Nous aurions pu ne pas nous en mêler si cette affaire cocasse de leadership au sein du reggae made in Côte d’Ivoire suscitée par un magazine people de la place n’avait pas pris des proportions qui apparaissent à nos yeux comme une insulte à l’histoire de cette musique de revendication dans notre pays. Qui sont les leaders du reggae en Côte d’Ivoire ? Pour mieux répondre à cette question sans verser dans la polémique puérile, il faut jeter un regard dans le rétroviseur tout en n’oubliant pas d’observer le présent. Garder la tête froide, s’abreuver d’humilité et s’efforcer d’être objectif. Musique d’engagement et de combat pour la liberté, principalement, le reggae rendu planétaire grâce à la Jamaïque et au mythique Bob Marley, a une histoire au bord de la lagune Ebrié. En d’autres mots, le reggae made in Côte d’Ivoire a son cheminement que nul ne doit ignorer. A ce cheminement, il faut adjoindre des hommes, des têtes fortes, qui ont porté à bout de bras cette musique. C’est ici qu’apparaissent deux hommes qui se sont distingués parmi les précurseurs : l’un est un “dieu” et l’autre, un “enfant terrible”. Ils ont marqué chacun deux décennies même si le “dieu” demeure au firmament. Ces deux hommes se nomment Alpha Blondy et Serges Kassy. “Tu verras demain, ta vie va changer”. L’animateur vedette de la télévision ivoirienne des années 80, Roger Fulgence Kassy (il est décédé en 1989), ne croyait pas si bien dire lorsqu’en 1981, il tenait ces propos à Alpha Blondy, son ami d’Adjamé (quartier populaire d’Abidjan), à qui il offrait sa chance sur le plateau de l’émission “Première chance”. Alpha fut époustouflant ce jour-là et il sortit quelque temps plus tard, soit en 1982-1983, son premier album intitulé “Jah Glory” dont la chanson “brigadier sabari” devint un véritable tube en Côte d’Ivoire et à travers le continent. Comme Ful l’avait prédit, la vie de Blondy changea. Mais avec elle, celle de millions d’Ivoiriens qui venaient ainsi d’avoir “leur reggae”. De 1980 à 1990, Alpha Blondy porta “la voix des sans voix”. Avant que le peuple ivoirien ne découvre un nouvel objecteur de consciences, Serges Kassy. Son album “Cabri mort” qu’il sort en 1994 fait de lui, “l’enfant terrible” de la musique ivoirienne. En ce début de multipartisme et de démocratisation du système politique, ses chansons telles que “John bri”, “cabri mort”, “c’est pas dâ ni blô”, “I’m proud” sont devenues de véritables leitmotivs repris en chœur par les masses populaires en quête de changement. De 1990 à 2000, l’ombre de Serges Kassy a plané sur le reggae ivoirien même si l’on a sorti Tiken Jah Fakoly du chapeau magique après les atermoiements de la junte militaire (1999-2000). Les tensions politiques, les crispations de la démocratisation, les relents du parti unique et la pression néo-coloniale ont continuellement ramené à la mémoire de tous, “cabri mort”, “John bri” ou “I’m proud”. Lorsqu’on observe ces deux décennies, l’on ne peut pas ignorer la présence d’Ismaël Isaac. Il n’était certes pas aux avant-postes du combat pour la liberté d’expression mais son apport fut considérable aux côtés d’Alpha Blondy et Serges Kassy. Alpha Blondy et Serges Kassy étaient donc au commencement de l’éveil des consciences des populations par le biais du reggae à la sauce ivoirienne. Ils font partie de la mémoire de notre reggae tout comme Jagger en est l’icône. Aucune palabre ne saurait nier cela. Ni les mésententes entre Alpha Blondy et Koné Dodo, l’ex-manager de la star. Ni les peaux de banane que l’arrangeur George Kouakou tente de glisser, maladroitement, depuis les Etats-Unis, sous les pieds de son nouvel ex-poulain, Serges Kassy, pour l’empêcher d’atteindre des majors notamment Island Records et Putumayo.
Par Didier Depry
ddepry@hotmail.com
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