Le Mouvement ivoirien des droits humains a mené une enquête sur les conditions de détention dans les maisons de correction et les violons du pays. Me Doumbia Yacouba qui a conduit le projet nous en parle davantage.
•Y a-t-il un fait ou une alerte particulière qui vous a amené à faire cette enquête ?
Au niveau des maisons d'arrêt et de correction, les prisonniers se révoltent pour protester contre leurs conditions de détention. La presse en fait l'écho. Nous nous sommes demandé pourquoi autant d'évasions. Nous avons élaboré un projet qui a eu l'assentiment du Ned, une agence américaine, qui a bien voulu financer l'étude.
•Vous avez visité 17 prisons sur les 33 que compte le pays. Pourquoi 17 ?
Pour des raisons d'ordre financier. Nous n'avions pas de moyens pour couvrir toutes les prisons et tous les lieux de détention.
•Quels sont les difficultés que vous avez rencontrées au cours de cette enquête ?
Pour tenir l'enquête, il faut forcement avoir l'accord des autorités gouvernementales. La seule difficulté pour avoir accès aux prisons, c'était le commandement supérieur de la gendarmerie. Le ministère de la Défense ne nous a pas donné d'autorisation. Mais, nous avons pallié cette absence d'autorisation par le fait qu'en zone gouvernementale, les détentions se font sous l'autorité du procureur de la République. C'est le parquet qui gère l'activité des officiers de police judiciaire, qu'ils soient gendarmes au policiers. Nous avons continué la discussion en nous adressant au procureur qui nous a autorisé à visiter les lieux de détention, puisque nous avions l'autorisation du ministère de la Justice. Nous avons visité des violons gérés par des gendarmes, c'est-à-dire les violons de la gendarmerie. Les Forces nouvelles nous ont donné une autorisation globale qui couvrait l'ensemble de leur zone.
•Comment s'est déroulé le travail dans cette zone ?
Nous y avons visité deux prisons. Sur le terrain il y a parfois eu des suspicions entre les différents postes de commandement à cause du fait que les détenus, là-bas, sont traités souvent de pro X ou de pro Y. Si nous ne faisions pas attention, on aurait pu nous traiter de favoriser tel au lieu de tel autre. C'est cette méfiance que nous avons rencontrée sur le terrain. Sinon, en tant qu'enquêteur, nous n'avons eu aucun problème sur le terrain.
•L'étude relève un surpeuplement des prisons. Quelles sont les zones les plus concernées ?
C'est la zone gouvernementale, notamment la zone de Vavoua où une prison d'une capacité de 300 personnes accueille 1.500 détenus. Il y a aussi la Maca qui a une capacité de 1.500 personnes et qui accueille plus de 5.040 prisonniers. En zone CNO, les prisons ne sont pas surpeuplées. C'est le constat que nous avons fait.
•Pourquoi ?
En zone Forces nouvelles il n'y a pas de système judiciaire qui fonctionne. Les détentions finissent toujours par un règlement à l'amiable. Il n'y a pas de solution judiciaire parce que la détention n'est pas fondée sur la loi. Ce n'est pas un organe juridictionnel qui tranche. Ce sont les parties qui trouvent un terrain d'entente.
•Avez-vous cherché à savoir les raisons du surpeuplement en zone gouvernementale ?
Ces raisons sont diverses. Elles sont liées à la lenteur des procédures judiciaires, à la politique carcérale. Les clauses de procédure pénale prévoient qu'on doit pouvoir faire des libérations conditionnelles, la grâce présidentielle. Ce sont des arsenaux juridiques pour décongestionner les prisons au fur et à mesure. Depuis quelques années, il n'y a pas de grâce présidentielle, pas de liberté conditionnelle. Il n'y a pas de principe de la présomption d'innocence, qui veut que tout accusé est présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité soit établie à la suite d'un procès. Dès que vous arrivez, même si vous avez une garantie de représentation, on vous envoie d'abord en prison, quitte à venir faire après une demande de mise en liberté provisoire. C'est potentiellement l'inapplication des textes qui cause le surpeuplement des prisons.
•Que disent les textes en la matière?
En matière de détention, le principe c'est la liberté et l'exception c'est la détention. Cela veut dire que quand une personne est présentée devant un juge ou devant un officier de police judiciaire et qu'elle offre des garanties de représentation, il n'est pas nécessaire de la maintenir au violon ou en prison pour que l'enquête commence.
