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Société Publié le mercredi 19 août 2009 | Notre Voie

Echec scolaire - Tous au banc des accusés

Les résultats des examens du Brevet d’études du premier cycle (BEPC) et du Baccalauréat sont catastrophiques ces dernières années. Plusieurs facteurs, selon le constat, sont à la base du naufrage des candidats et de la descente de l’école aux enfers. Notre Voie a analysé la situation pour comprendre les dessous de la catastrophe qui va s’empirant. Il en ressort que les responsabilités se situent au niveau des élèves, des enseignants, des parents et de l’Etat. De la responsabilité des élèves Le niveau des élèves est, de façon générale, très faible dans l’ensemble. Ils sont devenus rares, les élèves qui arrivent en classes de Troisième (3ème) et de Terminale par leurs propres moyens. Dans ces deux niveaux, il y a plus d’accompagnateurs que de candidats ayant le niveau requis. En Terminale, sur 164 000 candidats, par exemple, seuls 60 000 ont le vrai niveau malgré les soubresauts. Et s’il y a 28 500 admis sur 164 000 candidats, bien évidemment, les résultats seront jugés catastrophiques. Or, 28 500 admis sur 60 000 candidats, c’est presque 50 % d’admis. Mais d’où sortent les 100 000 accompagnateurs ? Comment arrivent-ils en Terminale ? Les arrangements de moyennes annuelles en classe de Première, les candidats libres qui passent par des établissements secondaires privés pour officialiser leurs candidatures, sans se mettre au travail pendant l’année scolaire et les interventions des parents d’élèves en faveur de leurs progénitures sont des facteurs qui font que de nombreux élèves se retrouvent en Terminale sans avoir le niveau. «Je préfère que mon fils aille redoubler la Terminale au lieu de la classe de Première. S’il redouble la Première et que l’année suivante, il n’a pas le baccalauréat, il aura perdu quatre années pour rien,» nous confiait un parent d’élèves qui intervenait auprès des enseignants pour arrondir la moyenne de son fils menacé de redoublement. Selon nos sources, des enseignants font également ces mêmes magouilles pour leurs protégés. De nombreux candidats libres, pour obtenir un livret scolaire, passent par des écoles privées. Ils s’inscrivent moyennant de l’argent, sous le couvert d’une école qui les comptabilise parmi les candidats officiels. Pour tout dire, les effectifs en classe d’examen sont gonflés après des tripatouillages de moyennes. De nombreux élèves atteignent la classe de Troisième après des magouilles en Quatrième. D’autres y accèdent facilement à cause de l’équilibre établi entre les coefficients des matières. En effet, depuis quelques années, toutes les disciplines scolaires sont affectées du coefficient 1. Il suffit d’un 12/20 quelque part pour boucher le trou creusé par un 08/20 ailleurs. Ainsi, les élèves jonglent toute l’année pour équilibrer leurs notes afin d’obtenir, en fin de compte, une moyenne supérieure ou égale à 10/20. Combien d’élèves sont-ils capables aujourd’hui de construire une phrase simple en français, en anglais, en espagnol etc. ? Le divertissement, le sexe, l’alcool, la cigarette et autres vices l’ont emporté sur le travail scolaire. Organisez une conférence sur leur avenir au foyer de leur école, les élèves ne viendront jamais y participer. Mais, le lendemain, organisez un concours de danses, le foyer refusera du monde. Comment peut-il en être autrement, si des bistrots, des maquis, des bars climatisés entourent l’école et si des parents d’élèves sont prêts à payer cher pour corrompre des examinateurs et des enseignants ? Le goût de la facilité est très prononcé chez les élèves, qui ont l’appui de leurs parents ou même des enseignants. A cela s’ajoutent les perturbations intempestives des cours pour un oui ou pour un non. Il n’y a plus de notes de conduite. Plus rien n’effraie encore certains élèves, qui n’hésitent pas à défier les enseignants et l’administration. Les médiocres et les fainéants s’imposent toujours à la majorité qui veut travailler. Et tout se déroule comme si à l’école il n’y avait ni règle, ni autorité. Les grèves surviennent sans préavis. Et les cours vaquent pour une semaine, voire deux. Les programmes, bien évidemment, sont inachevés. Comment