Aujourd'hui, selon scientifiques et voyants, la sorcellerie est montée d'un cran en Côte d'Ivoire. Pourquoi et comment ? Notre enquête.
A Bethel, une église située à Adjamé Nord, en face de la Compagnie ivoirienne d'électricité (Cie), c'est l'émoi. Le prophète Esaï, vêtu de blanc, comme un ange, vient de délivrer une sorcière lors de sa prière. N'Guessan Ahou, la dame en question, a plus de la cinquantaine. Vêtue d'une camisole et d'un pagne sale, elle entre en transe, pendant la prière, tombe, roule au sol avant de vomir une substance difficile à identifier. Ensuite, elle se lance dans les confessions : « J'ai tué et mangé en sorcellerie quatre de mes neveux. » Devant une foule à la fois curieuse et révoltée, elle n'hésite pas à entrer dans les détails : « Chaque fois que je dormais, ma sœur (sorcière qui l'a initiée) venait en songe et je la suivais. Elle me montrait comment capturer et tuer les âmes. Elle m'a ainsi initiée peu à peu. » Elle avoue qu'au début, elle ignorait ce à quoi tout cela rimait. Et, un jour elle est mise devant les faits en apprenant qu'elle est sorcière. Ce 16 novembre 2008, le prophète présente également à son assemblée une sorcière délivrée et repentie : Koffi Lydie, la trentaine. L'ex-sorcière explique comment elle a pris une part active dans l'avènement de la crise ivoirienne, les âmes qu'elle a dévorées. Elle avait, dit-elle, à son service trois mille jeunes filles et 30.000 autres comme guerrières. Des apprenties sorcières chargées de répandre le mal.
Des sorciers à cœur ouvert
Il n'y a pas que chez les hommes de Dieu que ce type de scène se déroule. La très populaire Massandjé, voyante et tradipraticienne, délivre chaque année des sorciers des forces du mal et sauve ainsi des vies et des entreprises. En début du mois de septembre 2009, nous assistons à l'une de ses séances de délivrance. Mambé Zoni Christine, une sorcière, la cinquantaine révolue, tombe sous le coup de la puissance des génies de Massandjé. Délivrée de la sorcellerie, elle avoue avoir mangé en sorcellerie sa nièce, Mlle Amada Fali Zady, 24 ans. Pour rembourser une dette, la nièce a été livrée, comme une marchandise, à d'autres sorciers après avoir été au préalable transformée en agouti. Christine poursuit à cœur ouvert: « J'ai reçu ma sorcellerie dès le bas âge. C'est ma mère qui m'a formée au mysticisme. J'ai grandi avec ce pouvoir en intégrant un groupe de sorciers.» C'est donc, à l'entendre, une initiation qu'elle a suivie. « Nous sommes au nombre de sept personnes. Il y a certains qui se transforment en chien, d'autres en chauve-souris, en souris, en hiboux ou en d'autres types d'animaux», révèle-t-elle. Chaque membre de la confrérie devait livrer l'un de ses proches. Au tour de Christine : « Dans un premier temps, c'est mon petit frère que j'avais ciblé. Mais, cela n'a pas marché. Comme la loi s'applique à tout le monde, alors, je devais trouver une proie de rechange. C'est ainsi que j'ai donné ma nièce. Elle était plus facile à atteindre contrairement à son père.»
Des témoignages qui livrent certains secrets sur cette société du mal. Et qui font prendre en même temps conscience du danger que cette science occulte fait planer sur la société ivoirienne. Mais, ces témoignages ne suffisent pas pour percer totalement le mystère de la sorcellerie. Et des questions restent encore sans réponse : Comment va-t-on à cette pratique ? Est-ce par soi-même, parce qu'on a un faible pour le mal ? Est-ce par héritage sachant ? Ou bien, est-ce un coup du sort ?
