x Télécharger l'application mobile Abidjan.net Abidjan.net partout avec vous
Télécharger l'application
INSTALLER
PUBLICITÉ

Économie Publié le mardi 22 décembre 2009 | Nord-Sud

Traoré Ousmane (Directeur des Transports routier et ferroviaire) à propos du racket :“Les forces de l’ordre et les transporteurs seront espionnés”

Suite à l’enquête sur le désastre des compagnies de transport, parue dans notre édition d’hier, le directeur des Transports routier et ferroviaire réagit et explique ici les mesures que l’Etat entend prendre pour relancer ce secteur.

Le secteur des transports, semble-t-il, fait partie des secteurs les plus sinistrés depuis l’avènement de la crise de septembre 2002. D’ailleurs, en l’espace de 15 années, c’est au moins quarante compagnies de transport qui ont fermé au jour d’aujourd’hui. Face à ce constat, quel commentaire faites-vous ?

Avec la crise militaro politique, les transporteurs vivent une sorte de partition du pays en deux qui a contribué à plomber leurs activités. C’est une réalité dramatique. Cela nous oblige à penser au problème de la réduction des barrières non tarifaires. Peut-être que dans la partie sud, les transporteurs se déplacent sans trop de problèmes, mais lorsqu’ils arrivent à Tiébissou et qu’ils veulent continuer leur trajet dans la partie septentrionale, on ne maîtrise plus les barrières non tarifaires. Nous sommes en train de travailler dans le cadre de l’Uemoa pour faire en sorte que les comités de facilitation qui sont installés dans tous les pays, puissent lever ces barrières. Le transport en Côte d’Ivoire contribue énormément au produit intérieur brut, surtout le transport routier. Nous ne transformons rien mais, nous transportons toujours quel­que chose. Si on veut rétablir la bonne gouvernance, elle doit commencer par le transport. Toutes les destructions de routes que nos transporteurs provoquent du fait de la surcharge, occasionnent des dépenses publiques qui font que l’Etat se trouve dans l’impossibilité d’investir dans d’autres secteurs. Au niveau de l’administration, il y a un ordre à rétablir tout comme au niveau des transporteurs.

Aujourd’hui, les compagnies ont du mal à renouveler leur parc automobile qui se trouve dans un état de vieillissement assez préoccupant. Quelle solution préconisez-vous ?

Un fonds de développement des transports est prévu pour régler ce problème. Mais, ce fonds n’est pas encore mis en puissance. Parce qu’il y a encore des décrets et des arrêtés ministériels à signer. Ce fonds devrait permettre à l’administration d’aider les opérateurs à renouveler leurs véhicules. Pour bénéficier de ce fonds, il faut appliquer d’abord les textes. C’est-à-dire, qu’il faut identifier les vrais transporteurs, c’est-à-dire les professionnels. Ne peut être transporteur en Côte d’Ivoire que celui qui est inscrit au registre des transporteurs. Que ce soit au registre des transporteurs publics ou privés de voyageurs ou de marchandises. A partir de ce moment, l’Etat aura une idée exacte et précise du nombre de transporteurs. Il fera en sorte que ceux qui ne peuvent pas être transporteurs, soient exclus du milieu. Parce que le transporteur est un grand prédateur des infrastructures économiques, surtout quand il ne sait pas faire son travail. Nous allons installer des stations de pesage. Elles sont nécessaires parce que c’est comme des filtres pour préserver les infrastructures routières. L’Etat éprouve du mal à déterminer le nombre de véhicules en circulation. Parce que le certificat d’inscription n’est pas lié à la carte d’autorisation de transport. On découvre souvent des cartes de transport qui ne portent même pas les indications de la carte grise. Il faut mettre de l’ordre. Donc ce fonds va permettra à l’Etat d’apporter une garantie auprès des concessionnaires. Des véhicules neufs pourraient être mis à la disposition des transporteurs moyennant un échéancier bien supportable. Si ce fonds se comporte bien, on pourra accorder une subvention aux opérateurs pour réduire certaines taxes qu’ils acquièrent facilement des véhicules. Cet allègement peut s’étendre à l’importation des pièces de rechange. La dotation initiale du fonds sera de un milliard de Fcfa et il obéira ainsi à un système de revolving.

