évariste Méambly, président du Comité national de soutien aux forces de réunification, appelle les opérateurs économiques au sursaut qui sauve.
Les activités du Conasfor ont été officiellement lancées mardi dernier. A ce jour, à combien êtes-vous en termes de mobilisation?
Lorsque nous rencontrions la haute hiérarchie militaire il y a de cela un mois quinze jours, le comité restreint que je pilotais leur avait annoncé 85 millions. Nous avons fait la même démarche auprès du général Soumaïla Bakayoko des Fafn à Bouaké.
Mais aujourd’hui, en 45 jours, avec le déroulement de notre stratégie de lobbying et de relations publiques qui nous a permis de distribuer 15000 lettres, d’envoyer 2000 cartes d’invitation, de diffuser des communiqués pendant un mois et demi dans les journaux, le 28 juillet, à l’état-major des armées où a eu lieu la cérémonie, nous avons pu récolter la somme de 215 millions (l’interview a été réalisée le mercredi 29 juillet dernier. Les chiffres ont du évoluer depuis cette date). A savoir 15 millions émanant des entreprises et personnes physiques, 100 millions du président que je suis, pour donner l’exemple. Et les 100 autres millions de la Sipef.
Pourquoi un opérateur économique décide-t-il de soulager ses caisses d’un montant aussi important? Etes-vous si riche? …
Je ne suis pas riche. Mais si la crise perdure, je vais, comme de nombreux autres opérateurs, voir péricliter mes affaires. L’économie d’une nation ne peut se développer que dans un environnement apaisé. Or, la paix, comme on le dit à juste titre, n’a pas de prix.
Je suis propriétaire d’une Pme, le groupe Meambly. J’ai une structure de négoce de riz et de café-cacao, je fais de l’élevage, j’ai un hôtel à Yopougon, une société de transit et je fais de l’intermédiation. Ma Pme emploie autour de 50 à 60 personnes et je fais un chiffre d’affaires maximum de 2 milliards l’année. Je ne suis pas un riche homme d’affaires, mais je me devais de donner l’exemple.
La meilleure manière de prêcher, c’est par l’exemple. On ne peut donc pas demander à des opérateurs économiques, quel que soit le volume de leurs chiffres d’affaires, de faire un sacrifice pour la paix sans soi-même se montrer capable de sacrifice.
100 millions tout de même…
C’est parce que je crois en mon pays. Parce qu’il me coûte cher. C’est dans ce pays que je développe mes affaires, s’il n’existe plus, je ne sais où je pourrais travailler, faire tourner ma Pme. En tant qu’initiateur du Comité de soutien aux forces de la réunification, en offrant 100 millions, je veux, sans prétention aucune, montrer que nous ne devons pas hésiter à sauver notre pays. Chaque opérateur économique doit pouvoir faire sa part de sacrifice en aidant à créer un cadre sécurisé pour le développement de nos affaires. Payons pour la paix, payons le prix de la paix qui n’a pourtant pas de prix et nous nous en porterons mieux, notre pays aussi et donc nos affaires également.
Autre gros donateur, la Sipef…
J’ai pu négocier avec la Société nationale du patrimoine ferroviaire, qui a compris l’enjeu et le bien-fondé de notre action et qui a offert, elle aussi, 100 millions.
Ce que tout homme d’affaires sait, c’est que prendre part à des opérations d’envergure comme celle que vient de lancer le Conasfor, c’est investir pour le futur. Donner de l’argent pour son pays, ce n’est pas en perdre. Bien au contraire, c’est s’enrichir. Parce qu’un pays en paix, ce sont des affaires qui prospèrent, des consommateurs libérés des craintes des lendemains incertains qui n’hésitent donc pas à dépenser. Investir dans la paix, c’est, au bout du compte, développer ses affaires. Le raisonnement est clair. Et tout homme d’affaires qui veut retrouver un marché sûr et stable, un pays réunifié et donc un espace de commercialisation plus vaste ne peut qu’adhérer à l’initiative du Conasfor et y prendre part.
