Déchets Toxiques : Béni soit Trafigura, vivement le prochain déversement ! / Les 3 D : La Dérive Sociale, la Déchéance Morale, la Décadence de la Nation
Faut-il comprendre que la misère ait atteint un tel niveau en Côte d’Ivoire pour expliquer cette course effrénée vers l’argent, en dépit de tout bons sens et de toute décence. Sommes-nous en train de brader l’avenir de nos enfants, de notre santé, de notre nation pour quelques sous grappillés çà et là? Toutes les catastrophes humaines en Côte d’Ivoire sont directement liées à la course à l’argent. Le plus récent étant le drame du Stade Félicia, et le plus tristement célèbre, le déversement de 500 tonnes de déchets industriels hautement toxiques sur Abidjan le 19 août 2006
Un niveau paroxystique d’immoralité et d’amoralité rarement atteint dans une société en décadence et qui a trouvé son dénouement en touchant le dernier rempart de l’éveil de conscience, l’éducation. L’agonie de l’école ivoirienne est le meilleur indicateur du niveau de déchéance et d’échec social de chaque Ivoirien. L’école est le miroir de la société. Elle reflète exactement ce que chaque citoyen ivoirien est devenu. C’est une responsabilité collective conséquence de notre avidité.
Dans l’affaire des déchets toxiques, l’Etat négocie la santé et la vie des Ivoiriens pour 100 milliards de frs CFA. J’aurai dépénalisé l’Etat si cet argent avait servi à construire un Centre Référent de suivi des victimes. Mais non! On a cherché à savoir comment partager l’argent et on l’a fait la conscience tranquille. Trafigura est sollicitée une deuxième fois par l’association des victimes et finit par céder et va payer 22 milliards. Et là, rebelote ! Le même refrain surgit : comment partager cet argent? Chacun va avoir 750 000Fcfa. Victoire, tout le monde applaudit, y compris la presse qui s’ébaudit en parlant de victoire pour les victimes des déchets toxiques. La notion de victoire est inappropriée dans ce drame et surtout dans sa gestion calamiteuse.
Quel regard pensez-vous que le reste du monde peut porter sur nous ?
Relevons un peu la tête, fiers ivoiriens. Le pays nous appelle.
Silence ! On partage…
Qui ne compatit pas au combat que mènent les associations de victimes des déchets toxiques contre les responsables ? Cependant, la dimension et la portée d’un combat si noble se trouvent affaiblies et galvaudées par une kyrielle de revendications qui se limite à la volonté d’obtention de dédommagements pour se les partager, tel le fruit d’un travail bien accompli et bien pensé. Et presque jamais, on entend une association, ni même l’Etat, réclamer une enquête et des recherches sanitaires d’envergure pour apprécier l’étendue des dégâts sur la santé de la population abidjanaise à moyen et à long terme. Et pourtant, point n’est besoin d’être spécialiste pour savoir que des dégâts il y en a, il va y en avoir des masses et pas des moindres susceptibles de changer définitivement aussi bien la qualité de l’environnement, celle des nappes phréatiques, celles des cultures, que l’air respiré. Et à votre avis, qui est au bout de la chaîne de ce bing bang écologique ? Bien entendu, nous et surtout notre descendance, et la descendance de cette descendance et ainsi de suite pour ceux d’entre les victimes qui auront la chance d’en avoir.
La misère ne saurait à elle seule justifier tous les maux, bassesses et tares de nos sociétés.
Les Ivoiriens serait-ils amnésiques et aveugles à ce point ? N’y a-t-il pas moyen de mobiliser une partie de cette somme pour prévoir et prévenir ce qui pourrait arriver dans l’avenir?
Obtenir au final 122 milliards de francs CFA de dédommagement de Trafigura et continuer allègrement de parler de partager le magot, ressemble étrangement à une danse des sorcières. Et que l’Etat soit celui qui joue le tam-tam pour insuffler le rythme me parait des plus ubuesques.
Au crime du déversement des déchets toxiques, n’ajoutons pas celui du décompte des cadavres riches. Cela ressemblerait bien à un humour macabre, hélas trop souvent servi sous le ciel d’Afrique.
