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Société Publié le vendredi 9 avril 2010 | Le Patriote

Reportage : De l’indifférence à l’acceptation - Quand le regard sur la maladie change

Le VIH/SIDA a été longtemps qualifié de maladie de personnes dépravées ou aux mœurs légères. Mais avec l’évolution, les idées commencent à changer.

Mardi 30 mars, un soleil de plomb brille dans le ciel abidjanais. La chaleur est à son comble. C’est donc un ouf de soulagement que Nan Touré pousse en franchissant le seuil de sa maison, dans le quartier d’Avocatier, à Abobo, au nord d’Abidjan. A peine entre t-elle dans la maison qu’elle se laisse tomber sur le petit matelas étendu à même le sol. Les deux enfants qui l’accompagnent, une fille et un garçon, en font autant. « Il fait très chaud aujourd’hui », se, plaint la vieille femme en se soufflant avec un pan de son pagne. Ce petit monde revient d’une visite dans un centre de santé situé à l’entrée d’Abobo, derrière une petite colline, dont l’escalade a mis à rude épreuve les vieux os de Nan Touré. C’est dans ce centre que sont suivis les deux enfants, qui sont en fait des OEV (orphelins et enfants rendus vulnérables du fait du VHI/SIDA). Voilà maintenant deux ans que leur statut sérologique a été révélé, après le décès de leur mère dont le statut a été découvert en phase terminale de la maladie.
Nan Touré se rappelle encore du jour où elle a été informée que ses petits enfants avaient le virus du Sida. « C’est ma grande fille qui a envoyé les enfants à l’hôpital. A leur retour, elle m’a fait savoir que le test s’était révélé positif pour les deux. Sur le champ, j’ai pensé à un autre complot de la part de mes enfants et de ma petite sœur », se souvient-elle. Jusqu’à la mort de sa fille, Nan Touré n’a jamais accepté l’idée qu’elle était atteinte du SIDA. « Elle est morte à la suite d’une longue maladie. Elle a même fait la tuberculose. Après quelques mois de traitement à Abidjan, je l’ai emmenée au village pour poursuivre le traitement en le couplant avec la médecine traditionnelle », raconte la sexagénaire. Cependant, une fois au village, le guérisseur exigé l’arrêt du traitement moderne. Ce que Nan Touré respecte. Mais un soir, l’état de santé de sa fille s’empire et elle la transporte d’urgence à l’hôpital. « On lui a administrée des traitements et le médecin nous a demandés de rentrer à la maison, mais ma fille est décédée cette même nuit », enchaîne t-elle, d’une voix étreinte d’émotion, avant de poursuivre : « Le guérisseur a expliqué que c’est parce que j’avais enfreint à son règlement qu’elle est morte. C’est cette version que j’ai conservée », se résigne la « vieille », les yeux embués de larmes.
Nan Touré a eu huit enfants, et comme toute mère, elle avait une préférence pour l’un d’eux. En l’occurrence, la mère de ses deux petits, car c’est elle qui est restée à ses côtés, après sa séparation avec son mari. « Elle m’aidait dans le commerce. Les autres enfants disaient qu’elle était mon cœur, voir mon souffle. Déjà à son mariage, la séparation fut difficile pour moi. Je me sentais perdue sans elle », témoigne Nan Touré.
Le père des ‘’petits’’, étant lui-même malade et n’ayant pas de moyens (financiers), est retourné au village. Les enfants de Nan Touré ont donc suggéré à leur mère de regagner à Abidjan, avec ses petits-enfants dont l’état de santé ne présentait aucun signe clinique.
C’est pourquoi, la vieille n’a pas hésité à croire à un autre complot de la part de ses enfants et de sa petite sœur, aidés en cela « par des médecins qui voient le SIDA partout ». « Aujourd’hui, il suffit qu’une personne traîne une maladie durant un mois pour que l’on commence à murmurer qu’elle a le sida. Les médecins eux-mêmes quand ils ne connaissent pas l’origine d’une maladie, ils disent que c’est le SIDA », accuse la vieille dame. Toutefois, après une discussion franche avec sa jeune sœur, Nan Touré va changer de position. « Elle m’a révélé qu’elle-même était séropositive. Elle m’a même montré les médicaments qu’elle prenait. Je ne pouvais croire à cela, ma petite sœur avait le SIDA, pourtant c’est elle qui s’occupe de moi et elle est bien portante », n’en revient pas Nan Touré. « Elle m’a fait comprendre qu’en prenant ses médicaments régulièrement, elle ne pouvait tomber malade. Elle a ajouté que c’est mon entêtement qui a tué ma fille et que si je persistais, j’allais également tuer mes petits-enfants », poursuit-elle. Cette idée effraie Nan Touré, qui redoute, après sa fille, de perdre ses petits-enfants. C’est ainsi qu’elle accepte le résultat du test. Sa fille aînée l’accompagne dans le centre de santé où les médecins l’éclairent sur la pandémie. « Ils m’ont dit que les enfants n’étaient pas malades et qu’en prenant leurs médicaments, ils n’allaient pas tomber malades. Depuis, je suis tout ce que me disent les médecins », assure t-elle.