Quelles sont les motivations à l’origine de la création du Conasfor?
Le Comité national de soutien aux forces de réunification (Conasfor) est une association apolitique à but non lucratif. C’est une association née de la volonté d’opérateurs économiques, dont le doyen Roland Dagher et bien d’autres, qui ont voulu garder l’anonymat. Rappelons-nous: le Chef de l’Etat, dans une déclaration en date du 30 avril 2009, annonçait le début du redéploiement des 8000 hommes des forces armées à partir du 5 mai. Le 7 mai à Grand-Bassam, lors d’une rencontre initiée par le Premier ministre sur la sortie de crise, des insuffisances liées à des problèmes financiers ont été relevées. Ce qui avait pour conséquence de mettre à mal le déploiement des forces de la réunification. Face donc à cette situation, nous opérateurs économiques, avons estimé que le temps était arrivé de nous décider pour la réunification. La Côte d’Ivoire venait d’être éligible à l’initiative Ppte et pour y arriver, des moyens colossaux ont été dégagés par l’Etat. Entre l’éligibilité et le point d’achèvement, dans deux ou trois ans, il va falloir encore se serrer la ceinture. Nous savons aussi que les sources d’approvisionnement de l’Etat ne sont pas inépuisables, la guerre s’étant étirée et ayant fragilisé les assises de notre économie.
Depuis 2002, année du déclenchement de la crise, la Côte d’Ivoire ne récolte sa richesse financière que sur seulement 40% du territoire. Et ce sont les richesses collectées dans cette partie du pays qui permettent de gérer financièrement l’ensemble du pays. Tant au niveau de la santé, de la sécurité que de l’éducation. Nous avons constaté que les problèmes de l’Etat sont réels. Il fallait donc un sursaut d’orgueil au niveau des opérateurs économiques. Mais surtout dans l’urgence, compte tenu des besoins pressants. Puisque le prochain grand rendez-vous de notre pays avec son histoire, c’est le 29 novembre prochain, date du premier tour de la présidentielle. Or, pour y arriver, il faut bien que la sécurité soit. Voilà l’enjeu de notre action. Nous opérateurs économiques, sommes les premiers bénéficiaires de la stabilité politique.
D’autres motivations ne vous guideraient-elles pas…
Pourquoi ne pouvons-nous pas prendre les choses comme elles se présentent? Quelques voix s’élèvent et s’interrogent : les élections auront-elles lieu?
Au lieu d’instaurer le doute permanent comme un mode de raisonnement, pourquoi ne pas prendre sa part de responsabilité et poser les actes qui nous permettront de tenir le pari du 29 novembre 2009 ? Il faut plutôt agir ici et maintenant pour aider l’Etat dont les besoins sont estimés à environ 12 milliards dans le cadre du déploiement des forces qui doivent sécuriser le territoire national avant les élections. Et puisque l’Etat n’a pas les moyens de faire immédiatement face à cette autre lourde charge, il faut donc que la mobilisation des ressources vienne d’autres personnes. C’est ce que nous avons initié en toute responsabilité en tant que privé. Nous n’avons été mandatés par personne. Nous avons pris sur nous, d’aider notre pays. Nous sommes allés vers des aînés, de jeunes frères, des travailleurs, la masse paysanne et autres, pour leur dire que l’heure est venue de donner les moyens aux politiques pour qu’ils puissent atteindre l’objectif des élections. Ils ont certes démontré leur bonne foi; le peuple aussi a suffisamment montré qu’il affronte ses difficultés; nous opérateurs économiques qui créons la richesse dans le pays et qui sommes les indicateurs réels du Pib, nous devons maintenant influer sur les politiques en leur apportant un soutien financier. Parce qu’ils n’attendent que ça. Et comme nous savons que le politique ne peut s’appuyer que sur les opérateurs économiques, nous sommes obligés de prendre la place qu’il nous faut. Et cette place-là, il nous faut l’assumer pleinement, en réunissant les moyens conséquents pour l’Etat, afin qu’il puisse débourser les 12 milliards pour le déploiement des 8000 hommes. La restauration de la sécurité étant la condition sine qua non pour nous permettre de mener toutes nos activités, quelles soient économiques, sociales ou politiques, dans la sérénité.
