SEM. Park Yoon-june, ambassadeur de la République de la Corée du Sud en Côte d’Ivoire,
donne l’orientation de la politique de coopération de son pays.
Excellence, quelle analyse faites-vous du processus de sortie de crise en Côte d’Ivoire avec l’élection présidentielle qui aura lieu le 29 novembre prochain?
Je suis particulièrement admiratif devant l’engagement des leaders ivoiriens quant à l’application de cet accord. Vous savez, il n’y a jamais de mauvais accords ; tout dépend de la volonté et de l’engagement sincère qui animent les signataires. Plus que tout autre accord politique, celui de Ouagadougou a bénéficié de l’engagement de tous les leaders ivoiriens ; c’est ce qui constitue sa force. Mais il ne faut pas occulter la communauté internationale dont le soutien est très important pour une application sereine de cet accord politique. Aujourd’hui, le processus se déroule très bien, l’identification prend fin le 30 juin, l’administration a été déployé, la communauté internationale est également déterminée non seulement à accompagner le processus à travers l’Onuci et le Pnud, mais également à encourager les Ivoiriens à garder le cap qui leur a valu d’atteindre le point de décision de l’initiative Ppte (Pays pauvres très endettés).
Pensez-vous que tout est réglé pour aller à l’élection présidentielle?
Tout détail mis à part, il ne reste que le désarmement. Je crois aussi qu’à entendre les discours des uns et des autres, tous sont fatigués de cette crise et appellent les élections de tous leurs vœux. Les militaires ne sont pas en reste: le Centre de commandement intégré (Cci) a été mis en place et commence son déploiement, le démantèlement des milices est en cours, les Forces nouvelles se préparent à fournir leurs 5000 éléments requis pour la nouvelle armée, etc. Tout ceci me permet de rester optimiste quant à la sortie définitive de la crise.
En ce qui concerne les élections, vous constatez avec moi que les campagnes ont déjà commencé; tous les leaders politiques parcourent l’ensemble du pays et présentent leur programme de gouvernement. C’est dire que tous entrevoient les élections pour très bientôt. Nous ne pouvons qu’encourager les Ivoiriens dans cet élan.
Excellence, quel est aujourd’hui le niveau de coopération entre la Côte d’Ivoire et la Corée du Sud?
Toute coopération est dynamique. Elle est assujettie aux conditions endogènes et exogènes. Cela signifie qu’en fonction des circonstances, la coopération entre deux pays peut connaître des périodes alternatives de fléchissement et de rebondissement. Seulement, dans le cas de la coopération bilatérale entre la République de Corée et la République de Côte d’Ivoire, la coopération est demeurée évolutive depuis l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays en 1962.
Au-delà des soutiens mutuels sur le plan international, qui ont longtemps émaillé les liens de coopération entre les deux pays, et qui continuent d’être renforcés, la République de Corée a décidé de partager son expérience et les fruits de son développement avec la Côte d’Ivoire qui est parmi les pays à coopération privilégiée avec la Corée. Ainsi, depuis 2005, le volume de l’aide directe coréenne à la Côte d’Ivoire s’élève à environ 3,605 milliards de FCFA, repartis entre l’éducation, la santé et le renforcement des capacités, sans compter que chaque année une trentaine d’agents des services publics sont envoyés en formation en Corée.
Aujourd’hui, cette politique a pris du volume et compte s’attaquer aux causes de la pauvreté par la réalisation de grands projets d’intérêt général, comme la construction de barrage, la lutte contre certaines maladies endémiques telles que l’ulcère de Burili, etc. Dans le secteur privé, des partenariats se nouent dans les domaines des mines et de l’énergie. Et je crois que la fin de la crise sera encore plus déterminante dans l’engagement de la Corée en Côte d’Ivoire. Au total, je dirai que la coopération entre nos deux pays se porte très bien.
Y a-t-il un domaine où vous comptez intensifier cette coopération?
