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Société Publié le mardi 12 mai 2009 | Nord-Sud

“La valeur clé des Akan, c`est l`intelligence”

Lorsqu'il s'est agi, dans le cadre de notre débat sur les rites initiatiques, de parler du pays akan, c'est lui qui nous été vivement conseillé par les sources les plus averties. Derrière la grande modestie du Pr Simon Pierre Ekanza, historien de renom, président du conseil d'administration de la Société de développement des forêts (Sodefor) depuis deux ans, se cache effectivement un savoir immense sur les valeurs de la société akan.


•Quelles sont les rites initiatiques de la société traditionnelle akan ?

Quand je vous ai eu au téléphone et que vous m'avez parlé de rites initiatiques en pays akan, je me suis posé beaucoup de questions. La première, c'est qu'il y a une distinction à opérer entre les différentes populations dites akan. Le Pr Albert Adu Boahen qui a été un des prétendants à la présidence de la République du Ghana, il y a quelques années, est un grand homme de science. C'est lui qui est véritablement le chef de file de l'école historienne au Ghana. Je parle de lui parce qu'il distingue ceux qu'il appelle les purs Akan, parmi lesquels il y a les Ashanti, de ceux qu'ils appellent là-bas les Bron et que nous appelons ici les Abron et qu'on trouve vers Bondoukou. Puis, il y a ceux qui sont au milieu. On pourrait les appeler les moins purs. Et il y a ceux qui s'attribuent le titre d'akan. Mais qui, en réalité, n'en sont pas. Ceux qui sont au milieu, ce serait les Agni. Pour lui, les Baoulé sont à l'extrême, à l'autre bout des Akan. Quant à ceux que nous appelons les peuples lagunaires, les Ebrié, les Attié, les Adjoukrou, ils ne sont pas Akan selon lui. Je ne dis pas que je partage son point de vue. Mais, scientifiquement, cela a été professé à un moment donné. Et il y a beaucoup de personnes qui adhèrent à cette façon de voir les choses. Pour ma part, je pense qu'effectivement, ceux qui ont les rites initiatiques ne sont pas les purs Akan. Les purs Akan n'en ont pas. Les Ashanti, les Bron ainsi que les autres populations qui habitent le Ghana actuel et à qui on donne le titre d'akan ont un processus de socialisation, mais, ce ne sont pas les rites initiatiques dont vous parlez. Ceux qui ont les rites initiatiques sont ceux de l'extrême bout des Akan, c'est-à-dire, les Ebrié, les Attié, les Adjoukrou qui ont été formés à partir de populations venues de l'Ouest à savoir les Krou et autres. La frontière, c'est un peu le pays dida, vers Divo, où il y a eu véritablement un brassage de telle sorte qu'on ne sait pas qui est Akan et qui ne l'est pas. Ceux-là ont des rites initiatiques tels qu'on l'entend. Bien sûr que toutes les populations africaines ont eu un mode de socialisation spécifique selon les peuples. Voilà pourquoi moi je dis que je ne suis pas un spécialiste de la question.


•Etymologiquement que désigne le terme akan ?

Ceux qui se sont penchés sur la question pensent que le mot akan vient de « mikan » qui signifie « je dis ». C'est ceux qui, avant de commencer toute phrase disent « je dis que », ce sont eux les Akan. Le Pr Niangoran Boa est l'un de ceux qui pensent que le mot akan vient du mot « dire ». Mais, il y a ceux qui sont pas d'accord. Pour eux, le mot akan viendrait d'un autre mot, le « kan » qui signifie ce qui est véritablement pur, ce qui est dur, fort. Ils disent que c'est véritablement ce mot qui aurait donné le mot akan. Donc vous voyez qu'il est difficile de trancher. Nous ne savons pas exactement d'où vient le mot akan.


•Quel sont les systèmes mis en place par les Akan pour inculquer aux jeunes les valeurs de la société ?

