Le véhicule fend la nuit opaque en direction d’Abidjan. Nous sommes à l’arrière assis entre des sacs remplis de tubercules et des femmes allaitant leurs bébés. La chaussée obscure de l’autoroute est silencieuse. Les grands arbres forestiers défilent sous les yeux à une vitesse vertigineuse. Le chauffeur roule à vive allure. Une odeur de caoutchouc brulé monte au nez. On a l’impression que le pneu fume, mais, personne n’a le reflexe de le signaler au conducteur. Sur l’autoroute, la plupart des automobilistes roulent à une vitesse suicidaire. Quelques passagers, inquiets, demandent plutôt au chauffeur d’aller doucement. Mais, c’est peine perdue. Finalement, personne n’ose en parler encore. Chacun pour soi, Dieu pour tous. Il est 20h. Et, à cette heure, il est difficile de trouver un véhicule de transport à Tiassalé en partance pour Abidjan. Ce mini-car que nous avons emprunté venait de Gagnoa. Un coup de chance ? On se demande à présent si c’était une bonne idée. Les automobilistes qui empruntent l’autoroute à cette heure, prennent leurs précautions. Ce n’est pas contre les intempéries, mais, plutôt contre les coupeurs de route. Ils sont là…Et la meilleure précaution pour les chauffeurs, demeure… la vitesse. “Ne s’arrêter sous aucun prétexte sur ce tronçon”. Une prescription que le mini-car « Massa » suit d’ailleurs à la lettre. Soudain, un bruit sourd vient troubler le silence des passagers.
La peur de l’autoroute
Le pneu a éclaté. Le véhicule vacille. Nous entendons distinctement le grincement de la jante sur le bitume. Les cris de panique des passagers. En l’espace de quelques secondes, le véhicule se transforme en un cercueil roulant. Chacun s’agrippe à une barre de fer, à un dossier de siège à sa portée. Les femmes assises à nos côtés, leurs enfants en main, prient fiévreusement. Une femme enceinte, presqu’à terme, s’écroule de son siège. Le véhicule continue de fendre la nuit à sa vitesse de croisière pendant encore quelques secondes qui semblent durer une éternité. Le chauffeur ne peut pas freiner brusquement au risque de provoquer l’irréparable. Le mini-car finit par s’immobiliser sur la chaussée. Tout le monde descend. Les passagers sont si traumatisés que personne n’ose faire de commentaire. Nous sommes isolés quelque part entre N’Douci et Sikensi. La femme enceinte qui s’est écroulée dans le véhicule a presque perdu connaissance. Quelques bonnes dames l’aident à sortir du car pour la faire coucher sur le trottoir. Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Ayant échappé au pire, il faut redouter autre chose. Les coupeurs de route. « Hé, éteignez vos portables! », ordonne l’apprenti. Les passagers qui tentaient d’appeler leurs proches pour les prévenir du retard qu’ils vont accuser, sont étonnés de cette alerte. « Les coupeurs de route, ils peuvent vous apercevoir par la lumière de vos portables », ajoute l’apprenti, en sueur. Sa face confondue à l’obscurité semble sérieuse. Le chauffeur, penché sur la roue crevée, insiste.
Sur l’autoroute, on éteint les portables la nuit
Nous éteignons nos portables. Et dans la nuit tiède et silencieuse, seuls les phares du mini-car rassurent. Mais, le pneu est si endommagé qu’on a du mal à l’enlever. Le chauffeur et son apprenti semblent impuissants devant le fait. Ils espèrent l’aide d’un véhicule qui aurait l’amabilité de s’arrêter à cet endroit pour leur prêter un cric. Le Massa a eu le malheur de s’immobiliser sur l’un des tronçons les plus fréquentés par les coupeurs de route, en tout cas, au dire des passagers. En ces sales temps qui courent, il ne se passe pas une semaine à Tiassalé sans qu’on n’entende qu’un véhicule a été attaqué par les coupeurs de route. L’attente est harassante. Les véhicules qui passent, n’osent pas s’arrêter à la vue du mini-car immobilisé sur la chaussée, dans le noir. Les silhouettes éparses des passagers sur le trottoir augmentent leurs doutes. Après plusieurs tentatives, un autre véhicule Massa s’arrête, non sans précaution. Car, il prend une distance respectable, une centaine de mètres, pour voir à qui il a affaire. L’apprenti descend en éclaireur avant de donner le ok au chauffeur. Le véhicule fait ensuite le marche-arrière, lentement et prudemment vers nous. Le chauffeur qui a pris un énorme risque n’échappe pas aux courroux de ses passagers qui le traitent de tous les noms. « Et si c’était eux (les coupeurs de route) », s’inquiètent certains. Néanmoins, le brave chauffeur vient porter secours à son confrère. Face à cet incident, nous prenons conscience de la situation que nous avions vécue quelques heures plutôt à Tiassalé, ce 9 septembre.