Le passe-temps d’Aïcha, l'une des redoutables voyantes d'Abidjan, est la chasse aux sorciers, dans le vrai sens du mot. Elle a donc appris bien de choses sur la sorcellerie grâce à ses génies. C'est, dit-elle, nécessaire pour sa propre protection car elle exerce un métier à risque. Elle habite avec sa famille à Yopougon « Lavage ». Ce mardi, informée de notre arrivée, elle a pris des dispositions avec ses génies. C'est une femme vêtue de blanc qui nous attend dans une petite pièce, dont les murs sont décorés d'étoffes blanches. Une technique, expliquera-t-elle plus tard, qui empêche les sorciers de pénétrer dans la salle au moment de ses consultations. Le décor en dit long sur les pratiques de cette dame : des statuettes parées de cauris, des calebasses à terre contenant des décoctions noirâtres, des miroirs, des canaris. Elle-même, assise sur une longue chaise royale, en face de ces objets, semble méditer. Et, sa forte corpulence fait penser à un boxeur qui attend le coup du gong pour reprendre le combat. Sauf qu'ici, l'adversaire, c'est le sorcier. Et, il faut cogner fort pour le mettre KO, ce qui explique ces objets cabalistiques dans cette pièce. C'est l'une des chambres de la maison qui a été transformée en lieu de consultation.
On prend la sorcellerie dans la rue…
D'entrée, elle explique qu'il y a deux semaines, des enfants sorciers, envoyés par leurs aînés, sont venus dans la cour pour tester ses compétences. Aïcha les a démasqués grâce à ses génies. Les enfants, qui étaient de surcroît des élèves, ont tout avoué. Elle les a ensuite dépouillés de leurs pouvoirs avant de les laisser partir. Des sorciers viennent fréquemment dans la cour pour voir de quoi elle est capable, et, chaque fois, c'est désarmés qu'ils repartent. Pour revenir au cas des enfants venus la défier chez elle, la voyante explique qu'ils peuvent avoir pris la sorcellerie à l'école, comme un virus que l'on prend dans la rue. Pendant la récréation? « Dans la nourriture. S'il y a un sorcier au sein de l'école qui a envie de transformer le petit en sorcier parce qu'il a décelé en lui un caractère enclin au mal, il lui donne à manger de la chair humaine », explique-t-elle. Cette chair, pour être discret, est transformée en poudre noire. Ensuite le sorcier peut utiliser un camarade d'école de sa cible, une vendeuse ou un membre du personnel de l'établissement. Ce dernier introduit discrètement la substance dans une nourriture qu'il tend à l'enfant. « C'est très souvent les gourmands qui se laissent avoir », précise la voyante. Une fois qu'on a goutté à cette poudre, on devient sorcier. Beaucoup d'enfants viennent dans cette confrérie par la nourriture. Comme les enfants, des adultes, des vieilles personnes peuvent venir à la sorcellerie de cette manière. « Pour les personnes âgées, le plus souvent c'est quand on chante partout qu'on ne croit pas à la sorcellerie que cela vous arrive », précise-t-elle. Quelqu'un fera tout pour vous initier. L'initiation peut aussi venir d'un parent proche, souvent la grand-mère ou le grand-père. Le parent sorcier « éprouve un besoin farouche de transmettre la sorcellerie à un proche», selon Aïcha. En songe, la personne visée voit le parent sorcier l'approcher, comme l'a expliqué la vieille N'Guessan. « Souvent, nos parents nous demandent si nous faisons des rêves au cours desquels nous nous voyons en train de consommer de la viande. Si oui, ils te disent parfois que c'est de la chair humaine que tu as mangée et que tu as pris ainsi contact avec la sorcellerie. C'est donc un signe de pacte avec la sorcellerie. Car, ces sorciers te demanderont plus tard de leur donner aussi un être humain », explique le professeur Dakouri Gadou, anthropologue à l'université de Cococy. « On ne peut résister à cette chair humaine si on n'a pas un esprit protecteur », estime Aïcha. Une fois cette chair consommée, on est devenu sorcier. C'est après cet acte que vos « maîtres » vous expliquent le contenu de ce à quoi vous vous êtes engagé. Ils vous demandent de tuer une personne proche de vous. Si le sujet refuse, il est menacé de mort. Et, de peur de mourir, le concerné préfère devenir sorcier. Mais, y a-t-il véritablement un avantage psychologique à préférer la sorcellerie à la mort ? La question reste sans réponse.