s’étonner que des candidats qui ont semé le vent récoltent la tempête ? Les élèves ne sont pas les seuls artisans de leur échec. Leurs maîtres, c’est-à-dire, les enseignants, y sont aussi pour beaucoup. De la responsabilité des enseignants Les enseignements ne sont plus donnés correctement tant dans le primaire que dans le secondaire. La complaisance, le mercantilisme, l’inconscience professionnelle, le non respect de la hiérarchie, la fraude, la résistance à la formation continue, le tout couronné par des grèves intempestives justifiées ou non, ont conduit l’école dans l’abîme. En effet, des professeurs ont, de nos jours, fait perdre à l’école sa noblesse. Un professeur qui prend régulièrement un pot dans un maquis avec son ou ses élèves peut-il refuser de gonfler les moyennes de celui-ci ou de ceux-ci, dès qu’ils le solliciteront en cas de blocage ? Certains enseignants ont choisi de vendre leurs cours à travers des fascicules au lieu d’enseigner correctement les enfants à eux confiés. Ils font même du chantage par rapport aux cours de renforcement qu’ils dispensent dans les établissements publics malgré l’interdiction faite par le ministère de l’Education nationale. Seules les notes de ceux qui participent aux «renfos» sont bonnes. Les bons élèves ou les moyens qui n’y participent pas sont démotivés à cause de l’injustice créée par les enseignants. Il arrive même que des enseignants glissent des extraits des devoirs officiels dans les exercices donnés en renforcement, histoire de donner un coup de pouce à ceux qu’ils encadrent et démontrer, par la même occasion, que les cours de renforcement sont une panacée. Ce n’est pas tout. A Abidjan et banlieue, de nombreux professeurs sont en sous horaires. Ils n’ont que six heures, voire quatre par semaine au lieu de dix-huit (18) ou vingt et une (21) heures. Malgré cela, ils sont aux abonnés absents, parce qu’ils passent le plus clair de leur temps à faire la navette entre les établissements privés de la ville. Des emplois du temps sont taillés sur mesure avec la complicité de certains membres de l’administration pour leur permettre de vaquer à d’autres occupations. «Avec trente (30) heures de cours par semaine, dont quatorze (14) au public, comment pouvez-vous être efficaces et obtenir de bons résultats ?» s’interrogeait, il n’y a pas longtemps, M. Kabran Assoumou, ex-directeur régional de l’Education nationale d’Abidjan 1 (DREN 1), au cours de la rentrée pédagogique de l’unité pédagogique (UP) de français de Cocody, au Lycée Sainte Marie. Résultat : les élèves du public sont laissés pour compte, les retards ou les absences causés par les va-et-vient entre les écoles ne sont pas rattrapés et des chapitres sont perdus pour les candidats. Des enseignants font aussi rêver des candidats toute l’année, leur faisant croire qu’ils peuvent les aider à obtenir leur Baccalauréat ou leur BEPC. Les longues grèves intempestives, qui ne sont presque jamais suivies de cours de rattrapage sont pour beaucoup dans le naufrage des candidats. Ces arrêts de cours perturbent les enfants et les démotivent, s’ils ne les mettent pas dans l’incertitude totale. Les évaluations prévues ne sont pas faites. Nombreux sont les enseignants qui prétextent des effectifs pléthoriques pour ne pas évaluer les apprenants pendant l’année scolaire. Rares sont ceux qui font trois devoirs surveillés ou plus dans le trimestre. Les élèves peuvent totaliser cinq devoirs pour toute l’année scolaire. Les établissements secondaires qui organisent des examens blancs sont de plus en plus rares à cause des perturbations nationales ou locales. En plus, que peut-on attendre d’un apprenant si le formateur ne se forme pas ? Ils sont légion, les enseignants qui fuient la formation continue. Ils ne participent pas aux activités pédagogiques et séminaires de formation. Ils sont hostiles aux innovations pédagogiques. «Un professeur d’un lycée public de Koumassi ne participait jamais aux activités pédagogiques organisées par l’UP de son secteur. Il a enseigné pendant toute l’année scolaire une œuvre qui n’était plus au programme depuis des années. Il a menti à ses élèves toute l’année et leur a causé d’énormes préjudices», a poursuivi l’ex DREN 1, actuellement directeur