L’escale technique de quatre jours des experts et des ministres en charge du transport aérien, à Yamoussoukro, permettra-t-elle aux compagnies nationales d’atteindre leur vitesse de croisière, sans turbulences ? En tout cas, du 27 au 30 octobre dernier, les Africains venus de 23 pays de l’Afrique de l’ouest et du centre, ont fait une «visite technique» minutieuse de leur instrument commun de relance des activités aéroportuaires : la Décision de Yamoussoukro. Décision prise le 14 novembre 1999, dans la capitale politique ivoirienne, par les ministres africains en charge de l’aviation civile. Elle avait été immédiatement suivie par un engagement dénommé mémorandum d’entente. Objectif : libéraliser l’espace aérien africain de sorte à favoriser l’épanouissement de l’aviation civile.
Comme pour revenir à leur aéroport d’attache, les acteurs se sont retrouvés à Yamoussoukro, dix années après. D’abord en comité de coordination et de suivi, puis en conseil des ministres chargés de l’aviation civile. Et le bilan est assez mitigé.
Au nombre des bons points, l’Afrique de l’ouest note que des 16 pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao), 13 ont conféré à leurs structures de gestion de l’aviation civile respectives, un statut d’autorité, les rendant techniquement et financièrement autonomes. Par contre, dans un pays, cette autonomie est partielle, car l’autonomie financière n’est pas encore acquise. Dans deux autres, la concession de l’autonomie est au stade de projet. Autre avantage tiré par l’Afrique de l’ouest, de la Décision de Yamoussoukro, l’abandon de la politique d’approbation des tarifs. Seul le marché définit les prix pratiqués.
L’Afrique de l’ouest enregistre, par ailleurs, une progression du nombre de passagers et du fret. En Afrique du centre, les résultats semblent plus palpables. Les pays ont décliné la Décision de Yamoussoukro en code de l’aviation civile. Des lois communautaires ont été adoptées à cet effet. De sorte que les Etats membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) reconnaissent la primauté de la décision sur les règlements nationaux. « Depuis, le code communautaire de l’aviation civile et l’accord Cemac ont libéralisé l’accès au marché intracommunautaire, élargissant ainsi l’espace aérien et le marché du transport aérien.
Ceci a permis aux compagnies aériennes nationales d’exploiter des services aériens là où le marché l’exige », note le rapport succinct d’évaluation de la Cemac. Les résultats ne se sont pas fait attendre.
Les pays d’Afrique du centre montrent une certaine souplesse dans l’octroi des droits de trafic. Plusieurs Etats ont pu ainsi bénéficier de la 5e liberté dans leur ciel. On peut citer le Kenya, l’Ethiopie, l’Angola, la Guinée, le Mali, l’Afrique du Sud, le Togo, le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Soudan, Sao Tomé et Principe et le Nigeria. Seulement, la Cemac relève que les pays d’Afrique de l’ouest ne lui renvoient pas l’ascenseur. Dans son rapport, elle écrit : « Toutefois, les pays de la Cemac ne reçoivent pas le même traitement dans le cadre de la réciprocité ».
Ce à quoi semble répondre le directeur général de l’Autorité nationale de l’aviation civile (Anac), Jean Kouassi Abonouan : « C’est vrai qu’on doit appliquer la Décision de Yamoussoukro. Mais, cela ne doit pas se faire de façon aveugle, au détriment de la sécurité et de la sûreté. Au point d’admettre des avions poubelles, dangereux pour tous ». Les pays africains sont allés plus loin. En effet, l’accord Cemac précise que chaque Etat membre a le droit de désigner deux compagnies au maximum pour l’exploitation des services aériens intra-communautaires. Cette situation a profité à l’Afrique du Sud, au Togo, au Bénin, au Mali… En plus, l’Afrique centrale dispose d’un mécanisme de règlement des différends, aussi bien entre les Etats qu’entre les entreprises désignées.