…et dans la famille.
Pour des parents sorciers qui ont envie de partager leur savoir, il n'y a pas de préférence. Même un bébé peut être dans le viseur. Seulement, les procédures changent. Etant inconscient, le bébé ne peut être initié dans le rêve. « On lui met de la poudre de chair humaine dans sa nourriture, une fois qu'on a fait cela, le gosse est sûr de devenir sorcier ». Il grandira et découvrira qu'il n'est pas comme ses camarades. Les anciens qui l'on initié lui donneront des explications. Toutefois, sur cet aspect, les scientifiques sont prudents. Le professeur Dakouri Gadou, qui a fait une longue étude sur le phénomène, est persuadé que l'enfant naît avec la sorcellerie : « On peut naître avec la sorcellerie, on parle de sorcellerie innée. Dans ce type d'acquisition, l'individu, en naissant, possède en lui le pouvoir sorcier, comme il naît avec le souffle. Autrement dit, le principe sorcier est inscrit dans le code génétique du sorcier». La personne, dit-il, ne le sait pas, le plus souvent. Un jour, elle se rend compte qu'elle fait des choses anormales. « On consulte parfois un devin pour savoir de quelle puissance il est animé, quand il est encore petit. On peut ainsi orienter cette puissance lorsqu'elle est mauvaise. Chez les Dida, quand on sait qu'un enfant agit de façon anormale, on dit qu'il a un mauvais pouvoir », ajoute-t-il. Dakouri note que ce pouvoir peut être anéanti par des rituels. Par exemple, prendre un caillou sous une jarre, faire un rituel là-dessus et le cacher loin, de sorte que ce pouvoir ne devienne pas mauvais pour l'enfant. Toujours est-il qu'on a acquis cette sorcellerie dans la famille.
Mais, contrairement à ce que l'on peut croire, certaines personnes demandent volontiers à être sorcier. « Elles le font parce qu'elles aiment le mal », explique Aïcha. « Dans ce cas, le candidat doit payer cher. Il doit payer le prix de l'initiation en donnant un être cher : un enfant, un frère, une tante, une mère, etc. C'est ce qui effraie les gens dans la sorcellerie. Parce que ce n'est pas facile », ajoute le Pr Dakouri. On parle ainsi de sorcellerie acquise volontairement d'une part et de sorcellerie acquise involontairement d'autre part.
Au-delà de tout ceci, il y a lieu de s'interroger sur les techniques qu'utilisent les « initiateurs ». « On peut vous donner la chair humaine, dans la nourriture, on peut vous faire boire aussi du sang humain », cite le docteur Yoro Marcel, sociologue à l'université de Cocody, qui a par ailleurs mené une étude sur le sujet. Aïcha, parle de deux voies de transmission dont celle par le rêve.
Comment ensorceler quelqu'un ?
Le sorcier vous approche en songe avec de la viande, quand vous la consommez, vous êtes endetté. Comme l'explique si bien le Dr Yoro : « le sorcier est mû par le besoin de manger de la chair humaine et de rembourser cette dette. Si vous prenez part à un repas dans lequel il y a de la chair humaine, vous êtes automatiquement endetté. C'est régi par un système de don et de contre don.» Mais, il y a aussi l'initiation rationnelle, toujours par la chair humaine écrasée en poudre. Elle est alors introduite dans la nourriture de celui qu'on veut initier. Tout en restant prudentes, les voyantes évoquent aussi une autre poudre, invisible, que le sorcier peut souffler dans votre visage, pour vous rendre sorcier. Il faut être soi-même sorcier ou voyant pour le savoir.
Mais, quel type de pouvoir utilisent-ils pour travailler ces poudres, cette chair humaine de sorte que sa simple consommation suffise à initier une personne? C'est à cette barrière que viennent se heurter presque toutes les connaissances scientifiques et occultes. La chair humaine est travaillée par des esprits de chat, de lion, de milles pattes, etc, pensent les voyantes. « Ces détails sont difficiles à démontrer », se contentent d'avouer certains scientifiques.