Le Négationnisme du Procès de Londres
La parodie de procès à Londres qui déclare que les déchets toxiques n’ont pas eu d’effets néfastes sur la Santé de la population est un second crime contre la population Ivoirienne et un véritable acte de négationnisme. Ce déni est une insulte et démontre une fois de plus l’apartheid qui existe entre les populations selon, j’allais presque dire si j’osais, leur origine raciale ou continentale. Pendant qu’on y est, pourquoi n’ajoutent-ils pas que les déchets étaient vitaminiques et salvateur pour la population, et miraculeusement saupoudrés d’engrais pour les cultures ? Cet acte de déni est suffisant pour faire annuler l’accord entre Trafigura et l’Etat Ivoirien et conduire ce dernier à reprendre les poursuites contre lui.
Les conséquences sur la santé et sur l’environnement des déchets toxiques
Il serait souhaitable que les Ivoiriens se rafraichissent la mémoire avec l’article publié dans le quotidien « Fraternité Matin » du 14 septembre 2006 après le déversement des déchets toxiques. Ils pourront y lire les conséquences des déchets toxiques sur la population à moyen et long terme. Cet article peut être encore consulté sur le site www.crieafrique.net dans la rubrique Presse.
Prenons l’exemple simplifié d’une mère qui donne naissance à un enfant handicapé avec des défaillances organiques (pathologie malformative) dues aux déchets toxiques. Les soins à vie de cet enfant vont requérir, la plupart du temps, toutes les spécialités médicales. Pensez-vous que 750 000 FCFA puissent assurer la prise en charge d’un tel enfant, susceptible d’avoir une vie végétative toute son existence ? La réponse est catégoriquement non. Et que dire des personnes qui vont certainement contracter des leucémies, des cancers et autres vilénies sanitaires? Demandez aux Services d’Hématologie ou de Cancérologie combien coûtent les traitements de ces pathologies. Parlons des femmes qui, si elles ne deviennent pas stériles, feront néanmoins des fausses couches à répétition ou donneront des enfants malformés. Et la stérilité probable d’hommes du fait d’une spermatogenèse altérée ? Et l’environnement pollué ? On a souvent l’impression de vivre des cauchemars en boucle quand l’on voit la réaction des Ivoiriens face à tous les maux qui minent notre société. La seule bataille qui semble avoir grâce à nos yeux est celle de la course à l’argent facile.
Dans leur livraison du 19 septembre 2009, la presse relatait les témoignages de malades des déchets toxiques et surtout évoquait une série de morts suspectes suite à des cancers probablement causés par les déchets toxiques. Le journal français « Le Monde » de cette semaine est encore revenu sur la confirmation de la haute toxicité des déchets toxiques d’Abidjan. Pourquoi ne sommes-nous pas interpellés par ces alertes qui ne sont que la face cachée de l’iceberg ?
La Solidarité
Le point commun à toutes les catastrophes humaines, c’est l’élan de solidarité spontané de toute la nation et même celles d’ailleurs. Et c’est surtout la solidarité au sein des victimes. Le dédommagement que l’on peut percevoir par une assurance après un accident ou celui que l’on peut percevoir après un décès accidentel (crash d’avion) ne sont pas comparables à des dédommagements perçus suite à une catastrophe de la nature de celle des déchets toxiques pour les raisons suivantes : Toutes les victimes n’ont pas la même prédisposition et la même sensibilité aux effets de l’intoxication. Toutes les victimes n’ont pas le même âge. Toutes les victimes ne sont pas touchées avec la même intensité. Toutes les victimes n’ont pas le même niveau social et économique pour faire face aux conséquences. Toutes les victimes ne peuvent pas être identifiées pour moult raisons. C’est pour toutes ces raisons que dans une situation pareille, partager de l’argent équitablement aux victimes identifiées est d’une injustice et d’une aberration flagrantes et contraires à l’esprit de solidarité qui devrait prévaloir. Les moins atteints n’ont pas à recevoir la même somme que les plus atteints. Et comme il n’y a pas de mesure fiable pour estimer tout cela, on crée un fonds de solidarité et mieux encore une structure sanitaire dédiée et appropriée avec cet argent pour prendre en charge sur le long terme toutes les victimes actuelles et celles à venir pour les manifestations tardives de la maladie. Rien de tout cela n’a été fait, ni ne semble en voie d’être fait.