Au moment où les opérateurs sont en difficulté à cause de la crise, les documents administratifs se multiplient avec des coûts exorbitants notamment la patente à 400.000 Fcfa, les cartes de stationnement à 140.000 Fcfa,… Cette situation n’est-elle pas de nature à les engouffrer davantage ?

Les différentes administrations ne forment pas malheureusement un organigramme qui permet de faire une gestion managériale des transporteurs. Il y a des cahiers de charge que chaque organe doit pouvoir respecter. Au-dessus des transporteurs, il y a des structures opérationnelles qui existent telles que les sous-directions qui doivent les suivre. Pour que celles-ci puissent contrôler effectivement les transporteurs, il faut qu’il y ait des personnes hiérarchiquement au-dessus d’eux. Ces responsables seront chargés d’évaluer ceux qui doivent suivre les transporteurs. Or, justement, cette évaluation ne se fait pas.

A vous entendre, on a le sentiment que cette situation laisse apparaître une sorte de dysfonctionnement et de dichotomie au niveau de l’appareil étatique…

Il n’y a pas deux capitaines dans un bateau, comme on a l’habitude de le dire. Le ministère des Transports est dirigé par un ministre qui a plusieurs départements notamment le terrestre, l’aérien, le maritime. Le terrestre est primordial pour nous, les Africains, puis­qu’on fait tout à travers ce type de transport. Le ministère dispose d’une Direction générale des transports terrestres et de circulation. Il faut donc qu’on laisse le Directeur général des transports terrestres discuter d’abord avec les forces de l’ordre qui ont en charge le contrôle routier et qu’on mette à la disposition de ce dernier toutes les structures parapubliques (Sonatt, Agetu, Oic,…) pour recevoir des instructions harmonisées. Cela ne se fait pas. Au contraire, chaque structure se met à créer des taxes de son côté sans savoir que ces mêmes taxes existent ailleurs. L’Agetu est une société d’Etat qui a été créée pour gérer uniquement le volet urbain. Or, quand on parle du volet urbain, on touche automatiquement les collectivités. Il y a un petit réglage à faire à ce niveau. L’Agetu, qui a passé une convention avec l’Etat, ne travaille pas en symbiose avec la Direction générale des transports terrestres, le représentant de l’Etat dans le domaine. Tant qu’on ne règle pas ce problème, les transporteurs vont toujours subir ces conflits de compétence sur le terrain. La bonne gouvernance nous échappe et à partir de ce moment, on ne peut pas résoudre les problèmes de transport de façon harmonieuse et efficace. C’est un problème qui est facile à solutionner, mais à condition qu’on se trouve sur la même table pour engager les discussions.

Malgré le paiement des taxes multiples, le retour en termes d’investissement dans les infrastructures routières, laisse à désirer. Les routes sont dans un état de dégradation avancée et constituent un frein au développement du transport. Quelle analyse faites-vous de cette situation ?

Cela pose la problématique de l’entretien routier. La route est souvent construite pour 20 ans, mais les voies que nous construisons, ne font même pas 3 ans. Le règlement 14 de l’Uemoa préconise qu’on harmonise le contrôle des charges et des gabarits des camions de transport de marchandises. Ce sont ces véhicules qui pèsent lourd et qui détruisent les routes. Cette disposition nous aidera à maîtriser le Fonds d’entretien routier (Fer). Les éléments qui alimentent le Fer, proviennent des produits pétroliers. S’il est suffisamment maîtrisé, cela nous per­­mettra de faire de nouveaux investissements. Mais, en même temps, on nous demande de trouver d’autres ressources pour alimenter ce fonds en dehors des ressources traditionnelles. C’est-à-dire des prélèvements effectués sur la fabrication des cartes de transport, les lettres de voiture,… Des choses qui ne grèvent pas les budgets des transporteurs, mais qui sont déjà entre les mains des intermédiaires.