Le Pr Dakouri essaye de donner une explication à cette facette bien cachée du sorcier. « (…) Ce pouvoir est intrinsèque à la personne. Il est même représenté dans certaines sociétés par une substance appelée le ''séké''. C'est le pouvoir du sorcier. Les Alladjans parlent d'''awa'', les Tchamas le désignent par ''logbo''. Ce pouvoir du sorcier est différent de celui du guérisseur », explique-t-il. Cependant, certains spécialistes ont perçu la technique qu'utilise le sorcier pour tuer ou détruire. Par exemple, comment parvenir à manger un être humain alors que ce dernier reste intact dans le monde réel? Il faut d'abord comprendre, selon le Pr Dakouri, que plusieurs éléments constituent la personne. Dans la psychologie africaine, l'homme n'est pas seulement composé d’un corps et d'une âme, mais de plusieurs instances. « Je prends l'exemple des Dida. Ces éléments sont le corps appelé ''yéké'', extériorité de la personne, il y a l'âme ''ougô'', qui veut dire la puissance, l'énergie que possède l'homme. On nous dit qu'au cours de la mort clinique, cette âme quitte le corps matériel. Elle va se promener. La mort ne vient réellement que lorsque le souffle quitte le corps », explique-t-il.
Comment le sorcier agit-il ?
On peut donc être mourant alors que l'âme est déjà partie. C'est le souffle qui détermine la mort. Ce souffle est un autre élément constitutif de l'homme appelé 'gnon'' en dida, selon M. Dakouri. Il soutient l'âme. Il y a ensuite l'ombre qui est aussi un double du corps. « On peut agir sur cette doublure c'est-à-dire sur l'ombre pour vous faire du mal. Un sorcier mal intentionné peut, en marchant sur votre ombre, vous tuer », note-t-il. Le nom de la personne est également un élément constitutif de la personne. Il désigne la personne en la situant dans son groupe, toujours chez les Dida. Le sorcier peut vous faire du mal à partir du nom. « Ces êtres transforment le double de l'homme en animal domestique, bœuf, cochon etc., pour le manger. Ils font une métamorphose. Ce double peut être l'âme, l'ombre, en tout cas l'un des éléments constitutifs de l'être. Ce qui fait que physiquement, la victime reste intacte », affirme le professeur. Mais, il n'y a pas que manger la chair humaine qui intéresse le sorcier. « La logique du sorcier, c'est le nivellement par le bas. Si vous êtes un homme riche, il cherche à vous appauvrir, si vous être pauvre, il cherche à vous rendre laid, par exemple en provoquant un accident », estime le Dr Yoro. Le sorcier peut, selon Aïcha, vous mettre en conflit avec votre époux ou votre épouse en se muant en mari de nuit pour venir troubler vos nuits. « Parmi les pouvoirs du sorcier, il y a par exemple l'envoûtement. Une technique qui consiste à rendre quelqu'un malade ou à le faire mourir. Il y a l'envoûtement direct ou indirect. Dans le premier cas, le sorcier procède par médium pour atteindre sa victime. Il fait des prélèvements sur la personne, c'est-à-dire la salive, l'urine, les vêtements, la photographie, sur lesquels on peut faire des rituels sorciers pour atteindre la victime », estime le Pr Dakouri. A cet effet, dans nos sociétés, quand quelqu'un perd son habit, selon lui, il a aussitôt peur parce qu'il pense que cet habit peut être utilisé pour lui faire du mal. « L'envoûtement indirect se fait par incantation ou par la malédiction.»
Au village, pour opérer, le sorcier peut se transformer en hibou ou en bête féroce pour détruire la plantation de son voisin, ou encore en un prédateur pour dévorer une personne. En ville, ce sont les projets qui sont mis à néant, des modèles de développement qui sont détruits entre deux incantations, un pays tout entier qui est tiré vers le bas. Il est peut être temps de considérer cette science avec plus d'intérêt.
