Au lendemain de la double dissolution de la Commission électorale indépendante (Cei) et du gouvernement, le chef de l'Etat a affiché sa volonté de ne plus s'asseoir à la table du conseil des ministres avec certaines personnalités de l'opposition. Dans ce véto de Laurent Gbagbo, beaucoup d'analystes ont vite fait de voir une stratégie du chef de file de la « Majorité présidentielle » visant à « abattre politiquement » ceux qui le gênent aussi bien au Nord qu'au Sud. Ce qui serait de bonne guère. Finalement, faisant contre mauvaise fortune, bon cœur, le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (Rhdp) est donc entré au gouvernement sans cinq de ses cadres, récusés par le chef de l'Etat. De sources proches de cette coalition, c'est dans la perspective des prochaines élections que Laurent Gbagbo aurait choisi de liquider, pour le compte du Parti démocratique de Côte d'Ivoire, Allah Kouadio Rémi et Patrick Achi, pour le Rassemblement des républicains (Rdr), Amadou Gon Coulibaly et Hamed Bakayoko et enfin pour l'Union pour la démocratie et pour la paix en Côte d'Ivoire (Udpci), Albert Toikeusse Mabri. Si on en croit l'argumentation développée par les houphouétistes, « le candidat du Fpi (Front populaire ivoirien, Ndlr) ne les voit autrement qu'en des adversaires politiques redoutables. Gbagbo qui a longtemps usé de sa calculatrice, a pu les identifier comme des personnalités susceptibles, s'ils restaient encore plus longtemps au gouvernement, de constituer une menace pour sa réélection ». En se fiant à cette thèse, la dissolution du gouvernement par Laurent Gbagbo n'aurait donc pour objectif que d'affaiblir le Pdci dans les pays baoulé et akyé, le Rdr dans le Nord et l'Udpci dans le grand-Ouest. Mais en prenant la dissolution du premier gouvernement de Guillaume Soro par l'autre bout, le chef de l'Etat n'a-t-il pas rendu service au Rhdp en récusant Allah Kouadio Rémi, Patrick Achi, Amadou Gon Coulibaly, Hamed Bakayoko et Albert Toikeusse Mabri ? Il est, en effet, autorisé de le penser, car comme l'a reconnu le président de l'Udpci lors du troisième bureau politique du Rhdp mercredi dernier. De l'avis de M. Mabri Toikeusse, l'acte posé par Laurent Gbagbo a contribué à renforcer l'union au sein de la famille houphouétiste. Mais au-delà de cette unité qu'elle aura contribué à renforcer, la première leçon à tirer, c'est que la stratégie de Laurent Gbagbo a au moins permis à l'opposition de faire tourner ses effectifs aux fins d'étendre ses tentacules. L'inamovible président-ministre de l'Udpci a enfin eu l'occasion de passer la main à un autre cadre du parti. Outre l'Udpci, le Rdr a aussi permis à un fils du pays gouro qui a donné un bastion au parti d'Alassane Ouattara (la région de la Marahoué compte le plus grand nombre de maires républicains) de faire son entrée au gouvernement. La deuxième leçon à tirer, c'est que la dissolution du premier cabinet de Guillaume Soro devrait ouvrir de meilleures perspectives aux cadres du Rhdp qui vont mieux travailler pour la réélection de leurs mentors respectifs. Très craint par le Fpi en pays akyé, Patrick Achi devrait à présent avoir les coudées franches pour « vendre » le programme de gouvernement du candidat Henri Konan Bédié. Pareil pour le directeur national de campagne d'Alassane Ouattara. Ce dernier qui s'apprête à boucler le tour de la Côte d'Ivoire, pourra se réjouir d'avoir comme les autres postulants au fauteuil présidentiel, un Dnc totalement engagé dans la joute électorale. Le plus heureux de tous est incontestablement le président du parti arc-en-ciel. « Je n'avais pas l'intention de sortir de la salle du conseil des ministres pour aller en campagne », avait-il confessé, mardi dernier. Loin donc d'avoir porté l'estocade à l'opposition, notamment au Rhdp, Laurent Gbagbo semble plutôt lui avoir fait une passe en or. Malheureusement, les concernés ne paraissent pas comprendre toujours les choses sous ce prisme.
Marc Dossa
Marc Dossa