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Société Publié le jeudi 14 janvier 2010 | Le Patriote

Engorgement des universités publiques / Sidibé Valy (Directeur de l’enseignement supérieur public) : “Mettre de l’ordre sinon la pagaille va s’installer pour toujours”

Les universités publiques ivoiriennes sont malades et souffrent de plusieurs maux : manque criant d’enseignants et d’infrastructures de formation, enseignement de masse au rabais, chevauchement d’années universitaires... Dans cet entretien, le Professeur Sidibé Valy, directeur de l’enseignement supérieur public, évoque cette situation fâcheuse, les nouvelles réformes et propose des solutions pour sortir les universités publiques de ces difficultés.

Le Patriote : L’enseignement supérieur public fait sans cesse sa mue. Aujourd’hui, l’on parle du système LMD (Licence-Master-Doctorat), où en est on concrètement avec cette réforme ?

Sidibé Valy : Effectivement, l’enseignement supérieur a vécu une véritable transformation. De l’université nationale à l’université de Cocody par exemple, il y a eu trois réformes, la première c’était le contenu même des enseignements pour en faire l’université nationale, ensuite, il y a eu ce qu’on peut appeler la réforme Saliou Touré qui a conduit à l’introduction du système des unités de valeur (UV). Enfin, le système LMD arrive avec le ministre Cissé Bacongo. L’objectif est de mettre sur la même longueur d’onde, toutes les universités de la sous-région membres de l’UEMOA et du CAMES. Il a été initié par les pays anglo-saxons. Le CAMES a décidé de l’adopter pour harmoniser les programmes d’enseignement mais aussi pour faciliter la mobilité du corps enseignant et des étudiants dans le cadre du renforcement des capacités des enseignants et des étudiants eux-mêmes.

L.P : Comment cela va-t-il se traduire exactement sur le terrain ?

S.V : Le décret de création du LMD a été signé, et l’arrêté d’application dans les universités et les grandes écoles est sur la table du ministre pour signature. Déjà en Côte d’Ivoire, il y a des universités et des grandes écoles privées et publiques qui appliquent le LMD. Et l’université publique phare dans cette expérience est l’université d’Abobo-Adjamé. C’est très simple, les trois premières années, c’est la licence (L1,L2,L3) comme dans l’ancien système. Une fois que vous avez la licence, vous postulez pour la maîtrise ou le master en un an ou deux. Il y aura deux types de master, le master général et le master spécialisé ou encore professionnel, ensuite vous avez le Diplôme d’Etude Approfondie (DEA) qui rentre maintenant dans le circuit du doctorat. On donnera quatre ans pour soutenir une thèse de doctorat.

L.P : Que sera alors le sort des étudiants qui sont à cheval sur les deux réformes ?

S.V : Rassurez-vous. Ils ne seront pas « sacrifiés». Comme toute réforme, on tient compte de ce qui était là avant. Ceux qui sont dans l’ancien système et qui doivent en bénéficier vont aller jusqu’à soutenir, par exemple leur mémoire de maîtrise. Pour ceux qui sont déjà en doctorat, il n’y a pas de problème puisqu’ils ont déjà fini le parcours. Mais, ceux qui sont en licence et qui n’ont pas encore terminé leur licence seront considérés comme étant en année de licence. Mais, pour les cas de figure où il reste encore des UV à valider pour avoir la licence entière, on laissera un temps probatoire d’un, deux ou trois ans à ces étudiants pour finir leur cycle.

L.P : Les reformes se suivent, mais un problème demeure, celui de l’engorgement des universités. Qu’en est-il de la construction de nouveaux amphis ?

S.V : L’engorgement des universités publiques n’est pas l’apanage de la Côte d’Ivoire seule. C’est un problème qui frappe presque toutes les universités publiques. Pour désengorger, Cocody dans les années 90 et 93 où les grèves se suivaient régulièrement, le Premier ministre d’alors le Dr. Alassane Outtara, avait créé deux universités : l’université d’Abobo-Adjamé et l’université de Bouaké. Elles avaient des succursales que sont l’URS de Daloa rattachée à Abobo-Adjamé tandis que l’université de Bouaké avait pour greffon celui de Korhogo. Aujourd’hui, nous tendons à l’érection de l’URES de Korhogo et de Daloa en des universités autonomes, et en projet le ministre Cissé Bacongo a introduit des dossiers pour la création d’autres universités à Bondoukou, Abengourou, San Pédro, Man, Odienné… Les études sont déjà faites. Il reste les fonds pour la mise en place de ces universités.