Cela revient un peu au système éducatif. C'est le système éducatif qui a prévalu dans les sociétés, je dirai, proprement akan. Dès la naissance, la jeune fille est prise en charge par sa mère. Quant au garçon, dès qu'il est sevré, il est à la charge de son père qui lui apprend par exemple comment cultiver, comment faire le travail de la terre. Il lui apprend tous les autres métiers : chasse, pêche, etc. La jeune fille, dès l'âge de 7 ans collabore également avec sa mère. Elle apprend à faire la cuisine. C'est de cette façon que l'enfant s'initie véritablement. Chez les populations dites lagunaires, il y a une période spécialement consacrée à l'initiation. Les personnes d'une certaine génération, d'un certain âge, se retrouvent pendant une période assez longue, plusieurs semaines ou plusieurs mois avec un ancien qui leur apprend ce qu'est la vie d'adulte. Comment arriver à gérer toute la communauté villageoise etc. C'est cette période qu'on appelle période initiatique. Et tant que vous n'avez pas subi l'initiation, c'est-à-dire que tant que vous n'avez pas franchi tous les échelons de la formation, vous ne pouvez pas du tout accéder à des fonctions de gestion du village. Je pense donc que le système éducatif est vraiment la base. L'enfant passe de la mère au père. Puis, c'est la communauté qui le fait. Et l'éducation n'est pas, comme cela se voit de nos jours, assurée uniquement par la famille. Mais, l'enfant est à tout le village. S'il commet un acte répréhensible, un adulte qui n'est pas son géniteur se donne le droit de le corriger, sans que cela n'offusque le père ou la mère. Parce qu'on estime que c'est de cette façon qu'on arrive à intégrer l'enfant dans l'ensemble de la communauté. Non seulement la socialisation est assez bien réalisée, l'intégration est faite, mais, le système éducatif donne un métier à l'enfant qui est appelé à être adulte. Ce n'est pas comme de nos jours où lorsque vous sortez de l'école, après avoir été formé, vous restez sur le carreau pendant plusieurs années. Le système éducatif était organisé de telle sorte que l'enfant qui est à la fin du processus de formation se retrouve du jour au lendemain avec un métier. Il est chasseur, agriculteur, forgeron, ou bien d'autres métiers qu'il pouvait exercer à cette époque-là.


•Quels sont les principes de base de l'éducation dans la société traditionnelle akan ?

Je crois qu'il faut plutôt parler de valeurs. Chaque société tient à un certain nombre de valeurs qui l'identifient et qui la distingue des autres communautés qui ne partagent pas les mêmes valeurs, qui n'appartiennent pas à la même culture ou qui ne baignent pas dans la même civilisation. Cela dit, je pense que l'une des valeurs clés chez les Akan est l'intelligence, la sagesse. L'intelligence est cette qualité qui amène l'individu à respecter les normes telles que fixées, et à ne pas se placer à un endroit pour lequel il n'est pas fait. Nous avons dans la société akan des règles pour pouvoir par exemple accéder à la chefferie. Cela se fait d'oncle à neveu. L'oncle, c'est le frère du père. Lorsque dans la génération d'oncles, il y a un deuxième encore en vie, c'est à lui que reviendra la place de commandement à la tête de tout le peuple, après le premier. Et ainsi de suite jusqu'à ce qu'on arrive à l'extinction de tous ceux qui sont dans cette génération. Puis après, la règle, c'est le neveu. Le neveu, c'est le fils de la sœur du père. Pas le neveu au sens français. Et c'est ceux-là qui appartiennent à la famille. Vous pouvez être deux frères, mais vos enfants ne sont pas de la même famille. En revanche, si vous avez une sœur, c'est l'enfant de celle-ci qui est de la famille. Et vos enfants sont considérés comme étant ses enfants.


•On remarque que la société akan est très organisée, très hiérarchisée. Quel rôle joue la royauté dans cette organisation de sorte qu'il n'y ait pas de désordre ?

La royauté, c'est un peu le gardien de tout ce qui a été établi depuis plusieurs générations et qui constitue la règle de vie. C'est un peu ce pouvoir qui veille, contrôle ces règles qui ont été fixées. C'est que ce rôle est quelques fois reparti. Quand vous arrivez dans un village, le chef de la terre n'est pas forcement le chef politique. Dans un village ou une communauté akan, vous avez le chef de terre qui a un certain pouvoir. C'est lui qui s'adresse aux divinités, aux esprits de la terre. Par exemple, si l'on traverse une période de sécheresse, c'est à lui que l'on aura recours pour qu'il puisse implorer les dieux afin que la pluie tombe. Mais en dehors de cette sphère, lorsqu'il s'agit d'une affaire politique, on ne s'adresse plus à lui, mais au roi. Et en général, le chef de la terre, il est premier. Il est plus ancien. Le chef politique à qui on peut donner le titre de roi est venu beaucoup plus tard. Et parce qu'il détenait la force, les armes, il s'est imposé. Il ne s'est pas imposé au dieu de la terre qui n'entend et n'écoute que le chef de la terre. Ce qui fait que chez les Akan, il y a une certaine harmonie entre les deux pouvoirs. Au point que l'un ne peut pas totalement écraser l'autre. Et le chef politique, c'est lui qui doit veiller à ce que cet ordre-là puisse toujours régner sur l'ensemble. Voilà ce que je peux dire en gros sur cette question. Parce que là, nous sommes sortis de mon domaine.