Les doubles victimes
Toutes les victimes ne seront jamais identifiées et beaucoup le seront par la révélation tardive de leur atteinte. Je suis, personnellement, un cas patent, mais heureusement, je ne figure sur aucune liste de victimes. Ils sont des milliers à être dans le cas parce que n’ayant pas inscrit quelque part leur nom ou ayant pris soin d’aller se faire traiter ailleurs. Eux, leur seul droit est de mourir, mais surtout de mourir dans le silence. Ici, par contre, on réclame de mourir dans la dignité et dans l’oubli. Par souci de justice et d’équité pour toutes les victimes, les dédommagements n’auraient jamais dû être distribués comme tels sauf pour les cas de décès. Les doubles victimes sont donc celles victimes des déchets toxiques et victimes d’oubli lors du partage du « gâteau ». Elles sont nombreuses. Il ne pouvait en être autrement dès lors qu’on décide de partager plutôt que d’ériger une œuvre commune permettant la prise en charge globale.
Quand on finira de partager cette manne, une autre nous attend au Pays-Bas où va s’ouvrir un autre procès. Probablement que l’on aura encore des sous à partager.
Contribution mondiale
La Côte d’Ivoire est probablement le seul pays au monde où une catastrophe d’une telle ampleur se produit et où l’on ne perçoit pas la nécessité vitale de créer un Centre permanent d’étude et de recherche sur les conséquences. En dehors des camps de concentration nazie et de l’accident nucléaire de Tchernobyl en 1986, il n’existe pas de cas semblable d’intoxication de masses dans l’histoire depuis le développement de la science.
Alors, comment ne pas comprendre que le recueil de données fiables par des études de haut niveau de cette catastrophe puisse permettre de constituer une banque de données uniques dans le monde afin d’être mieux prémuni en terme d’expériences et d’acquis lors d’une prochaine catastrophe de même nature ici ou ailleurs. Notre base de données pourrait servir à aider les autres dans la maîtrise de la catastrophe. Ceci pourrait conférer une expertise unique à la Côte d’Ivoire pour ce type de catastrophe. C’est le seul hommage digne que nous puissions faire aux victimes des déchets toxiques en permettant que leur sacrifice puisse un jour sauver des vies.
Propositions concrètes aux Associations de Victimes des Déchets Toxiques
1) Création d’un Centre de Soins et de Recherche
La requête la plus raisonnable et responsable que les victimes puissent exiger de Trafigura serait la création d’un Centre de Recherche et de Suivi Sanitaire des Victimes des Déchets Toxiques, où ces victimes seront suivies et soignées gratuitement durant toute leur vie ou pendant une période à négocier avec tous les responsables du déversement. Double avantage, primo prise en charge des victimes, secundo, recueil de données scientifiques pour prévenir d’autres catastrophes. Car c’est de cela dont il est question, guérir si cela est possible, soigner si cela est possible, minimiser les conséquences si cela est possible. En clair, sauver ou préserver ce qui peut l’être encore.
Ces recherches doivent concerner l’impactologie environnementale, l’autopsie de toutes les victimes décédées (espérons que cela ait été déjà fait), identifier toutes les victimes possibles, répertorier la survenue de toute pathologie dans ce groupe d’individus de quelque nature que ce soit afin de les comparer à celle (pathologie) survenant dans le reste de la population considérée comme témoin, calculer l’espérance de vie dans ce groupe de population, l’incidence sur la fertilité, sur les fausses couches, sur l’apparition des cancers, sur les malformations à la naissance etc., et cela sur la période de leur vie et celle de leur enfants. Ce sont de longues études prospectives. Et les données qui pourront être recueillies nous semblent d’une telle importance qu’il nous apparait évident que beaucoup de chercheurs, d’organisations et d’organismes internationaux, voudront apporter leur contribution à de telles études.
Créer un centre de recherche au sein d’un dispositif sanitaire permettrait de proposer des actions spécifiques (accès aux soins) et une approche thérapeutique mieux adaptée.
2) Le Devoir de Mémoire
La mémoire des évènements étant collective, elle est nécessaire pour construire le présent et le futur. Pour accomplir le travail de deuil, le travail de mémoire est indispensable à tous les citoyens et surtout aux générations à venir. George SANTAYANA l’a parfaitement illustré : « Ceux qui ne peuvent se rappeler le passé sont condamnés à le répéter ».