Cela se fait sous l’arbitrage du conseil des ministres en charge de l’aviation civile. Si la décision du conseil est rejetée par une des parties, alors le différend est porté devant la cour de justice communautaire qui statue en dernier ressort.
Voici, pour ce qui est des avancées de la Décision de Yamoussoukro. Quant aux contraintes, elles sont de quatre ordres : politique, juridique, économique et technique. Et d’un espace à l’autre (Cedeao et Cemac), elles sont pratiquement identiques. Politiquement, les participants à la réunion bilan de Yamoussoukro relèvent l’impact négatif des guerres civiles et des crises politiques sur le transport aérien. Ils dénoncent l’attitude protectionniste de bien des pays.
Qui conservent du coup une pratique monopolistique des compagnies nationales et une bureaucratie en déphasage avec les règles d’efficacité. Ces pays, soit refusent de répondre aux demandes de droits de trafic, soit rejettent carrément ces sollicitations. Les experts souhaitent aussi que les changements de directeurs généraux des Autorités de gestion de l’aviation civile soient moins fréquents. En clair, ils voudraient que ces responsables restent à leur poste, afin de parachever une bonne partie de leur mission déjà entamée. Sur le plan juridique, les pays d’Afrique de l’ouest déplorent que les organes prévus par la Décision de Yamoussoukro n’aient pas été créés.
L’on note une absence de règle de concurrence et de mécanisme de règlement des différends. Les consommateurs ne sont pas protégés et l’autorité juridique et financière n’est pas totalement acquise par les structures de gestion de l’aviation civile. Concernant spécifiquement l’Afrique centrale, malgré les dispositions du code communautaire de l’aviation civile, les réglementations nationales ne sont pas toutes adaptées au marché libéralisé. «La diversité des lois et réglementations aéronautiques nationales ne tient pas compte des impératifs d’harmonisation et de coordination à l’échelon communautaire», mentionne la Cemac.
Economiquement, les marchés nationaux sont exigus. Le manque de compétitivité et la petite taille des sociétés nationales ne rendent pas leurs activités rentables. Dans ce contexte, il est difficile de réaliser des économies d’échelle. Ce n’est pas tout. Les ressources financières sont insuffisantes, les compagnies étant sous capitalisées. S’y ajoute la pression fiscale, qui grève le prix du carburant. Les difficultés d’accès au crédit viennent compléter le chapelet des contraintes économiques de ces entreprises. Pour le volet technique, il a été indiqué un niveau de sécurité faible. De fait, avec seulement 2% du trafic aérien international, le ciel africain est le plus dangereux du monde. Il enregistre le taux d’incidents et d’accidents le plus élevé. Les évolutions techniques et technologiques sont inaccessibles. Conséquence, les équipements sont vétustes, les avions également.
C’est ce tableau que les participants ont dressé sans complaisance. Les maux identifiés, il s’est agi pour eux de s’y attaquer. Aussi recommandent-ils une vaste sensibilisation, pour appuyer la mise en œuvre de la Décision de Yamoussoukro. La mise en place d’un mécanisme de réglementation et de contrôle des taxes est aussi préconisée. Cela aura l’avantage d’éviter les redevances arbitraires. Les Africains sont également soucieux de l’aboutissement en temps raisonnable des investigations en cas de survenue de risque.
Aussi préconisent-ils l’accélération de la création d’agences nationales pour enquêter sur les accidents. En plus, il est souhaité une plus grande mobilisation des ressources, pour donner aux compagnies une taille économique viable. Pour accroître l’affluence des passagers aériens, Yamoussoukro, il est préconisé la suppression des visas entre les pays. Ainsi, un Africain qui part de Bamako ou d’Abidjan pour Douala n’aura plus de souci de visa. Quant aux Européens, Américains et autres Asiatiques, avec un seul visa d’entrée dans un des pays africains, ils pourront sillonner les autres, sans entrave. La réalisation de ce vaste chantier pour l’aviation civile africaine nécessite que les décisions soient appliquées par tous en même temps. D’où, le caractère désormais obligatoire de la Décision de Yamoussoukro.
