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Art et Culture Publié le mardi 13 avril 2010 | Le Patriote

Dossier / Adulés autrefois par le public - Ces artistes que "le patriotisme" a "tués"

Ils étaient adulés par les mélomanes. Mais, aujourd’hui, ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Eux, ce sont les artistes ivoiriens qui, pour la plupart, ont prêté leur voix pour les chants dits patriotiques à l’aune de la guerre militaro-civile qui a éclaté le 19 septembre 2002.

Une incursion dans le vécu de ces artistes révèle, aujourd’hui, qu’il s’est installé un désamour entre eux et le public qui les adulait tant, il y a quelques année. Si certains tentent, plus ou moins, de repenser leur carrière en se retirant de la galaxie patriotique, d’autres par contre, broient du noir, à telle enseigne que les professionnels du secteur les déclarent "perdus".
Lorsque la crise, qui dure bientôt dix ans, a éclaté, nombreux sont les Ivoiriens qui ont vu, sur le petit écran, les podiums des meetings des "jeunes patriotes", et entendu à la radio de nombreux artistes chanter ce que l’opinion a fini par qualifier de "chants patriotiques". Parmi eux, il faut compter un certain Serge Kassy. Promis à une belle carrière dans le reggae, Serge Kassy était classé dans le quatuor des meilleurs faiseurs de cette musique en terre ivoirienne. Si Alpha Blondy était le porte-drapeau de la Côte d’Ivoire, sur la scène internationale, si Ismaël Isaac représentait le pays dans la sous-région, Serge Kassy, lui, était le chouchou des "enfants de Jah" sur le plan local. Et toute la Côte d’Ivoire l’adulait pour la thématique de ses chansons inspirées du vécu quotidien de ses compatriotes.

Le public vomit toujours les inconstants

Dans un langage "Nouchi"(argot ivoirien), très accessible, à un large éventail de mélomanes, il croquait les faits sociaux qui minent le quotidien du bas peuple. Il dénonçait aussi la nouvelle bourgeoisie compradore qui pille et gaspille les ressources de l’Etat pendant que la majorité des citoyens croupit dans la dèche totale. Cela, il le traduit dans son morceau "Sécurité sociale", l’artiste tance les gouvernants qui, au lieu de construire des hôpitaux, des routes…préfèrent s’enrichir. En voici un refrain qui en disait long sur son engagement pour la défense des démunis: « Sécurité sociale, où es- tu ? J’ai vu un enfant mourir, parce que sa mère n’avait pas "le blé" (l’argent) pour payer l’ordonnance qu’on lui avait prescrite, ça c’est pas normal". Que dire de sa chanson "Pleurons Ful" ? Composée en hommage à Roger Fulgence Kassy, l’animateur vedette de la Radiodiffusion Télévision Ivoirienne (RTI) des années 80, cette chanson, par son ton pathétique, fait toujours pleurer plus d’un Ivoirien ayant connu RFK. "John Bri", "Cabri mort" et bien d’autres titres épousant la vie du bas peuple ont créé un lien de sympathie entre l’artiste et une frange importante de la population ivoirienne. Son aura est même allée au-delà des frontières de la Côte d’Ivoire. Mais, depuis 2002, Serge Kassy, tout comme plusieurs autres artistes, s’est engagé dans la galaxie patriotique, aux côtés des Blé Goudé, Ahoua Stallone, Dakoury Richard pour battre le pavé. Pendant les meetings des "jeunes patriotes ", ces agitateurs à la solde du pouvoir menacent les dignitaires des Forces nouvelles (ex-rébellion), invectivent à outrance les leaders de l’opposition ivoirienne en qui une frange importante des Ivoiriens, qui constitue le lot des fans de ces artistes, se reconnaît. Les "jeunes patriotes", brocardent même la communauté internationale. Et des artistes poussent le bouchon loin en chantant : "l’ONU, on s’en fout !" Conséquence, c’est le désamour total entre ces artistes et cette frange de la population. Serge Kassy, est aussitôt « rejeté » par le public féru de reggae. Pour preuve, le chanteur aux dreadlocks essuie un revers retentissant, au stade de l’Université de Cocody. Moins de 400 personnes se déplacent pour suivre le concert qu’il donne dans cette enceinte, qui pourtant était son jardin. Derrière ce cuisant échec, le public venait de donner un message fort à Serges Kassy : « Nous ne nous reconnaissons plus en toi et ta musique » !
Sonné par cette douche froide, Serge Kassy prend la résolution de se tenir à carreaux des activités de la galaxie patriotique après la signature de l’Accord politique de Ouagadougou, entre Laurent Gbagbo et Guillaume Soro, le 4 mars 2007. Il faut dire que peu avant cette paix des braves entre les belligérants ivoiriens, le courant ne passait plus, selon des sources crédibles, entre Blé Goudé et un groupe de "jeunes patriotes" dont Serge Kassy. A ces derniers, le titulaire de la Licence controversée reproche de vouloir être trop regardants sur le pécule qu’il prend, au Palais présidentiel, pour les activités de la galaxie. Le reggaeman tente donc de retourner à la musique. Il se rend disponible au Burida( Bureau Ivoirien du Droit d’auteur) où il siège en qualité d’administrateur. Il vient même de rentrer des Etats-Unis où il s’est rendu pour boucler son futur album.
Tout comme Serge Kassy, Soumahoro Ben Mamadou dit Soum Bill est aussi en perte de vitesse. Qui ne se souvient pas de ce jeune homme au corps frêle, comme un roseau, au sein des Salopards ? Bloco, Débingue, Colin et Soum Bill, au début des années 90, ont été la seule formation extra- universitaire à avoir porté haut le flambeau de cette musique urbaine. Leur album "Bouche B" est devenu atemporel grâce à la pertinence de ses textes et l’harmonie vocale des chanteurs. Par la suite, Soum Bill, embrasse une carrière solo. C’est le succès total !

