Il est fier d'être « le seul fonctionnaire » à avoir un bureau à ciel ouvert. Diomandé Valy, titulaire d'une maîtrise en Sciences économiques a accepté que nous passions une journée en sa compagnie.
A le voir en train de balayer la chaussée, on se croirait devant une jeune fille. Tant il est habile dans le maniement du balai. Préoccupé à regrouper des feuilles mortes qui ont recouvert son espace, le bruit du matin qui règne autour de lui ne le distrait pas. Diomandé Valy, 27 ans, fait ce geste chaque matin pour installer sa cabine téléphonique. Il est 6 h du matin ce mardi 5 janvier quand il arrive à son ''bureau''. Nous sommes à Yopougon -Sideci, quartier Lem. C'est à cet endroit, entre de nombreux maquis, que se trouve sa cabine téléphonique. Sous un gros arbre qui produit de l'ombre toute la journée, mais aussi des feuilles mortes qui tombent. C’est la raison pour laquelle quand il arrive dans son ''bureau'' son premier geste consiste à le rendre propre. Le bruit des voitures et la musique des maquis ne perturbent pas son travail. Il s’attèle, la tête baissée, à donner une allure agréable à son bureau. Les jeunes écoliers qui se rendent dans le lycée voisin jettent des coups d'œil vers lui. «Il doit être propre ce garçon», semblent-ils s'interroger. Très occupé, il ne voit pas tomber le mégot de cigarette qu'un homme vient de jeter dans l'espace déjà balayé. Quand il se retourne, c'est avec un juron qu'il ramasse le mégot. 10 minutes suffisent pour rendre propre la partie du trottoir qu'il exploite. Dun geste lent et sans effort, il place sa caisse en bois sur laquelle on peut lire '' Kbine tous réseaux à 50 Fcfa.'' Ou ''Transfert d'unités ».
Gerer les humeurs
Ensuite, il installe un banc sur lequel il s'assoit. A sa gauche, des vendeuses de galettes qui partagent l'espace avec lui, lancent de temps en temps des plaisanteries. Juste un peu plus loin une dame vend de la boisson importée. En face de lui se trouve un vendeur de journaux. « Je vais jeter un coup d'œil sur les journaux pour voir ce qui se passe dans le pays », nous informe-t-il. Il se mêle à une discussion sur les reports de l'élection présidentielle et ne se rend pas compte qu'une cliente s'est arrêtée devant sa cabine. Impatiente, cette jeune fille est sur le point de s'en aller lorsque le gérant arrive. « Quand on n'est pas prêt, on reste à la maison. Vous vous promenez sachant qu'il y a des gens qui ont besoin d'appeler », se plaint la cliente. Valy accueille ces remontrances avec un large sourire. «Donnes moi ton numéro. Mais, j'espère que tu as la monnaie », prévient l'étudiant. Sa journée vient de commencer véritablement. Ce sera ainsi jusqu'à 22 heures. Il est visiblement passionné par l'ambiance dans laquelle il se débrouille. Mais, que de contraintes!
Il faut gérer les humeurs des uns et des autres. C'est le cas avec cette dame qui arrive aux environs de 9 h : « Donne moi le (téléphone) portable je vais composer mon numéro rapidement». «Bonjour s'il vous plait Mme», répond Valy. «Je ne suis pas obligée de te saluer. Compose mon numéro et puis tiens-toi tranquille !», l'indélicate cliente. A peine, a-t-elle fini de communiquer qu'elle jette une pièce de monnaie vers le “bureaucrate” et part aussitôt. «Si tu n'as pas bien passé la nuit, ne t'en prends pas aux autres», lance Valy.
Sous-estimés par la société
Une réaction qui fait pouffer de rire tous ceux qui suivent la scène autour de lui. Diomandé est célèbre dans la zone. Il est comique et réputé avoir toujours une réponse à tout. Quelques minutes après une lycéenne arrive. Pendant sa communication, Diomandé ne faisait que l'admirer. Grande en taille et très belle, cette jeune collégienne de teint clair peut rendre fou n'importe quel homme. Elle a des traits très fins. Sa voix douce résonne comme une note de musique. Valy est tout de suite envouté par cette beauté. Il demande son numéro de téléphone. « Donnes-moi ma monnaie au lieu de te faire voir», répond-elle sèchement. Comme si cette parole ne s'adresse pas à lui, Diomandé tarde à faire la monnaie. «Nous ne sommes pas en conflit ma belle. Je veux juste ton numéro pas plus », insiste-t-il. « Regarde-moi bien. Est-ce que nous nous ressemblons ? », Interroge la jeune fille en prenant sa monnaie. Ses voisines, comme si elles s'attendaient à cette réponse, n'hésitent pas à se moquer de lui.