Seul le devoir de mémoire peut nous garantir du « Plus Jamais ça ». En tant que tel, le devoir de mémoire est aussi un devoir de Connaissance, un Devoir de Vérité. Il y a donc obligation pour l’Etat et pour les Associations des Victimes des Déchets Toxiques, d’ériger un symbole qui pourrait être un Monument aux Victimes, un mausolée, ou toute autre représentation susceptible de traverser le temps afin de rappeler aux futures générations successives jusqu’où l’innommable et l’immonde cupidité (course à l’argent) des hommes a pu conduire le pays. François BÉDARIDA disait qu’« il est essentiel de mémoriser les monstruosités auxquelles en est venu l`homme au lieu de les refouler dans une amnésie complice ». Il est indispensable que notre mémoire installe ce terrible souvenir dans le sacré.
Si Trafigura est coupable d’avoir convoyé les déchets à Abidjan, n’oublions pas qu’il aura fallu des mains locales pour les recevoir. Et une culpabilité se dessine aussi vis-à-vis des victimes qui deviennent coupables d’irresponsabilité face à l’histoire en transformant ce scandale en source de revenus uniquement.
On en viendrait presque à remercier et à louer, in petto, les mains qui ont déversé ces déchets toxiques et à bénir Trafigura.
Conclusion
Je perçois des persiflages railleurs, me traitant de rêveur loufoque. Mais si nous refusons de rêver ensemble de cette façon, dites-vous bien que le pire est devant. Je continue de croire et de rêver qu’il existe dans mon pays des hommes et des femmes intègres pour lesquels des valeurs telles que le bien-être de la population, la protection des plus faibles, la protection des générations futures, la protection de l’environnement, le sens de l’honneur restent des valeurs essentielles non monnayables, sans prix, au même titre que l’air que nous respirons, la capacité de voir, de toucher, de sentir, d’entendre, de goûter. Ce sont les plus grandes richesses que nous avons reçues gracieusement de la nature. Sans prix. Tout n’est pas à vendre ou à acheter sur terre comme aux cieux. Sinon, il serait plus simple de vendre la Côte d’Ivoire et de se partager l’argent.
Dr Foungotin Hamidou COULIBALY
Génétique Humaine
Cytogénétique et Biologie de la Procréation
Attaché de Recherches Cliniques
Laboratoire de Génétique
Université de Côte d’Ivoire
Email : cfoungh@yahoo.fr
Web : www.crieafrique.net
Faut-il comprendre que la misère ait atteint un tel niveau en Côte d’Ivoire pour expliquer cette course effrénée vers l’argent, en dépit de tout bons sens et de toute décence. Sommes-nous en train de brader l’avenir de nos enfants, de notre santé, de notre nation pour quelques sous grappillés çà et là? Toutes les catastrophes humaines en Côte d’Ivoire sont directement liées à la course à l’argent. Le plus récent étant le drame du Stade Félicia, et le plus tristement célèbre, le déversement de 500 tonnes de déchets industriels hautement toxiques sur Abidjan le 19 août 2006
Un niveau paroxystique d’immoralité et d’amoralité rarement atteint dans une société en décadence et qui a trouvé son dénouement en touchant le dernier rempart de l’éveil de conscience, l’éducation. L’agonie de l’école ivoirienne est le meilleur indicateur du niveau de déchéance et d’échec social de chaque Ivoirien. L’école est le miroir de la société. Elle reflète exactement ce que chaque citoyen ivoirien est devenu. C’est une responsabilité collective conséquence de notre avidité.
Dans l’affaire des déchets toxiques, l’Etat négocie la santé et la vie des Ivoiriens pour 100 milliards de frs CFA. J’aurai dépénalisé l’Etat si cet argent avait servi à construire un Centre Référent de suivi des victimes. Mais non! On a cherché à savoir comment partager l’argent et on l’a fait la conscience tranquille. Trafigura est sollicitée une deuxième fois par l’association des victimes et finit par céder et va payer 22 milliards. Et là, rebelote ! Le même refrain surgit : comment partager cet argent? Chacun va avoir 750 000Fcfa. Victoire, tout le monde applaudit, y compris la presse qui s’ébaudit en parlant de victoire pour les victimes des déchets toxiques. La notion de victoire est inappropriée dans ce drame et surtout dans sa gestion calamiteuse.
Quel regard pensez-vous que le reste du monde peut porter sur nous ?
Relevons un peu la tête, fiers ivoiriens. Le pays nous appelle.