Nous y étions pour suivre le procès de quatre coupeurs de route condamnés à 20 ans chacun. Ce sont Tamani Carême, N’Dri Joseph, poursuivis pour association de malfaiteurs, Lonfo Soumahila dit Ismo et Yéo Zanga poursuivis, eux, pour vol de nuit avec violence et port d’armes à feu. L’on croyait à tord que l’arrestation de ces bandits de grand chemin, le 31 août, allait atténuer l’atmosphère à Tiassalé et ses environs. Il n’en est rien, selon la population de Tiassalé. A 9h, des dizaines d’habitants de cette petite ville ont afflué vers le tribunal pour suivre le procès. «C’est le second procès des coupeurs de route, mais, ils continuent leur sale activité», déclare Michel O., un paysan. Lors du procès, on note d’ailleurs la fuite des deux chefs du gang. Nohon Oumar et Abou Taureau. L’un des témoins du braquage du 18 août sur l’autoroute du Nord, aperçoit Abou Taureau pendant le procès. Abou Taureau s’est confondu au public pour suivre le sors de ses camarades alors qu’il est hâtivement recherché. Le témoin en question le signale discrètement au procureur, Zahé Edmond. Le procureur prévient à son tour le juge Kacou Florent. Mais, trop tard, Abou Taureau s’est volatilisé. Pour montrer l’audace de ces forbans que rien ni personne ne semble effrayer.
On ne voyage pas après 18h
D’ailleurs, le gang d’Abou Taureau n’est pas le seul qui sévit sur l’autoroute du Nord. Lonfo, l’un des coupeurs de route arrêtés le signale au juge. Il y avait des braquages dont ils entendaient parler pendant que le groupe faisait une petite trêve. Conscient de ce fait, les chauffeurs ont pris leurs précautions à Tiassalé. A 18h, aucun conducteur ne charge en direction d’Abidjan. D’ailleurs, aucun passager de cette ville n’ose s’aventurer sur l’autoroute du Nord, après cette heure. «Les coupeurs de route ne finiront pas sur l’autoroute. Ils continuent d’attaquer. Maintenant, ce n’est plus la nuit, mais le jour», affirme Diaby, un chauffeur qui fait la ligne Abidjan-Gagnoa. Nous interrogeons les autres chauffeurs sur la fréquence des braquages sur l’autoroute, depuis la grosse prise de la gendarmerie de Tiassalé le 31 août. « Je ne peux pas vous parler des coupeurs de route », tranche un chauffeur qui fait la ligne Abidjan-Tiassalé. Quand nous insistons, il nous lance un regard suspicieux : « C’est pour faire quoi ? ». Les autres conducteurs ne sont pas plus bavards sur la question. Un chargeur qui assiste à la scène nous prévient discrètement: «Ils vous prennent pour un indic». Les passagers ne sont pas moins méfiants. «C’est dangereux de voyager la nuit ici, parce que l’autoroute n’est pas encore sécurisée», raconte Kouassi K., un charbonnier de la ville. Une psychose constatée chez tout le monde. Le soir du procès un fonctionnaire du tribunal est étonné que nous osions prendre le chemin de retour pour Abidjan. Les témoins, la peur au ventre de prendre la route, demandent au juge Kacou Florent et au procureur Zahe Edmond, gîte et couverts. Pour les têtus qui veulent quitter Tiassalé la nuit, il faut se poster devant la brigade de gendarmerie, où se trouve la gare. C’est d’ailleurs l’endroit le plus animé de cette petite ville. Ensuite, il faut espérer qu’un mini-car, en provenance de Gagnoa où Divo, surpris par la nuit, passe par là. «Ce qui ravive la peur des habitants, c’est que c’est ici que la plupart des coupeurs de route vivent», raconte L., un agent commercial dans une société de téléphonie. Ce qui a été démontré pendant le procès du mercredi. Nohon Oumar Abou Taureau, Tamani Carême, N’Dri Joseph, Lonfo Soumahila dit Ismo, Yéo Zanga viennent de Tiassalé et N’Douci à une dizaine de km de la ville. Quand on vit dans un tel guêpier, on fait partie des premiers menacés, selon Kouassi K. Les bandits ne ménagent personne. L’un des adjoints au maire de N’Douci a même essuyé leurs méfaits. Et si l’autorité n’est pas en sécurité, ce ne sont pas de pauvres passagers en panne sur l’autoroute qui vont l’être. Finalement, le pneu crevé est changé. Nous quittons la zone dangereuse.
