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Société Publié le vendredi 9 avril 2010 | Le Mandat

Interview - Marie Rose Guiraud, artiste chorégraphe depuis les USA : «Je souffre d’une maladie des os»

Partie au pays de l’oncle Sam il y a de cela 12 ans, l’artiste chorégraphe et fondatrice de l’Ecole de Danse et d’Echanges Culturels (Edec), sort de sa réserve.


Dites-moi Madame Rose Marie Guiraud, cela fait presque 8 ans que la Côte d'Ivoire traverse une crise. Etant aux Etats-Unis, comment vivez-vous cela?

Très difficilement comme beaucoup d’autres Ivoiriens, ou dirais-je, comme tout citoyen qui aime son Pays. Mon Pays étant ma racine, lorsque sa stabilité est mise en cause, mon état moral et physique sont aussi hors balance. Néanmoins, j’ai l’espoir que nous sortirons glorieux et forts grâce à l’expérience de cette crise.


N'est-ce pas cette crise qui vous a maintenue aussi longtemps aux Etats-Unis?

Pas du tout ! Ma santé est la principale raison qui m’a emmenée aux Etats-Unis et m’y retient encore. Je suis une survivante. Depuis l’enfance, j’ai vécu une situation bien dramatique qui m’a mise dans un coma de quatre jours. Après cette expérience, je n’ai jamais été diagnostiquée jusqu'à ce que j’aille en France. Je suis retombée gravement malade lorsque je travaillais à l’hôpital Saint-Antoine de Lille, dans le Nord de la France. C’est grâce à la vigilance de mes employeurs qui étaient des religieux, que j’ai pu avoir un diagnostic de mes maux et ils m’ont administré les soins dont j’avais besoin. Ces maladies sont chroniques et peuvent réapparaître à tout moment, selon le temps, l’environnement, la nourriture et ainsi de suite.


De quelles maladies souffriez-vous ?

C’est une maladie des os (Ostéoporoses) qui a provoqué une scoliose à la colonne vertébrale. C’est grâce à la danse que je me tiens droite aujourd’hui. J’ai également le rhumatisme et l’arthrose aiguë. Le tout se résume à ce qu’on appelle Lupus ou Red, chez les Canadiens qui ont fait la découverte de cette rare maladie. Cela est arrivé non seulement à cause des intenses occupations artistiques et sociales à Abidjan, et mon âge avancé. Mais aussi aux symptômes d’enfance qui sont revenus et le taux de cholestérol élevé auquel s’est ajoutée l’hypertension. C’est contre tout cela que je lutte aujourd’hui, pour rester en vie.


Vu le temps que vous avez passé aux Etats-Unis, est-ce à dire que vous n’êtes pas encore guérie ?

