crisisgroup.org - SYNTHESE
Le 4 mars 2007, les deux principaux protagonistes de la crise ivoirienne signaient l’accord politique de Ouagadougou (APO). Ce compromis a, dans un premier temps, apporté un environnement de paix en Côte d’Ivoire. La ligne de démarcation entre les deux protagonistes a été démantelée. Un nouveau gouvernement a été formé et les bases ont été jetées pour apporter une réponse aux deux questions-clés du conflit : l’identité et la citoyenneté ivoiriennes et la légitimité du pouvoir. Mais, plus de deux ans après son adoption, l’APO va mal. Une sortie de crise sera possible uniquement si les engagements pris dans la capitale burkinabé sont enfin suivis d’effets. Sortir la Côte d’Ivoire de sa décennie de crise ne nécessitera pas seulement l’organisation d’élections crédibles mais impliquera également des progrès significatifs dans le processus de désarmement ainsi qu’une véritable réunification de l’administration. Ceci demandera la remobilisation de la facilitation burkinabé et une pression accrue des partenaires internationaux sur les acteurs du conflit.
Les responsables ivoiriens sont aujourd’hui au pied du mur. Ils disposent d’un semestre pour organiser des élections libres et transparentes et procéder au désarmement de plusieurs milliers de combattants. Un nouveau report du scrutin serait fatal à l’APO. L’absence d’un démantèlement des groupes armés, au moins partiel, laisserait planer la menace de graves troubles postélectoraux.
Les opérations d’enrôlement et d’identification se sont officiellement achevées le 30 juin sans atteindre leur but initial. Entamée en septembre 2008, ces opérations complexes et mal conçues ont souffert de la mauvaise gestion de leurs organisateurs. Le financement de leurs structures techniques a été volontairement ralenti par le clan présidentiel qui estime dans son intérêt de retarder au maximum les élections. Après un nouveau report le 30 novembre dernier, le Conseil de sécurité de l’ONU a demandé en janvier 2009 aux protagonistes ivoiriens de fournir rapidement un calendrier électoral réaliste. Une nouvelle date a finalement été annoncée en mai. Cette date pour ce qui sera probablement le premier tour de la présidentielle, le 29 novembre 2009, reste cependant hypothétique. Pour être au rendez-vous, les structures chargées de l’organisation de l’élection devront s’acquitter d’une tâche considérable et dramatiquement améliorer leurs procédures de travail.
Les deux autres grandes priorités de l’APO accusent aussi un retard inquiétant. Le désarmement des combattants s’est borné à quelques opérations médiatisées de destruction d’armes légères. Chacun des deux camps maintient en place des forces significatives et continue de faire entrer du matériel militaire sur le territoire ivoirien, en violation de l’embargo sur les armes de l’ONU. Ceci représente une menace réelle pour le processus électoral, et permettra aux deux parties d’intimider physiquement les électeurs, de manipuler les résultats du scrutin ou même de les contester violemment. Du coté des rebelles des Forces nouvelles, 5 000 combattants attendent toujours leur intégration dans la nouvelle armée et les commandants de zones (« com’zones ») de l’ancienne zone nord sont toujours entourés de gardes rapprochées comptant parfois plusieurs centaines d’éléments. Les milices loyalistes de Laurent Gbagbo, fortes de 20 000 hommes, n’ont pas été démantelées ni les groupements de « Jeunes patriotes » à Abidjan dissouts.
Le redéploiement de l’administration n’a été opéré que partiellement sur l’ensemble du territoire. Le 26 mai, les « com’zones » ont certes remis leurs pouvoirs administratifs aux préfets. Cette décision très symbolique doit cependant être suivie rapidement par la dotation des moyens logistiques et financiers leur permettant de travailler. On peut aussi s’inquiéter du fait que les « com’zones », qui ne respectent plus les ordres de Premier ministre Guillaume Soro, qui tente de préserver l’unité des Forces nouvelles, aient été dépouillés de leurs fonctions administratives mais pas de leur mission sécuritaire.
A cet ensemble de blocages s’ajoute un contexte économique très difficile, dû à l’absence de bonne gouvernance autant qu’au contexte actuel de crise économique mondiale. La Côte d’Ivoire se paupérise et la misère est pour des milliers de jeunes hommes une bonne raison de ne pas déposer les armes, ou pourrait en devenir une autre de les reprendre.
L’ensemble de la communauté internationale et l’ONU assistent à la fois impuissants et las à l’enlisement de l’APO. Ils ont été exclus d’un accord politique signé entre des dirigeants africains. Ils leur restent l’argent comme ultime moyen de pression. Le retard et les ratés du processus de sortie de crise ont même poussé certains à réfléchir sur l’utilité de leur présence dans le pays. La France a ainsi rapatrié prématurément une partie importante des troupes de l’opération Licorne. La facilitation burkinabé joue, quasiment seule, le rôle ingrat d’arbitre et d’aiguillon du processus. Jusqu’à maintenant, sa stratégie a été celle de la prudence. Le temps presse. Elle doit maintenant générer un nouveau momentum et adopter une attitude plus ferme, particulièrement à l’égard des « com’zones » et des milices loyalistes.