Silence ! On partage…
Qui ne compatit pas au combat que mènent les associations de victimes des déchets toxiques contre les responsables ? Cependant, la dimension et la portée d’un combat si noble se trouvent affaiblies et galvaudées par une kyrielle de revendications qui se limite à la volonté d’obtention de dédommagements pour se les partager, tel le fruit d’un travail bien accompli et bien pensé. Et presque jamais, on entend une association, ni même l’Etat, réclamer une enquête et des recherches sanitaires d’envergure pour apprécier l’étendue des dégâts sur la santé de la population abidjanaise à moyen et à long terme. Et pourtant, point n’est besoin d’être spécialiste pour savoir que des dégâts il y en a, il va y en avoir des masses et pas des moindres susceptibles de changer définitivement aussi bien la qualité de l’environnement, celle des nappes phréatiques, celles des cultures, que l’air respiré. Et à votre avis, qui est au bout de la chaîne de ce bing bang écologique ? Bien entendu, nous et surtout notre descendance, et la descendance de cette descendance et ainsi de suite pour ceux d’entre les victimes qui auront la chance d’en avoir.
La misère ne saurait à elle seule justifier tous les maux, bassesses et tares de nos sociétés.
Les Ivoiriens serait-ils amnésiques et aveugles à ce point ? N’y a-t-il pas moyen de mobiliser une partie de cette somme pour prévoir et prévenir ce qui pourrait arriver dans l’avenir?
Obtenir au final 122 milliards de francs CFA de dédommagement de Trafigura et continuer allègrement de parler de partager le magot, ressemble étrangement à une danse des sorcières. Et que l’Etat soit celui qui joue le tam-tam pour insuffler le rythme me parait des plus ubuesques.
Au crime du déversement des déchets toxiques, n’ajoutons pas celui du décompte des cadavres riches. Cela ressemblerait bien à un humour macabre, hélas trop souvent servi sous le ciel d’Afrique.
Le Négationnisme du Procès de Londres
La parodie de procès à Londres qui déclare que les déchets toxiques n’ont pas eu d’effets néfastes sur la Santé de la population est un second crime contre la population Ivoirienne et un véritable acte de négationnisme. Ce déni est une insulte et démontre une fois de plus l’apartheid qui existe entre les populations selon, j’allais presque dire si j’osais, leur origine raciale ou continentale. Pendant qu’on y est, pourquoi n’ajoutent-ils pas que les déchets étaient vitaminiques et salvateur pour la population, et miraculeusement saupoudrés d’engrais pour les cultures ? Cet acte de déni est suffisant pour faire annuler l’accord entre Trafigura et l’Etat Ivoirien et conduire ce dernier à reprendre les poursuites contre lui.
Les conséquences sur la santé et sur l’environnement des déchets toxiques
Il serait souhaitable que les Ivoiriens se rafraichissent la mémoire avec l’article publié dans le quotidien « Fraternité Matin » du 14 septembre 2006 après le déversement des déchets toxiques. Ils pourront y lire les conséquences des déchets toxiques sur la population à moyen et long terme. Cet article peut être encore consulté sur le site www.crieafrique.net dans la rubrique Presse.
Prenons l’exemple simplifié d’une mère qui donne naissance à un enfant handicapé avec des défaillances organiques (pathologie malformative) dues aux déchets toxiques. Les soins à vie de cet enfant vont requérir, la plupart du temps, toutes les spécialités médicales. Pensez-vous que 750 000 FCFA puissent assurer la prise en charge d’un tel enfant, susceptible d’avoir une vie végétative toute son existence ? La réponse est catégoriquement non. Et que dire des personnes qui vont certainement contracter des leucémies, des cancers et autres vilénies sanitaires? Demandez aux Services d’Hématologie ou de Cancérologie combien coûtent les traitements de ces pathologies. Parlons des femmes qui, si elles ne deviennent pas stériles, feront néanmoins des fausses couches à répétition ou donneront des enfants malformés. Et la stérilité probable d’hommes du fait d’une spermatogenèse altérée ? Et l’environnement pollué ? On a souvent l’impression de vivre des cauchemars en boucle quand l’on voit la réaction des Ivoiriens face à tous les maux qui minent notre société. La seule bataille qui semble avoir grâce à nos yeux est celle de la course à l’argent facile.