Bien sûr que ce sera dans les domaines où la Côte d’Ivoire a réellement besoin de soutien. Nous n’imposons pas un credo particulier, même si notre point de vue compte pour beaucoup. La coopération est avant tout une collaboration, une concertation. Donc si nous estimons que l’aide au développement à la Côte d’Ivoire serait profitable au pays dans le domaine de la santé ; par exemple, la Côte d’Ivoire peut arriver à tourner nos regards plutôt vers l’industrialisation. C’est cela la coopération.
Aujourd’hui, nous maintenons la coopération au niveau de l’éducation, la santé et le renforcement des capacités. Pour nous, et nous pensons que les autorités ivoiriennes partagent ce point de vue, ce sont des éléments clés pour un pays qui ambitionne de se développer. Si vous n’êtes pas en bonne santé, vous ne pouvez pas travailler pour le développement ; si le pays ne dispose pas non plus de main-d’œuvre qualifiée, fruit de l’éducation, son développement sera également compromis. Cependant, mon ambition personnelle, c’est d’encourager les échanges commerciaux entre nos deux pays et l’implantation d’unités industrielles coréennes en Côte d’Ivoire.
Vous avez fait des dons au gouvernement ivoirien et aux collectivités locales à l’intérieur du pays. Dans quelle stratégie de coopération inscrivez-vous ces actions?
Je crois qu’il faut inscrire ces actions dans le cadre du renforcement des capacités de l’administration ivoirienne. Ce n’est pas nouveau. Nous avons toujours fait des dons de matériel à l’administration, étant donné que c’est en premier lieu au gouvernement qu’il incombe de conduire le développement de ce pays. La nouveauté cependant serait au niveau des collectivités décentralisées. Il est vrai que des actions directes en faveur de celles-ci ne sont pas encore véritablement entreprises à grande échelle. Nous espérons qu’avec la paix qui pointe à l’horizon nous aurons une plus grande visibilité pour l’orientation de notre politique.
Les communautés locales doivent-elles remplir des conditions pour bénéficier de ces dons?
En matière de coopération bilatérale, on ne saurait parler de critères pour bénéficier d’un don. Comme je l’ai souligné plus haut, le processus est basé essentiellement sur des discussions, des concertations. Donc s’il advenait que nos actions s’étendent de façon marquée aux collectivités territoriales, nous procéderions de la même façon avec les ministères et autres institutions gouvernementales.
Néanmoins, et je crois que c’est ce que vous voulez savoir, il y a un minimum de critères standards. D’ailleurs, à l’occasion de mes visites dans certaines communautés locales, je suis arrivé à la conclusion qu’il faut que notre aide soit étendue à ces communautés qui sont directement affectées par la crise et qui de surcroît manquent de ressources. Notre nouvelle politique de coopération est à un stade initial. Elle s’améliorera en reflétant les besoins de ces communautés rurales. Au moment venu, nous en établirons les critères et conditions.
Pour l’instant, je peux vous assurer que mon intention d’étendre la coopération est très vive. C’est dans ce contexte que j’ai récemment encouragé mon gouvernement à soutenir la lutte contre l’ulcère de Burili, qui est une maladie invalidante touchant directement les populations rurales. Estimé à plus d’un milliard de francs CFA, je crois que ce projet sera forcément bénéfique aux départements et communautés où il sera mis en œuvre. Je me suis également engagé à encourager des ONG coréennes à soutenir les communautés locales dans les domaines de l’éducation, la santé et autres services communautaires.
La Corée du Sud a-t-elle un programme pour la reconstruction post-crise en Côte d’Ivoire?
Je crois que tous nos projets visent à soutenir la Côte d’Ivoire dans son processus de reconstruction et de relance économique. En d’autres termes, nous avons déjà commencé la coopération en ce qui concerne la reconstruction post-crise en Côte d’Ivoire : renforcement des capacités du gouvernement à travers des programmes spécifiques de formation des agents de l’Etat, les infrastructures dans le domaine de l’éducation et les projets de santé.
Fort de notre expérience de construction d’une Nation et de développement, nous nous tenons toujours prêts à partager cette expérience avec la Côte d’Ivoire. Nous continuerons également à apporter notre Aide publique au développement (Oda) pour le renforcement des capacités. A cet égard, je me réjouis du séminaire que nous organiserons le mois prochain, en collaboration avec le ministère des Ntic, pour partager notre expérience en matière de gouvernement électronique, en vue d’éveiller la conscience publique sur le retard numérique et d’aider la Côte d’Ivoire à concevoir ses propres stratégies de gouvernement électronique.