Pour que cet accord puisse enfin aller à son terme, les mesures suivantes doivent être prises :
•Concernant le processus électoral. Les opérations de traitements des données doivent débuter au plus vite dans 68 centres de traitement informatique prévus à cet effet. Un plan détaillé de distribution des cartes d’électeurs doit rapidement être présenté par la Commission électorale indépendante (CEI) et l’opérateur technique privé partenaire, qui doit précéder leur distribution par une campagne d’information des populations ciblées leur indiquant précisément où et comment elles pourront retirer leurs cartes d’électeurs. Le Premier ministre doit assumer véritablement son rôle de « chef d’orchestre » du processus électoral, en s’entourant d’une équipe capable de coordonner l’ensemble des opérations qui conduiront aux élections.
•Concernant le désarmement. Gbagbo et Soro doivent prendre la responsabilité d’accélérer l’intégration de leurs forces respectives au sein des forces communes de police et de gendarmerie et de la nouvelle armée nationale, qui prévoit l’intégration de 5 000 ex-rebelles. Les deux protagonistes doivent enfin s’engager dans un désarmement réel en procédant à un abandon partiel et simultané de leurs stocks d’armes et de munitions.
•Concernant l’administration. Le Premier ministre doit modifier en profondeur son cabinet actuel en choisissant des collaborateurs plus expérimentés et plus compétents. Une seule administration doit être présente sur l’ensemble du territoire au cours du semestre à venir. Dans la zone ultérieurement tenue par les rebelles, les préfets et les mairies doivent être dotés des moyens logistiques et nécessaires pour restaurer l’autorité civile de l’Etat. Le contrôle des frontières septentrionales du pays doit être assuré par des policiers et des douaniers de l’Etat ivoirien et non plus par des ex-rebelles.
•Le Conseil de sécurité doit accentuer sa pression sur les responsables ivoiriens. Paris doit faire pression sur les responsables ivoiriens en conditionnant la reprise de l’ensemble de la coopération à la tenue d’élections libres et transparentes ainsi qu’à une période post-électorale pacifique. La facilitation burkinabé devrait être renforcée et, avec l’aide du Premier ministre Soro, engager une négociation directe avec chaque « com’zone » pour réussir leur intégration, et avec celle de Laurent Gbagbo le désarmement des différentes milices loyalistes.
Le 4 mars 2007, les deux principaux protagonistes de la crise ivoirienne signaient l’accord politique de Ouagadougou (APO). Ce compromis a, dans un premier temps, apporté un environnement de paix en Côte d’Ivoire. La ligne de démarcation entre les deux protagonistes a été démantelée. Un nouveau gouvernement a été formé et les bases ont été jetées pour apporter une réponse aux deux questions-clés du conflit : l’identité et la citoyenneté ivoiriennes et la légitimité du pouvoir. Mais, plus de deux ans après son adoption, l’APO va mal. Une sortie de crise sera possible uniquement si les engagements pris dans la capitale burkinabé sont enfin suivis d’effets. Sortir la Côte d’Ivoire de sa décennie de crise ne nécessitera pas seulement l’organisation d’élections crédibles mais impliquera également des progrès significatifs dans le processus de désarmement ainsi qu’une véritable réunification de l’administration. Ceci demandera la remobilisation de la facilitation burkinabé et une pression accrue des partenaires internationaux sur les acteurs du conflit.
Les responsables ivoiriens sont aujourd’hui au pied du mur. Ils disposent d’un semestre pour organiser des élections libres et transparentes et procéder au désarmement de plusieurs milliers de combattants. Un nouveau report du scrutin serait fatal à l’APO. L’absence d’un démantèlement des groupes armés, au moins partiel, laisserait planer la menace de graves troubles postélectoraux.
Les opérations d’enrôlement et d’identification se sont officiellement achevées le 30 juin sans atteindre leur but initial. Entamée en septembre 2008, ces opérations complexes et mal conçues ont souffert de la mauvaise gestion de leurs organisateurs. Le financement de leurs structures techniques a été volontairement ralenti par le clan présidentiel qui estime dans son intérêt de retarder au maximum les élections. Après un nouveau report le 30 novembre dernier, le Conseil de sécurité de l’ONU a demandé en janvier 2009 aux protagonistes ivoiriens de fournir rapidement un calendrier électoral réaliste. Une nouvelle date a finalement été annoncée en mai. Cette date pour ce qui sera probablement le premier tour de la présidentielle, le 29 novembre 2009, reste cependant hypothétique. Pour être au rendez-vous, les structures chargées de l’organisation de l’élection devront s’acquitter d’une tâche considérable et dramatiquement améliorer leurs procédures de travail.