Comme je suis inscrite dans le système médical par the Actors Fund of America de New York, US où j’ai la possibilité de me soigner régulièrement, il m’était difficile de rentrer au pays. Surtout quand j’apprends que l’on a déjà annoncé ma mort à plusieurs reprises dans mon pays et plusieurs fois, alors que je suis en vie, cela fait bien peur. A ce propos, je lance un appel à tout les Africains, qu’ils soient supporteurs ou non des artistes, des sportifs, des journalistes ou même des corps habillés, ces derniers demeurent le corps, le moteur, l’esprit et la force d’un pays et surtout, les enfants du continent. Autant l’on apprécie leur travail, autant l’on doit avoir de la compassion pour eux dans les moments difficiles. Afin qu’ils ne se sentent pas punis pour avoir été une icône ou une célébrité de leur pays. Quand la petite Joëlle C. devrait confier sa vie à une personne qui n’était pas du corps médical, mais simplement religieuse parce qu’elle n’a trouvé aucune main secourable, généreuse et confiante. C’était clair qu’elle avait choisi la mort dans la maison de Dieu, à défaut d’avoir de bons soins dans un hôpital. Je me souviens aussi lorsqu’on a exposé François Lougah et Jimmy Gnaoré à la télévision, des corps complètement squelettiques pour faire la quête de 500F (cinq cent francs ) ou 1000 F (mille francs) en vue de pouvoir soigner ces deux célébrités et icônes de la culture ivoirienne, (c’était très humiliant). Résultat, les deux hommes sont morts parce qu’il n’y avait pas assez de fonds ou il était trop tard pour les sauver. C’est à se demander, quelques fois : « que feraient les artistes s’il n’y avait pas la communication et les journalistes? ». Il en est ainsi dans beaucoup de pays d’Afrique parce que rares sont des artistes riches en Afrique, malgré notre apparence sophistiquée. C’est parce qu’on veut plaire à nos fans, à ceux qui nous encouragent et aiment nos prestations et notre performance et surtout parce qu’on veut faire la promotion de nos pays et de notre continent. Cela ne fait pas de nous des supers hommes et des immortels. Au contraire, les hommes publics, en général et en particulier les artistes, font partie des êtres les plus isolés et vulnérables du monde, en dehors de la scène. Quant à moi, ce retrait de douze années hors de tout problème de mon pays, m’a beaucoup mûrie et m’a rapprochée plus de Dieu. Car, en toute chose, il faut considérer la fin. Je veux finir en paix, en amour et rester dans l’histoire comme tout combattant pour son continent et surtout pour son pays. Je ne suis pas parfaite, mais j’ai assez d’amour à partager. C’est ma mission sur cette terre et je le prouve assez pour mériter le respect de tous. L’on peut ne pas aimer l’être, mais l’on ne peut renier l’histoire vécue d’un être. Je vous rassure que je respire la pleine forme.


A quand votre retour au pays et quels sont vos projets?

Je compte rentrer au pays au mois d’août 2010 Inch-Allah ! Mon programme est le suivant : je viens avec le projet de la convention des ‘’Guirivoires’’ qui va réunir non seulement ‘’Les Guirivoires’’ du monde et de la Côte d’Ivoire, mais aussi, tous les collaborateurs et tous les artistes qui ont, de loin ou de près, bénéficié de la collaboration de Rose Marie Guiraud, des ‘’Guirivoires’’ et de l’Edec. J’arrive avec un programme artistique de musique, chants et danses chorégraphiques. Je serai accompagnée par des musiciens Américains aux multiples talents. Parce qu’ils sont aussi des scientifiques de l’énergie solaire. C’est l’objectif des échanges culturels. Je voudrais faire profiter aux ivoiriens, des connaissances de ces jeunes dynamiques dont le sens civique est d’aider le tiers monde et apprendre aussi des autres. Après leur tour artistique de l’Egypte et de l’Inde, ils se joignent à moi et aux ‘’Guirivoires’’ pour tourner en Côte d’Ivoire, au Ghana et au Burkina Faso. Les activités seront centrées à l’Edec où il y aura des ateliers de danse, des spectacles, des démonstrations de l’énergie solaire et les tables-rondes. Nous souhaiterions collaborer avec plusieurs Institutions à Abidjan et à l’intérieur du pays. Tous les artistes et techniciens de l’énergie qui souhaiteraient participer à cette convention seraient les bienvenus. Je compte beaucoup sur l’accueil bien chaleureux et la participation de tous les Ivoiriens amoureux de l’art. En outre, je souhaiterais avoir le soutien et l’engagement du gouvernement ivoirien dans cet échange culturel avec les Américains, spécialement quand il s’agit de l’énergie solaire en Afrique et en particulier dans notre pays. La vulgarisation de l’énergie solaire pourrait nous aider à passer de la lune au soleil qui donnerait une vraie énergie aux paysans et à certaines villes de la Côte d’Ivoire.


Concrètement, quel est votre point de vue sur la situation actuelle, le remaniement au niveau du gouvernement et de la Cei (Commission Electorale Indépendante)?

Il est vrai que la politique appartient aux politiciens parce que chacun a son métier. Mais, il est aussi important que chaque individu soit appelé, que les citoyens du pays soient concernés par sa destinée, parce que la destinée d’un peuple se trouve dans les mains des politiciens et les forces armées. Etre concerné, c’est d’abord suivre bien le parcours historique de cette politique, la connaître, bien avant d’apporter nos critiques. Exactement comme dans la bible, il n’y a rien que les hommes font aujourd’hui qui n’ait été fait avant notre ère.