•Vous avez parlé de générations chez les lagunaires. Pour nous qui ne voyons que l'aspect apparent de cette initiation, quel en est réellement le contenu ?

Chez les peuples dits lagunaires, il existe plusieurs générations, plusieurs classes de générations. Chez certains d'entre eux, c'est quatre générations. Chez d'autres, c'est quelque fois jusqu'à sept. Et il y a des règles qui sont établies. Par exemple, une génération, pendant plusieurs années, est appelée à être à la tête du village, de la communauté. Tout ce qui relève par exemple des travaux d'ordre public est assuré par cette génération. Lorsqu'un danger menace le village, il revient à cette génération de prendre la défense militaire du village. Et dans la génération, il y a des catégories. Il y a le chef. Celui qui doit prendre le devant lorsque le village est menacé. Il est en même temps le chef de guerre. Donc, les valeurs c'est la bravoure, le courage qui prévalent dans ces sociétés-là. Et lorsque le cycle est à sa fin, c'est une autre génération qui relève celle qui l'a précédée.


•S'agissant de la société purement akan, vous avez parlé de communication entre le chef de terre et certaines divinités. Ce lien a-t-il une dimension religieuse qui pourrait concerner la communauté entière?

Oui cela a une dimension religieuse. Chaque village par exemple a ses divinités qui lui sont propres. Il y a une catégorisation des divinités. Lorsqu'un village est installé par exemple au pied d'une colline ou d'une montagne, il est nécessaire que les membres de la communauté adorent l'esprit de la montagne. Lorsque c'est auprès d'un cours d'eau, il y a là aussi un culte qui est rendu aux génies de ce cours d'eau. Mais, lors de leurs migrations qui remontent quelques fois à plusieurs siècles, les communautés ont transporté avec elles certains dieux qui leur ont rendu service. C'est ainsi que vous avez le dieu « Tanon » chez les Agni. Le Tanon et certaines familles sont tellement liés que depuis des siècles, de génération en génération, les membres de ces familles continuent de rendre un culte à ce dieu qui, à un moment donné de l'histoire de la famille et de la communauté, a rendu véritablement service. Ce dieu-là appartient à l'ensemble, à une communauté beaucoup plus vaste que des populations qui habitent une zone donnée. On peut prendre le cas des Agni d'Aboisso. Ils rendent un culte à des dieux également adorés par les Agni d'Abengourou, de Bongouanou. En revanche, il y a des dieux beaucoup plus locaux qui sont véritablement limités à la périphérie du village. Et qui n'ont pas ce rayonnement très important que connait le dieu du grand ensemble.


•La connaissance de ces dieux entre-t-elle dans l'éducation des enfants dès le bas âge ?

Absolument. Puisque la famille est tenue de rendre un culte à ce dieu, on apprend à l'enfant qui est cette divinité, ce qu'elle a fait, à quel moment doit-on lui rendre le culte, comment cela se fait. Tout cela fait partie de la formation, de l'éducation, de l'intégration à la famille et à la communauté.


•On constate aujourd'hui que ces sociétés sont à la croisée des chemins avec l'avancée de la modernité. Il y a également le christianisme qui s'est installée. Comment se fait la cohabitation?

La cohabitation ne se fait pas toujours de façon heureuse. Surtout du côté des pays anciennement colonisés par la France. Je pense que la distinction est à ce niveau. Je vais vous donner un exemple. J'ai eu l'occasion d'aller à plusieurs reprises à des rencontres scientifiques au Ghana. A Koumassi en particulier. Je me souviens d'un colloque qui s'y est tenu en 1975 quand je commençais ma carrière d'enseignant à l'université. Avant l'ouverture du séminaire, tous les séminaristes et les invités étaient réunis dans la salle. Et le préfet est arrivé. Bien sûr on s'est levé pour le saluer. Mais, lorsque le roi de Koumassi est arrivé dans sa Mercedes avec ses tenues d'apparat. C'est le long de quelques kilomètres que toute la population de Koumassi s'était mise à applaudir. Et dans la salle, c'était un débordement de joie. Le préfet n'a pas connu le même accueil. C'est vous dire que dans les pays anglophones, où, dès le départ, tout ce qui est spécifique à la société, à la communauté, a été conservé, le pouvoir traditionnel a gardé sa puissance. On continue jusqu'à présent de cultiver ce rapport très important entre le peuple et le pouvoir traditionnel. Ce qui n'est pas le cas dans nos pays francophones où la cohabitation est difficile. On essaie ici en Côte d'Ivoire, depuis quelques années, de restaurer ce pouvoir ancien. Mais, nos chefs traditionnels, qu'ils soient Akan, Malinké ou autres, je pense qu'on n'a pas totalement redoré leur blason.