Un nouveau départ

Ainsi, depuis deux ans, Nan Touré s’est familiarisée avec le VIH/SIDA. Naturellement, cela a nécessité plusieurs conseils de la part des responsables du centre où les enfants sont suivis, car la vieille ne sait ni lire ni écrire. Elle veille à ce que les enfants prennent régulièrement leurs médicaments qui leur sont donnés gratuitement par le centre.
Nan Touré est devenue une habituée de ce centre dont les responsables sont venus connaître chez elle. A chaque rentrée scolaire, le centre, confie t-elle, offre des kits scolaires aux enfants. Le garçon âgé de 10 ans est en classe de CM2 et la fille âgée de 8 ans, au CM1. A l’approche de fêtes, comme Noël, les enfants reçoivent également des cadeaux. Habituée aux rouages du centre, Nan Touré use même de quelques astuces pour éviter des déplacements. « Le centre est derrière une colline qui me fatigue. Aussi, des fois, je dis aux responsables que je dois voyager et qu’il n’y a personne pour envoyer les enfants, ainsi ils me donnent des médicaments pour trois mois », souffle t-elle, malicieusement.
Fort de ces années de pratique, Nan Touré avoue volontiers que son regard a changé sur le SIDA. « Avant, pour moi, le SIDA était le sort réservé aux femmes qui se prostituaient, et aux hommes dépravés. Mais ma fille est morte du SIDA. Elle était mariée, c’est dans son mariage qu’elle a eu la maladie, je ne sais comment », avoue t-elle. Selon Nan Touré, sa fille n’était pas du genre à courir de garçon à garçon. C’est pourquoi, bien qu’elle soit atteinte du SIDA, la « mémé » ne se fait aucun souci pour sa frangine, car « elle et son mari ont les moyens, et sont cultivés ».
En revanche, pour ses petits-enfants, elle ne comprend pas toujours pas comme ces innocents ont pu contracter le virus du SIDA. « Tout cela n’est pas logique, mais c’est la volonté de Dieu », s’en remet-elle au Tout-Puissant. Moins fataliste que croyante, Nan Touré réalise aussi, à travers cette « épreuve », que la stigmatisation est un mal sans visage. « Il ne faut plus traiter quelqu’un qui a le SIDA de tous les noms, car ce qu’on croit, n’est pas toujours la vérité », assure la vieille dame, avant de remarquer qu’elle, qui est aujourd’hui séronégative, aurait pu contracter la maladie, pour avoir côtoyé sa fille sans avoir pris des précautions. « Aujourd’hui quand je vois quelqu’un malade du SIDA, je lui conseille de ne jamais abandonner son traitement », conclut la vieille dame.
Dao Maïmouna

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