•La garantie de représentation, qu'est-ce que c'est ?
L'accusé se présente avec un avocat qui est inscrit. Ce dernier atteste qu'il connait sa maison, sa famille etc., et donc qu'on peut le laisser à sa charge. Et toutes fois que vous avez besoin de lui, il se charge de venir avec l'accusé. Il y a des personnes qui ont une famille, un travail, mais dès qu'elles arrivent, on les met en prison. Forcement les prisons vont se remplir.
•La loi n'est donc pas suivie ?
Oui, bien sûr, ils font l'inverse : l'exception est devenue la règle et la règle, l'exception.
•Y a-t-il des recours ? Pour les prisonniers de café cacao par exemple les avocats ont invoqué les mêmes dispositions juridiques mais, les prévenus sont toujours en prison.
Malheureusement, il n'y a pas de recours prévu. Concernant les prisonniers de café cacao, le seul recours c'est de saisir la chambre d'accusation et peut-être la Cour suprême. Encore que là, c'est la même politique. Est-ce que l'Etat veut véritablement que les principes soient respectés? Les prisonniers du café cacao ont des familles, des domiciles connus.
•Avez-vous pu évaluer le nombre de détenus qui sont dans cette situation ?
Non.
•N'y a-t-il pas d'autres raisons?
Les maisons d'arrêt qui sont construites sont inadaptées à l'évolution démographique. C'est une autre raison du surpeuplement. Il faut une multiplication des prisons et il faut qu'elles respectent une certaine norme. Une prison construite pour 5.000 personnes ne doit pas accueillir 11.000. Quand l'effectif est atteint, vous avez l'obligation d'envoyer le surplus de prisonniers dans d'autres prisons, ou construire de nouvelles prisons.
•Les conséquences ce sont les conditions précaires dans lesquelles vivent les prisonniers. Quelle est la réalité de cette situation ?
La précarité touche tous les prisonniers enfermés dans nos maisons de correction aujourd'hui. Nous avons des locaux exigus de deux mètres sur deux, où quatre à cinq personnes sont obligées de s'entasser. Elles ont un seul repas par jour. Au niveau de la Maca, la cuisine commence à 5 h pour finir à 18 h. On est obligé de servir les caïds pour ne pas qu'ils se révoltent. Ensuite, au fur et à mesure on sert tout le reste de la prison. De telle sorte que les prisonniers ne mangent qu'une seule fois. Quand on fait le ratio, ce qu'ils reçoivent, c'est l'équivalent de 125 Fcfa par jour. C'est du maïs bouilli. Une alimentation invariable. Chaque jour c'est le même repas. Mais, la Maca est une prison 5 étoiles par rapport aux prisons de l'intérieur. Quand vous allez à Dabou, ou quand vous allez à Grand-Bassam, c'est pire.
•Qu'avez-vous constaté dans ces villes?
A Grand-Bassam, c'est surtout le manque d'hygiène. Alors que nous avons un décret de 1969 qui fait obligation à l'Etat de tenir compte de tous ces éléments pour la détention des personnes. Les murs sont sales, les prisons ne sont jamais désinfectées. Il faut, au niveau des organismes extérieurs à l'Etat comme le CICR(Comité international de la Croix rouge), désinfecter les prisons. L'Etat n'a pas les moyens. C'est pareil à Sassandra.
•Et zone CNO ?
J'étais dans une délégation récemment, pas dans le cadre de cette étude, mais avec la division des droits de l'Homme de l'Onuci. Nous avons visité la prison d'Odienné. Les conditions de détention des prisonniers là-bas sont indescriptibles. Le local de détention sert en même temps de local pour les besoins naturels. Les toilettes ne sont pas vidées. Et au fur et à mesure, les prisonniers sont engloutis par leurs déchets. Les conditions d'aération de ces maisons laissent à désirer. La prison est hermétiquement fermée.
•Ce n'est pas la prison ordinaire?
Non. Il on choisi un autre local, un magasin, pour servir de prison. Ils y font tous leurs besoins. Comme arguments, les autorités affirment que ce sont des prisonniers dangereux qui ne doivent pas sortir. C'est des pro X, pro Y, etc. Conséquence, ces prisonniers prennent des maladies dans ces conditions.
•Savez-vous le nombre de personnes mortes dans ces conditions?
Notre constat devait être de visu. C'était de voir si la ration alimentaire est compatible, s'il y a un suivi médical. Concernant les morts, nous n'avons pas fait de statistiques.
