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Société Publié le mardi 23 mars 2010 | Nord-Sud

Kouakou Koffi Célestin (non-voyant, inspecteur de l’enseignement primaire) : “Je suis un bel exemple à expérimenter”

Kouakou Koffi Célestin, non- voyant, inspecteur de l’enseignement primaire (Iep) se bat pour exercer, à plein temps, dans une circonscription de l’enseignement primaire. Avec des arguments.

Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Kouakou Koffi Célestin, inspecteur d’enseignement primaire (Iep) affecté en 2007 par le Ministère de la Famille, de la femme et des affaires sociales au Centre d’éducation-formation des aveugles de Toumodi. C’est dire que je n’ai rien à faire ou presque.

Vous êtes un inspecteur d’enseignement primaire bien particulier…
Effectivement ! Ma particularité, c’est que je suis totalement non voyant. Mais, j’ai fait l’Ecole normale supérieure (Ens) en tant qu’aveugle et j’ai fini. Maintenant, c’est l’affectation au niveau de l’enseignement primaire qui pose problème. Sinon, je travaille sur les mêmes éléments que mes collègues voyants.

Aujourd’hui, comment vous sentez-vous dans votre peau ?
Bon ! Je suis heureux ! Il y a un adage Baoulé qui dit, parlant de la gazelle, ‘’vaut mieux avoir une oreille en moins que mourir ‘’ (Rires…). Donc je me sens bien, seulement que j’ai quelques petits problèmes. Je lutte pour intégrer l’Education nationale, mais depuis 2007, toutes mes courses sont restées vaines. J’ai écrit au Ministre, au président de la République, et jamais je n’ai reçu de suite.

Parlez-nous un peu de votre cursus…
De 1975 à 1983, j’étais en 6ème ici, d’abord au Collège moderne de Toumodi. En 1979, c’est nous qui avons ouvert le lycée, en classe de 2nde C. En 1983, je suis entré au Cafop et j’ai commencé l’enseignement le 1er octobre 1985. Dans la 3ème année scolaire, j’étais en classe et subitement, j’ai perdu la vue. J’ai fait les papiers, je suis allé aux affaires sociales. Après la cécité, j’ai été mis à la disposition des Affaires sociales et j’ai intégré l’Institut des aveugles de Yopougon où j’ai appris les techniques d’enseignement pour les personnes handicapées visuelles. Là-bas, au vu du travail que j’abattais, Mme Ohouochi, le ministre de la Solidarité d’alors m’a autorisé à entrer à l’Ens. J’y suis entré en tant que non-voyant. Nous étions 30 dans la promotion 2004-2006. Dieu merci, tout s’est bien terminé et je m’en suis sorti avec la mention « Assez-bien ». Pour le moment, c’est le retour à l’Education nationale qui pose problème.

Pensez-vous réellement que dans votre état, l’Education nationale peut vous utiliser ?
Oui ! L’Education nationale peut m’utiliser puisque ma formation (Inspecteur de l’enseignement primaire), je ne l’ai pas faite dans un centre pour handicapé. L’Ens n’a pas de centre pour handicapé. Donc, j’ai suivi les cours et fait la formation au même titre que les voyants. Sur les 30 que nous étions, j’étais le seul non-voyant et j’ai pu. Aujourd’hui, si vous interrogez les conseillers pédagogiques de Toumodi, ils vous diront les prouesses que je fais, parce que quand un aveugle réussit quelque chose, on trouve que ce sont des prouesses. Sinon, j’ai titularisé depuis 2007 beaucoup d’enseignants ici ! Aussi bien au Ceap (Certificat élémentaire d’aptitude pédagogique) qu’au Cap (Certificat d’aptitude pédagogique). Même les instituteurs ordinaires qui viennent, je les titularise en compagnie de M. Coulibaly, l4iep d’alors qui me faisait l’honneur de m’inviter à ses tournées d’inspection. Avec le nouvel inspecteur, on n’a pas encore commencé à travailler ensemble. Je sais que je peux réussir, je peux ! Je n’ai pas été renvoyé de l’Ens, ce qui veut dire que je suis capable. A l’Ens, il y a la partie théorique en classe et la partie pratique dans les écoles ordinaires avec les voyants. C’est après les prestations des enseignants et les critiques que les professeurs me notent.

Vous avez commencé de façon normale et maintenant vous utilisez le braille. Comment s’est effectuée cette mutation ?

Comme le phénomène est arrivé subitement, j’ai su garder mon calme. Lorsque j’ai intégré l’Institut des aveugles, la première année était celle de l’adaptation. J’ai appris l’alphabet braille, les différentes lettres et quand j’ai su lire et écrire et calculer, on m’a attribué une classe. J’y ai enseigné de 1990 à 2003 avant d’aller à l’Ens en 2004.

Un non-voyant comme Iep, ce serait une première en Côte d’I­voire !
Une première, mais pas extraordinaire. Quelqu’un qui a réussi à faire une formation, ça veut dire qu’il est apte à accomplir cette mission. Moi, je souhaiterais que nous qui sommes capables, qu’on nous essaie ! Moi par exemple, je suis un bel exemple à expérimenter ! Qu’on me mette sur le terrain et si ça ne va pas, qu’on me ramène au bureau. Du temps de Tony Blair en Grande Bretagne, le ministre de l’Education nationale était aveugle. Tout près de nous au Niger, entre 1975 et 1980, le ministre de la Justice était aveugle ! Mais en Côte d’Ivoire, je ne sais pas pourquoi les gens doutent encore de nos capacités.

Une question de confiance, de culture peut-être.
Je ne sais pas. Mais moi, ce que je demanderais aux autorités, tout en reconnaissant que le gouvernement a beaucoup fait en recrutant les non voyants, c’est d’aller plus loin. Je souhaiterais qu’on nous prenne au sérieux et qu’on nous mette à la place qu’il faut. S’ils ont accepté de nous recruter, qu’on nous mette à la place qu’il faut. Et si ça ne va pas, qu’on nous ramène au bureau. Dans tous les cas, on a les diplômes… Mais déjà vous pouvez même mener des investigations au niveau de Toumodi. Je demande aux autorités de nous aider. Que ceux qui veulent être à leur place, qu’on les aide à y être ! Je milite toujours pour retourner à l’Education nationale et être à la tête d’une circonscription de l’Enseignement primaire. Parce que je sais que je peux. Il ne faut pas que les gens doutent de nos compétences à cause de notre handicap.

Interview réalisée par Ousmane Diallo à Yamoussoukro
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