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Société Publié le jeudi 25 mars 2010 | Nord-Sud

Baie de Cocody : Sur les traces des crocodiles de la lagune Ebrié

Des crocodiles dans la lagune Ebrié ! Vous êtes certainement peu nombreux à en avoir entendu parler. Certains se posent des questions sur l’existence de ces reptiles dans cette eau calme. Pour couper court à la polémique, Nord-sud est allé sur le terrain. Enquête.

Le 26 février, un prisonnier du nom de N’Guetta Kouakou Julien, échappe à sa garde, alors qu’il vient d’être condamné par le tribunal d’Abidjan à 5 ans fermes, pour vol. Julien réussit à sortir du palais de justice, du côté de la lagune Ebrié, pendant que les policiers le conduisaient au cachot. Poursuivi par des policiers, il dévale la colline qui sépare le temple de Thémis de la lagune, et court se jeter dans la nappe d’eau. Les policiers n’osent pas le suivre dans cette entreprise « suicidaire ». L’eau est boueuse, expliquent-ils, et, il y a des crocodiles là-dedans. Ils préfèrent attendre Julien sur la rive, espérant qu’il va finir par s’épuiser et se rendre. Mal leur en prit. Le prisonnier nage vers un coin de l’eau, il s’accroche à quelque chose et reste là pendant longtemps. Puis, on ne l’a plus aperçu. Personne ne l’a vu, non plus, sortir de l’eau. Où est-il passé? Mystère et boule de gomme ! La police est surprise par cette disparition soudaine. Selon des agents de sécurité, la seule explication plausible est que Julien a été dévoré par un crocodile. Des crocodiles dans cette lagune ? Plusieurs personnes se posent la question. On pense que Julien s’est fait la malle, tout simplement, sans que personne ne l’ait vu sortir de l’eau. Mais, cette affaire crée la polémique sur l’existence des sauriens dans la lagune calme et sans danger. D’autant que certains Abidjanais affirment avoir déjà vu ces reptiles dans cette eau, pendant qu’ils la traversaient en bateau-bus, alors qu’ils passaient en véhicule sur le boulevard lagunaire, ou au cours d’une balade au bord de l’eau. Cependant, une autre frange de la population se refuse à croire que l’on puisse trouver des crocodiles dans cette étendue d’eau. « Ce sont des bêtes dangereuses et elles auraient fait des victimes depuis ». Mais, pendant les travaux d’aménagement de la baie de Cocody, en décembre 2009, des employés du ministère de la Ville et de la salubrité urbaine, affirment en avoir vu. Mieux encore, des policiers qui sécurisaient le chantier auraient abattu deux crocodiles...

Des policiers ont abattu deux crocodiles

Ce mardi, 23 mars, il y a un moyen de vérifier cette information. Les travaux d’aménagement de la baie de Cocody viennent de reprendre après une interruption de plusieurs mois. Sur le chantier, deux machines désensablent le gros conduit d’eau qui achemine les eaux de ruissellement qui viennent, en amont, d’Adjamé, Abobo, pour les déverser dans la lagune. Quelques employés sont à pied d’œuvre. Deux policiers supervisent les travaux. Les employés ne sont pas ceux qui ont effectué les premiers travaux de la baie, mais ils ont entendu parler de crocodiles. Par contre, les policiers sont des habitués du coin. L’un d’entre eux, calme, n’a pas l’air étonné lorsqu’il entend parler de ces reptiles. Effectivement, dit-il, l’un de ses collègues qui n’est pas de service, ce matin, a abattu deux crocodiles au bord de la lagune, pendant qu’ils effectuaient les travaux. Les sauriens représentaient une menace à leurs yeux. Pour lui, il n’y a aucun doute là-dessus : il y a bel et bien des crocodiles dans cette eau. Il ajoute, l’air malicieux : « On est en train de désensabler le caniveau, lorsqu’on aura fini, vous allez les voir venir sous le pont pour se reposer.» Le policier fait allusion au petit pont sous lequel passe le grand caniveau, que les machines désensablent en ce moment, pour rejoindre la lagune. L’agent de sécurité, dit-il, la vérité ? N’est-ce pas un varan que son ami aurait tué ? Puisqu’il existe bien des varans dans cette eau. Pour en avoir le cœur net, il n’y a pas trente-six solutions : il faut inspecter la lagune.