•Que dit la loi sur les conditions de détention des prisonniers ?
La loi fait en sorte que le prisonnier puisse, quelle que soit la faute qu'il a commise demeurer homme. Cela signifie qu'il a droit à la santé, à la nourriture, à l'hygiène. Ce n'est pas parce qu'on est prisonnier qu'on n'est plus un homme. La loi fait en sorte que le prisonnier ait tous ses droits d'Homme. La seule chose qu'il n'a pas, c'est la liberté d'aller et de venir.
•Quelle est votre analyse personnelle au vu de tout ce que vous constatez?
La cause profonde, c'est qu'on se donne des lois, mais on pense que ces lois, ce sont les autres qui doivent les appliquer et non l'Etat. C'est la question de l'Etat de droit. C'est l'Etat qui donne des lois et qui est soumis à ces lois. Mais chez nous ici, l'Etat donne des lois et pense qu'il n'est pas justiciable de ces lois. C'est la cause première. Le décret a été pris en 1969. Depuis cette date, la loi dit que le prisonnier demeure un homme même en prison. Seulement, il n'a pas la liberté d'aller et de venir. Si vous créez des prisons, et que vous vous estimez un Etat de droit, vous vous devez de respecter les normes que vous vous êtes donné. C'est cela le véritable problème. Il faut une volonté politique pour appliquer la loi. Généralement, cette volonté n'est pas là. Les politiciens disent qu'ils ont d'autres impératifs, c'est-à-dire les élections. On ne s'occupe pas du prisonnier. Ce n'est pas d’ailleurs le seul secteur délaissé faute de volonté, il y a aussi l'éducation.
•Le rapport dit que dans les commissariats de police et brigades de gendarmerie, des tâches dévolues aux agents sont exécutées par des civils. Quelle explication ?
C'est ce que je vous disais. La loi n'est pas appliquée. On ne peut pas faire une tâche dévolue à un gendarme si on n'est pas gendarme. L'argument avancé, c'est qu'ils n'ont pas les moyens. Ils commencent par envoyer des civils faire des photocopies et de ces photocopies, ces civils commencent à s'installer dans les bureaux. C'est le manque de suivi. Aujourd'hui, les commissariats sont livrés à eux-mêmes de telle sorte qu'ils sont contraints de faire avec les moyens de bord.
•Quelle comparaison faites-vous entre les conditions de détention dans les prisons et celles des violons ?
Ce sont les mêmes conditions. Dans les commissariats, les violons sont assez insalubres. Dès que vous y entrez, des odeurs nauséabondes vous accueillent.
•Que disent les textes à ce niveau?
Au commissariat, vous êtes encore à l'état de mise en cause. Des soupçons pèsent sur vous. Vous bénéficiez du principe de la présomption d'innocence. Mais, on vous casse le moral en vous mettant dans un endroit insalubre. Je ne sais pas si cela répond à ce besoin. Ce n'est pas compatible avec l'activité humaine. Les lieux de détention doivent être propres.
•Peut-être que l'insalubrité est utilisée pour punir !
Je suis d'accord. Qu'ils pensent ainsi jusqu'à ce qu'ils se retrouvent eux-mêmes dans cette situation et qu'ils comprennent la souffrance des prisonniers. Pour vous dire que l'homme demeure l'homme. Nous sommes une association de défense des droits de l'homme, nous disons qu'on peut suspendre certains de ses droits, mais il demeure homme. Il doit être traité avec toute la dignité nécessaire. Voilà notre combat.
•Quelle suite comptez-vous donner à cette enquête ?
Nous allons faire une interpellation sur l'état des lieux pour attirer l'attention. Des associations ont manifesté leur volonté de s'associer à nous pour qu'on puisse avoir un suivi constant. Notre rôle est de dénoncer, révéler à la population ce qui se passe. On peut maintenant pouvoir suivre les conditions de détention des prisonniers au quotidien puisqu'il y a des défaillances. Le parquet, je vous le disais, a pour obligation de s'informer sur les conditions de détention des mis en cause et voir si les normes sont suivies. Nous sommes sur le terrain. On pourra suppléer aux défaillances de l'Etat en étant sur le terrain. C'est la même chose au niveau des prisons. Je vous disais que ce sont des Ong comme le CICR qui désinfectent les prisons. Je pense que dans un réseau, on pourra faire un projet qui va nous permettre d'améliorer les conditions de détention tant en prison que dans les violons.
