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Économie Publié le mercredi 8 juillet 2009 | Nord-Sud

Construction du pont de Jacqueville : L’Etat reconquiert une île perdue

Le département de Jacqueville, grande région de production de coco et de palmier à huile, avec son fond marin, va vivre un évènement heureux. Le gouvernement a enfin décidé de désenclaver la ville par la construction d’un pont. Les populations tremblent devant ce bonheur.


La première pierre du pont de Jacqueville va être posée aujourd’hui. C’est assurément une nouvelle ère qui s’ouvre pour la région. La localité va enfin sortir de son enclavement. Un isolement qui avait fini par casser l’ardeur des opérateurs à y investir. Les populations vivent l’annonce du projet comme un rêve d’enfant. Certains ne croient toujours pas à sa mise en œuvre effective. Comme Saint Thomas, ils veulent voir, toucher pour s’en convaincre. D’autres ne cachent pas leur fascination devant son irréversibilité. La région vient de loin. Selon les mots du chef de terre, elle a souffert à l’instar de l’orphelin malade. En effet, l’absence de ce pont n’a pas fait qu’accentuer le retard dans le développement socioéconomique mais elle a surtout touché à la cohésion locale. En fait, certains habitants n’ont jamais admis qu’une personnalité de l’envergure de Philippe Yacé, originaire de la région, n’ait pas pu régler ce problème au temps où elle était aux affaires. «C’est ce qui a affaibli le président Yacé dans la région. Une bonne partie de nos parents ne lui ont pas pardonné son incapacité à désenclaver Jacqueville », note Louis Beugré, fonctionnaire au ministère de l’Education nationale, venu prendre part aux préparatifs. «Il faut que tout le monde comprenne que Philippe Yacé et Houphouët-Boigny ont eu un commerce difficile. C’est pourquoi, la ville a été délaissée. Si vous voulez, Jacqueville a payé le prix fort à la rivalité entre les deux personnalités », tente de justifier M.B, planteur à Abrebi, un village lagunaire à une dizaine de kilomètres du chef-lieu.