Dans leur livraison du 19 septembre 2009, la presse relatait les témoignages de malades des déchets toxiques et surtout évoquait une série de morts suspectes suite à des cancers probablement causés par les déchets toxiques. Le journal français « Le Monde » de cette semaine est encore revenu sur la confirmation de la haute toxicité des déchets toxiques d’Abidjan. Pourquoi ne sommes-nous pas interpellés par ces alertes qui ne sont que la face cachée de l’iceberg ?
La Solidarité
Le point commun à toutes les catastrophes humaines, c’est l’élan de solidarité spontané de toute la nation et même celles d’ailleurs. Et c’est surtout la solidarité au sein des victimes. Le dédommagement que l’on peut percevoir par une assurance après un accident ou celui que l’on peut percevoir après un décès accidentel (crash d’avion) ne sont pas comparables à des dédommagements perçus suite à une catastrophe de la nature de celle des déchets toxiques pour les raisons suivantes : Toutes les victimes n’ont pas la même prédisposition et la même sensibilité aux effets de l’intoxication. Toutes les victimes n’ont pas le même âge. Toutes les victimes ne sont pas touchées avec la même intensité. Toutes les victimes n’ont pas le même niveau social et économique pour faire face aux conséquences. Toutes les victimes ne peuvent pas être identifiées pour moult raisons. C’est pour toutes ces raisons que dans une situation pareille, partager de l’argent équitablement aux victimes identifiées est d’une injustice et d’une aberration flagrantes et contraires à l’esprit de solidarité qui devrait prévaloir. Les moins atteints n’ont pas à recevoir la même somme que les plus atteints. Et comme il n’y a pas de mesure fiable pour estimer tout cela, on crée un fonds de solidarité et mieux encore une structure sanitaire dédiée et appropriée avec cet argent pour prendre en charge sur le long terme toutes les victimes actuelles et celles à venir pour les manifestations tardives de la maladie. Rien de tout cela n’a été fait, ni ne semble en voie d’être fait.
Les doubles victimes
Toutes les victimes ne seront jamais identifiées et beaucoup le seront par la révélation tardive de leur atteinte. Je suis, personnellement, un cas patent, mais heureusement, je ne figure sur aucune liste de victimes. Ils sont des milliers à être dans le cas parce que n’ayant pas inscrit quelque part leur nom ou ayant pris soin d’aller se faire traiter ailleurs. Eux, leur seul droit est de mourir, mais surtout de mourir dans le silence. Ici, par contre, on réclame de mourir dans la dignité et dans l’oubli. Par souci de justice et d’équité pour toutes les victimes, les dédommagements n’auraient jamais dû être distribués comme tels sauf pour les cas de décès. Les doubles victimes sont donc celles victimes des déchets toxiques et victimes d’oubli lors du partage du « gâteau ». Elles sont nombreuses. Il ne pouvait en être autrement dès lors qu’on décide de partager plutôt que d’ériger une œuvre commune permettant la prise en charge globale.
Quand on finira de partager cette manne, une autre nous attend au Pays-Bas où va s’ouvrir un autre procès. Probablement que l’on aura encore des sous à partager.
Contribution mondiale
La Côte d’Ivoire est probablement le seul pays au monde où une catastrophe d’une telle ampleur se produit et où l’on ne perçoit pas la nécessité vitale de créer un Centre permanent d’étude et de recherche sur les conséquences. En dehors des camps de concentration nazie et de l’accident nucléaire de Tchernobyl en 1986, il n’existe pas de cas semblable d’intoxication de masses dans l’histoire depuis le développement de la science.
Alors, comment ne pas comprendre que le recueil de données fiables par des études de haut niveau de cette catastrophe puisse permettre de constituer une banque de données uniques dans le monde afin d’être mieux prémuni en terme d’expériences et d’acquis lors d’une prochaine catastrophe de même nature ici ou ailleurs. Notre base de données pourrait servir à aider les autres dans la maîtrise de la catastrophe. Ceci pourrait conférer une expertise unique à la Côte d’Ivoire pour ce type de catastrophe. C’est le seul hommage digne que nous puissions faire aux victimes des déchets toxiques en permettant que leur sacrifice puisse un jour sauver des vies.