des ressources humaines au ministère de l’Education nationale. Il entendait ainsi attirer l’attention des enseignants sur la nécessité de la formation continue, surtout que des enseignants, aussi bien du primaire que du secondaire, sont recrutés et mis sur le terrain après une formation accélérée. «Parmi eux se trouvent des formateurs dont le niveau laisse à désirer», confie un encadreur pédagogique. Tenez ! Quel miracle attend-on de ce professeur de français qui a dit un jour à ses élèves : «Je suis le professeur de français qu’on vous a parlé» ou de cet instituteur, animateur de cérémonie qui, depuis une salle de réunion, lançait à ses collègues : «Chers collègues, vous êtes demandés de prendre place dans la salle». Sans commentaire ! Le malheur de l’école ivoirienne, en général, et des candidats, en particulier, ne vient pas seulement des enseignants peu scrupuleux qui ternissent l’image de ceux qui veulent travailler honnêtement. Des parents d’élèves, de leur côté, ont carrément jeté l’éponge face à l’éducation et à la formation de leurs enfants, s’ils n’empruntent pas de raccourci. De la responsabilité des parents d’élèves Des parents d’élèves, sans peut-être le savoir, contribuent fatalement à l’échec de leurs progénitures. Ils ont totalement démissionné et abandonné leur rôle de premier éducateur. Huit parents d’élèves sur dix (8/10) ne se rendent pas dans l’école de leurs enfants pour vérifier leur assiduité, leur travail et leur conduite. Même quand ils y sont convoqués par l’administration, ils ne font pas le déplacement. A la limite, ils préfèrent se faire représenter. Malheureusement, ces parents sont généralement parmi ceux qui, les premiers, abordent les enseignants pour arrondir les moyennes des enfants. Pour ce faire, ils sont prêts à débourser de l’argent pour soudoyer les formateurs. Très peu d’entre eux savent ce que sont les cahiers de textes, de notes et d’appel. A la maison, beaucoup de parents ne se donnent pas la peine de vérifier les notes des enfants, dont certains, malheureusement, ne présentent que les copies ayant de bonnes notes. De nombreux parents ne reçoivent jamais les bulletins trimestriels. Ils ne s’en offusquent pas pour autant. Le goût de la facilité et le manque de concentration réelle cultivés par les élèves sont très souvent encouragés par certains parents. Aux examens, il est fréquent de voir des candidats à qui les parents remettent de l’argent «pour se défendre au cas où les examinateurs l’exigeraient». Curieusement, ce sont ces candidats qui échouent généralement. Ils sont victimes des vendeurs d’illusions ou alors ils attendent que tout leur tombe du ciel. Les parents sont les premiers à proposer que le professeur principal ou le maître gomme les mauvaises notes pour les remplacer par de bonnes, afin que l’enfant passe absolument ou "accompagne" ses camarades en classe supérieure. Certains vont même, avec la complicité des enseignants, jusqu’à raturer le livret scolaire du candidat. Ce qui, très souvent, entraîne des échecs, puisque le livret raturé est automatiquement rejeté à l’examen, au cours des délibérations. On a beau accuser les élèves, les enseignants et les parents d’élèves, ils ne peuvent changer positivement que si l’Etat joue pleinement son rôle dans le bon fonctionnement de l’école. De la responsabilité de l’Etat Disons-le tout net. L’Etat a une grande part de responsabilité dans la déconfiture de l’école. Les recrutements douteux et le déficit d’enseignants, les effectifs pléthoriques, la correction unique, l’équilibre des coefficients au premier cycle, les innovations pédagogiques non suivies de moyens adéquats, le non règlement à temps des problèmes posés par les syndicats, le manque de suivi concernant les propositions contenues dans les différents rapports annuels et le sous équipement de l’Inspection générale de l’Education nationale (IGEN), sont entre autres, des facteurs qui accablent l’Etat. Nous l’avons dit, les critères de recrutement et la formation des formateurs laissent à désirer. Les enseignants du primaire qui, autrefois, passaient deux années au Centre d’animation et de formation pédagogique (CAFOP), sont aujourd’hui formés en six mois. Les instituteurs adjoints (IA) recrutés avec