Au total, si en dix ans, sa mise en œuvre est appréciable, il reste qu’une plus grande volonté de coopération, à l’intérieur de chaque communauté (Cedeao et Cemac) et entre elles, est souhaitée. Toute chose qui donnera des ailes à l’aviation civile africaine.
Adama Koné
Comme pour revenir à leur aéroport d’attache, les acteurs se sont retrouvés à Yamoussoukro, dix années après. D’abord en comité de coordination et de suivi, puis en conseil des ministres chargés de l’aviation civile. Et le bilan est assez mitigé.
Au nombre des bons points, l’Afrique de l’ouest note que des 16 pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao), 13 ont conféré à leurs structures de gestion de l’aviation civile respectives, un statut d’autorité, les rendant techniquement et financièrement autonomes. Par contre, dans un pays, cette autonomie est partielle, car l’autonomie financière n’est pas encore acquise. Dans deux autres, la concession de l’autonomie est au stade de projet. Autre avantage tiré par l’Afrique de l’ouest, de la Décision de Yamoussoukro, l’abandon de la politique d’approbation des tarifs. Seul le marché définit les prix pratiqués.
L’Afrique de l’ouest enregistre, par ailleurs, une progression du nombre de passagers et du fret. En Afrique du centre, les résultats semblent plus palpables. Les pays ont décliné la Décision de Yamoussoukro en code de l’aviation civile. Des lois communautaires ont été adoptées à cet effet. De sorte que les Etats membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) reconnaissent la primauté de la décision sur les règlements nationaux. « Depuis, le code communautaire de l’aviation civile et l’accord Cemac ont libéralisé l’accès au marché intracommunautaire, élargissant ainsi l’espace aérien et le marché du transport aérien.
Ceci a permis aux compagnies aériennes nationales d’exploiter des services aériens là où le marché l’exige », note le rapport succinct d’évaluation de la Cemac. Les résultats ne se sont pas fait attendre.
Les pays d’Afrique du centre montrent une certaine souplesse dans l’octroi des droits de trafic. Plusieurs Etats ont pu ainsi bénéficier de la 5e liberté dans leur ciel. On peut citer le Kenya, l’Ethiopie, l’Angola, la Guinée, le Mali, l’Afrique du Sud, le Togo, le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Soudan, Sao Tomé et Principe et le Nigeria. Seulement, la Cemac relève que les pays d’Afrique de l’ouest ne lui renvoient pas l’ascenseur. Dans son rapport, elle écrit : « Toutefois, les pays de la Cemac ne reçoivent pas le même traitement dans le cadre de la réciprocité ».
Ce à quoi semble répondre le directeur général de l’Autorité nationale de l’aviation civile (Anac), Jean Kouassi Abonouan : « C’est vrai qu’on doit appliquer la Décision de Yamoussoukro. Mais, cela ne doit pas se faire de façon aveugle, au détriment de la sécurité et de la sûreté. Au point d’admettre des avions poubelles, dangereux pour tous ». Les pays africains sont allés plus loin. En effet, l’accord Cemac précise que chaque Etat membre a le droit de désigner deux compagnies au maximum pour l’exploitation des services aériens intra-communautaires. Cette situation a profité à l’Afrique du Sud, au Togo, au Bénin, au Mali… En plus, l’Afrique centrale dispose d’un mécanisme de règlement des différends, aussi bien entre les Etats qu’entre les entreprises désignées.
Cela se fait sous l’arbitrage du conseil des ministres en charge de l’aviation civile. Si la décision du conseil est rejetée par une des parties, alors le différend est porté devant la cour de justice communautaire qui statue en dernier ressort.
