La-croix - Avec la réouverture du lycée français Blaise-Pascal et le retour au calme, la communauté française d’Abidjan se reforme peu à peu
A l’ombre des arbres, Ali devise sagement avec des lycéens de sa classe. Ils sont ivoiriens, franco-ivoiriens, français, libanais ou étrangers, fils ou filles de personnels d’ambassade, de chefs d’entreprise, de hauts fonctionnaires, d’expatriés, de commerçants d’Abidjan… Tous patientent entre deux cours, dans les jardins impeccables du collège et lycée français Blaise-Pascal. Ali a rejoint le prestigieux établissement dès la réouverture, à la rentrée 2008, après quatre années d’interruption de toute activité.
Dans la cour, l’adolescent fait figure d’ancien. Il était déjà là quand Blaise-Pascal a fermé ses portes lors des violences antifrançaises de novembre 2004, menées par des jeunes « patriotes » soutenus par la présidence. Alors qu’il était évacué par la force française Licorne, son lycée était pillé de fond en comble. Fin des cours. Sans dire adieu à ses copains de classe, Ali gagnait la France. « J’ai passé un an dans un collège de Bordeaux, avant de revenir à Abidjan suivre des leçons par correspondance, raconte-t-il. J’ai pris du retard. Ici, le niveau est très relevé, l’ambiance tranquille, et la discipline stricte. Y étudier est une chance. »
Avec son parc aux essences rares, ses pelouses proprement taillées, ses terrains de basket-ball, volley-ball, football et badminton, sa piscine, ses bâtiments climatisés, ses ordinateurs dernier cri, son matériel scientifique, Blaise-Pascal « est le plus bel établissement français à l’étranger », selon le proviseur Maurice Demailly. Il accueille aujourd’hui 950 élèves, principalement des Français, des Ivoiriens ou des binationaux.
Parmi les 8.000 rapatriées, la majorité n’est jamais retournée en Côte d’Ivoire
Y suivre les cours coûte cher. Il faut compter entre 2.300.000 francs CFA (3.511 €) et 2.600.000 (4.270 €) par an pour les frais de scolarité. La reconstruction du lycée français d’Abidjan à l’identique a été entièrement financée par le gouvernement de Côte d’Ivoire. « Blaise-Pascal est un projet pédagogique autant à destination de la communauté ivoirienne que française, précise Jean-François Chauveau, président de l’Aref, l’Association pour la réouverture des écoles françaises. C’est un établissement indispensable à la formation des futurs cadres dont le pays a besoin. Par ailleurs, la réhabilitation de l’école primaire Jacques-Prévert, là encore avec des fonds publics ivoiriens, est programmée pour la rentrée 2010. »
Au sein de la communauté française d’Abidjan, la rentrée des classes à Blaise-Pascal a été le temps fort de l’année. Le signe d’un retour progressif à la normale. « Des familles éclatées se sont recomposées, se félicite Catherine Rechenmann, présidente de l’Union des Français de Côte d’Ivoire. Des enfants scolarisés en Europe ou dans les pays voisins sont revenus vivre auprès de leurs parents.» Le nombre de ressortissants immatriculés au consulat de France a grimpé en conséquence, pour atteindre les 12.300, dont la moitié de Franco-Ivoiriens. La communauté est cependant très loin d’avoir regagné ses effectifs de novembre 2004, date à laquelle le pays accueillait 16.000 Français.
Parmi les 8.000 personnes rapatriées vers Paris pendant les violences, la majorité n’est jamais retournée en Côte d’Ivoire. Pas seulement par peur du danger : beaucoup ont manqué des ressources financières nécessaires pour relancer leur entreprise. « Il reste environ 400 PME françaises aujourd’hui en Côte d’Ivoire, contre 800 auparavant, précise le consul de France, Alain Ferré. Ceux qui avaient encore des intérêts économiques sur place ont rapidement regagné leur bureau. »
Profil bas
Et puis, il y a ceux qui n’ont jamais quitté la Côte d’Ivoire. La très grande majorité des prêtres, des missionnaires et des sœurs. Des chefs d’entreprise aussi. Des retraités enfin, à l’instar de Jean-Max Mezzadri, ancien universitaire, installé en Côte d’Ivoire depuis 1969. Porte-parole de l’Association des Français du renouveau, il a vu les préoccupations de ses compatriotes se modifier au fur et à mesure que la tension politique baissait. « Longtemps, la sécurité est restée le sujet numéro un dans les conversations, témoigne-t-il. Aujourd’hui, c’est l’emploi et la formation des enfants qui inquiètent d’abord notre communauté. »
Dans la capitale économique ivoirienne, la vie sociale et culturelle des ressortissants reste néanmoins plus limitée qu’avant les violences. Le centre culturel français attend toujours la fin de la crise politique pour être rouvert. Les échanges entre communautés se font plus rares. Les makis, ces restaurants typiquement ivoiriens, accueillent moins d’expatriés. Le soir venu, chacun hésite à sortir, ferme son verrou à double tour. « Notre communauté s’est recroquevillée », observe un Français qui requiert l’anonymat.