Raphaël Tanoh
La peur de l’autoroute
Le pneu a éclaté. Le véhicule vacille. Nous entendons distinctement le grincement de la jante sur le bitume. Les cris de panique des passagers. En l’espace de quelques secondes, le véhicule se transforme en un cercueil roulant. Chacun s’agrippe à une barre de fer, à un dossier de siège à sa portée. Les femmes assises à nos côtés, leurs enfants en main, prient fiévreusement. Une femme enceinte, presqu’à terme, s’écroule de son siège. Le véhicule continue de fendre la nuit à sa vitesse de croisière pendant encore quelques secondes qui semblent durer une éternité. Le chauffeur ne peut pas freiner brusquement au risque de provoquer l’irréparable. Le mini-car finit par s’immobiliser sur la chaussée. Tout le monde descend. Les passagers sont si traumatisés que personne n’ose faire de commentaire. Nous sommes isolés quelque part entre N’Douci et Sikensi. La femme enceinte qui s’est écroulée dans le véhicule a presque perdu connaissance. Quelques bonnes dames l’aident à sortir du car pour la faire coucher sur le trottoir. Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Ayant échappé au pire, il faut redouter autre chose. Les coupeurs de route. « Hé, éteignez vos portables! », ordonne l’apprenti. Les passagers qui tentaient d’appeler leurs proches pour les prévenir du retard qu’ils vont accuser, sont étonnés de cette alerte. « Les coupeurs de route, ils peuvent vous apercevoir par la lumière de vos portables », ajoute l’apprenti, en sueur. Sa face confondue à l’obscurité semble sérieuse. Le chauffeur, penché sur la roue crevée, insiste.
Sur l’autoroute, on éteint les portables la nuit
Nous éteignons nos portables. Et dans la nuit tiède et silencieuse, seuls les phares du mini-car rassurent. Mais, le pneu est si endommagé qu’on a du mal à l’enlever. Le chauffeur et son apprenti semblent impuissants devant le fait. Ils espèrent l’aide d’un véhicule qui aurait l’amabilité de s’arrêter à cet endroit pour leur prêter un cric. Le Massa a eu le malheur de s’immobiliser sur l’un des tronçons les plus fréquentés par les coupeurs de route, en tout cas, au dire des passagers. En ces sales temps qui courent, il ne se passe pas une semaine à Tiassalé sans qu’on n’entende qu’un véhicule a été attaqué par les coupeurs de route. L’attente est harassante. Les véhicules qui passent, n’osent pas s’arrêter à la vue du mini-car immobilisé sur la chaussée, dans le noir. Les silhouettes éparses des passagers sur le trottoir augmentent leurs doutes. Après plusieurs tentatives, un autre véhicule Massa s’arrête, non sans précaution. Car, il prend une distance respectable, une centaine de mètres, pour voir à qui il a affaire. L’apprenti descend en éclaireur avant de donner le ok au chauffeur. Le véhicule fait ensuite le marche-arrière, lentement et prudemment vers nous. Le chauffeur qui a pris un énorme risque n’échappe pas aux courroux de ses passagers qui le traitent de tous les noms. « Et si c’était eux (les coupeurs de route) », s’inquiètent certains. Néanmoins, le brave chauffeur vient porter secours à son confrère. Face à cet incident, nous prenons conscience de la situation que nous avions vécue quelques heures plutôt à Tiassalé, ce 9 septembre.