Interview réalisée par Cissé Sindou
•Y a-t-il un fait ou une alerte particulière qui vous a amené à faire cette enquête ?
Au niveau des maisons d'arrêt et de correction, les prisonniers se révoltent pour protester contre leurs conditions de détention. La presse en fait l'écho. Nous nous sommes demandé pourquoi autant d'évasions. Nous avons élaboré un projet qui a eu l'assentiment du Ned, une agence américaine, qui a bien voulu financer l'étude.
•Vous avez visité 17 prisons sur les 33 que compte le pays. Pourquoi 17 ?
Pour des raisons d'ordre financier. Nous n'avions pas de moyens pour couvrir toutes les prisons et tous les lieux de détention.
•Quels sont les difficultés que vous avez rencontrées au cours de cette enquête ?
Pour tenir l'enquête, il faut forcement avoir l'accord des autorités gouvernementales. La seule difficulté pour avoir accès aux prisons, c'était le commandement supérieur de la gendarmerie. Le ministère de la Défense ne nous a pas donné d'autorisation. Mais, nous avons pallié cette absence d'autorisation par le fait qu'en zone gouvernementale, les détentions se font sous l'autorité du procureur de la République. C'est le parquet qui gère l'activité des officiers de police judiciaire, qu'ils soient gendarmes au policiers. Nous avons continué la discussion en nous adressant au procureur qui nous a autorisé à visiter les lieux de détention, puisque nous avions l'autorisation du ministère de la Justice. Nous avons visité des violons gérés par des gendarmes, c'est-à-dire les violons de la gendarmerie. Les Forces nouvelles nous ont donné une autorisation globale qui couvrait l'ensemble de leur zone.
•Comment s'est déroulé le travail dans cette zone ?
Nous y avons visité deux prisons. Sur le terrain il y a parfois eu des suspicions entre les différents postes de commandement à cause du fait que les détenus, là-bas, sont traités souvent de pro X ou de pro Y. Si nous ne faisions pas attention, on aurait pu nous traiter de favoriser tel au lieu de tel autre. C'est cette méfiance que nous avons rencontrée sur le terrain. Sinon, en tant qu'enquêteur, nous n'avons eu aucun problème sur le terrain.
•L'étude relève un surpeuplement des prisons. Quelles sont les zones les plus concernées ?
C'est la zone gouvernementale, notamment la zone de Vavoua où une prison d'une capacité de 300 personnes accueille 1.500 détenus. Il y a aussi la Maca qui a une capacité de 1.500 personnes et qui accueille plus de 5.040 prisonniers. En zone CNO, les prisons ne sont pas surpeuplées. C'est le constat que nous avons fait.
•Pourquoi ?
En zone Forces nouvelles il n'y a pas de système judiciaire qui fonctionne. Les détentions finissent toujours par un règlement à l'amiable. Il n'y a pas de solution judiciaire parce que la détention n'est pas fondée sur la loi. Ce n'est pas un organe juridictionnel qui tranche. Ce sont les parties qui trouvent un terrain d'entente.
•Avez-vous cherché à savoir les raisons du surpeuplement en zone gouvernementale ?
Ces raisons sont diverses. Elles sont liées à la lenteur des procédures judiciaires, à la politique carcérale. Les clauses de procédure pénale prévoient qu'on doit pouvoir faire des libérations conditionnelles, la grâce présidentielle. Ce sont des arsenaux juridiques pour décongestionner les prisons au fur et à mesure. Depuis quelques années, il n'y a pas de grâce présidentielle, pas de liberté conditionnelle. Il n'y a pas de principe de la présomption d'innocence, qui veut que tout accusé est présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité soit établie à la suite d'un procès. Dès que vous arrivez, même si vous avez une garantie de représentation, on vous envoie d'abord en prison, quitte à venir faire après une demande de mise en liberté provisoire. C'est potentiellement l'inapplication des textes qui cause le surpeuplement des prisons.
•Que disent les textes en la matière?
En matière de détention, le principe c'est la liberté et l'exception c'est la détention. Cela veut dire que quand une personne est présentée devant un juge ou devant un officier de police judiciaire et qu'elle offre des garanties de représentation, il n'est pas nécessaire de la maintenir au violon ou en prison pour que l'enquête commence.
•La garantie de représentation, qu'est-ce que c'est ?