Convaincu que l’investissement privé est la source principale de développement et d’emploi, j’ai entrepris d’encourager les entreprises coréennes à venir étudier les possibilités d’investissement dans les secteurs des infrastructures, industriel et agricole. Je crois qu’ils se décideront lorsque la Côte d’Ivoire fournira un environnement beaucoup plus propice à l’investissement à la fin de la crise politique.
Sur le plan multilatéral, je voudrais vous informer que nous participons au budget de l’Onuci pour un montant annuel de 5 milliards de francs Cfa, depuis l’installation de cette institution en Côte d’Ivoire. Nous contribuons également au niveau du Pnud dans le cadre des microprojets à impact rapide, sans compter les autres agences de l’Onu dont le Hcr et le Pam. Même pour l’atteinte du point de décision de l’initiative Ppte, la Corée a été active en faveur de la Côte d’Ivoire. Vous voyez que nous sommes à ses côtés à presque tous le niveaux et nous continuerons à soutenir ce pays ami.
Quelles sont les mesures que votre pays a prises pour lutter contre la crise financière?
Face à la crise économique mondiale, le gouvernement coréen est passé immédiatement à plein régime dans la recherche de solutions. Le Président Lee Myung-bak a mis son administration dans un mode de gestion des situations d’urgence, avec la conviction que la crise actuelle est une chance pour la Corée de rejoindre les pays les plus avancés. Dans ce contexte, il a mis sur pied ce qu’on appelle aujourd’hui en Corée Le « Green New Deal », une politique conçue pour combiner la «croissance verte» et la création d’emplois. À court terme, le Green New Deal va répondre au récent ralentissement économique, et dans le moyen et long terme, il va stimuler la croissance dynamique afin de porter la Corée au niveau suivant de la croissance verte.
Le Président Lee a souligné à maintes reprises que “la croissance verte” est la meilleure façon de créer des emplois. Il a dit que son administration allait s’efforcer d’explorer de nouveaux moteurs de croissance dans trois secteurs verts : industries technologiques, industries de fusion de haute technologie et industries de services à valeur ajoutée.
Excellence, y a-t-il une stratégie concrète que votre pays a mise en place face à cette crise?
En fait, le pays a déjà commencé à planifier et à mettre en œuvre certains projets du «Green New Deal». L’idée maîtresse est le développement de technologies originales dans le domaine des technologies nouvelles et renouvelables, impliquant l’énergie solaire, éolienne et les piles à combustible. De 2009 à 2012, le gouvernement va investir 40 milliards de dollars dans ce projet en vue de produire 960.000 nouveaux emplois.
A quoi est due la prospérité que la Corée du Sud connaît depuis quelques années?
La Corée, tout comme la Côte d’Ivoire, était avant les années 1960 un pays agricole qui, de surcroît, ne pouvait même pas assurer l’autarcie des produits agricoles. Elle était un des pays les plus pauvres du monde qui avait besoin, pour plus de 50% du budget de l’Etat, d’un appui des bailleurs de fonds à la suite des 3 années de guerre (1950-1953).
Au-delà de ce soutien, le véritable moteur de développement a été le plan quinquennal économique des années 1960 qui était principalement tourné vers les marchés extérieurs. Nous avons commencé à exporter des produits simples à forte concentration de main-d’œuvre, consolidant ainsi la base de l’industrialisation du pays. Grâce à cette politique, depuis les années 1970, nous avons commencé à produire des articles à forte valeur ajoutée.
L’éducation a également été un important catalyseur de ce processus. En effet, vers 1945, l’année où la Corée a été libérée du joug japonais, le taux d’alphabétisme n’était pas élevé. Mais avec la politique du gouvernement qui a mis l’accent sur l’éducation dans les années 1950-60, ainsi que l’ardeur et la volonté des Coréens pour l’éducation, la transition dans les années 1970 vers une industrie à forte valeur ajoutée a été possible. Elle a permis de promouvoir la productivité industrielle du pays.