Le rêve des populations…

Mais, bien au-delà, ce bac a empoisonné les relations de la cité des cocotiers avec les localités voisines. Elle s’est le plus souvent brouillée avec la bourgade de Songon pour la gestion des ressources générées par le bac. Selon les statistiques officielles, le trafic est d’environ 300 véhicules par jour. Songon est une ville Ebrié tandis que les Ahizi, les Avikam et les Alladjan se partagent Jacqueville. Les autorités préfectorales ont régulièrement joué les médiateurs pour ramener le calme et la sérénité entre les deux peuples. Mais, le feu est toujours demeuré sous la cendre. Pourtant l’objet du litige, le bac, ne s’est pas toujours montré rentable. L’infrastructure est souvent abimée. La bonne volonté des jeunes gens, habillés en tenue bleu, qui organisent la traversée pour le compte des pouvoirs publics ne suffit pas. Selon un riverain, les pannes récurrentes sont dues en grande partie aux camions de gros tonnage qui vont livrer le riz, le sucre ou le ciment. Un opérateur économique exerçant dans le secteur du bâtiment a installé une unité de dragage de sable pour alimenter un projet de construction de logements à Abidjan. « Les camions, les semi-remorques, les bétonnières traversent la lagune, mettant à rude contribution les appareils navals ». Il y a quelques mois, les populations ont bruyamment manifesté leur colère face aux caprices des deux bacs qui assurent la liaison entre la région et le reste de la Côte d’Ivoire. Attroupements de masses, invectives à l’encontre des autorités politiques etc. Il faut dire que les désagréments sont le lot quotidien des habitants et autres voyageurs. Très souvent, le bac est hors d’usage. Nous sommes obligés d’emprunter les pirogues et autres embarcations de fortune. C’est le calvaire », raconte un étudiant. «Cette région n’a pas pu amorcer son vrai développement à cause des difficultés d’accès», ajoute un membre de la notabilité du village d’Adoumagan. Même si on y trouve d’immenses plantations de coco et de palmier à huile, la région n’est pas réputée pour sa grande production agricole. En revanche, elle recèle un gisement touristique. Littéralement encerclée par la lagune Ebrié, elle offre un paysage agréable à voir. Des constructions sur pilotis longent par exemple Akrou, village natal de Marcellin Yacé ou la presqu’île d’Abrebi. La pêche artisanale y est également développée. Sur les étangs, on aperçoit les lanceurs de filets au torses nu. Des commerçantes abidjanaises viennent aussi s’y approvisionner en poisson et en crustacés. Elles apportent des légumes, du piment et parfois du riz. Les surfaces cultivables sont peu généreuses et les récoltes ne sont pas abondantes. La région regorge, toutefois, d’un potentiel économique non négligeable. Un potentiel qui, semble-t-il, n’a jamais intéressé les gouvernants. Dans leur grande majorité, les ressortissants du département se disent victimes de l’oubli et de l’ingratitude aussi bien des élus locaux que de l’Etat. «Nous avons beaucoup souffert à cause de l’inaccessibilité de la ville. Des fonctionnaires ont refusé de venir parce qu’ils se sentaient en vase clos. Il n’y a pas d’investissements ni en logements, ni en commodités en tout genre. Vous verrez qu’il n’y a qu’un seul établissement public : le lycée municipal », souligne Mathias Ahonzo, un cadre. Vêtu d’un manteau vert à l’effigie de «Papa Nouveau», il ajoute que Jacqueville est dépourvue de tout. « Cela fait des années que nous attendons la concrétisation des promesses. Mais, il y avait apparemment d’autres chats à fouetter», avoue-t-il, montrant du doigt les façades lagunaires polluées, les amas d’ordures et les moyens de locomotions rétrogrades. Les conduites d’eau potable et celles du réseau d’évacuation des eaux usées ont été installées de manière un peu anarchique, parce que les agents chargés de l’assainissement sont souvent absents. «La pression de l’eau du robinet et le réseau d’évacuation des eaux usées est constamment obstrué. Les regards d’évacuation des eaux usées que vous voyez-là sont tous bouchés », ajoute-t-il.

…devient réalité

Selon plusieurs jeunes, la construction du pont de Jacqueville est certes une action de développement mais elle est plus politique qu’économique. « Nous savons que tout ça a des relents politiciens. Pourquoi, c’est à l’approche des élections qu’on cherche à commencer les travaux », s’interrogent-ils. Pour le ministre des Infrastructures économiques qui s’était rendu en reconnaissance en 2008, rien de tout cela. C’est simplement que le pont est un investissement lourd nécessitant des moyens colossaux. «Nos caisses ne peuvent pas supporter les coûts», affirme-t-il. En plus les études de faisabilités ont enregistré quelques contretemps. Un nouveau montage financier avait été fait pour tenir compte de certaines contraintes liées aux coûts des matériaux et probablement des fluctuations monétaires défavorables.
L’ouvrage dont la construction commence aujourd’hui va donner un souffle nouveau à la région. L’entreprise égyptienne de travaux publics, Arab Contractor, a été retenue à l’issu d’un appel d’offres international pour la réalisation du projet. Les bacs automoteurs seront remplacés par un pont en béton précontraint d’une longueur de 570 mètres, et composé de 12 travées de 38,10 chacune. La largeur totale du pont est de 10 mètres dont 7,5 mètres de chaussée et 2 trottoirs de 1,25 mètre. Les appuis sont fondés sur des pieux forés descendus jusqu’au socle. Il coûtera 17 milliards de Fcfa. Il sera financé conjointement par la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (Badea), la Banque Ouest africaine de développement (Boad) et l’Etat. Selon le ministre des Infrastructures économiques, Patrick Achi, la durée de réalisation de l’ouvrage est de vingt quatre (24) mois, à compter de la date de démarrage effectif des travaux.


Lanciné Bakayoko, Envoyé spécial à Jacqueville.
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