Les deux autres grandes priorités de l’APO accusent aussi un retard inquiétant. Le désarmement des combattants s’est borné à quelques opérations médiatisées de destruction d’armes légères. Chacun des deux camps maintient en place des forces significatives et continue de faire entrer du matériel militaire sur le territoire ivoirien, en violation de l’embargo sur les armes de l’ONU. Ceci représente une menace réelle pour le processus électoral, et permettra aux deux parties d’intimider physiquement les électeurs, de manipuler les résultats du scrutin ou même de les contester violemment. Du coté des rebelles des Forces nouvelles, 5 000 combattants attendent toujours leur intégration dans la nouvelle armée et les commandants de zones (« com’zones ») de l’ancienne zone nord sont toujours entourés de gardes rapprochées comptant parfois plusieurs centaines d’éléments. Les milices loyalistes de Laurent Gbagbo, fortes de 20 000 hommes, n’ont pas été démantelées ni les groupements de « Jeunes patriotes » à Abidjan dissouts.
Le redéploiement de l’administration n’a été opéré que partiellement sur l’ensemble du territoire. Le 26 mai, les « com’zones » ont certes remis leurs pouvoirs administratifs aux préfets. Cette décision très symbolique doit cependant être suivie rapidement par la dotation des moyens logistiques et financiers leur permettant de travailler. On peut aussi s’inquiéter du fait que les « com’zones », qui ne respectent plus les ordres de Premier ministre Guillaume Soro, qui tente de préserver l’unité des Forces nouvelles, aient été dépouillés de leurs fonctions administratives mais pas de leur mission sécuritaire.
A cet ensemble de blocages s’ajoute un contexte économique très difficile, dû à l’absence de bonne gouvernance autant qu’au contexte actuel de crise économique mondiale. La Côte d’Ivoire se paupérise et la misère est pour des milliers de jeunes hommes une bonne raison de ne pas déposer les armes, ou pourrait en devenir une autre de les reprendre.
L’ensemble de la communauté internationale et l’ONU assistent à la fois impuissants et las à l’enlisement de l’APO. Ils ont été exclus d’un accord politique signé entre des dirigeants africains. Ils leur restent l’argent comme ultime moyen de pression. Le retard et les ratés du processus de sortie de crise ont même poussé certains à réfléchir sur l’utilité de leur présence dans le pays. La France a ainsi rapatrié prématurément une partie importante des troupes de l’opération Licorne. La facilitation burkinabé joue, quasiment seule, le rôle ingrat d’arbitre et d’aiguillon du processus. Jusqu’à maintenant, sa stratégie a été celle de la prudence. Le temps presse. Elle doit maintenant générer un nouveau momentum et adopter une attitude plus ferme, particulièrement à l’égard des « com’zones » et des milices loyalistes.
Pour que cet accord puisse enfin aller à son terme, les mesures suivantes doivent être prises :
•Concernant le processus électoral. Les opérations de traitements des données doivent débuter au plus vite dans 68 centres de traitement informatique prévus à cet effet. Un plan détaillé de distribution des cartes d’électeurs doit rapidement être présenté par la Commission électorale indépendante (CEI) et l’opérateur technique privé partenaire, qui doit précéder leur distribution par une campagne d’information des populations ciblées leur indiquant précisément où et comment elles pourront retirer leurs cartes d’électeurs. Le Premier ministre doit assumer véritablement son rôle de « chef d’orchestre » du processus électoral, en s’entourant d’une équipe capable de coordonner l’ensemble des opérations qui conduiront aux élections.
•Concernant le désarmement. Gbagbo et Soro doivent prendre la responsabilité d’accélérer l’intégration de leurs forces respectives au sein des forces communes de police et de gendarmerie et de la nouvelle armée nationale, qui prévoit l’intégration de 5 000 ex-rebelles. Les deux protagonistes doivent enfin s’engager dans un désarmement réel en procédant à un abandon partiel et simultané de leurs stocks d’armes et de munitions.
•Concernant l’administration. Le Premier ministre doit modifier en profondeur son cabinet actuel en choisissant des collaborateurs plus expérimentés et plus compétents. Une seule administration doit être présente sur l’ensemble du territoire au cours du semestre à venir. Dans la zone ultérieurement tenue par les rebelles, les préfets et les mairies doivent être dotés des moyens logistiques et nécessaires pour restaurer l’autorité civile de l’Etat. Le contrôle des frontières septentrionales du pays doit être assuré par des policiers et des douaniers de l’Etat ivoirien et non plus par des ex-rebelles.
•Le Conseil de sécurité doit accentuer sa pression sur les responsables ivoiriens. Paris doit faire pression sur les responsables ivoiriens en conditionnant la reprise de l’ensemble de la coopération à la tenue d’élections libres et transparentes ainsi qu’à une période post-électorale pacifique. La facilitation burkinabé devrait être renforcée et, avec l’aide du Premier ministre Soro, engager une négociation directe avec chaque « com’zone » pour réussir leur intégration, et avec celle de Laurent Gbagbo le désarmement des différentes milices loyalistes.