Raphaël Tanoh
A Bethel, une église située à Adjamé Nord, en face de la Compagnie ivoirienne d'électricité (Cie), c'est l'émoi. Le prophète Esaï, vêtu de blanc, comme un ange, vient de délivrer une sorcière lors de sa prière. N'Guessan Ahou, la dame en question, a plus de la cinquantaine. Vêtue d'une camisole et d'un pagne sale, elle entre en transe, pendant la prière, tombe, roule au sol avant de vomir une substance difficile à identifier. Ensuite, elle se lance dans les confessions : « J'ai tué et mangé en sorcellerie quatre de mes neveux. » Devant une foule à la fois curieuse et révoltée, elle n'hésite pas à entrer dans les détails : « Chaque fois que je dormais, ma sœur (sorcière qui l'a initiée) venait en songe et je la suivais. Elle me montrait comment capturer et tuer les âmes. Elle m'a ainsi initiée peu à peu. » Elle avoue qu'au début, elle ignorait ce à quoi tout cela rimait. Et, un jour elle est mise devant les faits en apprenant qu'elle est sorcière. Ce 16 novembre 2008, le prophète présente également à son assemblée une sorcière délivrée et repentie : Koffi Lydie, la trentaine. L'ex-sorcière explique comment elle a pris une part active dans l'avènement de la crise ivoirienne, les âmes qu'elle a dévorées. Elle avait, dit-elle, à son service trois mille jeunes filles et 30.000 autres comme guerrières. Des apprenties sorcières chargées de répandre le mal.
Des sorciers à cœur ouvert
Il n'y a pas que chez les hommes de Dieu que ce type de scène se déroule. La très populaire Massandjé, voyante et tradipraticienne, délivre chaque année des sorciers des forces du mal et sauve ainsi des vies et des entreprises. En début du mois de septembre 2009, nous assistons à l'une de ses séances de délivrance. Mambé Zoni Christine, une sorcière, la cinquantaine révolue, tombe sous le coup de la puissance des génies de Massandjé. Délivrée de la sorcellerie, elle avoue avoir mangé en sorcellerie sa nièce, Mlle Amada Fali Zady, 24 ans. Pour rembourser une dette, la nièce a été livrée, comme une marchandise, à d'autres sorciers après avoir été au préalable transformée en agouti. Christine poursuit à cœur ouvert: « J'ai reçu ma sorcellerie dès le bas âge. C'est ma mère qui m'a formée au mysticisme. J'ai grandi avec ce pouvoir en intégrant un groupe de sorciers.» C'est donc, à l'entendre, une initiation qu'elle a suivie. « Nous sommes au nombre de sept personnes. Il y a certains qui se transforment en chien, d'autres en chauve-souris, en souris, en hiboux ou en d'autres types d'animaux», révèle-t-elle. Chaque membre de la confrérie devait livrer l'un de ses proches. Au tour de Christine : « Dans un premier temps, c'est mon petit frère que j'avais ciblé. Mais, cela n'a pas marché. Comme la loi s'applique à tout le monde, alors, je devais trouver une proie de rechange. C'est ainsi que j'ai donné ma nièce. Elle était plus facile à atteindre contrairement à son père.»
Des témoignages qui livrent certains secrets sur cette société du mal. Et qui font prendre en même temps conscience du danger que cette science occulte fait planer sur la société ivoirienne. Mais, ces témoignages ne suffisent pas pour percer totalement le mystère de la sorcellerie. Et des questions restent encore sans réponse : Comment va-t-on à cette pratique ? Est-ce par soi-même, parce qu'on a un faible pour le mal ? Est-ce par héritage sachant ? Ou bien, est-ce un coup du sort ?