Il faut aller vérifier sur le terrain

Les crocodiles aiment le soleil, dit-on, et quand les rayons solaires dardent fort, ils se mettent le plus souvent dehors, la gueule grande ouverte. Ce midi, le moment est donc bien choisi. Il fait un soleil de plomb. La lagune est calme. Pour espérer voir un crocodile, il faut descendre dans le ravin herbeux et boueux du côté du boulevard lagunaire, où plusieurs personnes ont signalé leur présence. Mais, l’espace est vaste. Heureusement, ces endroits sont fréquentés par des fleuristes, des jardiniers, des menuisiers, des sculpteurs et des potiers. Ces gens travaillent au bord de la lagune depuis une dizaine d’années, pour certains. C’est le cas d’Ousmane, un fleuriste. Ce midi, le quinquagénaire fume sous un hangar, au milieu de ses fleurs, le torse nu. Près de lui, une marmite qui bouillonne sur un foyer de trois pierres. Ousmane a déjà bouffé de la viande de crocodile, dit-il. Et c’est dans cette même marmite qu’il a fait bouillir la viande du saurien. « Ah ! Quel délice ! », se souvient-il. C’est donc tout dire, le fleuriste est habitué à voir les sauriens par ici. « C’est parce que l’herbe a envahi la lagune, sinon, ils sortaient quand il y a le soleil, pour se reposer au bord de l’eau », explique-t-il. « Les crocodiles ? J’en ai vu plusieurs fois », renchérit Emmanuel, le seul menuisier, installé au bord de la lagune, du côté du boulevard lagunaire, entre les fleuristes. Ils ont leur moment, selon lui. « Il arrivera une période où ils sortiront fréquemment de l’eau pour s’exposer dehors ». Barthélémy, un potier du coin, confirme les propos d’Ousmane et d’Emmanuel. « Une fois, les employés de Mel Théodore qui travaillent sur la baie, en ont tué deux (il fait allusion aux policiers). Le corps du second crocodile n’était pas visible, c’est nous qui l’avons retrouvé, le lendemain au bord de l’eau, vers notre atelier », explique-t-il. N’était-ce pas un varan ? Le potier, proche de la trentaine, sourit. « Je tue des varans fréquemment ici. Je connais parfaitement la différence entre un varan et un crocodile ». Un témoignage qui confirme les dires des policiers qui supervisent les travaux de la baie.

Une étude confirme l’existence de crocodiles

Eh bien, il ne reste plus qu’à attendre que les gros reptiles se montrent ! Les artisans qui travaillent au bord de l’eau, indiquent successivement plusieurs endroits où ils ont l’habitude de prendre leur bain de soleil: sous le petit pont, au bord de l’eau, du côté de la baie, et aussi vers le Bureau national d’études techniques et de développement (Bnedt). Mais, pas l’ombre d’un crocodile dans les endroits indiqués. Entre la boue qu’il faut affronter, les flaques d’eau et les herbes, les recherches sont pénibles. « Vous ne les verrez jamais quand vous les cherchez», indique Coulibaly. Il est occupé à charger un pick-up (véhicule) de pierres qu’il vend au bord du boulevard lagunaire. D’ailleurs, le garçon a l’air méfiant. « Il y a des gens qui se permettent de venir tuer les crocodiles, et vous me rappelez l’un de ces tueurs », indique-t-il. Après s’être rassuré qu’il a plutôt affaire à des gens curieux, il ajoute : « Ce sont des esprits de l’eau qu’il faut protéger.» Esprit de l’eau ou pas, rien ne serait plus rassurant que de voir en chair et en os un crocodile. N’ayant pas eu cette chance, nous nous orientons vers le ministère de l’Environnement et des eaux et forêts pour confirmation. Certains responsables de ce département ont répondu qu’ils n’en savent pas grand-chose. C’est un mystère... mais, pas pour longtemps…
Poursuivant nos recherches, nous découvrons une étude publiée par les éditeurs scientifiques, Jean-René Durand, Philippe Dufour, Daniel Guiral et Soko Guillaume François, en 1994. L’étude publiée sous forme de livre est intitulée: «Environnement et ressources aquatiques de Côte d’I­voire : les milieux lagunaires (tome 2). » Les scientifiques consacrent une partie de ce travail aux espèces qui vivent dans la lagune Ebrié. Il y apparaît clairement que les crocodiles sont présents dans cette eau. Voilà un extrait de l’étude : « (…) Dans la lagune Ebrié, pour les mammifères, (il y a) les lamantins (trichechus senegolensis), pour les reptiles, les crocodiles (Crocodylus niloticus, C. cataphractus, Oteolaemu).» Un livre disponible chez vos libraires. Cependant, si cette étude rassure, il appartient toujours à chacun de méditer sur l’existence de crocodiles dans la lagune Ebrié. Et la même question demeure : en avez-vous déjà vu ?

Raphaël Tanoh
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