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Société Publié le mercredi 31 mars 2010 | Nord-Sud

Dr Diawara Adama (Université de Cocody) : “Les heures complémentaires tuent l’enseignant”

Dr Diawara Adama, enseignant à l’université de Cocody fait une analyse de la politique des heures complémentaires dans l’enseignement supérieur public en Côte d’Ivoire. Il propose des solutions pour freiner les conséquences néfastes de ce système.

PREMIERE PARTIE :

La problématique des heures complémentaires dans les Universités publiques ivoiriennes

Prenant part à un Séminaire national qui regroupait des hauts cadres de l’administration, je fus choqué d’entendre certains séminaristes affirmer, avec une certaine dose de frustration, que les enseignants du supérieur public ivoirien sont surpayés. Leur principal argument avait trait aux heures complémentaires payées aux enseignants de nos universités publiques.
Si un haut cadre perçoit le monde universitaire sous cet angle, qu’en est-il du citoyen lambda ? Pour éclairer nos concitoyens sur les salaires et accessoires versés aux enseignants du supérieur public, il m’a semblé opportun de publier deux articles, que je m’efforcerai de rendre aussi objectifs que possible, malgré ma fonction d’enseignant chercheur dans l’une de nos universités publiques. Ce premier article porte sur les fameuses heures complémentaires évoquées ci-dessus.

CONTEXTE

En matière d’enseignement supérieur, la Côte d’Ivoire a le plus grand taux de couverture de la sous-région : en 1999, notre pays comptait 696 étudiants pour 100.000 habitants, pendant que le Bénin, la Guinée et le Sénégal n’en comptaient que 353, 187 et 327 pour 100.000 habitants, respectivement. Cette avance de la Côte d’Ivoire est due aux politiques éducatives mises en place par les gouvernements ivoiriens successifs, de la partie basse à la partie haute du système éducatif, c’est-à-dire du primaire (voire du préscolaire) au supérieur. Dans le supérieur, le choix suivant, adopté depuis l’indépendance du pays, a fortement contribué à augmenter le nombre d’étudiants : l’orientation de la totalité des bacheliers dans les structures d’enseignement supérieur.
Malheureusement, cette volonté politique a engendré un certain nombre de problèmes structurels, dont celui des heures complémentaires dans les établissements publics d’enseignement supérieur, notamment les universités.

De quoi s’agit-il ? :

Comme souligné plus haut, la Côte d’Ivoire compte de nombreux étudiants. Une grande partie de ces étudiants sont inscrits dans nos trois universités publiques : Cocody, Abobo-Adjamé et Bouaké. A titre d’exemple, en 2005, sur un total de 146.490 étudiants, 69.436, soit 47,40% des effectifs, étaient inscrits dans ces universités.
Le nombre d’enseignants étant insuffisant dans nos universités publiques, le taux d’encadrement de cette masse d’étudiants est très bas : en 2005, à l’Université de Cocody, il était de 1 enseignant pour 41 étudiants, contre 1 enseignant pour 30 étudiants au 1er cycle et 1 enseignant pour 25 étudiants au 2nd cycle, selon la norme Unesco. Que dire de l’Université de Bouaké, qui compte, aujourd’hui, 1 enseignant pour 150 étudiants, soit un taux d’encadrement 5 à 6 fois inférieur à la norme internationale ?
Pour faire face à cette grave pénurie d’enseignants, les universités publiques ont recours aux heures complémentaires, appelées HC, par abréviation, dans le monde universitaire. Cela consiste, pour un enseignant donné, à dispenser plus d’heures de cours que ce qui lui est légalement exigé. Pour permettre aux non initiés de mieux comprendre, soyons plus explicites : un enseignant de rang A (Professeur Titulaire ou Maître de Conférences) doit dispenser 5 heures de cours magistraux (CM) par semaine ; le reste de son temps de travail est consacré aux travaux de recherche et aux encadrements d’enseignants de rang B et d’étudiants de 3e cycle (DEA et Thèse). Un enseignant de rang B (Maître Assistant ou Assistant) doit dispenser 8 heures de travaux dirigés (TD) ou de travaux pratiques (TP) par semaine ; le reste de son temps de travail est consacré aux travaux de recherche. Le nombre de semaines effectives de cours étant fixé à 25 par an, un enseignant de rang A doit dispenser 125 heures de CM par an et un enseignant de rang B doit donner 200 heures de TD et/ou de TP par an. Tout surplus d’heures d’enseignement est payé en heures complémentaires à l’enseignant concerné. Par exemple, si un enseignant de rang B donne 600 heures de TD (ou de TP) au cours d’une année universitaire, le surplus d’heures de cours (600 h – 200 h, soit 400 h) lui est payé en heures complémentaires.