Ce genre de phrase, Diomandé dit en entendre chaque jour. La société, en général, sous-estime les gérants de cabine. Pour beaucoup, ce sont des personnes qui ont échoué dans leur vie. Surtout des jeunes déscolarisés sans bon niveau. La plupart des gens qui passent sur la rue de la pharmacie ''Lem'' ont souvent un regard interrogateur sur Diomandé Valy. Beaucoup se demandent quel avenir peut il avoir en passant la journée assis à composer les numéros et à faire des transferts de crédits de communication. Certains pensent même que c'est un fainéant. « D'autres plus audacieux viennent me dire qu'au lieu de chercher du travail je passe mes journée à traîner ». Pourtant, c'est un haut diplômé de ce pays. Il a obtenu le baccalauréat en 2000. Orienté d'abord en finance comptabilité dans une Grande école privée, le brillant garçon obtient sans difficulté son Brevet de technicien supérieur (Bts), deux ans plus tard. « J'ai passé une année entière à chercher un stage » se souvient-il. Finalement, grâce à la l'appui d'un ami, il obtient un stage dans une entreprise de la place juste pour pouvoir rédiger un mémoire afin de valider son diplôme. Ce qu'il fait en 2004. Encore une fois, il est confronté à la dure réalité de la rareté de l'emploi en Côte d'Ivoire. C'est la période la plus difficile pour un diplômé. Finir ses études et passer son temps à errer à la recherche travail. « Ne pouvant plus supporter cette lassitude, je me suis inscrit à l'université de Cocody pour faire une équivalence en Sciences économiques ». Ce nouveau départ, Valy l'a abordé avec beaucoup d'espoir. Pour lui, sa chance serait encore plus grande avec un diplôme universitaire. En 2007, il obtient la maîtrise. Mais toujours rien. Valy végète encore un long moment. « J'ai demandé un prêt à mon oncle pour monter ma propre affaire. Et j'ai commencé par la cabine téléphonique. Je m'en sors bien », se console-t-il. Les bénéfices sont destinés aux dépenses pour la constitution de dossiers de candidature et aux frais d'inscription à des concours professionnels. Valy a déjà participé, entre autres, au concours d'entrée à l'Institut pédagogique national de l'enseignement technique et professionnel (Ipnetp) et à l'Ecole nationale d'administration(Ena), en vain.
Une journée très chargée
Les échecs se succèdent depuis trois ans. Désormais convaincu ses efforts personnels ne suffiront pas pour qu'il soit admis à un concours, il se bat maintenant pour réaliser une bonne économie dans l'espoir d'accroître ses chances. Suivez notre regard ! Chaque jour, Valy se lève tôt pour affronter la même journée. « Certaines personnes pensent que je traîne ici parce que je n'ai rien à faire. Quand les clients viennent, à peine ils ont des mots gentils». Comme Valy, ils sont nombreux les diplômés qui se retrouvent dans ce métier après avoir cherché en vain un premier emploi.
Il est midi. C'est la pause pour beaucoup de travailleurs. C'est donc l'heure où il y a plus d'appels. Difficile pour lui de se restaurer à ce moment. Avec ses trois téléphones portables qui servent tant pour les appels que pour les transferts, il est débordé. La malhonnêteté de certains clients ne lui facilite pas la tâche. C'est le cas de cette dame qui, après avoir fini de communiquer affirme être à court d'argent pour payer. Une dispute éclate entre elle et le gérant. « Quand vous n'avez pas assez d'argent, expliquez clairement la situation. Si on ne peut pas vous aider, on vous le dira ». La dame réagit en haussant le ton : « Je ne t'ai pas dit que je ne vais pas payer. La personne que j'ai jointe viendra tout à l'heure régler la facture ». Sur ce, elle prend place à côté sur le banc, comme pour lui montrer qu'elle ne va pas s'enfuir. Le soleil est au zenith. La chaleur est étouffante. Les salutations sont incessantes. A 14 heures, la cliente est toujours assise. Elle compose à nouveau le numéro. Le correspondant, dit-elle, promet toujours d'arriver. Quelques minutes plus tard, c'est lui qui rappelle. Finalement, il ne peut plus venir. Ce qui met le gérant dans tous ses états. La dame en larmes le supplie de la gratifier des 700 Fcfa. « Les choses ne se passent pas ainsi madame », rétorque aussitôt le chef d'entreprise. Avant de se montrer très embarrassé les secondes suivantes par la situation. Il accepte de laisser partir la dame qui lui promet de venir payer plus tard. Les scènes de ce genre sont fréquentes au bureau de Valy. Souvent, on assiste à des bagarres client-client ou client-gérant. C'est aussi cela le métier, avec ses joies et ses peines. A 22 h, il range ses affaires et rentre chez lui.