Ses compatriotes se tiennent soigneusement à l’écart des conflits politiques qui paralysent et coupent en deux le pays. Le maître mot pour la plupart d’entre eux : profil bas. « Par le passé, nous avons aussi commis des erreurs énormes, juge Catherine Rechenmann. Cette crise a remis les pendules à l’heure. Je ne suis pas chez moi ici, en Côte d’Ivoire, même si je m’y sens mieux qu’en France. C’est un pays d’accueil. Il ne faut jamais l’oublier. »
Olivier TALLÈS, à Abidjan (Côte d’Ivoire)
A l’ombre des arbres, Ali devise sagement avec des lycéens de sa classe. Ils sont ivoiriens, franco-ivoiriens, français, libanais ou étrangers, fils ou filles de personnels d’ambassade, de chefs d’entreprise, de hauts fonctionnaires, d’expatriés, de commerçants d’Abidjan… Tous patientent entre deux cours, dans les jardins impeccables du collège et lycée français Blaise-Pascal. Ali a rejoint le prestigieux établissement dès la réouverture, à la rentrée 2008, après quatre années d’interruption de toute activité.
Dans la cour, l’adolescent fait figure d’ancien. Il était déjà là quand Blaise-Pascal a fermé ses portes lors des violences antifrançaises de novembre 2004, menées par des jeunes « patriotes » soutenus par la présidence. Alors qu’il était évacué par la force française Licorne, son lycée était pillé de fond en comble. Fin des cours. Sans dire adieu à ses copains de classe, Ali gagnait la France. « J’ai passé un an dans un collège de Bordeaux, avant de revenir à Abidjan suivre des leçons par correspondance, raconte-t-il. J’ai pris du retard. Ici, le niveau est très relevé, l’ambiance tranquille, et la discipline stricte. Y étudier est une chance. »
Avec son parc aux essences rares, ses pelouses proprement taillées, ses terrains de basket-ball, volley-ball, football et badminton, sa piscine, ses bâtiments climatisés, ses ordinateurs dernier cri, son matériel scientifique, Blaise-Pascal « est le plus bel établissement français à l’étranger », selon le proviseur Maurice Demailly. Il accueille aujourd’hui 950 élèves, principalement des Français, des Ivoiriens ou des binationaux.
Parmi les 8.000 rapatriées, la majorité n’est jamais retournée en Côte d’Ivoire
Y suivre les cours coûte cher. Il faut compter entre 2.300.000 francs CFA (3.511 €) et 2.600.000 (4.270 €) par an pour les frais de scolarité. La reconstruction du lycée français d’Abidjan à l’identique a été entièrement financée par le gouvernement de Côte d’Ivoire. « Blaise-Pascal est un projet pédagogique autant à destination de la communauté ivoirienne que française, précise Jean-François Chauveau, président de l’Aref, l’Association pour la réouverture des écoles françaises. C’est un établissement indispensable à la formation des futurs cadres dont le pays a besoin. Par ailleurs, la réhabilitation de l’école primaire Jacques-Prévert, là encore avec des fonds publics ivoiriens, est programmée pour la rentrée 2010. »
Au sein de la communauté française d’Abidjan, la rentrée des classes à Blaise-Pascal a été le temps fort de l’année. Le signe d’un retour progressif à la normale. « Des familles éclatées se sont recomposées, se félicite Catherine Rechenmann, présidente de l’Union des Français de Côte d’Ivoire. Des enfants scolarisés en Europe ou dans les pays voisins sont revenus vivre auprès de leurs parents.» Le nombre de ressortissants immatriculés au consulat de France a grimpé en conséquence, pour atteindre les 12.300, dont la moitié de Franco-Ivoiriens. La communauté est cependant très loin d’avoir regagné ses effectifs de novembre 2004, date à laquelle le pays accueillait 16.000 Français.
Parmi les 8.000 personnes rapatriées vers Paris pendant les violences, la majorité n’est jamais retournée en Côte d’Ivoire. Pas seulement par peur du danger : beaucoup ont manqué des ressources financières nécessaires pour relancer leur entreprise. « Il reste environ 400 PME françaises aujourd’hui en Côte d’Ivoire, contre 800 auparavant, précise le consul de France, Alain Ferré. Ceux qui avaient encore des intérêts économiques sur place ont rapidement regagné leur bureau. »
Profil bas
Et puis, il y a ceux qui n’ont jamais quitté la Côte d’Ivoire. La très grande majorité des prêtres, des missionnaires et des sœurs. Des chefs d’entreprise aussi. Des retraités enfin, à l’instar de Jean-Max Mezzadri, ancien universitaire, installé en Côte d’Ivoire depuis 1969. Porte-parole de l’Association des Français du renouveau, il a vu les préoccupations de ses compatriotes se modifier au fur et à mesure que la tension politique baissait. « Longtemps, la sécurité est restée le sujet numéro un dans les conversations, témoigne-t-il. Aujourd’hui, c’est l’emploi et la formation des enfants qui inquiètent d’abord notre communauté. »
Dans la capitale économique ivoirienne, la vie sociale et culturelle des ressortissants reste néanmoins plus limitée qu’avant les violences. Le centre culturel français attend toujours la fin de la crise politique pour être rouvert. Les échanges entre communautés se font plus rares. Les makis, ces restaurants typiquement ivoiriens, accueillent moins d’expatriés. Le soir venu, chacun hésite à sortir, ferme son verrou à double tour. « Notre communauté s’est recroquevillée », observe un Français qui requiert l’anonymat.
Ses compatriotes se tiennent soigneusement à l’écart des conflits politiques qui paralysent et coupent en deux le pays. Le maître mot pour la plupart d’entre eux : profil bas. « Par le passé, nous avons aussi commis des erreurs énormes, juge Catherine Rechenmann. Cette crise a remis les pendules à l’heure. Je ne suis pas chez moi ici, en Côte d’Ivoire, même si je m’y sens mieux qu’en France. C’est un pays d’accueil. Il ne faut jamais l’oublier. »
Olivier TALLÈS, à Abidjan (Côte d’Ivoire)