Quelle en a été la conséquence?
La Corée, sans ressources naturelles, mais avec une ressource humaine qualifiée, a pu, en effet, développer des industries à concentration de main-d’oeuvre comme l’industrie du textile. Les personnes qui ont appris la gestion et la technologie dans les quelques entreprises précurseurs ont également monté d’autres entreprises tournées vers l’exportation. Cette multiplication d’entreprises a accru la compétitivité des produits coréens sur le marché international, ainsi qu’une augmentation des exportations des produits coréens. L’histoire des 50 dernières années montre que les pays qui ont prôné l’industrie d’exportation sont devenus plus compétitifs que les pays qui se sont concentrés sur le marché intérieur. La Corée fait partie de la première conception.En somme, la Corée d’aujourd’hui a été possible grâce à une ardeur pour l’éducation, la créativité et l’esprit de défi des entreprises, ainsi que la promotion de l’ouverture économique.
Votre voisin, la Corée du Nord, a lancé récemment des missiles malgré la mise en garde de la communauté internationale.
Que pensez-vous de la sécurité dans votre région?
Vous conviendrez avec moi que lorsque vous bâtissez votre maison et que votre voisin joue avec le feu, il y a de quoi s’inquiéter. Parce que lorsque ce feu va embraser sa maison, la vôtre ne sera pas épargnée. Le feu peut même aller jusqu’à des villes lointaines; c’est ce qu’on appelle prolifération. C’est pour cette raison que la communauté internationale a fermement condamné les essais nucléaires et tirs de missiles de la Corée du Nord. Ces essais nucléaires et le lancement des missiles constituent donc des menaces pour la paix et la sécurité non seulement dans la péninsule coréenne, mais également pour le monde en général.
Nous saluons, dans ce contexte, la résolution 1874 adoptée par le Conseil de sécurité de l’Onu le 12 juin 2009, renforçant les sanctions déjà prises contre la Corée du Nord. J’espère sincèrement que l’application stricte de cette résolution par l’ensemble de la communauté internationale conduira la Corée du Nord à renoncer à ses programmes nucléaires, y compris les armes nucléaires.
C’est le lieu de rappeler que la Corée du Nord est co-signataire avec la République de Corée de la déclaration commune de dénucléarisation de la Péninsule coréenne en 1992. Elle a également signé en 2005 et 2007 les Accords de pourparlers des six, qui ont réuni, outre les deux Corées, les Usa, la Russie, la Chine et le Japon. Mais ces différents engagements ne sont pas respectés par la Corée du Nord. Vous comprenez donc que la résolution de l’Onu soit adoptée à l’unanimité, y compris la Chine et la Russie. Pour revenir à votre question, il faut dire que la menace de la Corée du Nord est réelle pour la République de Corée, parce que la Corée du Nord peut aujourd’hui produire des armes nucléaires. Elle a déjà développé les moyens pour y parvenir. Mais rassurez-vous, la République de Corée, alliée à d’autres Etats comme les Etats-Unis d’Amérique, est solidement capable de prévenir tout risque d’insécurité dans la région et au-delà.
Le 4 mai, un navire nord-coréen en détresse face à des pirates somaliens a été secouru par
un navire de guerre sud-coréen. Excellence, comment qualifiez-vous ce geste?
Effectivement, le 4 mai un destroyer de notre flotte, envoyé dans le Golf d’Aden pour protéger les bateaux qui y transitent, a secouru un navire nord-coréen attaqué par des pirates somaliens. Malgré nos divergences et nos options politiques, nous restons un même peuple. Je ne pense pas que la Corée du Nord serait restée insensible si les rôles étaient inversés. Plus que cela, c’est un geste humanitaire à considérer comme tel. D’ailleurs, le même navire a secouru le 17 avril un navire danois poursuivi par des pirates somaliens. Tout compte fait, la République de Corée est dans une logique de recherche de la paix avec la Corée du Nord. Si ce geste peut contribuer à booster quelque peu ce processus et renvoyer la Corée du Nord sur la table des discussions, ce serait une bonne chose.