Le cachet, la pomme de discorde

L’artiste parvient au zénith de son art. Surtout avec ses albums à succès "Terre des hommes", "Zambakro", "Pays perdu" qui titillent les régimes successifs en Côte d’Ivoire et les envers des dirigeants qui les incarnent.
Ainsi naît un amour fou entre cet artiste, lui-même, fruit de l’amour entre un père originaire du Nord et une native du Sud (Aboisso), et tout un peuple. Son chant " L’un pour l’autre", langoureux à souhait, ne laisse aucune femme indifférente. La beauté de ses textes, l’harmonie et la justesse de sa voix feront de lui le chouchou des femmes. De ce fait, il ne se passe de spectacle à Abidjan sans qu’il ne soit à l’affiche. Il joue sur plusieurs scènes africaines et européennes. C’est en ce moment que la crise ivoirienne éclate. Les chansons patriotiques étant la mode du moment, Blé Goudé le mécène de l’heure délie la bourse et avec les Pat Sako, Petit Dénis, Bagnon…Soum Bill appose sa voix sur l’un des premiers opus de cette cause : "Libérez mon pays". Mais, ces chansons, au lieu de prôner l’amour et l’union, donnent souvent des pics à une frange de la population qui semble ne pas s’y reconnaître. La crise dure et ne finit pas. Soum Bill est sous l’éteignoir. De l’avis de plusieurs mélomanes, l’artiste n’est plus en vue. Il n’est pas trop sollicité comme auparavant. Après "Que la lumière soit" en 2008, il ne sort plus aucun autre album jusqu’à ce jour. Comme lui, plusieurs artistes qui ont embouché la trompette du patriotisme, version refondation, sont tous tombés dans l’oubli total. Pour les aficionados, ils sont nombreux les artistes qui risquent d’être définitivement perdus pour la musique comme le sont Wahizey, Voungabel, Petit Guéré, et bien d’autres. A moins qu’ils ne se reconvertissent à autre chose pour qu’on parle d’eux.
Jean- Antoine Doudou

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