, dit-il, le seul cadre pour les artistes du Sud de se faire connaître». Véritable brûlot, il constate, de deux, que la réflexion sur la culture africaine est décentrée, car entachée d’une perception idéologique : c’est le regard de l’autre, celui qui finance qui compte, réduisant ainsi l’autonomie créatrice : le cliché folklorique attaché à l’Afrique, selon lui, reste prégnant. Résultat? Des artistes essaient de faire ce qui marche; ils décident de se faire connaître d’abord avant la recherche identitaire. Et de s’interroger: «est-ce celui qui paie le flûtiste qui exige le son à jouer?». Pire, des artistes se fourvoient à force de vouloir s’inscrire dans le mécanisme décidé par ceux qui paient. A cela s’ajoute une contrainte de taille, ce qu’il appelle, «l’arsenal d’exigences méthodologiques qui évincent beaucoup de postulants locaux dont les objectifs sont modestes»; d’autant qu’il est plus facile de s’y perdre. Cette batterie des contraintes formelles fait primer, résume-t-il, la forme sur le fond même du projet ; générant ainsi des frustrations, à cause des «spécialistes de l’ingénierie culturelle qui évaluent si mal les projets».
Que faire, surtout que «les experts de la forme dans les institutions de financement ne croient plus aux structures étatiques (corrompues), encore moins aux artistes» taxés de ne pas être en phase avec elles?
Pour Minoungou, comme pour beaucoup d’autres, il faut: restaurer un climat de confiance; que les bailleurs adoptent des positions moins péremptoires, en passant par des concertations périodiques, etc. C’est le gage d’une nouvelle coopération: «Les artistes peuvent être porteurs de propositions nouvelles. Artistes, intellectuels peuvent créer un nouvel ordre artistique, créatif, plus égalitaire».
M. Koos Richelle, DG, EuropeAid Office de Coopération, Commission européenne, modérateur, aura ces mots: «C’est dépassé la vieille méthode! Il s’agit de s’approprier la Culture. On demande des propositions, même si tout cela est complexe. Les fonds étant très limités, il faut voir les possibilités que nous offre l’avenir. Nous ne sommes pas venus pour discuter des frustrations des uns et des autres».
L’avenir? C’est le chorus de la rupture d’avec le passé, «d’une diversité chantée, mais pas souvent appliquée», selon Joseph Borrel Fontelles, député européen, ancien président du parlement, parce que «le monde occidental a toujours eu des paramètres qu’il a eu tendance à imposer aux autres». Pour ce député, conscient que l’aide au développement ne se résume pas aux seuls indicateurs purement économiques, il faut donc intégrer la culture dans le domaine scolaire qui accorde plus d’intérêt aux sciences pures, alors que la culture reste quand
M. Jan Figel, dans une défense en règle en faveur de la Culture, ajoutera: «Il y a beaucoup de choses qu’on ne peut pas compter, mais qui comptent». Ainsi de la culture. Dans une allusion imagée, le Commissaire européen pour l’Education, la Formation, la Culture et la Jeunesse dira, qu’au départ de l’Ue, il y a eu le charbon et l’acier, puis il a fallu coller les gens pour qu’ils vivent ensemble.
Pour lui, c’est un patrimoine riche qui repose sur une responsabilité à prendre. Et l’esprit de Bruxelles qui met l’accent sur la culture, à travers la ratification par 97 pays de la convention sur la diversité culturelle, est important: «Il nous incombe de le suivre par des actions réalistes… L’Europe peut apporter ce levain essentiel à l’émergence d’un monde nouveau, un monde plus humain, basé sur l’égalité, la justice, la diversité». C’est ce que le Roumain Radu Milhaileanu, réalisateur, ambassadeur européen 2009 pour l’Année européenne de la Créativité, désigne par la belle formule: «(il nous) faut bousculer les impossibles d’hier. La crise nous offre cette opportunité».
Rompre avec les anciennes pratiques de la coopération culturelle. Tous l’ont dit. Le Secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie, (Oif) Abdou Diouf, résume la situation. En «témoin indigné et engagé».
Face à un monde qui n’existe pas encore, s’engager, précisera-t-il, c’est s’armer pour y parvenir. Car, aux «oubliés de la globalisation économique», il ne faudrait pas que s’ajoutent «les exclus de la globalisation culturelle». Contre « l’instauration d’un apartheid culturel», l’Oif qui s’est donné une mission au Sud, entend «soutenir les artistes et leurs œuvres». «Je suis, dira-t-il encore, à vos côtés; la Francophonie, également, lorsque la culture est revendiquée pour être prise en compte dans le développement; la Francophonie est à vos côtés, lorsque vous proposez un visa culturel, etc.».
«Création de l’avenir dans le présent» (Léopold Sedar Senghor), Louis Michel, Commissaire européen en charge du Développement et de l’Aide humanitaire, réitéra ce que les autres avaient dit: il faut affirmer la culture comme vecteur de développement. Car les crises actuelles risquent d’exacerber les replis identitaires.
Impressionné par l’engagement et l’énergie de rénover, il aura, tour à tour ces mots, véritables professions de foi. A l’endroit, primo, des créateurs, des professionnels: «Je vous ai écoutés, je vous ai entendus…La Déclaration de Bruxelles (va se traduire) en vision politique, en rêves mobilisateurs… L’audace de la pensée, la force vivante de l’imaginaire deviendront une énergie renouvelable des sociétés du Sud… Cessez définitivement d’être sceptiques».
Secundo, avec force, aux ministres: «les créateurs ne sont pas vos adversaires. Ils voient plus vite et plus loin que nous!». Message d’espoir, il ajoutera: «les perspectives sont enthousiasmants… L’union économique entend passer à l’action».
A l’heure où les puissants s’interrogent sur le cynisme d’une politique économiste qui a démontré ses limites, la Déclaration de Bruxelles prend tout son sens. Les experts ACP ont, en tout cas, approuvé de toutes les mains l’approche nouvelle des partenaires au développement, qui ont choisi «d’articuler la culture, la création et le développement en les associant à des responsables politiques au plus haut niveau des Etats ACP et de l’Union européenne».
Les attentes sont grosses, en effet. C’est pourquoi, les artistes, professionnels et entrepreneurs culturels ont formulé ces trois revendications centrales. D’abord, «que la culture fasse l’objet de politiques publiques structurantes, aux niveaux national,, régional et international; ensuite, «que la dimension culturelle soit prise en compte par les autres politiques sectorielles et inscrite dans une approche transversale du développement»; enfin «que les artistes et les créateurs soient reconnus pleinement comme acteurs du développement et soient dotés d’un statut professionnel et social adapté à leur contexte». Pour eux, tout comme l’Union européenne, «le moment est venu d’agir» (Voir Focus)
Pour en donner le ton, en marge du colloque, à la place Flagey, Manou Gallo, l’Ivoirienne; Mounira Mitchala du Tchad et Chiwoniso du Zimbabwe, trois voix d’Afrique au féminin donnaient le ton de ce nouveau pari. Trois voix au féminin pour une coopération accoucheuse d’idées neuves, dans l’élan d’une diversité culturelle à mettre en marche.
Michel Koffi
Envoyé spécial à Bruxelles