Que ne ferait-on pas pour exercer le métier qu’on aime? Kadidiatou Tamboura, une jeune Malienne de 20 ans a bravé les pesanteurs culturelles et sociales, abandonné l’école, pour devenir apprentie-chauffeur pour réaliser son rêve : conduire un car. Elle raconte son histoire.
Un corsage taché d’huile de moteur, sur un pantalon jean encore plus sale et déchiré par endroits. Cheveux courts et ébouriffés. Des traces de terre rouge dans le dos maculent son corsage. Kady est une jeune fille pas comme les autres. « Je veux devenir chauffeur et je le serai. C’est le seul métier qui me passionne », rêve-t-elle. Un but final dont elle a déjà emprunté le chemin. Kadidiatou Tamboura, de son nom à l’état civil, est apprentie chauffeur. Elle travaille dans l’un des cars de la compagnie Sama Transport qui assure la liaison Bouaké-Bamako. «Cela fait bientôt un an et demi que je suis apprentie chez ‘’Le Vieux’’ (son patron).
«Les garçons ne me voient pas comme une fille… »
Comme le car est ancien, j’apprends beaucoup en mécanique, car un chauffeur doit être capable de se dépanner en cas de besoin », se réjouit-elle. Mais, pour le moment, Kady n’a jamais conduit un car. « Sauf une fois, lorsqu’il s’est agi de le sortir du garage d’entretien, alors que Le Vieux était absent. J’ai dit au chef de garage que j’avais ordre de ramener le car à la gare. Il a douté un peu, mais, m’a laissée faire. J’ai parcouru à peu près 100 mètres ! Jamais, je n’ai jamais été aussi heureuse», jubile l’apprentie. Mais, pour que ce bonheur soit complet, la petite Tamboura doit avoir un permis de conduire. « C’est mon objectif et je vais l’atteindre. Il suffit de travailler et d’économiser de l’argent pour aller à l’auto-école. Ensuite, Le Vieux me fera confiance et me permettra sûrement de me faire la main en conduite. Je suis convaincue que le grand boss (le Dg de Sama Transport) sera content d’avoir une fille qui conduit aussi bien que les hommes ». Et, quelle place pour les garçons dans tout cela ?
« A la gare, les garçons ne me voient pas comme une fille à courtiser, mais comme une collègue. Donc, pas de problème de harcèlement. Quant à moi-même, je ne suis pas pressée. Lorsque j’aurai un boulot, je trouverai un homme qui m’acceptera comme chauffeur, comme les femmes de chauffeurs acceptent leurs maris. » Sa passion pour les gros porteurs remonte à sa tendre enfance. « Nous partions au champ dans notre charrette tirée par nos ânes et chaque fois qu’un camion passait, quelle force ! Il faisait trembler les animaux », explique-t-elle. Ce qui ne l’a pas empêchée d’aller à l’école. « Ceux qui me voient, ne savent pas que je suis allée à l’école. Ils pensent que j’ai appris le français au cours de mes voyages en Côte d’Ivoire alors que j’ai étudié jusqu’en 9ème année (Qui correspond à la classe de 3ème, Ndlr) ». Se rappelant l’école, elle explique son unique problème, c’était les mathématiques.
L’histoire d’une passion
« J’étais forte en français, en anglais et j’apprenais bien mes leçons. Allez à l’Ecole A de Sikasso, ils vous le diront », assure-t-elle. Ce qui ne l’a pas empêché d’abandonner les bancs en pleine année scolaire. « Je n’en pouvais plus de rester en classe et de ne pas bouger. Pendant les vacances, j’avais voyagé comme apprentie-chauffeur dans un car. Je suis allée voir le chauffeur pour lui demander de me prendre pour de bon et il a accepté », poursuit Kady. Mais, ses parents ne voyaient pas les choses de la même manière. « Pour mon père, ce n’était pas un métier de fille. Il a oublié que j’ai longtemps conduit les bœufs (elle est d’ethnie peul), et guidé les taureaux de charrues au champ », comme les garçons, dit-elle. D’ailleurs, se rappelle-t-elle, aucun garçon ne l’a jamais battue ni au combat, ni à la course encore moins dans les travaux champêtres. Ce qui est vraisemblable au vu du travail qu’elle exécute lors des multiples pannes de notre car. C’est elle qui allait chercher les clés, transporter le cric et autres démonte-pneus. C’est encore elle qui, à chaque barrage, sautait lestement du car pour courir présenter le cahier au poste de police avant de crier « C’est propre ! » et sauter dans le car qui avait déjà démarré. Le vieux Tamboura va donc voir le chauffeur qui a accepté d’engager sa fille sans son consentement. Il menace de le traîner en justice et pis de « faire en sorte qu’il fuie chaque fois qu’il voie un camion». Pris de peur, le premier patron libère Kady et va la remettre à ses parents. C’était sans connaître la détermination de cette virago qui entame une grève de la faim et de désobéissance. Elle refuse tout : manger, boire, aller à l’école, faire d’autres commissions ou même répondre à quelqu’un. « Un jour où mon père était allé chercher un marabout prétendant me désenvoûter, j’ai fait une fugue pour rejoindre ma grand-mère au quartier Sanoubougou à Sikasso. Papa ne pouvait rien contre sa mère qui, elle, a toujours respecté et fait ce que je voulais », explique-t-elle. Toutefois, elle restera dans ce quartier, sis non loin de la gare routière, pendant au moins 3 mois. Le temps que son oncle se rende compte qu’il n’y avait aucun moyen de la dissuader. C’est ce dernier qui l’accompagnera chez son actuel patron qu’elle appelle affectueusement « Le Vieux ». Et, la revoilà dans son rêve, heureuse d’embrasser un métier.