Qu’est-ce à dire ?

Notre crise d’aujourd’hui est une crise à laquelle il fallait s’y attendre. D’abord, dans tout royaume, chefferie, dans une république ou même une simple famille, il y a toujours eu une lutte pour le pouvoir entre les enfants ou les membres. Il aurait été bien bizarre qu’après la mort d’un légendaire père constructeur et créateur de cette république, Papa Félix Houphouët Boigny, premier Président de la république de Côte d’Ivoire, qu’il n’y ait pas de lutte. Même avec notre foi en la paix, qu’il nous a tous légué, il ne pouvait pas arrêter le cycle de l’histoire et de la vie.


Pourquoi fallait-il s’attendre à la crise ?

Parce que la crise ivoirienne, comme les crises partout ailleurs sur le continent africain, n’a pas commencé avec la génération d’aujourd’hui. Ni même par les Présidents d’alors. Mais depuis l’époque coloniale. Comme tout le monde le sait, tout pouvoir doit être arraché et ceci inclut l’indépendance. Toute l’Afrique aurait pu avoir aujourd’hui la même histoire que l’Afrique du Sud, qui partage sa terre et le pouvoir avec ses occupants. Mais beaucoup, comme Houphouët Boigny, ont choisi de défendre l’honneur et la survie de leurs peuples en les libérant de l’esclavage sur leur propre terre, en redonnant leur terre aux propriétaires, enfin, en leur donnant toute leur dignité humaine et indépendance. Mais en échange de cette indépendance, il fallait des sacrifices. Signer un pacte qui consistait à donner ou partager nos ressources minières avec ces colons de l’époque. Juste comme les crédits que nous recevons de ces pays aujourd’hui. Les raisons principales de la présence des colons en Afrique étaient l’exploitation de nos ressources minières. Le Président connaissait les conséquences de ce sacrifice. Mais, il fallait sauver ce peuple d’abord avant les biens matériels. Il fallait construire le pays à l’image de ces colons pour acquérir une certaine puissance avant de leur faire face. Le choix était juste, intelligent, humain et sage, mais pas politique. Houphouët Boigny, qui possédait des qualités d’un chef du village africain, sagesse, patience, une grande capacité d’écoute, psychologue, grand serviteur et organisateur de la communauté, a su tirer son épingle du jeu pendant ses trente trois ans de règne. Mais comme tout être humain, papa était bien loin d’être parfait. Cette nouvelle génération politique d’aujourd’hui, absolument intellectuelle, universitaire, ayant appris ses connaissances dans les livres de la loi, de son époque, ne saurait pratiquer les mêmes tactiques que le ‘’Père de la Nation’’ ! Quand bien même qu’elle essaierait de mener quelques actions sociales isolées en tant qu’Africain, elle est tenue d’appliquer la loi telle que c’est écrit. Ceci inclut tous les jeux politiques qui peuvent être en leur faveur étant donné que la politique n’est pas un problème personnel contre un individu en particulier. C’est un terrain où l’on peut se battre aujourd’hui, puis se mettre du même côté demain pour combattre un ennemi plus redoutable. Notre redoutable ennemi aujourd’hui, c’est la ‘’crise’’. Selon vous, Soro Guillaume est celui qui a mis la Côte d'Ivoire dans cet état et il est aujourd'hui le premier ministre de ce même pays. Êtes-vous d'avis avec cette décision?
Peu importe celui qui a appuyé sur la croûte de la plaie pour la faire saigner. La vérité est que la plaie n’avait jamais été soignée ni guérie. C’est cela le challenge de cette génération qui doit arriver à renverser les choses. Il faut, au contraire, rapprocher tous ceux qui ont pris conscience de la situation pour trouver la solution du vrai problème qui se pose à toute cette génération. Nous ne sommes pas des victimes non plus, nous sommes des héritiers d’une république dont l’histoire continue. C’est de là que vient le choix du premier ministre à mon avis. C’est bien le choix du Président au pouvoir, mais c’est aussi le choix des opposants, pères de ce parti au pouvoir. Je suis certaine que ces pères aussi bien que le pouvoir, savent très bien d’où vient la crise que nous vivons. Néanmoins, ils doivent continuer à jouer le jeu comme la politique le recommande. Un guerrier n’abandonne pas la lutte parce qu’il connaît la raison du conflit. La question c’est : ‘’qui est capable de résoudre les problèmes de la nation , mettre fin à cette crise et de ramener la paix et la cohésion ?’’ C’est le même combat que mènera la génération de demain pour payer nos dettes d’aujourd’hui. Ce n’est pas la faute de nos ancêtres ni celle de la nouvelle génération des colonisateurs. C’est tout simplement la vie et chaque époque a son histoire.