le BEPC sont, pour la plupart, à l’image des enfants qu’ils sont censés former. Leur niveau est très bas et les inspecteurs de l’enseignement primaire (IEP) en sont conscients. Mais que peuvent-ils faire contre un enseignant déjà engagé ? L’Ecole normale supérieure (ENS) n’est pas exempte de reproche. Dans beaucoup d’établissements primaires et secondaires, il y a un déficit criant d’enseignants. Dans certains collèges, les adjoints aux chefs d’établissements (Censeurs) sont obligés de prendre la craie pour sauver par exemple les élèves des classes d’examen qui n’ont pas de professeurs dans la discipline anciennement enseignée par le censeur. Des élèves arrivent en Troisième sans avoir eu, dans les classes précédentes, des professeurs dans certaines matières. Pendant ce temps, les enseignants en sous horaire pullulent dans les écoles d’Abidjan et des grandes villes. Personne n’ose parler de redéploiement. Le recrutement parallèle, officiellement interdit mais officieusement autorisé, et le manque de places disponibles concourent à l’accroissement vertigineux des effectifs. A Abidjan comme partout ailleurs, ce recrutement se poursuit, souvent avec des tarifs déjà connus. Pour avoir une place dans les lycées publics d’Abidjan, il faut, généralement, débourser cent à cent vingt mille francs CFA (100 à 120 000 FCFA). Les classes les plus convoitées sont la Troisième, la Seconde et la Terminale. Tout ceci, dit-on, est su du ministère de l’Education nationale à travers les rapports faits par l’Inspection générale de l’Education nationale (IGEN). Le recrutement parallèle, la vente de fascicules du primaire au supérieur en passant par le secondaire, les cours de renforcement sont des faits avérés que les inspecteurs ont, selon de très bonnes sources, maintes fois signalés, mais qui n’ont jamais été combattus. Il y a aussi que les Inspecteurs généraux de l’Education nationale (IGEN) manquent cruellement de moyens de déplacement pour être sur le terrain. Ils sont handicapés et ne peuvent souvent sortir plus de deux fois dans l’année. C’est aussi le cas chez les encadreurs pédagogiques de la direction de la pédagogie et de la formation continue (DPFC) cloués dans les bureaux, faute de moyens. En plus, ils sont en nombre restreint et ne peuvent couvrir tout le territoire bien que des Antennes de la pédagogie et de la formation continue (APFC) soient de plus en plus créées. Une autre décision qui «tue» les candidats est la suppression de la double correction. On a vu des candidats malheureux se lamenter à la télévision : «J’ai obtenu 170 points avec une seule moyenne. J’ai eu 09/20 en français. Si j’avais eu, au moins, 10/20, j’aurais eu mon Bac». De fait, ils sont victimes de la correction unique. Pour un candidat qui a obtenu 09/20 en français ou en philosophie ou en langue vivante 1, il est possible qu’un second correcteur puisse lui attribuer 10/20. Par le passé, les deux notes étaient additionnées et divisées par deux. Puisqu’il n’y a pas de demi-point au Baccalauréat, la note obtenue est donc arrondie à la note supérieure. Au premier cycle, toutes les matières s’équivalent. Ce qui facilite le passage en classe supérieure. Un changement brutal intervient au second cycle qui déphase totalement les élèves. Des candidats enseignés selon la nouvelle approche FPC (Formation par compétence) dans des écoles pilotes devaient être évalués selon la FPC. A la dernière minute, les enseignants ont appris que tous les candidats seront évalués selon la Formation par objectif (FPO), une décision qui a déphasé élèves et enseignants. Enfin, il est bon de relever le manque d’anticipation au niveau de l’Etat qui fait des promesses sans lendemain aux enseignants. Les grèves des enseignants, souvent prévisibles, ne sont pas combattues frontalement ou par anticipation. Bien au contraire, elles sont favorisées ou même suscitées. Il faut se garder de promettre ce que l’on ne peut avoir ou à tout le moins, avoir un langage courtois et convaincant. En tout état de cause, chacun à son niveau doit se remettre en cause pour rehausser l’image et le niveau de l’école ivoirienne.

Dossier réalisé par Sam KD et Patrice Tapé (tapepatrice@yahoo.fr)
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