Propositions concrètes aux Associations de Victimes des Déchets Toxiques
1) Création d’un Centre de Soins et de Recherche
La requête la plus raisonnable et responsable que les victimes puissent exiger de Trafigura serait la création d’un Centre de Recherche et de Suivi Sanitaire des Victimes des Déchets Toxiques, où ces victimes seront suivies et soignées gratuitement durant toute leur vie ou pendant une période à négocier avec tous les responsables du déversement. Double avantage, primo prise en charge des victimes, secundo, recueil de données scientifiques pour prévenir d’autres catastrophes. Car c’est de cela dont il est question, guérir si cela est possible, soigner si cela est possible, minimiser les conséquences si cela est possible. En clair, sauver ou préserver ce qui peut l’être encore.
Ces recherches doivent concerner l’impactologie environnementale, l’autopsie de toutes les victimes décédées (espérons que cela ait été déjà fait), identifier toutes les victimes possibles, répertorier la survenue de toute pathologie dans ce groupe d’individus de quelque nature que ce soit afin de les comparer à celle (pathologie) survenant dans le reste de la population considérée comme témoin, calculer l’espérance de vie dans ce groupe de population, l’incidence sur la fertilité, sur les fausses couches, sur l’apparition des cancers, sur les malformations à la naissance etc., et cela sur la période de leur vie et celle de leur enfants. Ce sont de longues études prospectives. Et les données qui pourront être recueillies nous semblent d’une telle importance qu’il nous apparait évident que beaucoup de chercheurs, d’organisations et d’organismes internationaux, voudront apporter leur contribution à de telles études.
Créer un centre de recherche au sein d’un dispositif sanitaire permettrait de proposer des actions spécifiques (accès aux soins) et une approche thérapeutique mieux adaptée.
2) Le Devoir de Mémoire
La mémoire des évènements étant collective, elle est nécessaire pour construire le présent et le futur. Pour accomplir le travail de deuil, le travail de mémoire est indispensable à tous les citoyens et surtout aux générations à venir. George SANTAYANA l’a parfaitement illustré : « Ceux qui ne peuvent se rappeler le passé sont condamnés à le répéter ».
Seul le devoir de mémoire peut nous garantir du « Plus Jamais ça ». En tant que tel, le devoir de mémoire est aussi un devoir de Connaissance, un Devoir de Vérité. Il y a donc obligation pour l’Etat et pour les Associations des Victimes des Déchets Toxiques, d’ériger un symbole qui pourrait être un Monument aux Victimes, un mausolée, ou toute autre représentation susceptible de traverser le temps afin de rappeler aux futures générations successives jusqu’où l’innommable et l’immonde cupidité (course à l’argent) des hommes a pu conduire le pays. François BÉDARIDA disait qu’« il est essentiel de mémoriser les monstruosités auxquelles en est venu l`homme au lieu de les refouler dans une amnésie complice ». Il est indispensable que notre mémoire installe ce terrible souvenir dans le sacré.
Si Trafigura est coupable d’avoir convoyé les déchets à Abidjan, n’oublions pas qu’il aura fallu des mains locales pour les recevoir. Et une culpabilité se dessine aussi vis-à-vis des victimes qui deviennent coupables d’irresponsabilité face à l’histoire en transformant ce scandale en source de revenus uniquement.
On en viendrait presque à remercier et à louer, in petto, les mains qui ont déversé ces déchets toxiques et à bénir Trafigura.
Conclusion
Je perçois des persiflages railleurs, me traitant de rêveur loufoque. Mais si nous refusons de rêver ensemble de cette façon, dites-vous bien que le pire est devant. Je continue de croire et de rêver qu’il existe dans mon pays des hommes et des femmes intègres pour lesquels des valeurs telles que le bien-être de la population, la protection des plus faibles, la protection des générations futures, la protection de l’environnement, le sens de l’honneur restent des valeurs essentielles non monnayables, sans prix, au même titre que l’air que nous respirons, la capacité de voir, de toucher, de sentir, d’entendre, de goûter. Ce sont les plus grandes richesses que nous avons reçues gracieusement de la nature. Sans prix. Tout n’est pas à vendre ou à acheter sur terre comme aux cieux. Sinon, il serait plus simple de vendre la Côte d’Ivoire et de se partager l’argent.
Dr Foungotin Hamidou COULIBALY
Génétique Humaine
Cytogénétique et Biologie de la Procréation
Attaché de Recherches Cliniques
Laboratoire de Génétique
Université de Côte d’Ivoire
Email : cfoungh@yahoo.fr
Web : www.crieafrique.net