Interview réalisée par Ernest Aka Simon
donne l’orientation de la politique de coopération de son pays.
Excellence, quelle analyse faites-vous du processus de sortie de crise en Côte d’Ivoire avec l’élection présidentielle qui aura lieu le 29 novembre prochain?
Je suis particulièrement admiratif devant l’engagement des leaders ivoiriens quant à l’application de cet accord. Vous savez, il n’y a jamais de mauvais accords ; tout dépend de la volonté et de l’engagement sincère qui animent les signataires. Plus que tout autre accord politique, celui de Ouagadougou a bénéficié de l’engagement de tous les leaders ivoiriens ; c’est ce qui constitue sa force. Mais il ne faut pas occulter la communauté internationale dont le soutien est très important pour une application sereine de cet accord politique. Aujourd’hui, le processus se déroule très bien, l’identification prend fin le 30 juin, l’administration a été déployé, la communauté internationale est également déterminée non seulement à accompagner le processus à travers l’Onuci et le Pnud, mais également à encourager les Ivoiriens à garder le cap qui leur a valu d’atteindre le point de décision de l’initiative Ppte (Pays pauvres très endettés).
Pensez-vous que tout est réglé pour aller à l’élection présidentielle?
Tout détail mis à part, il ne reste que le désarmement. Je crois aussi qu’à entendre les discours des uns et des autres, tous sont fatigués de cette crise et appellent les élections de tous leurs vœux. Les militaires ne sont pas en reste: le Centre de commandement intégré (Cci) a été mis en place et commence son déploiement, le démantèlement des milices est en cours, les Forces nouvelles se préparent à fournir leurs 5000 éléments requis pour la nouvelle armée, etc. Tout ceci me permet de rester optimiste quant à la sortie définitive de la crise.
En ce qui concerne les élections, vous constatez avec moi que les campagnes ont déjà commencé; tous les leaders politiques parcourent l’ensemble du pays et présentent leur programme de gouvernement. C’est dire que tous entrevoient les élections pour très bientôt. Nous ne pouvons qu’encourager les Ivoiriens dans cet élan.
Excellence, quel est aujourd’hui le niveau de coopération entre la Côte d’Ivoire et la Corée du Sud?
Toute coopération est dynamique. Elle est assujettie aux conditions endogènes et exogènes. Cela signifie qu’en fonction des circonstances, la coopération entre deux pays peut connaître des périodes alternatives de fléchissement et de rebondissement. Seulement, dans le cas de la coopération bilatérale entre la République de Corée et la République de Côte d’Ivoire, la coopération est demeurée évolutive depuis l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays en 1962.
Au-delà des soutiens mutuels sur le plan international, qui ont longtemps émaillé les liens de coopération entre les deux pays, et qui continuent d’être renforcés, la République de Corée a décidé de partager son expérience et les fruits de son développement avec la Côte d’Ivoire qui est parmi les pays à coopération privilégiée avec la Corée. Ainsi, depuis 2005, le volume de l’aide directe coréenne à la Côte d’Ivoire s’élève à environ 3,605 milliards de FCFA, repartis entre l’éducation, la santé et le renforcement des capacités, sans compter que chaque année une trentaine d’agents des services publics sont envoyés en formation en Corée.
Aujourd’hui, cette politique a pris du volume et compte s’attaquer aux causes de la pauvreté par la réalisation de grands projets d’intérêt général, comme la construction de barrage, la lutte contre certaines maladies endémiques telles que l’ulcère de Burili, etc. Dans le secteur privé, des partenariats se nouent dans les domaines des mines et de l’énergie. Et je crois que la fin de la crise sera encore plus déterminante dans l’engagement de la Corée en Côte d’Ivoire. Au total, je dirai que la coopération entre nos deux pays se porte très bien.
Y a-t-il un domaine où vous comptez intensifier cette coopération?
Bien sûr que ce sera dans les domaines où la Côte d’Ivoire a réellement besoin de soutien. Nous n’imposons pas un credo particulier, même si notre point de vue compte pour beaucoup. La coopération est avant tout une collaboration, une concertation. Donc si nous estimons que l’aide au développement à la Côte d’Ivoire serait profitable au pays dans le domaine de la santé ; par exemple, la Côte d’Ivoire peut arriver à tourner nos regards plutôt vers l’industrialisation. C’est cela la coopération.