NB : Maitrisard, terme populaire qui désigne une personne ayant un diplôme de maitrise.
Soro Sita (Stagiaire)
A le voir en train de balayer la chaussée, on se croirait devant une jeune fille. Tant il est habile dans le maniement du balai. Préoccupé à regrouper des feuilles mortes qui ont recouvert son espace, le bruit du matin qui règne autour de lui ne le distrait pas. Diomandé Valy, 27 ans, fait ce geste chaque matin pour installer sa cabine téléphonique. Il est 6 h du matin ce mardi 5 janvier quand il arrive à son ''bureau''. Nous sommes à Yopougon -Sideci, quartier Lem. C'est à cet endroit, entre de nombreux maquis, que se trouve sa cabine téléphonique. Sous un gros arbre qui produit de l'ombre toute la journée, mais aussi des feuilles mortes qui tombent. C’est la raison pour laquelle quand il arrive dans son ''bureau'' son premier geste consiste à le rendre propre. Le bruit des voitures et la musique des maquis ne perturbent pas son travail. Il s’attèle, la tête baissée, à donner une allure agréable à son bureau. Les jeunes écoliers qui se rendent dans le lycée voisin jettent des coups d'œil vers lui. «Il doit être propre ce garçon», semblent-ils s'interroger. Très occupé, il ne voit pas tomber le mégot de cigarette qu'un homme vient de jeter dans l'espace déjà balayé. Quand il se retourne, c'est avec un juron qu'il ramasse le mégot. 10 minutes suffisent pour rendre propre la partie du trottoir qu'il exploite. Dun geste lent et sans effort, il place sa caisse en bois sur laquelle on peut lire '' Kbine tous réseaux à 50 Fcfa.'' Ou ''Transfert d'unités ».
Gerer les humeurs
Ensuite, il installe un banc sur lequel il s'assoit. A sa gauche, des vendeuses de galettes qui partagent l'espace avec lui, lancent de temps en temps des plaisanteries. Juste un peu plus loin une dame vend de la boisson importée. En face de lui se trouve un vendeur de journaux. « Je vais jeter un coup d'œil sur les journaux pour voir ce qui se passe dans le pays », nous informe-t-il. Il se mêle à une discussion sur les reports de l'élection présidentielle et ne se rend pas compte qu'une cliente s'est arrêtée devant sa cabine. Impatiente, cette jeune fille est sur le point de s'en aller lorsque le gérant arrive. « Quand on n'est pas prêt, on reste à la maison. Vous vous promenez sachant qu'il y a des gens qui ont besoin d'appeler », se plaint la cliente. Valy accueille ces remontrances avec un large sourire. «Donnes moi ton numéro. Mais, j'espère que tu as la monnaie », prévient l'étudiant. Sa journée vient de commencer véritablement. Ce sera ainsi jusqu'à 22 heures. Il est visiblement passionné par l'ambiance dans laquelle il se débrouille. Mais, que de contraintes!
Il faut gérer les humeurs des uns et des autres. C'est le cas avec cette dame qui arrive aux environs de 9 h : « Donne moi le (téléphone) portable je vais composer mon numéro rapidement». «Bonjour s'il vous plait Mme», répond Valy. «Je ne suis pas obligée de te saluer. Compose mon numéro et puis tiens-toi tranquille !», l'indélicate cliente. A peine, a-t-elle fini de communiquer qu'elle jette une pièce de monnaie vers le “bureaucrate” et part aussitôt. «Si tu n'as pas bien passé la nuit, ne t'en prends pas aux autres», lance Valy.
Sous-estimés par la société
Une réaction qui fait pouffer de rire tous ceux qui suivent la scène autour de lui. Diomandé est célèbre dans la zone. Il est comique et réputé avoir toujours une réponse à tout. Quelques minutes après une lycéenne arrive. Pendant sa communication, Diomandé ne faisait que l'admirer. Grande en taille et très belle, cette jeune collégienne de teint clair peut rendre fou n'importe quel homme. Elle a des traits très fins. Sa voix douce résonne comme une note de musique. Valy est tout de suite envouté par cette beauté. Il demande son numéro de téléphone. « Donnes-moi ma monnaie au lieu de te faire voir», répond-elle sèchement. Comme si cette parole ne s'adresse pas à lui, Diomandé tarde à faire la monnaie. «Nous ne sommes pas en conflit ma belle. Je veux juste ton numéro pas plus », insiste-t-il. « Regarde-moi bien. Est-ce que nous nous ressemblons ? », Interroge la jeune fille en prenant sa monnaie. Ses voisines, comme si elles s'attendaient à cette réponse, n'hésitent pas à se moquer de lui.