Vous estimez donc que les opérateurs économiques n’ont pas fait assez d’efforts pour aider le pays à sortir de la crise.
Ils ont fait beaucoup d’efforts. Sans oublier que nombre d’entre nous ont perdu beaucoup de leurs acquis.
Des efforts énormes ont été faits par les opérateurs économiques. Je loue leur courage à juste titre. Mais pour l’heure, la mère patrie a encore besoin de notre soutien. Tant qu’elle ne s’est pas redressée pour nous donner ses deux mamelles à téter, nous devons savoir qu’elle est encore malade. C’est pour cela que chaque opérateur économique, à quelque niveau qu’il se trouve, a intérêt à comprendre que l’heure est venue de lever une contribution. Librement. L’essentiel pour nous, c’est de collecter les 12 milliards dont la nation a besoin pour que nos 8000 hommes puissent avoir leurs trois repas par jour, leurs moyens de locomotion, de communication, des tenues, etc. Il faudrait qu’on accorde à ces soldats de la réunification, un minimum de chaleur, de considération, d’enthousiasme dans toutes les régions où ils seront déployés. Cela peut faire partie de leurs besoins.
Au-delà de cette action, nous nous devons de faire en sorte que la nation et l’armée se retrouvent dans une relation harmonieuse car cela s’impose à toute République. De 1960 à 1999, l’armée faisait corps avec le peuple. Mais depuis 1999 jusqu’à ce jour, il y a irruption de l’armée sur la scène politique. Du 18 au 19 septembre 2002, elle s’est scindée en deux : avec une armée au nord, une autre au sud, chacune avec son chef d’état-major. Vous constatez avec moi qu’aujourd’hui, cette armée est à la recherche d’une cohésion. Le peuple aussi recherche son armée d’alors avec laquelle il faisait corps. Il faut donc faire en sorte de retrouver cet ordre ancien, pour le développement harmonieux de la Côte d’Ivoire.
Le Conasfor ne fait donc pas que mobiliser de l’argent…
Il nous faut atteindre les esprits, agir sur les relations peuple-armée et vice-versa; influer sur le comportement de notre armée. Il faut que le peuple regarde désormais son armée avec respect et admiration, puisqu’elle serait revenue à sa place d’antan. Ce sont autant d’éléments qui font partie des objectifs que le Conasfor s’est fixés.
Au bout du compte, c’est un investissement pour le futur…
C’est un pari que nous prenons sur l’avenir de notre pays et donc les nôtres. Et parce que j’ai confiance en notre armée, je n’ai aucune crainte.
Avez-vous eu des intentions de dons?
De la soirée de mardi à mercredi, nous avons pu recouvrer 74.350.000 F. Ce montant s’ajoute aux 215 millions déjà disponibles.
Il faut souligner qu’à la cérémonie de lancement, le général Mangou, chef d’état- major des armées, a offert la somme de 1 million. Fraternité Matin aussi.
Les chèques doivent être émis à l’ordre du Comité national de soutien aux forces de réunification (Conasfor) et déposés à la Banque nationale d’investissement (Bni) sur le compte numéro A0092-01001-00274550000-24. De même que les apports en numéraire. Et nous prions tous les donateurs de conserver minutieusement leur bordereau de dépôt.
Voulez-vous étendre la collecte de fonds aux présidents d’institution et autres, au-delà des opérateurs économiques?
Au-delà des opérateurs économiques, nous nous sommes dit que les présidents des institutions et les autres autorités sont des Ivoiriens, donc concernés par la paix dans leur pays. C’est pour cela que nous avons demandé la somme de 1000 F à chaque citoyen ivoirien. Nous irons vers ces autorités pour solliciter leur participation.