Aujourd’hui, nous maintenons la coopération au niveau de l’éducation, la santé et le renforcement des capacités. Pour nous, et nous pensons que les autorités ivoiriennes partagent ce point de vue, ce sont des éléments clés pour un pays qui ambitionne de se développer. Si vous n’êtes pas en bonne santé, vous ne pouvez pas travailler pour le développement ; si le pays ne dispose pas non plus de main-d’œuvre qualifiée, fruit de l’éducation, son développement sera également compromis. Cependant, mon ambition personnelle, c’est d’encourager les échanges commerciaux entre nos deux pays et l’implantation d’unités industrielles coréennes en Côte d’Ivoire.
Vous avez fait des dons au gouvernement ivoirien et aux collectivités locales à l’intérieur du pays. Dans quelle stratégie de coopération inscrivez-vous ces actions?
Je crois qu’il faut inscrire ces actions dans le cadre du renforcement des capacités de l’administration ivoirienne. Ce n’est pas nouveau. Nous avons toujours fait des dons de matériel à l’administration, étant donné que c’est en premier lieu au gouvernement qu’il incombe de conduire le développement de ce pays. La nouveauté cependant serait au niveau des collectivités décentralisées. Il est vrai que des actions directes en faveur de celles-ci ne sont pas encore véritablement entreprises à grande échelle. Nous espérons qu’avec la paix qui pointe à l’horizon nous aurons une plus grande visibilité pour l’orientation de notre politique.
Les communautés locales doivent-elles remplir des conditions pour bénéficier de ces dons?
En matière de coopération bilatérale, on ne saurait parler de critères pour bénéficier d’un don. Comme je l’ai souligné plus haut, le processus est basé essentiellement sur des discussions, des concertations. Donc s’il advenait que nos actions s’étendent de façon marquée aux collectivités territoriales, nous procéderions de la même façon avec les ministères et autres institutions gouvernementales.
Néanmoins, et je crois que c’est ce que vous voulez savoir, il y a un minimum de critères standards. D’ailleurs, à l’occasion de mes visites dans certaines communautés locales, je suis arrivé à la conclusion qu’il faut que notre aide soit étendue à ces communautés qui sont directement affectées par la crise et qui de surcroît manquent de ressources. Notre nouvelle politique de coopération est à un stade initial. Elle s’améliorera en reflétant les besoins de ces communautés rurales. Au moment venu, nous en établirons les critères et conditions.
Pour l’instant, je peux vous assurer que mon intention d’étendre la coopération est très vive. C’est dans ce contexte que j’ai récemment encouragé mon gouvernement à soutenir la lutte contre l’ulcère de Burili, qui est une maladie invalidante touchant directement les populations rurales. Estimé à plus d’un milliard de francs CFA, je crois que ce projet sera forcément bénéfique aux départements et communautés où il sera mis en œuvre. Je me suis également engagé à encourager des ONG coréennes à soutenir les communautés locales dans les domaines de l’éducation, la santé et autres services communautaires.
La Corée du Sud a-t-elle un programme pour la reconstruction post-crise en Côte d’Ivoire?
Je crois que tous nos projets visent à soutenir la Côte d’Ivoire dans son processus de reconstruction et de relance économique. En d’autres termes, nous avons déjà commencé la coopération en ce qui concerne la reconstruction post-crise en Côte d’Ivoire : renforcement des capacités du gouvernement à travers des programmes spécifiques de formation des agents de l’Etat, les infrastructures dans le domaine de l’éducation et les projets de santé.
Fort de notre expérience de construction d’une Nation et de développement, nous nous tenons toujours prêts à partager cette expérience avec la Côte d’Ivoire. Nous continuerons également à apporter notre Aide publique au développement (Oda) pour le renforcement des capacités. A cet égard, je me réjouis du séminaire que nous organiserons le mois prochain, en collaboration avec le ministère des Ntic, pour partager notre expérience en matière de gouvernement électronique, en vue d’éveiller la conscience publique sur le retard numérique et d’aider la Côte d’Ivoire à concevoir ses propres stratégies de gouvernement électronique.