AVANTAGES

Le phénomène des heures complémentaires profite, à court terme, aux enseignants et à l’Etat. En effet :

Considérons un Maître Assistant de l’UFR SSMT (Physique-Chimie), marié et père de 3 enfants, dont les salaires mensuels brut et net sont de 798.601 F et 652.401 F, respectivement. S’il effectue 400 heures complémentaires (volume moyen de HC par enseignant dans son UFR), il gagne, en brut : 5.500 F/ h x 400 h = 2.200.000 Fcfa. De ce montant brut, il faut déduire les impôts, qui en grignotent 12%, soit : 2.200.000 Fcfa x 12% = 264.000 Fcfa. Les HC rapportent donc à cet enseignant, en net, 1.936.000 Fcfa par an, c’est-à-dire, en moyenne, 161.333 F par mois. Cela représente 24,7% (c’est-à-dire pratiquement le quart) de son salaire mensuel net.
Les salaires étant relativement bas, comparés au coût de la vie, seuls les revenus procurés par les HC permettent aux enseignants du supérieur de s’acheter des voitures d’occasion (France Au Revoir) et des maisons de standing moyen, donc d’élever quelque peu leur niveau de vie.

Le phénomène des heures complémentaires profite triplement à l’Etat :
Le déficit d’enseignants est artificiellement comblé. Cela évite le blocage du système de l’enseignement supérieur.
Les impôts prélevés sur les HC constituent une manne supplémentaire pour les caisses de l’Etat, s’ils y sont reversés. Il faut noter que le taux d’imposition des HC (12 à 15%) est de loin supérieur à celui des heures de cours dispensées dans le supérieur privé (7,5%).

Le coût des HC est largement inférieur à la masse salariale qu’engendrerait le recrutement d’un nombre d’enseignants suffisant pour supprimer les HC. En effet, si nous reprenons le cas du Maître Assistant ci-dessus, nous constatons que ses HC (400 h) représentent la charge annuelle de 2 Maîtres Assistants. Le salaire brut annuel de ces derniers étant de : 2 MA x 798.601 Fcfa/MA/mois x 12 mois = 19.166.424 Fcfa, le phénomène des HC permet à l’Etat d’économiser, grâce à ce seul enseignant, la rondelette somme de : 19.166.424 Fcfa – 1.936.000 Fcfa = 17.230.424 Fcfa. Je vous laisse imaginer le montant total que l’Etat économise, chaque année, grâce aux HC effectuées par l’ensemble des 2.400 enseignants du supérieur public : des dizaines de milliards de nos francs !
A ces avantages avérés, il faut ajouter le fait que des rumeurs persistantes, dans le milieu enseignant, affirment que les HC seraient infiniment bénéfiques pour les administrations de nos universités publiques, car elles leur permettraient d’effectuer des dépenses opaques. Je ne m’attarderai guère sur ce point, dans la mesure où je ne dispose d’aucun élément objectif pour attester de la véracité de cette assertion. Notons tout de même qu’une telle rumeur, qu’elle soit fondée ou non, pose le problème du management des universités publiques ivoiriennes.