Vos sollicitations ne fragilisent-elles pas les entreprises qui ont tant souffert des sept ans de crise?
Je le disais tantôt, les Ivoiriens, dans leur ensemble, ont souffert de cette crise. La question aujourd’hui est de savoir s’il faut continuer de souffrir. Alors que nous connaissons notre remède.
Les 8000 hommes chargés de notre sécurité éprouvent quelques difficultés. Nous ne demandons que 1000F par personne. Mais que ceux qui en ont plus, donnent plus.
Après les marches et autres mouvements de résistance de la population, l’heure du sursaut des opérateurs économique a sonné.
Les élections ayant lieu le 29 novembre, quand ce budget doit-il être bouclé pour que l’opération ne traîne pas en longueur, le temps étant plus que précieux pour la Côte d’Ivoire?
Nous avons une rencontre avec le ministre de la Défense cette semaine. Une concertation qui réunira autour de lui ses collègues de l’Intérieur et de l’Economie et des Finances, pour nous communiquer le budget global de l’opération de redéploiement des militaires et des autres actions liées à cette étape importante du processus de paix. Après quoi, nous mettrons les fonds à la disposition du ministère de l’Economie et des Finances, qui se chargera de les gérer. Nous, au Conasfor, nous recevrons des rapports des dépenses que nous mettrons à la disposition du peuple.
Jusqu’au 28 août, soit un mois après le lancement, il faudrait que nous ayons bouclé l’opération de mobilisation des ressources, tant pour le déploiement des 8000 soldats que pour l’encasernement.
Etes-vous allé sur le terrain voir les conditions de vie des premiers éléments déployés?
J’ai fait des missions à Yamoussoukro, une à Bouaké et une autre à Man. Les soldats sont dans une bonne ambiance, mais les réalités sont là : il n’y a pas de lits, de moyens de locomotion, de communication. Ils n’ont pas de tenues dignes de notre armée, etc.
N’êtes-vous donc pas fier de l’armée en ce moment?
Nous ne sommes pas fier de cette armée en ce moment. C’est pour cela que la nouvelle armée, qui est à l’état embryonnaire doit être une priorité pour les Ivoiriens. Nous devons la prendre comme la prunelle de nos yeux, la chouchouter afin qu’elle soit à l’abri de tous besoins élémentaires.
De quel mode de contrôle disposent les Ivoiriens pour savoir à quoi servira l’argent qu’ils donnent dans le cadre de vos actions?
Le premier élément de transparence, c’est que chaque donateur reçoit un reçu dès qu’il apporte son don. Ensuite, à compter de la semaine prochaine, nous allons publier, chaque semaine, la liste des donateurs dans Fraternité Matin qui est le journal gouvernemental.
Comment l’argent sera-t-il dépensé? En ce qui nous concerne au Conasfor, nous allons mettre les fonds à la disposition du ministère de l’Economie et des Finances qui est outillé en matière de gestion des fonds de l’Etat.
C’est lui qui nous fera le point des dépenses pour que, à notre tour, nous informions le peuple.
Avez-vous confiance en la capacité de mobilisation des opérateurs économiques de Côte d’Ivoire?
Les opérateurs économiques de ce pays ont déjà démontré leur amour pour la Côte d’Ivoire. On les a vus, hier, au plus fort de la crise où il n’y avait aucune lisibilité. Ils ont participé à l’effort de guerre. Ce sont aussi eux qui ont permis à notre pays de rester debout.
Aujourd’hui où tous les signes de la paix, du retour à la normalité, du décollage économique sont présents, je ne crois pas que les opérateurs économiques hésiteront à participer à l’effort de paix. Nous sommes les premiers bénéficiaires de la stabilité. Une fois le pays réunifié, nous aurons là l’occasion de développer nos activités et de créer des emplois. N’oublions pas que la paix n’a pas de prix.