Ce genre de phrase, Diomandé dit en entendre chaque jour. La société, en général, sous-estime les gérants de cabine. Pour beaucoup, ce sont des personnes qui ont échoué dans leur vie. Surtout des jeunes déscolarisés sans bon niveau. La plupart des gens qui passent sur la rue de la pharmacie ''Lem'' ont souvent un regard interrogateur sur Diomandé Valy. Beaucoup se demandent quel avenir peut il avoir en passant la journée assis à composer les numéros et à faire des transferts de crédits de communication. Certains pensent même que c'est un fainéant. « D'autres plus audacieux viennent me dire qu'au lieu de chercher du travail je passe mes journée à traîner ». Pourtant, c'est un haut diplômé de ce pays. Il a obtenu le baccalauréat en 2000. Orienté d'abord en finance comptabilité dans une Grande école privée, le brillant garçon obtient sans difficulté son Brevet de technicien supérieur (Bts), deux ans plus tard. « J'ai passé une année entière à chercher un stage » se souvient-il. Finalement, grâce à la l'appui d'un ami, il obtient un stage dans une entreprise de la place juste pour pouvoir rédiger un mémoire afin de valider son diplôme. Ce qu'il fait en 2004. Encore une fois, il est confronté à la dure réalité de la rareté de l'emploi en Côte d'Ivoire. C'est la période la plus difficile pour un diplômé. Finir ses études et passer son temps à errer à la recherche travail. « Ne pouvant plus supporter cette lassitude, je me suis inscrit à l'université de Cocody pour faire une équivalence en Sciences économiques ». Ce nouveau départ, Valy l'a abordé avec beaucoup d'espoir. Pour lui, sa chance serait encore plus grande avec un diplôme universitaire. En 2007, il obtient la maîtrise. Mais toujours rien. Valy végète encore un long moment. « J'ai demandé un prêt à mon oncle pour monter ma propre affaire. Et j'ai commencé par la cabine téléphonique. Je m'en sors bien », se console-t-il. Les bénéfices sont destinés aux dépenses pour la constitution de dossiers de candidature et aux frais d'inscription à des concours professionnels. Valy a déjà participé, entre autres, au concours d'entrée à l'Institut pédagogique national de l'enseignement technique et professionnel (Ipnetp) et à l'Ecole nationale d'administration(Ena), en vain.
Une journée très chargée
Les échecs se succèdent depuis trois ans. Désormais convaincu ses efforts personnels ne suffiront pas pour qu'il soit admis à un concours, il se bat maintenant pour réaliser une bonne économie dans l'espoir d'accroître ses chances. Suivez notre regard ! Chaque jour, Valy se lève tôt pour affronter la même journée. « Certaines personnes pensent que je traîne ici parce que je n'ai rien à faire. Quand les clients viennent, à peine ils ont des mots gentils». Comme Valy, ils sont nombreux les diplômés qui se retrouvent dans ce métier après avoir cherché en vain un premier emploi.
Il est midi. C'est la pause pour beaucoup de travailleurs. C'est donc l'heure où il y a plus d'appels. Difficile pour lui de se restaurer à ce moment. Avec ses trois téléphones portables qui servent tant pour les appels que pour les transferts, il est débordé. La malhonnêteté de certains clients ne lui facilite pas la tâche. C'est le cas de cette dame qui, après avoir fini de communiquer affirme être à court d'argent pour payer. Une dispute éclate entre elle et le gérant. « Quand vous n'avez pas assez d'argent, expliquez clairement la situation. Si on ne peut pas vous aider, on vous le dira ». La dame réagit en haussant le ton : « Je ne t'ai pas dit que je ne vais pas payer. La personne que j'ai jointe viendra tout à l'heure régler la facture ». Sur ce, elle prend place à côté sur le banc, comme pour lui montrer qu'elle ne va pas s'enfuir. Le soleil est au zenith. La chaleur est étouffante. Les salutations sont incessantes. A 14 heures, la cliente est toujours assise. Elle compose à nouveau le numéro. Le correspondant, dit-elle, promet toujours d'arriver. Quelques minutes plus tard, c'est lui qui rappelle. Finalement, il ne peut plus venir. Ce qui met le gérant dans tous ses états. La dame en larmes le supplie de la gratifier des 700 Fcfa. « Les choses ne se passent pas ainsi madame », rétorque aussitôt le chef d'entreprise. Avant de se montrer très embarrassé les secondes suivantes par la situation. Il accepte de laisser partir la dame qui lui promet de venir payer plus tard. Les scènes de ce genre sont fréquentes au bureau de Valy. Souvent, on assiste à des bagarres client-client ou client-gérant. C'est aussi cela le métier, avec ses joies et ses peines. A 22 h, il range ses affaires et rentre chez lui.
NB : Maitrisard, terme populaire qui désigne une personne ayant un diplôme de maitrise.
Soro Sita (Stagiaire)