L'accusé se présente avec un avocat qui est inscrit. Ce dernier atteste qu'il connait sa maison, sa famille etc., et donc qu'on peut le laisser à sa charge. Et toutes fois que vous avez besoin de lui, il se charge de venir avec l'accusé. Il y a des personnes qui ont une famille, un travail, mais dès qu'elles arrivent, on les met en prison. Forcement les prisons vont se remplir.
•La loi n'est donc pas suivie ?
Oui, bien sûr, ils font l'inverse : l'exception est devenue la règle et la règle, l'exception.
•Y a-t-il des recours ? Pour les prisonniers de café cacao par exemple les avocats ont invoqué les mêmes dispositions juridiques mais, les prévenus sont toujours en prison.
Malheureusement, il n'y a pas de recours prévu. Concernant les prisonniers de café cacao, le seul recours c'est de saisir la chambre d'accusation et peut-être la Cour suprême. Encore que là, c'est la même politique. Est-ce que l'Etat veut véritablement que les principes soient respectés? Les prisonniers du café cacao ont des familles, des domiciles connus.
•Avez-vous pu évaluer le nombre de détenus qui sont dans cette situation ?
Non.
•N'y a-t-il pas d'autres raisons?
Les maisons d'arrêt qui sont construites sont inadaptées à l'évolution démographique. C'est une autre raison du surpeuplement. Il faut une multiplication des prisons et il faut qu'elles respectent une certaine norme. Une prison construite pour 5.000 personnes ne doit pas accueillir 11.000. Quand l'effectif est atteint, vous avez l'obligation d'envoyer le surplus de prisonniers dans d'autres prisons, ou construire de nouvelles prisons.
•Les conséquences ce sont les conditions précaires dans lesquelles vivent les prisonniers. Quelle est la réalité de cette situation ?
La précarité touche tous les prisonniers enfermés dans nos maisons de correction aujourd'hui. Nous avons des locaux exigus de deux mètres sur deux, où quatre à cinq personnes sont obligées de s'entasser. Elles ont un seul repas par jour. Au niveau de la Maca, la cuisine commence à 5 h pour finir à 18 h. On est obligé de servir les caïds pour ne pas qu'ils se révoltent. Ensuite, au fur et à mesure on sert tout le reste de la prison. De telle sorte que les prisonniers ne mangent qu'une seule fois. Quand on fait le ratio, ce qu'ils reçoivent, c'est l'équivalent de 125 Fcfa par jour. C'est du maïs bouilli. Une alimentation invariable. Chaque jour c'est le même repas. Mais, la Maca est une prison 5 étoiles par rapport aux prisons de l'intérieur. Quand vous allez à Dabou, ou quand vous allez à Grand-Bassam, c'est pire.
•Qu'avez-vous constaté dans ces villes?
A Grand-Bassam, c'est surtout le manque d'hygiène. Alors que nous avons un décret de 1969 qui fait obligation à l'Etat de tenir compte de tous ces éléments pour la détention des personnes. Les murs sont sales, les prisons ne sont jamais désinfectées. Il faut, au niveau des organismes extérieurs à l'Etat comme le CICR(Comité international de la Croix rouge), désinfecter les prisons. L'Etat n'a pas les moyens. C'est pareil à Sassandra.
•Et zone CNO ?
J'étais dans une délégation récemment, pas dans le cadre de cette étude, mais avec la division des droits de l'Homme de l'Onuci. Nous avons visité la prison d'Odienné. Les conditions de détention des prisonniers là-bas sont indescriptibles. Le local de détention sert en même temps de local pour les besoins naturels. Les toilettes ne sont pas vidées. Et au fur et à mesure, les prisonniers sont engloutis par leurs déchets. Les conditions d'aération de ces maisons laissent à désirer. La prison est hermétiquement fermée.
•Ce n'est pas la prison ordinaire?
Non. Il on choisi un autre local, un magasin, pour servir de prison. Ils y font tous leurs besoins. Comme arguments, les autorités affirment que ce sont des prisonniers dangereux qui ne doivent pas sortir. C'est des pro X, pro Y, etc. Conséquence, ces prisonniers prennent des maladies dans ces conditions.
•Savez-vous le nombre de personnes mortes dans ces conditions?
Notre constat devait être de visu. C'était de voir si la ration alimentaire est compatible, s'il y a un suivi médical. Concernant les morts, nous n'avons pas fait de statistiques.
•Que dit la loi sur les conditions de détention des prisonniers ?