Interview réalisée par Marc Yevou
Les activités du Conasfor ont été officiellement lancées mardi dernier. A ce jour, à combien êtes-vous en termes de mobilisation?
Lorsque nous rencontrions la haute hiérarchie militaire il y a de cela un mois quinze jours, le comité restreint que je pilotais leur avait annoncé 85 millions. Nous avons fait la même démarche auprès du général Soumaïla Bakayoko des Fafn à Bouaké.
Mais aujourd’hui, en 45 jours, avec le déroulement de notre stratégie de lobbying et de relations publiques qui nous a permis de distribuer 15000 lettres, d’envoyer 2000 cartes d’invitation, de diffuser des communiqués pendant un mois et demi dans les journaux, le 28 juillet, à l’état-major des armées où a eu lieu la cérémonie, nous avons pu récolter la somme de 215 millions (l’interview a été réalisée le mercredi 29 juillet dernier. Les chiffres ont du évoluer depuis cette date). A savoir 15 millions émanant des entreprises et personnes physiques, 100 millions du président que je suis, pour donner l’exemple. Et les 100 autres millions de la Sipef.
Pourquoi un opérateur économique décide-t-il de soulager ses caisses d’un montant aussi important? Etes-vous si riche? …
Je ne suis pas riche. Mais si la crise perdure, je vais, comme de nombreux autres opérateurs, voir péricliter mes affaires. L’économie d’une nation ne peut se développer que dans un environnement apaisé. Or, la paix, comme on le dit à juste titre, n’a pas de prix.
Je suis propriétaire d’une Pme, le groupe Meambly. J’ai une structure de négoce de riz et de café-cacao, je fais de l’élevage, j’ai un hôtel à Yopougon, une société de transit et je fais de l’intermédiation. Ma Pme emploie autour de 50 à 60 personnes et je fais un chiffre d’affaires maximum de 2 milliards l’année. Je ne suis pas un riche homme d’affaires, mais je me devais de donner l’exemple.
La meilleure manière de prêcher, c’est par l’exemple. On ne peut donc pas demander à des opérateurs économiques, quel que soit le volume de leurs chiffres d’affaires, de faire un sacrifice pour la paix sans soi-même se montrer capable de sacrifice.
100 millions tout de même…
C’est parce que je crois en mon pays. Parce qu’il me coûte cher. C’est dans ce pays que je développe mes affaires, s’il n’existe plus, je ne sais où je pourrais travailler, faire tourner ma Pme. En tant qu’initiateur du Comité de soutien aux forces de la réunification, en offrant 100 millions, je veux, sans prétention aucune, montrer que nous ne devons pas hésiter à sauver notre pays. Chaque opérateur économique doit pouvoir faire sa part de sacrifice en aidant à créer un cadre sécurisé pour le développement de nos affaires. Payons pour la paix, payons le prix de la paix qui n’a pourtant pas de prix et nous nous en porterons mieux, notre pays aussi et donc nos affaires également.
Autre gros donateur, la Sipef…
J’ai pu négocier avec la Société nationale du patrimoine ferroviaire, qui a compris l’enjeu et le bien-fondé de notre action et qui a offert, elle aussi, 100 millions.
Ce que tout homme d’affaires sait, c’est que prendre part à des opérations d’envergure comme celle que vient de lancer le Conasfor, c’est investir pour le futur. Donner de l’argent pour son pays, ce n’est pas en perdre. Bien au contraire, c’est s’enrichir. Parce qu’un pays en paix, ce sont des affaires qui prospèrent, des consommateurs libérés des craintes des lendemains incertains qui n’hésitent donc pas à dépenser. Investir dans la paix, c’est, au bout du compte, développer ses affaires. Le raisonnement est clair. Et tout homme d’affaires qui veut retrouver un marché sûr et stable, un pays réunifié et donc un espace de commercialisation plus vaste ne peut qu’adhérer à l’initiative du Conasfor et y prendre part.