Les gares routières qui sont dans un état piteux, sont devenues des lieux où des loubards imposent leur diktat aux opérateurs du transport. Ils y érigent des barrages pour leur extorquer de l’argent. Que fait la tutelle ?

Un site a été déjà identifié sur une grande superficie à la casse d’Adjamé, pour construire la nouvelle gare routière de la ville d’Abidjan. Si la situation sociopolitique ne s’était pas aussi dégradée, ce projet allait voir le jour et permettre aux transporteurs d’avoir une gare très moderne dotée de moyens informatiques avec des motels. Je pense qu’avec la fin de la crise, nous allons remettre ce dossier au goût du jour. Cela va permettre à l’Etat de maîtriser toutes les quantités de marchandises qui circulent entre Abidjan et l’intérieur du pays d’une part et d’autre part entre Abidjan et les pays frontaliers. L’Etat pourrait mieux contrôler et maîtriser également le flux migratoire. Au niveau du désordre dans le transport et la montée en force des pseudos syndicats, l’Etat a besoin de tranquillité pour régler définitivement ce problème qui pèse énormément sur les recettes des vrais professionnels. Or, depuis dix ans, on n’est pas stable. Et là je suis encore modeste. Puisque dix ans avant que la crise n’éclate, le désordre existait déjà. Donc depuis 20 ans, cette situation perdure. Un Etat qui n’est pas stable dans sa gestion, qui ne gère pas la chose publique de façon continue, il lui est difficile de maîtriser dans l’immédiat ces problèmes. C’est parce qu’il y a trop d’intermédiaires dans le milieu. Beaucoup de personnes qui se disent transporteurs, mais qui n’ont même pas de vélo, sèment la terreur dans le milieu. Ce sont des intermédiaires qui gagnent beaucoup d’argent au détriment des vrais opérateurs. Il faut véritablement assainir ce secteur pour offrir un nouveau type de transporteur à la Côte d’Ivoire. Il faut justement que cette crise prenne fin pour que le gouvernement se stabilise davantage et renoue avec la bonne gouvernance. Dans ces conditions, on pourra se fixer des objectifs suivant une bonne vision. Nous pourrons ainsi élaborer une stratégie et des plans d’action pour faire des évaluations à temps réel de sorte qu’on puisse apporter des corrections.

Les tracasseries routières et le racket continuent de prendre de l’ampleur dans le secteur. Malgré la campagne menée par le chef de l’état-major, le général Philippe Mangou, pour améliorer la fluidité routière, les vilaines pratiques ont encore refait surface. L’Etat est-il impuissant face ce problème ?

Tant que les transporteurs et les forces de l’ordre feront des arrangements sur la route, il sera difficile de combattre efficacement le racket. Cependant, si les transporteurs sont en règle et que malgré cela, ils sont victimes du racket des forces de l’ordre, il faut qu’ils aient le courage de les dénoncer. Ils peuvent laisser leur camion sur place pour remonter vers leur patron et les autorités compétentes. A partir de ce moment, on va résoudre ce problème. Dans tous les cas, l’Uemoa a mis en place l’observatoire des pratiques anormales dans tous les pays membres. C’est la direction des transports qui a été choisie pour présider l’observatoire des pratiques anormales pour la Côte d’Ivoire avec pour point focal la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire.

C’est un outil qui va fonctionner comme un système d’espionnage. L’objectif est de détecter les mauvaises pratiques des forces de l’ordre, des chauffeurs et des passagers qui font que nous perdons du temps sur les routes. Il s’agit donc de détecter les barrières illégales et de produire un rapport. Dans les autres pays, cela existe déjà. Sa mise en place en Côte d’Ivoire a traîné à cause de la guerre. Nous sommes en train de rentrer progressivement dans ce système.

Interview réalisée par Cissé Cheick Ely
PUBLICITÉ
PUBLICITÉ

Playlist Économie

Toutes les vidéos Économie à ne pas rater, spécialement sélectionnées pour vous

PUBLICITÉ