Voici, pour ce qui est des avancées de la Décision de Yamoussoukro. Quant aux contraintes, elles sont de quatre ordres : politique, juridique, économique et technique. Et d’un espace à l’autre (Cedeao et Cemac), elles sont pratiquement identiques. Politiquement, les participants à la réunion bilan de Yamoussoukro relèvent l’impact négatif des guerres civiles et des crises politiques sur le transport aérien. Ils dénoncent l’attitude protectionniste de bien des pays.
Qui conservent du coup une pratique monopolistique des compagnies nationales et une bureaucratie en déphasage avec les règles d’efficacité. Ces pays, soit refusent de répondre aux demandes de droits de trafic, soit rejettent carrément ces sollicitations. Les experts souhaitent aussi que les changements de directeurs généraux des Autorités de gestion de l’aviation civile soient moins fréquents. En clair, ils voudraient que ces responsables restent à leur poste, afin de parachever une bonne partie de leur mission déjà entamée. Sur le plan juridique, les pays d’Afrique de l’ouest déplorent que les organes prévus par la Décision de Yamoussoukro n’aient pas été créés.
L’on note une absence de règle de concurrence et de mécanisme de règlement des différends. Les consommateurs ne sont pas protégés et l’autorité juridique et financière n’est pas totalement acquise par les structures de gestion de l’aviation civile. Concernant spécifiquement l’Afrique centrale, malgré les dispositions du code communautaire de l’aviation civile, les réglementations nationales ne sont pas toutes adaptées au marché libéralisé. «La diversité des lois et réglementations aéronautiques nationales ne tient pas compte des impératifs d’harmonisation et de coordination à l’échelon communautaire», mentionne la Cemac.
Economiquement, les marchés nationaux sont exigus. Le manque de compétitivité et la petite taille des sociétés nationales ne rendent pas leurs activités rentables. Dans ce contexte, il est difficile de réaliser des économies d’échelle. Ce n’est pas tout. Les ressources financières sont insuffisantes, les compagnies étant sous capitalisées. S’y ajoute la pression fiscale, qui grève le prix du carburant. Les difficultés d’accès au crédit viennent compléter le chapelet des contraintes économiques de ces entreprises. Pour le volet technique, il a été indiqué un niveau de sécurité faible. De fait, avec seulement 2% du trafic aérien international, le ciel africain est le plus dangereux du monde. Il enregistre le taux d’incidents et d’accidents le plus élevé. Les évolutions techniques et technologiques sont inaccessibles. Conséquence, les équipements sont vétustes, les avions également.
C’est ce tableau que les participants ont dressé sans complaisance. Les maux identifiés, il s’est agi pour eux de s’y attaquer. Aussi recommandent-ils une vaste sensibilisation, pour appuyer la mise en œuvre de la Décision de Yamoussoukro. La mise en place d’un mécanisme de réglementation et de contrôle des taxes est aussi préconisée. Cela aura l’avantage d’éviter les redevances arbitraires. Les Africains sont également soucieux de l’aboutissement en temps raisonnable des investigations en cas de survenue de risque.
Aussi préconisent-ils l’accélération de la création d’agences nationales pour enquêter sur les accidents. En plus, il est souhaité une plus grande mobilisation des ressources, pour donner aux compagnies une taille économique viable. Pour accroître l’affluence des passagers aériens, Yamoussoukro, il est préconisé la suppression des visas entre les pays. Ainsi, un Africain qui part de Bamako ou d’Abidjan pour Douala n’aura plus de souci de visa. Quant aux Européens, Américains et autres Asiatiques, avec un seul visa d’entrée dans un des pays africains, ils pourront sillonner les autres, sans entrave. La réalisation de ce vaste chantier pour l’aviation civile africaine nécessite que les décisions soient appliquées par tous en même temps. D’où, le caractère désormais obligatoire de la Décision de Yamoussoukro.
Au total, si en dix ans, sa mise en œuvre est appréciable, il reste qu’une plus grande volonté de coopération, à l’intérieur de chaque communauté (Cedeao et Cemac) et entre elles, est souhaitée. Toute chose qui donnera des ailes à l’aviation civile africaine.
Adama Koné