Quelles sont les motivations à l’origine de la création du Conasfor?
Le Comité national de soutien aux forces de réunification (Conasfor) est une association apolitique à but non lucratif. C’est une association née de la volonté d’opérateurs économiques, dont le doyen Roland Dagher et bien d’autres, qui ont voulu garder l’anonymat. Rappelons-nous: le Chef de l’Etat, dans une déclaration en date du 30 avril 2009, annonçait le début du redéploiement des 8000 hommes des forces armées à partir du 5 mai. Le 7 mai à Grand-Bassam, lors d’une rencontre initiée par le Premier ministre sur la sortie de crise, des insuffisances liées à des problèmes financiers ont été relevées. Ce qui avait pour conséquence de mettre à mal le déploiement des forces de la réunification. Face donc à cette situation, nous opérateurs économiques, avons estimé que le temps était arrivé de nous décider pour la réunification. La Côte d’Ivoire venait d’être éligible à l’initiative Ppte et pour y arriver, des moyens colossaux ont été dégagés par l’Etat. Entre l’éligibilité et le point d’achèvement, dans deux ou trois ans, il va falloir encore se serrer la ceinture. Nous savons aussi que les sources d’approvisionnement de l’Etat ne sont pas inépuisables, la guerre s’étant étirée et ayant fragilisé les assises de notre économie.
Depuis 2002, année du déclenchement de la crise, la Côte d’Ivoire ne récolte sa richesse financière que sur seulement 40% du territoire. Et ce sont les richesses collectées dans cette partie du pays qui permettent de gérer financièrement l’ensemble du pays. Tant au niveau de la santé, de la sécurité que de l’éducation. Nous avons constaté que les problèmes de l’Etat sont réels. Il fallait donc un sursaut d’orgueil au niveau des opérateurs économiques. Mais surtout dans l’urgence, compte tenu des besoins pressants. Puisque le prochain grand rendez-vous de notre pays avec son histoire, c’est le 29 novembre prochain, date du premier tour de la présidentielle. Or, pour y arriver, il faut bien que la sécurité soit. Voilà l’enjeu de notre action. Nous opérateurs économiques, sommes les premiers bénéficiaires de la stabilité politique.
D’autres motivations ne vous guideraient-elles pas…
Pourquoi ne pouvons-nous pas prendre les choses comme elles se présentent? Quelques voix s’élèvent et s’interrogent : les élections auront-elles lieu?
Au lieu d’instaurer le doute permanent comme un mode de raisonnement, pourquoi ne pas prendre sa part de responsabilité et poser les actes qui nous permettront de tenir le pari du 29 novembre 2009 ? Il faut plutôt agir ici et maintenant pour aider l’Etat dont les besoins sont estimés à environ 12 milliards dans le cadre du déploiement des forces qui doivent sécuriser le territoire national avant les élections. Et puisque l’Etat n’a pas les moyens de faire immédiatement face à cette autre lourde charge, il faut donc que la mobilisation des ressources vienne d’autres personnes. C’est ce que nous avons initié en toute responsabilité en tant que privé. Nous n’avons été mandatés par personne. Nous avons pris sur nous, d’aider notre pays. Nous sommes allés vers des aînés, de jeunes frères, des travailleurs, la masse paysanne et autres, pour leur dire que l’heure est venue de donner les moyens aux politiques pour qu’ils puissent atteindre l’objectif des élections. Ils ont certes démontré leur bonne foi; le peuple aussi a suffisamment montré qu’il affronte ses difficultés; nous opérateurs économiques qui créons la richesse dans le pays et qui sommes les indicateurs réels du Pib, nous devons maintenant influer sur les politiques en leur apportant un soutien financier. Parce qu’ils n’attendent que ça. Et comme nous savons que le politique ne peut s’appuyer que sur les opérateurs économiques, nous sommes obligés de prendre la place qu’il nous faut. Et cette place-là, il nous faut l’assumer pleinement, en réunissant les moyens conséquents pour l’Etat, afin qu’il puisse débourser les 12 milliards pour le déploiement des 8000 hommes. La restauration de la sécurité étant la condition sine qua non pour nous permettre de mener toutes nos activités, quelles soient économiques, sociales ou politiques, dans la sérénité.