Le passe-temps d’Aïcha, l'une des redoutables voyantes d'Abidjan, est la chasse aux sorciers, dans le vrai sens du mot. Elle a donc appris bien de choses sur la sorcellerie grâce à ses génies. C'est, dit-elle, nécessaire pour sa propre protection car elle exerce un métier à risque. Elle habite avec sa famille à Yopougon « Lavage ». Ce mardi, informée de notre arrivée, elle a pris des dispositions avec ses génies. C'est une femme vêtue de blanc qui nous attend dans une petite pièce, dont les murs sont décorés d'étoffes blanches. Une technique, expliquera-t-elle plus tard, qui empêche les sorciers de pénétrer dans la salle au moment de ses consultations. Le décor en dit long sur les pratiques de cette dame : des statuettes parées de cauris, des calebasses à terre contenant des décoctions noirâtres, des miroirs, des canaris. Elle-même, assise sur une longue chaise royale, en face de ces objets, semble méditer. Et, sa forte corpulence fait penser à un boxeur qui attend le coup du gong pour reprendre le combat. Sauf qu'ici, l'adversaire, c'est le sorcier. Et, il faut cogner fort pour le mettre KO, ce qui explique ces objets cabalistiques dans cette pièce. C'est l'une des chambres de la maison qui a été transformée en lieu de consultation.
On prend la sorcellerie dans la rue…
D'entrée, elle explique qu'il y a deux semaines, des enfants sorciers, envoyés par leurs aînés, sont venus dans la cour pour tester ses compétences. Aïcha les a démasqués grâce à ses génies. Les enfants, qui étaient de surcroît des élèves, ont tout avoué. Elle les a ensuite dépouillés de leurs pouvoirs avant de les laisser partir. Des sorciers viennent fréquemment dans la cour pour voir de quoi elle est capable, et, chaque fois, c'est désarmés qu'ils repartent. Pour revenir au cas des enfants venus la défier chez elle, la voyante explique qu'ils peuvent avoir pris la sorcellerie à l'école, comme un virus que l'on prend dans la rue. Pendant la récréation? « Dans la nourriture. S'il y a un sorcier au sein de l'école qui a envie de transformer le petit en sorcier parce qu'il a décelé en lui un caractère enclin au mal, il lui donne à manger de la chair humaine », explique-t-elle. Cette chair, pour être discret, est transformée en poudre noire. Ensuite le sorcier peut utiliser un camarade d'école de sa cible, une vendeuse ou un membre du personnel de l'établissement. Ce dernier introduit discrètement la substance dans une nourriture qu'il tend à l'enfant. « C'est très souvent les gourmands qui se laissent avoir », précise la voyante. Une fois qu'on a goutté à cette poudre, on devient sorcier. Beaucoup d'enfants viennent dans cette confrérie par la nourriture. Comme les enfants, des adultes, des vieilles personnes peuvent venir à la sorcellerie de cette manière. « Pour les personnes âgées, le plus souvent c'est quand on chante partout qu'on ne croit pas à la sorcellerie que cela vous arrive », précise-t-elle. Quelqu'un fera tout pour vous initier. L'initiation peut aussi venir d'un parent proche, souvent la grand-mère ou le grand-père. Le parent sorcier « éprouve un besoin farouche de transmettre la sorcellerie à un proche», selon Aïcha. En songe, la personne visée voit le parent sorcier l'approcher, comme l'a expliqué la vieille N'Guessan. « Souvent, nos parents nous demandent si nous faisons des rêves au cours desquels nous nous voyons en train de consommer de la viande. Si oui, ils te disent parfois que c'est de la chair humaine que tu as mangée et que tu as pris ainsi contact avec la sorcellerie. C'est donc un signe de pacte avec la sorcellerie. Car, ces sorciers te demanderont plus tard de leur donner aussi un être humain », explique le professeur Dakouri Gadou, anthropologue à l'université de Cococy. « On ne peut résister à cette chair humaine si on n'a pas un esprit protecteur », estime Aïcha. Une fois cette chair consommée, on est devenu sorcier. C'est après cet acte que vos « maîtres » vous expliquent le contenu de ce à quoi vous vous êtes engagé. Ils vous demandent de tuer une personne proche de vous. Si le sujet refuse, il est menacé de mort. Et, de peur de mourir, le concerné préfère devenir sorcier. Mais, y a-t-il véritablement un avantage psychologique à préférer la sorcellerie à la mort ? La question reste sans réponse.
