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Société Publié le vendredi 5 mars 2010 | Nord-Sud

Me Koné Mamadou (Bâtonnier) à propos de la cybercriminalité : “Je ne laisserai personne salir les avocats”

Plus de mille personnes ont saisi le Barreau ivoirien pour dénoncer des cybercriminels qui ont tenté de les escroquer en utilisant des noms d’avocats. Le bâtonnier Me Koné Mamadou donne des détails sur ce phénomène.


Vous avez récemment publié une déclaration dans laquelle vous avez dénoncé des personnes qui extorquent de l’argent à des citoyens à travers l’internet et en utilisant des noms d’avocats. Quels sont les faits précis qui vous ont conduits à faire cette sortie ?

Les faits sont anciens puisque le phénomène dure depuis plus de cinq ans. Des personnes mal intentionnées utilisent les noms des avocats pour laisser croire à d’autres personnes, de par le monde, qu’elles ont gagné des loteries ou je ne sais plus quels jeux, dans le but d’escroquer les personnes à qui elles s’adressent. Souvent, elles le font par l’internet, et des noms d’avocats ont été régulièrement utilisés par ces fraudeurs.


Comment cela se passe-t-il concrètement ?

Le fraudeur trouve, par exemple, le nom d’un vrai avocat sur internet. Il utilise le nom de cet avocat, avec des fausses adresses géographiques et téléphoniques, pour s’adresser à d’autres personnes prises au hasard sur internet. Le faussaire fait croire à ces personnes, par des courriers portant le nom de l’avocat choisi, qu’elles ont gagné une loterie. Souvent on vous dira que cette loterie est organisée par telle société bien connue, par exemple Microsoft, ou par une fondation, par exemple, la Fondation Bill Gate.

Ensuite l’escroc demande au « gagnant » son numéro de compte bancaire sur lequel le paiement du gain doit se faire. Enfin il demandera au « gagnant » la production d’une pièce d’identité ou une autorisation de paiement. Si le « gagnant » s’exécute, le faussaire détient, désormais, l’indication de son numéro de compte bancaire et sa signature. Ce qui lui permet d’imiter ladite signature pour effectuer des retraits sur ce compte.

Parfois, on laissera croire à la proie choisie qu’il s’agit d’aider un orphelin du fait de la crise ivoirienne, orphelin dont les parents ont laissé une fortune à l’étranger dont l’orphelin ne peut jouir, parce que les autorités politiques l’empêchent de quitter son pays. Dans tous les cas, les escrocs utilisent des noms d’avocats, pour donner une apparence d’authenticité et de crédit à leurs manœuvres.


Combien de personnes ont-elles été escroquées de cette façon ?

D’abord, je pense que les gens devraient se dire que n’ayant pas joué à une loterie, ils ne devraient pas y gagner. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas et plusieurs personnes se laissent appâter. Nous avons enregistré plus de mille cas.


Qui sont les victimes ?

Ce sont des personnes de diverses nationalités. Nous recevons des courriers de la France, du Canada, de partout. Certains ont dit avoir payé 38.000 euros (plus de 24 millions de F.CFA).


Pouvez-vous citer quelques de noms d’avocats touchés par ce phénomène ?

Le problème, c’est que quand vous donnez le nom d’un avocat, c’est comme si vous faisiez une mauvaise publicité sur lui, puisque son nom est un peu mêlé à une histoire d’escroquerie. Je préfère donc ne pas citer de noms.


Au-delà de la déclaration que vous avez faite, quelles actions menez-vous pour freiner cette pratique?

Depuis 2008, le Conseil de l’Ordre des avocats a déposé une plainte entre les mains de la police. Elle fait ce qu’elle peut. Nous pensons qu’à côté de cette plainte, il faut des actions de communication. C’est-à-dire qu’il faut utiliser les mêmes moyens que les fraudeurs. Ils utilisent l’internet pour essayer d’appâter les gens, nous devons utiliser les mêmes moyens pour prévenir les populations en leur disant : attention, quand vous recevez ce genre de lettre, prenez contact avec le Conseil de l’Ordre pour vérifier si c’est une opération authentique. Nous faisons donc de la prévention. Nous voulons, par ce que nous faisons, aider la police à mener son enquête. Nous utilisons notre propre site et d’autres sites d’information pour faire cette communication. Il faut répéter, répéter le message pour que les gens aient le reflexe de consulter l’ordre des avocats chaque fois qu’ils sont invités à gagner aussi facilement de l’argent.


Avez-vous constaté un début de changement depuis le début de cette campagne ?

Depuis quelques semaines, nous enregistrons moins de cas. Mais, nous ne nous faisons pas d’illusion. Il faut renouveler le message. Les escrocs n’ont certainement pas l’intention d’arrêter leurs opérations. Donc, nous non plus, ne devons nous arrêter.


Vous avez saisi la police pour qu’elle fasse son travail. Pensez-vous que notre police dispose de l’arsenal juridique nécessaire pour punir cette criminalité de type nouveau ? Ces crimes sont-ils prévus par la loi ivoirienne ?