Convaincu que l’investissement privé est la source principale de développement et d’emploi, j’ai entrepris d’encourager les entreprises coréennes à venir étudier les possibilités d’investissement dans les secteurs des infrastructures, industriel et agricole. Je crois qu’ils se décideront lorsque la Côte d’Ivoire fournira un environnement beaucoup plus propice à l’investissement à la fin de la crise politique.
Sur le plan multilatéral, je voudrais vous informer que nous participons au budget de l’Onuci pour un montant annuel de 5 milliards de francs Cfa, depuis l’installation de cette institution en Côte d’Ivoire. Nous contribuons également au niveau du Pnud dans le cadre des microprojets à impact rapide, sans compter les autres agences de l’Onu dont le Hcr et le Pam. Même pour l’atteinte du point de décision de l’initiative Ppte, la Corée a été active en faveur de la Côte d’Ivoire. Vous voyez que nous sommes à ses côtés à presque tous le niveaux et nous continuerons à soutenir ce pays ami.
Quelles sont les mesures que votre pays a prises pour lutter contre la crise financière?
Face à la crise économique mondiale, le gouvernement coréen est passé immédiatement à plein régime dans la recherche de solutions. Le Président Lee Myung-bak a mis son administration dans un mode de gestion des situations d’urgence, avec la conviction que la crise actuelle est une chance pour la Corée de rejoindre les pays les plus avancés. Dans ce contexte, il a mis sur pied ce qu’on appelle aujourd’hui en Corée Le « Green New Deal », une politique conçue pour combiner la «croissance verte» et la création d’emplois. À court terme, le Green New Deal va répondre au récent ralentissement économique, et dans le moyen et long terme, il va stimuler la croissance dynamique afin de porter la Corée au niveau suivant de la croissance verte.
Le Président Lee a souligné à maintes reprises que “la croissance verte” est la meilleure façon de créer des emplois. Il a dit que son administration allait s’efforcer d’explorer de nouveaux moteurs de croissance dans trois secteurs verts : industries technologiques, industries de fusion de haute technologie et industries de services à valeur ajoutée.
Excellence, y a-t-il une stratégie concrète que votre pays a mise en place face à cette crise?
En fait, le pays a déjà commencé à planifier et à mettre en œuvre certains projets du «Green New Deal». L’idée maîtresse est le développement de technologies originales dans le domaine des technologies nouvelles et renouvelables, impliquant l’énergie solaire, éolienne et les piles à combustible. De 2009 à 2012, le gouvernement va investir 40 milliards de dollars dans ce projet en vue de produire 960.000 nouveaux emplois.
A quoi est due la prospérité que la Corée du Sud connaît depuis quelques années?
La Corée, tout comme la Côte d’Ivoire, était avant les années 1960 un pays agricole qui, de surcroît, ne pouvait même pas assurer l’autarcie des produits agricoles. Elle était un des pays les plus pauvres du monde qui avait besoin, pour plus de 50% du budget de l’Etat, d’un appui des bailleurs de fonds à la suite des 3 années de guerre (1950-1953).
Au-delà de ce soutien, le véritable moteur de développement a été le plan quinquennal économique des années 1960 qui était principalement tourné vers les marchés extérieurs. Nous avons commencé à exporter des produits simples à forte concentration de main-d’œuvre, consolidant ainsi la base de l’industrialisation du pays. Grâce à cette politique, depuis les années 1970, nous avons commencé à produire des articles à forte valeur ajoutée.
L’éducation a également été un important catalyseur de ce processus. En effet, vers 1945, l’année où la Corée a été libérée du joug japonais, le taux d’alphabétisme n’était pas élevé. Mais avec la politique du gouvernement qui a mis l’accent sur l’éducation dans les années 1950-60, ainsi que l’ardeur et la volonté des Coréens pour l’éducation, la transition dans les années 1970 vers une industrie à forte valeur ajoutée a été possible. Elle a permis de promouvoir la productivité industrielle du pays.