…et dans la famille.
Pour des parents sorciers qui ont envie de partager leur savoir, il n'y a pas de préférence. Même un bébé peut être dans le viseur. Seulement, les procédures changent. Etant inconscient, le bébé ne peut être initié dans le rêve. « On lui met de la poudre de chair humaine dans sa nourriture, une fois qu'on a fait cela, le gosse est sûr de devenir sorcier ». Il grandira et découvrira qu'il n'est pas comme ses camarades. Les anciens qui l'on initié lui donneront des explications. Toutefois, sur cet aspect, les scientifiques sont prudents. Le professeur Dakouri Gadou, qui a fait une longue étude sur le phénomène, est persuadé que l'enfant naît avec la sorcellerie : « On peut naître avec la sorcellerie, on parle de sorcellerie innée. Dans ce type d'acquisition, l'individu, en naissant, possède en lui le pouvoir sorcier, comme il naît avec le souffle. Autrement dit, le principe sorcier est inscrit dans le code génétique du sorcier». La personne, dit-il, ne le sait pas, le plus souvent. Un jour, elle se rend compte qu'elle fait des choses anormales. « On consulte parfois un devin pour savoir de quelle puissance il est animé, quand il est encore petit. On peut ainsi orienter cette puissance lorsqu'elle est mauvaise. Chez les Dida, quand on sait qu'un enfant agit de façon anormale, on dit qu'il a un mauvais pouvoir », ajoute-t-il. Dakouri note que ce pouvoir peut être anéanti par des rituels. Par exemple, prendre un caillou sous une jarre, faire un rituel là-dessus et le cacher loin, de sorte que ce pouvoir ne devienne pas mauvais pour l'enfant. Toujours est-il qu'on a acquis cette sorcellerie dans la famille.
Mais, contrairement à ce que l'on peut croire, certaines personnes demandent volontiers à être sorcier. « Elles le font parce qu'elles aiment le mal », explique Aïcha. « Dans ce cas, le candidat doit payer cher. Il doit payer le prix de l'initiation en donnant un être cher : un enfant, un frère, une tante, une mère, etc. C'est ce qui effraie les gens dans la sorcellerie. Parce que ce n'est pas facile », ajoute le Pr Dakouri. On parle ainsi de sorcellerie acquise volontairement d'une part et de sorcellerie acquise involontairement d'autre part.
Au-delà de tout ceci, il y a lieu de s'interroger sur les techniques qu'utilisent les « initiateurs ». « On peut vous donner la chair humaine, dans la nourriture, on peut vous faire boire aussi du sang humain », cite le docteur Yoro Marcel, sociologue à l'université de Cocody, qui a par ailleurs mené une étude sur le sujet. Aïcha, parle de deux voies de transmission dont celle par le rêve.
Comment ensorceler quelqu'un ?
Le sorcier vous approche en songe avec de la viande, quand vous la consommez, vous êtes endetté. Comme l'explique si bien le Dr Yoro : « le sorcier est mû par le besoin de manger de la chair humaine et de rembourser cette dette. Si vous prenez part à un repas dans lequel il y a de la chair humaine, vous êtes automatiquement endetté. C'est régi par un système de don et de contre don.» Mais, il y a aussi l'initiation rationnelle, toujours par la chair humaine écrasée en poudre. Elle est alors introduite dans la nourriture de celui qu'on veut initier. Tout en restant prudentes, les voyantes évoquent aussi une autre poudre, invisible, que le sorcier peut souffler dans votre visage, pour vous rendre sorcier. Il faut être soi-même sorcier ou voyant pour le savoir.
Mais, quel type de pouvoir utilisent-ils pour travailler ces poudres, cette chair humaine de sorte que sa simple consommation suffise à initier une personne? C'est à cette barrière que viennent se heurter presque toutes les connaissances scientifiques et occultes. La chair humaine est travaillée par des esprits de chat, de lion, de milles pattes, etc, pensent les voyantes. « Ces détails sont difficiles à démontrer », se contentent d'avouer certains scientifiques.