Il y a tentative d’escroquerie, escroquerie, faux et usage de faux, usurpation de titre. Autant d’infractions qui sont prévues par notre code pénal. Maintenant, pour connaître les réseaux des fraudeurs, la police a ses méthodes. Nous ne nous mêlons pas de cela.


La Côte d’Ivoire a été cité récemment par un rapport international comme plaque-tournante de la cybercriminalité dans la sous-région. Qu’est-ce qui peut expliquer cela ?

Mon seul combat est que les avocats ne doivent pas être mêlés à ces choses-là. C’est tout. Je défends l’image du barreau. Je n’ai pas les moyens de combattre la criminalité. Je dis simplement que je défendrai les avocats contre celui qui les mêle à son affaire d’escroquerie.


En tant que juriste ou en tant que citoyen ivoirien, quelle est votre opinion sur le fait que votre pays soit devenu le carrefour des cybercriminels ?

Il n’y a pas que cela, il y a d’autres faits. Dès l’instant où vous ouvrez vos portes à certaines choses et que vous créez les conditions favorables à certaines choses, elles se font.


Seriez-vous en train de faire allusion à la multiplicité de ces cybercafés fréquentés par des jeunes qui s’adonnent à toutes sortes de pratiques sur l’internet ?

Pourquoi seulement les jeunes. Je ne suis pas de ceux qui veulent distinguer les générations. Il y a un fait de société et nous devons tous l’assumer. Sommes-nous à mesure d’assurer la sécurité de manière générale ? Que faisons-nous pour assurer la sécurité ? Nos règles de respect du code pénal et de la sécurité sont-elles appliquées ou en mesure d’être appliquées? Existe-t-il au niveau de nos frontières une possibilité de contrôle réel ? Est-ce que lorsqu’il y a des troubles, des crises, cela ne favorise-t-il pas l’existence de certaines choses ? Ce sont toutes ces questions que vous devez vous poser.


On a l’habitude d’entendre dire que les avocats sont bien lotis financièrement. Est-ce toujours le cas ?

Je voudrais que les avocats soient des gens de bien. Maintenant, s’ils peuvent être des gens de biens, c’est-dire dire, avoir des biens matériels tout en ayant un bon comportement, ce ne serait pas mauvais.


Est-ce toujours le cas ?

Non. L’avocat n’est pas différent des autres membres de la société. La corporation se porte très bien parce que nous sommes de plus en plus nombreux. Mais être nombreux ne signifie pas être riche.


Combien d’avocats compte aujourd’hui le barreau ivoirien ?

Plus de 480. Tout le monde se porte bien. Mais cela ne veut pas dire que tout le monde est riche. Pour moi, le plus important n’est pas le matériel, mais le comportement moral. Et de ce côté-là, je puis vous assurer que les avocats sont bien formés. Pendant leur exercice, ils continuent de faire des stages de formation. Il y a la formation continue et la formation des stagiaires quel que soit leur âge. On peut avoir 80 ans et venir au barreau. Dans ce cas, on n’est certes pas un avocat jeune, mais on est un jeune avocat, et on doit suivre la formation. De ce point de vue, il y a une dynamique au sein du barreau, et je m’en réjouis. Pour moi, cela suffit pour dire que le barreau se porte bien.


Quelles sont les difficultés de la corporation ?

Le fait qu’on utilise de manière abusive les noms des avocats depuis quelque temps. Certaines personnes usurpent le titre d’avocat. Il y’en a même qui se prétendent avocat-consultant. Je ne sais pas ce que cela signifie. Il y en a aussi qui se présentent dans les journaux comme étant des avocats privés. Je ne sais pas non plus ce que cela signifie. C’est un véritable fléau. De plus en plus, le titre d’avocat est utilisé précisément parce que les gens se rendent compte que les avocats sont crédibles. C’est pour cela que je dis que la corporation se porte bien. Tout à l’heure, à 13h (c’était le mardi), un monsieur sera jugé devant le tribunal correctionnel pour avoir usurpé il y a dix jour le nom d’un avocat afin d’assister quelqu’un devant la police économique. Nous avons été informés, il a été arrêté et il doit être jugé aujourd’hui comme par hasard.


Quelles autres difficultés rencontrez-vous ? Est-ce que les avocats, les vrais, arrivent-ils à exercer toujours facilement leur métier ?

Nous sommes dans une société. Nous devons exercer selon les conditions de la société à un temps donné.


Les Ivoiriens se souviennent encore de la crise qui a opposé en 2008 le barreau au parquet dans le cadre d’une affaire qui concernait l’ex-Bâtonnier Me Emmanuel Assi. Cette page est-elle vraiment tournée ?

Oui. Nous avons de très bonnes relations avec tout le monde au niveau du monde judiciaire. Ce dont vous parlez a été un incident, il ne faut plus revenir là-dessus. Il y a eu un malentendu à un moment donné. Une de mes missions est d’éviter que ce genre de situation se reproduise. J’ai entrepris toutes les démarches de courtoisie nécessaires pour cela.

Interview réalisée par Cissé Sindou
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