Ousmane Diallo (envoyé spécial à Bamako)
Un corsage taché d’huile de moteur, sur un pantalon jean encore plus sale et déchiré par endroits. Cheveux courts et ébouriffés. Des traces de terre rouge dans le dos maculent son corsage. Kady est une jeune fille pas comme les autres. « Je veux devenir chauffeur et je le serai. C’est le seul métier qui me passionne », rêve-t-elle. Un but final dont elle a déjà emprunté le chemin. Kadidiatou Tamboura, de son nom à l’état civil, est apprentie chauffeur. Elle travaille dans l’un des cars de la compagnie Sama Transport qui assure la liaison Bouaké-Bamako. «Cela fait bientôt un an et demi que je suis apprentie chez ‘’Le Vieux’’ (son patron).
«Les garçons ne me voient pas comme une fille… »
Comme le car est ancien, j’apprends beaucoup en mécanique, car un chauffeur doit être capable de se dépanner en cas de besoin », se réjouit-elle. Mais, pour le moment, Kady n’a jamais conduit un car. « Sauf une fois, lorsqu’il s’est agi de le sortir du garage d’entretien, alors que Le Vieux était absent. J’ai dit au chef de garage que j’avais ordre de ramener le car à la gare. Il a douté un peu, mais, m’a laissée faire. J’ai parcouru à peu près 100 mètres ! Jamais, je n’ai jamais été aussi heureuse», jubile l’apprentie. Mais, pour que ce bonheur soit complet, la petite Tamboura doit avoir un permis de conduire. « C’est mon objectif et je vais l’atteindre. Il suffit de travailler et d’économiser de l’argent pour aller à l’auto-école. Ensuite, Le Vieux me fera confiance et me permettra sûrement de me faire la main en conduite. Je suis convaincue que le grand boss (le Dg de Sama Transport) sera content d’avoir une fille qui conduit aussi bien que les hommes ». Et, quelle place pour les garçons dans tout cela ?
« A la gare, les garçons ne me voient pas comme une fille à courtiser, mais comme une collègue. Donc, pas de problème de harcèlement. Quant à moi-même, je ne suis pas pressée. Lorsque j’aurai un boulot, je trouverai un homme qui m’acceptera comme chauffeur, comme les femmes de chauffeurs acceptent leurs maris. » Sa passion pour les gros porteurs remonte à sa tendre enfance. « Nous partions au champ dans notre charrette tirée par nos ânes et chaque fois qu’un camion passait, quelle force ! Il faisait trembler les animaux », explique-t-elle. Ce qui ne l’a pas empêchée d’aller à l’école. « Ceux qui me voient, ne savent pas que je suis allée à l’école. Ils pensent que j’ai appris le français au cours de mes voyages en Côte d’Ivoire alors que j’ai étudié jusqu’en 9ème année (Qui correspond à la classe de 3ème, Ndlr) ». Se rappelant l’école, elle explique son unique problème, c’était les mathématiques.
L’histoire d’une passion
« J’étais forte en français, en anglais et j’apprenais bien mes leçons. Allez à l’Ecole A de Sikasso, ils vous le diront », assure-t-elle. Ce qui ne l’a pas empêché d’abandonner les bancs en pleine année scolaire. « Je n’en pouvais plus de rester en classe et de ne pas bouger. Pendant les vacances, j’avais voyagé comme apprentie-chauffeur dans un car. Je suis allée voir le chauffeur pour lui demander de me prendre pour de bon et il a accepté », poursuit Kady. Mais, ses parents ne voyaient pas les choses de la même manière. « Pour mon père, ce n’était pas un métier de fille. Il a oublié que j’ai longtemps conduit les bœufs (elle est d’ethnie peul), et guidé les taureaux de charrues au champ », comme les garçons, dit-elle. D’ailleurs, se rappelle-t-elle, aucun garçon ne l’a jamais battue ni au combat, ni à la course encore moins dans les travaux champêtres. Ce qui est vraisemblable au vu du travail qu’elle exécute lors des multiples pannes de notre car. C’est elle qui allait chercher les clés, transporter le cric et autres démonte-pneus. C’est encore elle qui, à chaque barrage, sautait lestement du car pour courir présenter le cahier au poste de police avant de crier « C’est propre ! » et sauter dans le car qui avait déjà démarré. Le vieux Tamboura va donc voir le chauffeur qui a accepté d’engager sa fille sans son consentement. Il menace de le traîner en justice et pis de « faire en sorte qu’il fuie chaque fois qu’il voie un camion». Pris de peur, le premier patron libère Kady et va la remettre à ses parents. C’était sans connaître la détermination de cette virago qui entame une grève de la faim et de désobéissance. Elle refuse tout : manger, boire, aller à l’école, faire d’autres commissions ou même répondre à quelqu’un. « Un jour où mon père était allé chercher un marabout prétendant me désenvoûter, j’ai fait une fugue pour rejoindre ma grand-mère au quartier Sanoubougou à Sikasso. Papa ne pouvait rien contre sa mère qui, elle, a toujours respecté et fait ce que je voulais », explique-t-elle. Toutefois, elle restera dans ce quartier, sis non loin de la gare routière, pendant au moins 3 mois. Le temps que son oncle se rende compte qu’il n’y avait aucun moyen de la dissuader. C’est ce dernier qui l’accompagnera chez son actuel patron qu’elle appelle affectueusement « Le Vieux ». Et, la revoilà dans son rêve, heureuse d’embrasser un métier.
Ousmane Diallo (envoyé spécial à Bamako)