•Justement, quels sont les risques de déstructuration qui guettent ces sociétés qui avaient déjà une certaine façon de fonctionner ?

La société, comme tout individu, a besoin de repère. Et le pouvoir traditionnel assuré par les chefs traditionnels était un repère. C'était la boussole qui donnait des consignes, qui donnait des ordres. Et le peuple savait à qui se référer, à qui s'adresser. On connait son contenu. Ce qui n'est pas le cas de nos jours avec le pouvoir politique. Le pouvoir politique, c'est quelque chose qui est venu de l'étranger. Et qui vient se superposer sur ce que nous avions. Et dont on ne connait pas toujours le contenu. Il en est de même pour nos institutions. Un député qu'est-ce que c'est ? Est-ce qu'il défend réellement la population ? Est-ce qu'il prête l'oreille à celui qui est loin dans les petits villages et qu'il est censé représenter ? Comment est-ce que les débats se déroulent à l'assemblée nationale ? Le peuple n'en sait rien.


• Et au plan individuel, que perd chaque membre de la communauté ?

Il est déraciné. Il ne se retrouve pas. Il est un peu perdu. Et à un moment donné, il se demande qui je suis ? Il est perturbé. Il ne respecte peut être pas les dieux de l'autre monde auquel il appartient. Finalement, je dirais qu'il y a quelque chose qui lui manque. Les points de repère, il n'en a plus.


•Cela nous amène à nous interroger sur l'avenir de ces valeurs-là. Ne sont-elles pas condamnées à disparaître ?

Si elles disparaissent, il faudrait des valeurs qui puissent valablement les remplacer. Mais, il ne faudrait pas que l'homme demeure sans culture ni repère. C'est ce qui, à mon avis, est le plus grave. Il y a des valeurs dans lesquelles nous nous retrouvons, qui s'identifient à notre personne. C'est notre identité. Et le fait de les perdre est un péril pour notre propre identité. Et ce sont à ces valeurs-là qu'on doit toujours s'attacher. Il en reste quelques unes malgré toutes les perturbations.


•Est-ce que l'éducation en pays akan prend en compte la culture au travail, à l'épargne puis à l'enrichissement ?

Oui, je pense que cet aspect est pris en compte. Mais, pas toujours dans le bon sens je dirais. L'or a une signification multiple pour l'akan. L'or est sacré. Le jour où on doit par exemple aller exploiter de l'or, ou même la veille, l'exploitant doit sacrifier un mouton ou un poulet. S'il ne le fait pas, il peut mourir. Il y a eu des accidents historiques qui sont la conséquence de la colère des ancêtres contre ceux qui n'ont pas respecté ces principes. D'où la nécessité de respecter l'or. On dit également que l'or, c'est un peu comme un être vivant. Il peut fuir. Si vous ne vous conformez pas à ces rites vous n'aurez jamais de l'or. L'or ne se vole pas. On dit que celui qui le vole peut être maudit toute sa vie. Mais, le fait d'observer tous ces rites liés à l'or, d'avoir un respect quasi religieux pour cette matière, fait que de nos jours l'or est devenu un trésor. C'est en ce sens que nous entendons que l'on n'a pas le droit de le dilapider. Cela fait partie du patrimoine. Et dans certaine famille Akan il y a de l'or en grande quantité. Si l'un des enfants est en train de mourir, ce n'est pas aussi facilement que l'on ira puiser dans la réserve pour voler à son secours. Cela ne se fait que dans des cas exceptionnels, des situations extrêmes. C'est vous dire que l'or qui, à l'origine, doit aider l'homme, est respecté à tel point qu'on dort à côté de l'or sans qu'il ne nous serve à absolument rien. Beaucoup de personnes, qui sont aujourd'hui dans le besoin, ont leurs parents qui dorment sur l'or. Et ceux-là ont besoin d'aide. On attend le jour de la fête pour se parer. Pour montrer que dans notre famille nous avons beaucoup de richesse et que dans la société nous représentons quelque chose. C'est donc à des occasions exceptionnelles comme les mariages et les funérailles que l'or est présenté.


•C'est en même temps un encouragement au travail pour pouvoir épargner !

On devrait lire la chose de cette façon. Il faut pouvoir épargner. Mais, il ne faut pas que l'épargne dorme sous sa natte. Il faut pouvoir la mettre à la banque pour qu'elle continue toujours de travailler.


•Que proposez-vous à sujet ?

Il faut peut-être pousser la réflexion et encourager les uns et les autres à aller dans ce sens-là.

Interview réalisée par Kesy Jacob et Cissé Sindou
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