La loi fait en sorte que le prisonnier puisse, quelle que soit la faute qu'il a commise demeurer homme. Cela signifie qu'il a droit à la santé, à la nourriture, à l'hygiène. Ce n'est pas parce qu'on est prisonnier qu'on n'est plus un homme. La loi fait en sorte que le prisonnier ait tous ses droits d'Homme. La seule chose qu'il n'a pas, c'est la liberté d'aller et de venir.
•Quelle est votre analyse personnelle au vu de tout ce que vous constatez?
La cause profonde, c'est qu'on se donne des lois, mais on pense que ces lois, ce sont les autres qui doivent les appliquer et non l'Etat. C'est la question de l'Etat de droit. C'est l'Etat qui donne des lois et qui est soumis à ces lois. Mais chez nous ici, l'Etat donne des lois et pense qu'il n'est pas justiciable de ces lois. C'est la cause première. Le décret a été pris en 1969. Depuis cette date, la loi dit que le prisonnier demeure un homme même en prison. Seulement, il n'a pas la liberté d'aller et de venir. Si vous créez des prisons, et que vous vous estimez un Etat de droit, vous vous devez de respecter les normes que vous vous êtes donné. C'est cela le véritable problème. Il faut une volonté politique pour appliquer la loi. Généralement, cette volonté n'est pas là. Les politiciens disent qu'ils ont d'autres impératifs, c'est-à-dire les élections. On ne s'occupe pas du prisonnier. Ce n'est pas d’ailleurs le seul secteur délaissé faute de volonté, il y a aussi l'éducation.
•Le rapport dit que dans les commissariats de police et brigades de gendarmerie, des tâches dévolues aux agents sont exécutées par des civils. Quelle explication ?
C'est ce que je vous disais. La loi n'est pas appliquée. On ne peut pas faire une tâche dévolue à un gendarme si on n'est pas gendarme. L'argument avancé, c'est qu'ils n'ont pas les moyens. Ils commencent par envoyer des civils faire des photocopies et de ces photocopies, ces civils commencent à s'installer dans les bureaux. C'est le manque de suivi. Aujourd'hui, les commissariats sont livrés à eux-mêmes de telle sorte qu'ils sont contraints de faire avec les moyens de bord.
•Quelle comparaison faites-vous entre les conditions de détention dans les prisons et celles des violons ?
Ce sont les mêmes conditions. Dans les commissariats, les violons sont assez insalubres. Dès que vous y entrez, des odeurs nauséabondes vous accueillent.
•Que disent les textes à ce niveau?
Au commissariat, vous êtes encore à l'état de mise en cause. Des soupçons pèsent sur vous. Vous bénéficiez du principe de la présomption d'innocence. Mais, on vous casse le moral en vous mettant dans un endroit insalubre. Je ne sais pas si cela répond à ce besoin. Ce n'est pas compatible avec l'activité humaine. Les lieux de détention doivent être propres.
•Peut-être que l'insalubrité est utilisée pour punir !
Je suis d'accord. Qu'ils pensent ainsi jusqu'à ce qu'ils se retrouvent eux-mêmes dans cette situation et qu'ils comprennent la souffrance des prisonniers. Pour vous dire que l'homme demeure l'homme. Nous sommes une association de défense des droits de l'homme, nous disons qu'on peut suspendre certains de ses droits, mais il demeure homme. Il doit être traité avec toute la dignité nécessaire. Voilà notre combat.
•Quelle suite comptez-vous donner à cette enquête ?
Nous allons faire une interpellation sur l'état des lieux pour attirer l'attention. Des associations ont manifesté leur volonté de s'associer à nous pour qu'on puisse avoir un suivi constant. Notre rôle est de dénoncer, révéler à la population ce qui se passe. On peut maintenant pouvoir suivre les conditions de détention des prisonniers au quotidien puisqu'il y a des défaillances. Le parquet, je vous le disais, a pour obligation de s'informer sur les conditions de détention des mis en cause et voir si les normes sont suivies. Nous sommes sur le terrain. On pourra suppléer aux défaillances de l'Etat en étant sur le terrain. C'est la même chose au niveau des prisons. Je vous disais que ce sont des Ong comme le CICR qui désinfectent les prisons. Je pense que dans un réseau, on pourra faire un projet qui va nous permettre d'améliorer les conditions de détention tant en prison que dans les violons.
Interview réalisée par Cissé Sindou