L.P : L’engorgement entame la qualité de la formation. Des universitaires proposent l’augmentation des frais de scolarité pour juguler le problème, n’est-ce pas trahir la mission essentielle d’une université nationale ?

S.V : Oui ! L’aspect formation sociale des universités, n’est pas à ignorer, mais aujourd’hui nous avons une obligation de résultat. Vous êtes d’accord avec moi que, quand vous avez mille étudiants pour un cours magistral(CM) et 500 étudiants pour des travaux dirigés (TD) vous ne pouvez pas former des génies. Personnellement je ne crois pas à la pédagogie de masse. L’augmentation des frais est une des pistes à examiner froidement. Il faut aussi voir dans quelle mesure cela est possible. C’est fondamental, si cela peut permettre de mettre les étudiants dans les conditions normales de travail. La qualité en pédagogie exige le petit nombre.

L.P : L’enseignement supérieur manque aussi d’enseignants…

S.V : Le corps enseignant supérieur était, c’est vrai, restreint. Tout simplement parce que les salaires n’attiraient pas les universitaires. Aujourd’hui, le ministre Cissé Bacongo, pour intéresser le corps enseignant a introduit auprès du gouvernement un dossier qui revoit à la hausse le traitement du corps enseignant du supérieur. Il arrivait qu’on ait un besoin de 100 enseignants du supérieur et on était incapable de pourvoir même 20 postes. La Fonction publique nous avait octroyé 240 postes, il nous reste 74 à pourvoir.

L.P : Autre boulet au pied de l’enseignement supérieur, le chevauchement d’années universitaires…

S.V : C’est un problème crucial qu’il faut prendre à bras le corps et essayer d’associer pratiquement tous les partenaires de l’école pour voir comment on peut assurer la régularité des années universitaires. Faut-il arrêter tout et reprendre à zéro ? Quand on essaie d’arrêter, il y a les pressions syndicales, sociales et politiques qui pèsent sur la tête des responsables du ministère et sur l’Etat. N’oublions pas l’irrégularité des années universitaires ne date des événements de 90. Dans certaines facultés comme celle des Lettres Modernes, on avait réussi à régulariser le système. Mais à partir du moment où il y a les grèves perlées et illimitées, tout est devenu compliqué. L’année universitaire étant capitalisée en nombre de semaines de cours, si le nombre homologué n’est pas atteint, l’année n’est pas validée. Mais par crainte de la gent politique, les enseignants essayent de rattraper, « on va finir, on va finir » et on se retrouve avec ces années qui ne sont plus des années. Il y a des enseignants et des étudiants qui ne savent plus à quelle année universitaire, ils sont actuellement. A l’heure où je vous parle, il y a des UFR qui sont encore en 2005- 2006 c’est-à-dire avec 4 ans de retard. L’université de Bouaké, dans son ensemble, n’a même pas encore terminé l’année 2006- 2007. Les années universitaires, il faut le dire, sont devenues de véritables serpents de mer. C’est un problème fondamental dans la gorge même du directeur de l’enseignement supérieur que je suis. Mais je crois que l’orientation pour la régularisation des années relève plus d’une volonté politique, que d’un travail technique. Si ça ne tenait qu’à nous les techniciens, on aurait tout arrêté et tout recommencé.

L.P. Quand vous parlez d’arrêter tout, faites-vous allusion à une année blanche ?

S.V. : A un moment donné, il y a des étudiants nouvellement orientés qui se tapent une année entière sans faire de cours. Une sorte d’année blanche qui n’est pas officiellement déclarée. Si on n’arrête pas, pour mettre de l’ordre, la pagaille va s’installer tout le temps. Quand une UFR est en 2009 -2010, d’autres sont en 2006-2007, d’autres en 2007-2008. Pour une année universitaire nationale, cela n’est pas recommandé.

L.P. : Le renouvellement des instances des universités, coince à Cocody. Pourquoi ?

S.V : Oui, les élections des présidents des universités avaient été déjà programmées, mais les textes sont stricts là-dessus. Nous avons eu l’honneur de piloter les élections au niveau de l’Université de Bouaké, Dieu merci ça c’est bien passé ainsi qu’à l’Université d’Abobo-Adjamé. Ça coince à Cocody pour des questions de personnes et surtout quand le politique s’y mêle, ça devient encore plus compliqué. Officiellement, c’est pour des raisons des dossiers arrivés en retard. Le ministre a pris ses responsabilités, il a fait organiser les élections à Abobo-Adjamé et à Bouaké en attendant que les violons soient accordés à l’Université de Cocody.

L.P. : A quand alors, les élections à Cocody ?
S.V. : Aucune idée.
Réalisée par Moussa Keita
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