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Société Publié le lundi 14 septembre 2009 | Le Temps

Ecole ivoirienne : Les raisons d’une débâcle

77% d'échec au Bepc. Derniers résultats des examens de fin d'année confirmant la débâcle de l'école ivoirienne après le mémorable 80% d'échec réalisé au bac deux semaines plus tôt. Qu'arrive-t-il à l'école ivoirienne ? Question logique et récurrente. Complainte d'une société ivoirienne à la fois désabusée, complaisante et suicidaire. Puisqu'en réalité, le triste résultat de ces examens n'est rien que l'aboutissement d'une approche fantaisiste de l'école depuis de nombreuses années. On a jusque-là ressassé les platitudes du genre, effectifs pléthoriques ou encore manque d'enseignants pour faire l'intello soucieux de l'avenir du pays. Pourtant, le mal est profond, il vient de loin. Et concerne la qualité des animateurs du secteur éducation/formation. Au risque de se montrer alarmiste, les nombreuses erreurs constatées dans la composition des sujets et des barèmes de correction, lors de cette session, sont le signe patent de la médiocrité qui a gagné le système éducatif ivoirien. Cela va tout de même de soi. A quoi doit-on s'attendre avec une génération d'enseignants complaisants n'ayant aucun sens du devoir ? Des savants que les études et la recherche révulsent. Passant plus de temps dans les “fêtes paresseuses” que dans les bibliothèques, parfois accompagnés de leurs élèves ? C'est être “in”, selon certains. D'autres ont poussé la cupidité jusqu'à vendre les notes au plus offrant. Sous le regard complice des chefs d'établissements qui, dans bien des cas, semblent y trouver leur compte. A Duékoué, ville située à environ 500 km d'Abidjan, on a même osé trouver une grille tarifaire : 2000 f pour passer de 03/ 20 à 12/20 et 5000 f pour atteindre la barre de 16/20. La transaction se fait quelquefois en nature. Il ne s'agit pas là de faits isolés, propre à la ville de Duékoué, mais de pratiques qui déterminent désormais le passage en classe supérieure dans les lycées et collèges de Côte d'Ivoire. Pour contourner ce racket hideux, l'élève doit s'offrir un tuteur parmi le personnel enseignant de son établissement qui se chargera de quémander les moyennes pour son protégé.
“Tous les élèves sont devenus des cas sociaux”
Toutes les fins d'année, les parents d'élèves investissent les cours des lycées et collèges pour plaider pour le passage de leurs enfants en classe supérieure. " Tous les élèves sont devenus des cas sociaux, aujourd'hui. Toutes les fins de trimestre, les parents ou d'autres collègues enseignants multiplient les plaidoiries aussi pathétiques les unes que les autres pour les aider à aller en classe supérieure ", déplore Mme Doumbia, inspecteur de l'enseignement secondaire. Au bout du compte, on se retrouve dans les classes d'examen avec des élèves qui n'ont jamais été correctement évalués et sans niveau. A quel résultat doit-on s'attendre dans un tel environnement de fraude généralisée ? Même les 70% de réussite réalisée au primaire doivent être pris avec des pincettes. Parce que les corrigés des épreuves sont recopiés au tableau moyennant 500 f déboursés par chaque candidat. Les élèves qui refusent de s'y soumettre sont quasiment harcelés. Résultat : les élèves s'entassent en sixième par centaines. Certains ne sachant même pas écrire leur nom. Lorsqu'un enseignant se garde de tremper dans ces pratiques, il est presque pris à partie par ses collègues. Un conseiller pédagogique en poste à Duékoué justifie d'ailleurs cette attitude par le fait qu'il contribue à améliorer le taux de réussite. Ahurissant ! Dans les établissements secondaires privés, la situation est à la pourriture. Tout élève peut s'inscrire au niveau de son choix pourvu qu'il ait de l'argent. Ainsi, un élève exclu ou autorisé à redoubler pour insuffisance de résultat peut se permettre de s'inscrire en 3e ou en Terminale selon ses ambitions, avec la bénédiction des parents. Convaincu de ce que la fraude peut lui permettre de réussir à son examen de fin d'année. Dans ces conditions, il est normal que les élèves rechignent à l'effort. Qu'ils n'éprouvent plus le besoin de suivre les cours. Que le niveau d'indiscipline atteigne le seuil de l'intolérable. C'est d'ailleurs cette indiscipline qui gangrène le système éducatif ivoirien. Et ce, au plus haut niveau. Au 20e étage de la tour D qui abrite les ressources humaines de l'Education nationale, c'est le cafouillage. Il n'y a qu'à voir la répartition du personnel sur le territoire national pour s'en rendre compte. Dans certaines villes de l'intérieur du pays, certains élèves ne prennent contact avec des disciplines aussi fondamentales que le français, les mathématiques ou encore les sciences physiques qu'à partir de la classe de 3e. Tandis que les enseignants s'entassent à Abidjan, se tournant les pouces. Certains n'ont que huit heures de cours là où il en faut dix-huit. De toutes les façons, en Côte d'Ivoire, rien n'est jamais grave. On peut même se permettre d'arrêter l'école pendant un mois sans que personne ne s'en émeuve. Comment peut-on espérer un système scolaire sérieux et performant sans un minimum de rigueur ? On ne peut pas avoir la charge de l'élite de demain et se complaire dans l'incurie.
“Ici tout est possible pourvu que tu aies de l'argent” La formation de base censée donner un repère fiable aux mômes avant d'entamer le secondaire est devenu une véritable foire où les responsables s'engraissent sans un soupçon de scrupule. Les inspecteurs de l'enseignement primaire vendent les examens de titularisation. Pourtant, on sait très bien comment, depuis quelques années, les enseignants sont recrutés. Il suffit pour ces derniers de débourser entre 150 et 200 000 Fcfa pour qu'on ferme les yeux sur leurs lacunes pourtant si criardes. Les orientations en 6e et en 2nde sont perçues comme une ruée vers l'or. 50 000 Fcfa permettent à n'importe quel élève de se faire orienter dans la série de son choix, sous le couvert de travaux post-orientation qui, normalement, devrait plutôt régler les cas d'omission. " Ici tout est possible pourvu que tu aies de l'argent " lançait, en octobre dernier, grisé par l'affluence du moment, un inspecteur d'orientation en poste à la Dren de Guiglo. Et ce n'est pas une boutade. Mais tout un programme de sabotage de l'école. Ce phénomène justifie, d'ailleurs, en grande partie les effectifs pléthoriques constatés surtout en 6e et en 2nde. Puisque ces élèves frauduleusement orientés sont le plus souvent plus nombreux que ceux qui le méritent. C'est tout logiquement que ce cocktail d'indécence renforcé par un zeste d'immoralité qui justifie les résultats catastrophiques de cette année. En d'autres termes, ces examens apparaissent comme la pierre de touche d'une école ivoirienne malade.
Emmanuel Fofana
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