INCONVENIENTS

Malheureusement, à long terme, le phénomène des HC présente de graves inconvénients pour les enseignants et le système de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, et au-delà pour l’ensemble de la nation. En effet, pour augmenter leurs gains de façon substantielle, certains enseignants effectuent un nombre d’heures complémentaires exorbitant. Imaginez un enseignant du supérieur donner, en 130 jours réels de cours (cas d’une année universitaire perturbée), 1.000 heures complémentaires, auxquelles il faut ajouter les 200 heures dues. Cela représente 1.200 heures de cours en 130 jours, soit 9 à 10 heures de cours par jour. Quand on connaît l’énergie dépensée pour préparer et dispenser correctement une (1) heure de cours dans le supérieur, on perçoit tout de suite les inconvénients majeurs du phénomène des HC :
Lessivés par la débauche d’énergie que nécessitent ces énormes volumes d’heures complémentaires, les enseignants n’ont plus la force, ni même le temps, de mener leurs travaux de recherche. Il ne faut donc pas s’étonner de constater que nos universités publiques comptent peu d’enseignants de rang A et que nos étudiants de 3e cycle sont peu encadrés. Cela a un impact négatif évident sur notre recherche scientifique, qui est pourtant essentielle pour le développement de notre pays.
Physiquement affaiblis et en permanence stressés, les enseignants sont fréquemment victimes des maladies telles que l’hypertension artérielle. Ces dernières années, de nombreux enseignants du supérieur public ont ainsi perdu la vie à la tâche.
Ce trop plein de cours tue la qualité des cours dispensés : exténué, l’enseignant se contente d’enseigner le minimum aux apprenants, et parfois de façon purement bâclée. C’est donc l’ensemble de la partie haute de notre système éducatif, et partant l’avenir de toute la nation, qui est ainsi hypothéqué.
Les enseignants n’ont plus de vie de famille réelle. Cela a souvent pour corollaires : la mauvaise éducation de leurs progénitures, la dislocation de leur famille nucléaire, etc.
A ces différents inconvénients, il faut ajouter les grèves sauvages provoquées par le paiement tardif des HC. Ces grèves constituent l’une des causes de la perturbation endémique des calendriers académiques dans nos universités publiques.



CONCLUSION

Si le phénomène des HC présente quelques avantages à court terme, il est évident qu’à long terme, il est foncièrement nocif pour le système d’enseignement supérieur et de recherche. Il est donc impératif de mettre fin à ce phénomène. Cela passe par la mise en œuvre d’un certain nombre d’options d’appui à notre système d’enseignement supérieur public :

La maîtrise des flux d’étudiants entrant dans nos universités publiques ;
L’adoption d’un ensemble de stratégies permettant d’éviter l’engorgement de ces structures, notamment celles contribuant à augmenter sensiblement les taux de réussite des étudiants ;
L’intensification de la formation des étudiants de 3e cycle, donc l’adoption d’un véritable plan de financement de la recherche universitaire, tel que celui préconisé, depuis belle lurette, par l’actuel ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, le Docteur Cissé Ibrahim Bacongo ;

L’adoption d’une politique efficace de recrutement des enseignants du supérieur. L’application intégrale de la nouvelle grille des salaires des enseignants du supérieur sera un pas dans cette direction.
Percevoir le phénomène des heures complémentaires comme une simple astuce pour surpayer les enseignants du supérieur public, n’est donc qu’une vue simpliste d’un problème structurel qui mine notre système d’enseignement supérieur et de recherche, hypothéquant ainsi l’avenir de toute la nation.

Par Dr DIAWARA Adama
Directeur de la Station Géophysique de Lamto, Maître Assistant à l’Université de Cocody, (UFR-SSMT / Laboratoire de Physique de l’Atmosphère et de Mécanique des Fluides)

Les titre, surtitre et chapo sont de la rédaction
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