Le Pr Dakouri essaye de donner une explication à cette facette bien cachée du sorcier. « (…) Ce pouvoir est intrinsèque à la personne. Il est même représenté dans certaines sociétés par une substance appelée le ''séké''. C'est le pouvoir du sorcier. Les Alladjans parlent d'''awa'', les Tchamas le désignent par ''logbo''. Ce pouvoir du sorcier est différent de celui du guérisseur », explique-t-il. Cependant, certains spécialistes ont perçu la technique qu'utilise le sorcier pour tuer ou détruire. Par exemple, comment parvenir à manger un être humain alors que ce dernier reste intact dans le monde réel? Il faut d'abord comprendre, selon le Pr Dakouri, que plusieurs éléments constituent la personne. Dans la psychologie africaine, l'homme n'est pas seulement composé d’un corps et d'une âme, mais de plusieurs instances. « Je prends l'exemple des Dida. Ces éléments sont le corps appelé ''yéké'', extériorité de la personne, il y a l'âme ''ougô'', qui veut dire la puissance, l'énergie que possède l'homme. On nous dit qu'au cours de la mort clinique, cette âme quitte le corps matériel. Elle va se promener. La mort ne vient réellement que lorsque le souffle quitte le corps », explique-t-il.
Comment le sorcier agit-il ?
On peut donc être mourant alors que l'âme est déjà partie. C'est le souffle qui détermine la mort. Ce souffle est un autre élément constitutif de l'homme appelé 'gnon'' en dida, selon M. Dakouri. Il soutient l'âme. Il y a ensuite l'ombre qui est aussi un double du corps. « On peut agir sur cette doublure c'est-à-dire sur l'ombre pour vous faire du mal. Un sorcier mal intentionné peut, en marchant sur votre ombre, vous tuer », note-t-il. Le nom de la personne est également un élément constitutif de la personne. Il désigne la personne en la situant dans son groupe, toujours chez les Dida. Le sorcier peut vous faire du mal à partir du nom. « Ces êtres transforment le double de l'homme en animal domestique, bœuf, cochon etc., pour le manger. Ils font une métamorphose. Ce double peut être l'âme, l'ombre, en tout cas l'un des éléments constitutifs de l'être. Ce qui fait que physiquement, la victime reste intacte », affirme le professeur. Mais, il n'y a pas que manger la chair humaine qui intéresse le sorcier. « La logique du sorcier, c'est le nivellement par le bas. Si vous êtes un homme riche, il cherche à vous appauvrir, si vous être pauvre, il cherche à vous rendre laid, par exemple en provoquant un accident », estime le Dr Yoro. Le sorcier peut, selon Aïcha, vous mettre en conflit avec votre époux ou votre épouse en se muant en mari de nuit pour venir troubler vos nuits. « Parmi les pouvoirs du sorcier, il y a par exemple l'envoûtement. Une technique qui consiste à rendre quelqu'un malade ou à le faire mourir. Il y a l'envoûtement direct ou indirect. Dans le premier cas, le sorcier procède par médium pour atteindre sa victime. Il fait des prélèvements sur la personne, c'est-à-dire la salive, l'urine, les vêtements, la photographie, sur lesquels on peut faire des rituels sorciers pour atteindre la victime », estime le Pr Dakouri. A cet effet, dans nos sociétés, quand quelqu'un perd son habit, selon lui, il a aussitôt peur parce qu'il pense que cet habit peut être utilisé pour lui faire du mal. « L'envoûtement indirect se fait par incantation ou par la malédiction.»
Au village, pour opérer, le sorcier peut se transformer en hibou ou en bête féroce pour détruire la plantation de son voisin, ou encore en un prédateur pour dévorer une personne. En ville, ce sont les projets qui sont mis à néant, des modèles de développement qui sont détruits entre deux incantations, un pays tout entier qui est tiré vers le bas. Il est peut être temps de considérer cette science avec plus d'intérêt.
Raphaël Tanoh