Vous estimez donc que les opérateurs économiques n’ont pas fait assez d’efforts pour aider le pays à sortir de la crise.
Ils ont fait beaucoup d’efforts. Sans oublier que nombre d’entre nous ont perdu beaucoup de leurs acquis.
Des efforts énormes ont été faits par les opérateurs économiques. Je loue leur courage à juste titre. Mais pour l’heure, la mère patrie a encore besoin de notre soutien. Tant qu’elle ne s’est pas redressée pour nous donner ses deux mamelles à téter, nous devons savoir qu’elle est encore malade. C’est pour cela que chaque opérateur économique, à quelque niveau qu’il se trouve, a intérêt à comprendre que l’heure est venue de lever une contribution. Librement. L’essentiel pour nous, c’est de collecter les 12 milliards dont la nation a besoin pour que nos 8000 hommes puissent avoir leurs trois repas par jour, leurs moyens de locomotion, de communication, des tenues, etc. Il faudrait qu’on accorde à ces soldats de la réunification, un minimum de chaleur, de considération, d’enthousiasme dans toutes les régions où ils seront déployés. Cela peut faire partie de leurs besoins.
Au-delà de cette action, nous nous devons de faire en sorte que la nation et l’armée se retrouvent dans une relation harmonieuse car cela s’impose à toute République. De 1960 à 1999, l’armée faisait corps avec le peuple. Mais depuis 1999 jusqu’à ce jour, il y a irruption de l’armée sur la scène politique. Du 18 au 19 septembre 2002, elle s’est scindée en deux : avec une armée au nord, une autre au sud, chacune avec son chef d’état-major. Vous constatez avec moi qu’aujourd’hui, cette armée est à la recherche d’une cohésion. Le peuple aussi recherche son armée d’alors avec laquelle il faisait corps. Il faut donc faire en sorte de retrouver cet ordre ancien, pour le développement harmonieux de la Côte d’Ivoire.
Le Conasfor ne fait donc pas que mobiliser de l’argent…
Il nous faut atteindre les esprits, agir sur les relations peuple-armée et vice-versa; influer sur le comportement de notre armée. Il faut que le peuple regarde désormais son armée avec respect et admiration, puisqu’elle serait revenue à sa place d’antan. Ce sont autant d’éléments qui font partie des objectifs que le Conasfor s’est fixés.
Au bout du compte, c’est un investissement pour le futur…
C’est un pari que nous prenons sur l’avenir de notre pays et donc les nôtres. Et parce que j’ai confiance en notre armée, je n’ai aucune crainte.
Avez-vous eu des intentions de dons?
De la soirée de mardi à mercredi, nous avons pu recouvrer 74.350.000 F. Ce montant s’ajoute aux 215 millions déjà disponibles.
Il faut souligner qu’à la cérémonie de lancement, le général Mangou, chef d’état- major des armées, a offert la somme de 1 million. Fraternité Matin aussi.
Les chèques doivent être émis à l’ordre du Comité national de soutien aux forces de réunification (Conasfor) et déposés à la Banque nationale d’investissement (Bni) sur le compte numéro A0092-01001-00274550000-24. De même que les apports en numéraire. Et nous prions tous les donateurs de conserver minutieusement leur bordereau de dépôt.
Voulez-vous étendre la collecte de fonds aux présidents d’institution et autres, au-delà des opérateurs économiques?
Au-delà des opérateurs économiques, nous nous sommes dit que les présidents des institutions et les autres autorités sont des Ivoiriens, donc concernés par la paix dans leur pays. C’est pour cela que nous avons demandé la somme de 1000 F à chaque citoyen ivoirien. Nous irons vers ces autorités pour solliciter leur participation.