Quelle en a été la conséquence?
La Corée, sans ressources naturelles, mais avec une ressource humaine qualifiée, a pu, en effet, développer des industries à concentration de main-d’oeuvre comme l’industrie du textile. Les personnes qui ont appris la gestion et la technologie dans les quelques entreprises précurseurs ont également monté d’autres entreprises tournées vers l’exportation. Cette multiplication d’entreprises a accru la compétitivité des produits coréens sur le marché international, ainsi qu’une augmentation des exportations des produits coréens. L’histoire des 50 dernières années montre que les pays qui ont prôné l’industrie d’exportation sont devenus plus compétitifs que les pays qui se sont concentrés sur le marché intérieur. La Corée fait partie de la première conception.En somme, la Corée d’aujourd’hui a été possible grâce à une ardeur pour l’éducation, la créativité et l’esprit de défi des entreprises, ainsi que la promotion de l’ouverture économique.
Votre voisin, la Corée du Nord, a lancé récemment des missiles malgré la mise en garde de la communauté internationale.
Que pensez-vous de la sécurité dans votre région?
Vous conviendrez avec moi que lorsque vous bâtissez votre maison et que votre voisin joue avec le feu, il y a de quoi s’inquiéter. Parce que lorsque ce feu va embraser sa maison, la vôtre ne sera pas épargnée. Le feu peut même aller jusqu’à des villes lointaines; c’est ce qu’on appelle prolifération. C’est pour cette raison que la communauté internationale a fermement condamné les essais nucléaires et tirs de missiles de la Corée du Nord. Ces essais nucléaires et le lancement des missiles constituent donc des menaces pour la paix et la sécurité non seulement dans la péninsule coréenne, mais également pour le monde en général.
Nous saluons, dans ce contexte, la résolution 1874 adoptée par le Conseil de sécurité de l’Onu le 12 juin 2009, renforçant les sanctions déjà prises contre la Corée du Nord. J’espère sincèrement que l’application stricte de cette résolution par l’ensemble de la communauté internationale conduira la Corée du Nord à renoncer à ses programmes nucléaires, y compris les armes nucléaires.
C’est le lieu de rappeler que la Corée du Nord est co-signataire avec la République de Corée de la déclaration commune de dénucléarisation de la Péninsule coréenne en 1992. Elle a également signé en 2005 et 2007 les Accords de pourparlers des six, qui ont réuni, outre les deux Corées, les Usa, la Russie, la Chine et le Japon. Mais ces différents engagements ne sont pas respectés par la Corée du Nord. Vous comprenez donc que la résolution de l’Onu soit adoptée à l’unanimité, y compris la Chine et la Russie. Pour revenir à votre question, il faut dire que la menace de la Corée du Nord est réelle pour la République de Corée, parce que la Corée du Nord peut aujourd’hui produire des armes nucléaires. Elle a déjà développé les moyens pour y parvenir. Mais rassurez-vous, la République de Corée, alliée à d’autres Etats comme les Etats-Unis d’Amérique, est solidement capable de prévenir tout risque d’insécurité dans la région et au-delà.
Le 4 mai, un navire nord-coréen en détresse face à des pirates somaliens a été secouru par
un navire de guerre sud-coréen. Excellence, comment qualifiez-vous ce geste?
Effectivement, le 4 mai un destroyer de notre flotte, envoyé dans le Golf d’Aden pour protéger les bateaux qui y transitent, a secouru un navire nord-coréen attaqué par des pirates somaliens. Malgré nos divergences et nos options politiques, nous restons un même peuple. Je ne pense pas que la Corée du Nord serait restée insensible si les rôles étaient inversés. Plus que cela, c’est un geste humanitaire à considérer comme tel. D’ailleurs, le même navire a secouru le 17 avril un navire danois poursuivi par des pirates somaliens. Tout compte fait, la République de Corée est dans une logique de recherche de la paix avec la Corée du Nord. Si ce geste peut contribuer à booster quelque peu ce processus et renvoyer la Corée du Nord sur la table des discussions, ce serait une bonne chose.
Interview réalisée par Ernest Aka Simon