D’où sortez-vous cette théorie ?

Simple sens commun ! Car chacun doit se poser la question : ‘’pourquoi toutes les mines d’or et de diamant et d’autres ressources sur les terres africaines appartiennent aux pays colonisateurs ?’’ La Côte d’Ivoire aux Français, le Zaïre aux Belges, d’autres pays d’Afrique aux Anglais ou aux Allemands, pour ne citer que ceux-là. Les exemples concrets, la mine de diamant à Séguéla, tel que (Tortiya) la mine d’or de Man (Ity), voire la Sierra Léonne où l’on coupe les membres aux peuples pour les empêcher d’extraire les métaux précieux...


Pour sortir la Côte d'Ivoire de cette crise, quelles sont vos suggestions?

Ma suggestion est que le peuple ivoirien arrête de pointer le doigt pour trouver des coupables à notre crise. Cela ne nous aiderait pas du tout. Nous devrions nous mettre à la place des arbitres, exactement comme football. Nous avons ici des meilleurs joueurs politiques. L’homme au pouvoir est un farouche politicien, historien, professeur d’université. Les deux grands opposants sont des économistes de la haute classe mondiale et politicienne. Je trouve que nous avons un trio politique à qui on doit faire confiance. L’arbitre ne joue pas le jeu, il observe et guide positivement, sans passion, ni parti pris. Surtout, il écoute, analyse, s’informe et surveille le jeu pour qu’il n’y ait pas de tricherie et ne parle que lorsqu’on demande son avis sans toutefois influencer le jugement des autres. C’est ça le rôle d’un bon arbitre. Nous avons le droit de supporter nos partis. Mais, il n’y a pas de place pour parler au nom de la tribu ni de la famille. Ce serait ramener la valeur de nos joueurs politiques à la basse classe. Nous sommes ivoiriens, un peuple, les doigts d’une seule main. Alors, donnons-nous les mains. Cela encouragerait nos trois joueurs politiques à sceller leur jeu et à donner ce que le peuple désire. La ‘’Paix’’, le résultat d’une élection présidentielle transparente et paisible.


Quel message à l'endroit des partis politiques, de la population et des artistes?

Je demande et souhaite que les politiciens n’essaient plus de faire peur à un peuple qui a déjà peur. Cette génération n’a jamais vécu les événements qu’elle a vécus jusque-là. Donc, elle est toujours sous le choc. Tout mouvement de surprise de la part des politiciens, même positif, peut avoir des effets néfastes sur la population et l’homme qui a peur est capable de tout. Nous aurions pu éviter les pertes de vie à Gagnoa et à Daloa. En tant que pionnière et doyenne de cette génération d’artistes, je me permets de parler au nom des artistes Ivoiriens. Que nous les artistes supportions à cent pour cent les efforts des politiciens de notre pays. Ayons foi en eux. Sachons q en toute chose, il ya une fin. Nous souhaitons que cette manche de jeu prenne fin pour que nous célébrions la gloire de la politique ivoirienne. Car, nous sortirons tous gagnants s’il en était ainsi.

Réalisée par Adèle Kouadio
kadele2007@yahoo.fr
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