Vos sollicitations ne fragilisent-elles pas les entreprises qui ont tant souffert des sept ans de crise?
Je le disais tantôt, les Ivoiriens, dans leur ensemble, ont souffert de cette crise. La question aujourd’hui est de savoir s’il faut continuer de souffrir. Alors que nous connaissons notre remède.
Les 8000 hommes chargés de notre sécurité éprouvent quelques difficultés. Nous ne demandons que 1000F par personne. Mais que ceux qui en ont plus, donnent plus.
Après les marches et autres mouvements de résistance de la population, l’heure du sursaut des opérateurs économique a sonné.
Les élections ayant lieu le 29 novembre, quand ce budget doit-il être bouclé pour que l’opération ne traîne pas en longueur, le temps étant plus que précieux pour la Côte d’Ivoire?
Nous avons une rencontre avec le ministre de la Défense cette semaine. Une concertation qui réunira autour de lui ses collègues de l’Intérieur et de l’Economie et des Finances, pour nous communiquer le budget global de l’opération de redéploiement des militaires et des autres actions liées à cette étape importante du processus de paix. Après quoi, nous mettrons les fonds à la disposition du ministère de l’Economie et des Finances, qui se chargera de les gérer. Nous, au Conasfor, nous recevrons des rapports des dépenses que nous mettrons à la disposition du peuple.
Jusqu’au 28 août, soit un mois après le lancement, il faudrait que nous ayons bouclé l’opération de mobilisation des ressources, tant pour le déploiement des 8000 soldats que pour l’encasernement.
Etes-vous allé sur le terrain voir les conditions de vie des premiers éléments déployés?
J’ai fait des missions à Yamoussoukro, une à Bouaké et une autre à Man. Les soldats sont dans une bonne ambiance, mais les réalités sont là : il n’y a pas de lits, de moyens de locomotion, de communication. Ils n’ont pas de tenues dignes de notre armée, etc.
N’êtes-vous donc pas fier de l’armée en ce moment?
Nous ne sommes pas fier de cette armée en ce moment. C’est pour cela que la nouvelle armée, qui est à l’état embryonnaire doit être une priorité pour les Ivoiriens. Nous devons la prendre comme la prunelle de nos yeux, la chouchouter afin qu’elle soit à l’abri de tous besoins élémentaires.
De quel mode de contrôle disposent les Ivoiriens pour savoir à quoi servira l’argent qu’ils donnent dans le cadre de vos actions?
Le premier élément de transparence, c’est que chaque donateur reçoit un reçu dès qu’il apporte son don. Ensuite, à compter de la semaine prochaine, nous allons publier, chaque semaine, la liste des donateurs dans Fraternité Matin qui est le journal gouvernemental.
Comment l’argent sera-t-il dépensé? En ce qui nous concerne au Conasfor, nous allons mettre les fonds à la disposition du ministère de l’Economie et des Finances qui est outillé en matière de gestion des fonds de l’Etat.
C’est lui qui nous fera le point des dépenses pour que, à notre tour, nous informions le peuple.
Avez-vous confiance en la capacité de mobilisation des opérateurs économiques de Côte d’Ivoire?
Les opérateurs économiques de ce pays ont déjà démontré leur amour pour la Côte d’Ivoire. On les a vus, hier, au plus fort de la crise où il n’y avait aucune lisibilité. Ils ont participé à l’effort de guerre. Ce sont aussi eux qui ont permis à notre pays de rester debout.
Aujourd’hui où tous les signes de la paix, du retour à la normalité, du décollage économique sont présents, je ne crois pas que les opérateurs économiques hésiteront à participer à l’effort de paix. Nous sommes les premiers bénéficiaires de la stabilité. Une fois le pays réunifié, nous aurons là l’occasion de développer nos activités et de créer des emplois. N’oublions pas que la paix n’a pas de prix.
Interview réalisée par Marc Yevou