Nous y étions pour suivre le procès de quatre coupeurs de route condamnés à 20 ans chacun. Ce sont Tamani Carême, N’Dri Joseph, poursuivis pour association de malfaiteurs, Lonfo Soumahila dit Ismo et Yéo Zanga poursuivis, eux, pour vol de nuit avec violence et port d’armes à feu. L’on croyait à tord que l’arrestation de ces bandits de grand chemin, le 31 août, allait atténuer l’atmosphère à Tiassalé et ses environs. Il n’en est rien, selon la population de Tiassalé. A 9h, des dizaines d’habitants de cette petite ville ont afflué vers le tribunal pour suivre le procès. «C’est le second procès des coupeurs de route, mais, ils continuent leur sale activité», déclare Michel O., un paysan. Lors du procès, on note d’ailleurs la fuite des deux chefs du gang. Nohon Oumar et Abou Taureau. L’un des témoins du braquage du 18 août sur l’autoroute du Nord, aperçoit Abou Taureau pendant le procès. Abou Taureau s’est confondu au public pour suivre le sors de ses camarades alors qu’il est hâtivement recherché. Le témoin en question le signale discrètement au procureur, Zahé Edmond. Le procureur prévient à son tour le juge Kacou Florent. Mais, trop tard, Abou Taureau s’est volatilisé. Pour montrer l’audace de ces forbans que rien ni personne ne semble effrayer.
On ne voyage pas après 18h
D’ailleurs, le gang d’Abou Taureau n’est pas le seul qui sévit sur l’autoroute du Nord. Lonfo, l’un des coupeurs de route arrêtés le signale au juge. Il y avait des braquages dont ils entendaient parler pendant que le groupe faisait une petite trêve. Conscient de ce fait, les chauffeurs ont pris leurs précautions à Tiassalé. A 18h, aucun conducteur ne charge en direction d’Abidjan. D’ailleurs, aucun passager de cette ville n’ose s’aventurer sur l’autoroute du Nord, après cette heure. «Les coupeurs de route ne finiront pas sur l’autoroute. Ils continuent d’attaquer. Maintenant, ce n’est plus la nuit, mais le jour», affirme Diaby, un chauffeur qui fait la ligne Abidjan-Gagnoa. Nous interrogeons les autres chauffeurs sur la fréquence des braquages sur l’autoroute, depuis la grosse prise de la gendarmerie de Tiassalé le 31 août. « Je ne peux pas vous parler des coupeurs de route », tranche un chauffeur qui fait la ligne Abidjan-Tiassalé. Quand nous insistons, il nous lance un regard suspicieux : « C’est pour faire quoi ? ». Les autres conducteurs ne sont pas plus bavards sur la question. Un chargeur qui assiste à la scène nous prévient discrètement: «Ils vous prennent pour un indic». Les passagers ne sont pas moins méfiants. «C’est dangereux de voyager la nuit ici, parce que l’autoroute n’est pas encore sécurisée», raconte Kouassi K., un charbonnier de la ville. Une psychose constatée chez tout le monde. Le soir du procès un fonctionnaire du tribunal est étonné que nous osions prendre le chemin de retour pour Abidjan. Les témoins, la peur au ventre de prendre la route, demandent au juge Kacou Florent et au procureur Zahe Edmond, gîte et couverts. Pour les têtus qui veulent quitter Tiassalé la nuit, il faut se poster devant la brigade de gendarmerie, où se trouve la gare. C’est d’ailleurs l’endroit le plus animé de cette petite ville. Ensuite, il faut espérer qu’un mini-car, en provenance de Gagnoa où Divo, surpris par la nuit, passe par là. «Ce qui ravive la peur des habitants, c’est que c’est ici que la plupart des coupeurs de route vivent», raconte L., un agent commercial dans une société de téléphonie. Ce qui a été démontré pendant le procès du mercredi. Nohon Oumar Abou Taureau, Tamani Carême, N’Dri Joseph, Lonfo Soumahila dit Ismo, Yéo Zanga viennent de Tiassalé et N’Douci à une dizaine de km de la ville. Quand on vit dans un tel guêpier, on fait partie des premiers menacés, selon Kouassi K. Les bandits ne ménagent personne. L’un des adjoints au maire de N’Douci a même essuyé leurs méfaits. Et si l’autorité n’est pas en sécurité, ce ne sont pas de pauvres passagers en panne sur l’autoroute qui vont l’être. Finalement, le pneu crevé est changé. Nous quittons la zone dangereuse.
Raphaël Tanoh