La capitale économique de la Côte d’Ivoire, abrite, les 27, 28 et 29 mai 2010, les assemblées générales annuelles de la Banque africaine de développement (BAD). A l’approche de cet évènement capital qui pourrait débloquer le retour de cette institution à son siège naturel, à Abidjan, l’opposition ivoirienne regroupée au sein du RHDP, coalition dite houphouétiste mais soutenant la rébellion armée, bande ses biceps. Elle profère, par ses jeunes interposés, des menaces de troubles à l’ordre public pour espérer faire annuler cette réunion de la BAD. A raison. En 2004, l’institution a justement relocalisé ses activités opérationnelles hors de son siège désigné, Abidjan, pour des raisons de «sécurité». Dans les propos qui suivent, le ministre d’Etat, ministre du Plan et du Développement, Paul Antoine Bohoun Bouabré, dégage l’importance de la réunion et rassure : «Je ne vois vraiment pas par quel mécanisme on pourrait prendre une décision contraire à celle que nous connaissons déjà et qui est que les assemblées de la BAD se tiennent à Abidjan». Interview. Notre Voie : Monsieur le ministre d’Etat, pouvez-vous, en l’état actuel des choses, nous certifier que les assemblées générales annuelles de la Banque africaine de développement (BAD) vont effectivement et de façon irrévocable se tenir les 27, 28 et 29 mai 2010 à Abidjan ? Est-ce que la BAD ne peut plus renoncer à tenir sa réunion en Côte d’Ivoire ? Antoine Bohoun Bouabré : Je vous remercie pour l’honneur que vous me faites de me permettre de me prononcer sur un sujet aussi capital pour notre pays. J’en suis heureux. Pour votre question, la réponse est oui, il y a une certitude. Mais cette certitude date du mois de mars 2010. Vous vous souviendrez qu’au mois de février, nous avons connu ici des évènements graves suite à la dissolution de la Commission électorale indépendante et du gouvernement. Il y a eu mort d’hommes. Et à l’occasion de ces évènements graves, le doute s’était emparé de beaucoup de nos partenaires, beaucoup d’actionnaires mais aussi beaucoup de membres du personnel de la banque, y compris les représentants des actionnaires qui sont les administrateurs. Donc j’ai dû partir à Tunis, mais avant mon voyage, nous avons reçu ici la visite de Donald Kaberuka avec qui nous avons fait le point et nous avons poursuivi le dialogue à Tunis. Et, à l’issue de nos discussions, le Conseil d’administration a confirmé Abidjan comme étant le pays hôte de l’édition 2010 des assemblées annuelles du groupe de la Banque africaine de développement. Cette confirmation ayant été faite, les invitations ont été envoyées à tous les actionnaires pour venir à Abidjan. A partir de cet instant, il n’y a plus de possibilité de mettre en doute la tenue de ces assemblées en Côte d’Ivoire. N.V. : Alors, c’est quoi exactement les assemblées générales de la BAD et quelle est concrètement l’importance de ces assises ? A.B.B. : La banque est organisée de la façon suivante : il y a le Conseil des gouverneurs, le Conseil d’administration, la Direction (Présidence) et le personnel de la banque. Le Conseil des gouverneurs est l’instance qui prend les décisions relativement aux orientations stratégiques de la banque. C’est le Conseil des gouverneurs qui prend les résolutions sur des questions qui touchent à la vie de la banque. Ce Conseil des gouverneurs se réunit une fois l’an. C’est cette rencontre qui constitue les assemblées générales annuelles du groupe de la Banque africaine de développement. Elles rassemblent 77 pays, dont 50 pays africains et 27 pays non africains. Ce sont ces gouverneurs qui se réunissent sur deux jours pour discuter de la vie et donner des orientations à la Direction de la banque pour l’année qui court. L’année dernière, en 2009, les assemblées se sont déroulées à Dakar, au Sénégal, et c’est à cette occasion que le Conseil des gouverneurs a décidé du pays qui doit accueillir la réunion de 2010. C’est donc à Dakar, au mois de mai 2009, que la Côte d’Ivoire a été désignée comme étant le pays hôte des assemblées 2010. N.V. : Est-ce la Côte d’Ivoire qui est allée quémander ces assises ou le Conseil des gouverneurs qui l’a désignée pour abriter ces assemblées ? A.B.B. : (Rires…). Vous me permettrez de récuser le terme quémander. Tous les ans, les gouverneurs, à l’occasion des assemblées annuelles, décident du lieu de la tenue de la prochaine réunion. Et chaque pays membre est susceptible d’accueillir les assemblées. Avant Dakar ; c’était le Mozambique, mais, avant le Mozambique c’était la Chine avec Shangaï. Aujourd’hui c’est la Côte d’Ivoire et en 2011, ça sera le Portugal si les gouverneurs en décident ainsi. C’est-à-dire que, chaque année, chaque pays manifeste la volonté d’organiser les assemblées. Chaque pays est susceptible de poser sa candidature. En 2009, au nom de la Côte d’Ivoire, nous avons posé la candidature de notre pays pour organiser les assemblées 2010. Donc, tout au long de l’année 2009, avant les assemblées de Dakar, la banque s’est organisée pour évaluer les capacités du pays candidat à accueillir les assemblées. Les capacités, c’est en termes de facilités hôtelières et de transport ; c’est en termes de disponibilité de centres de santé, de centres de conférences, en tout cas un ensemble de conditions qui sont exigées du pays qui sollicite l’organisation des assemblées. Dans notre cas, il y avait plusieurs pays qui voulaient les assemblées de la banque et après évaluation, le Conseil des gouverneurs a estimé que la Côte d’Ivoire offrait le meilleur profil pour organiser les assemblées 2010. Avant d’aller à Dakar, nous avons exposé au Conseil d’administration les atouts de la Côte d’Ivoire. D’autres pays l’ont fait. Mais les administrateurs ont recommandé au Conseil des gouverneurs de choisir la Côte d’Ivoire et c’est ce qui a été fait à Dakar. N.V. : Monsieur le ministre d’Etat, pourquoi tenez-vous tant à ce que ces assemblées se déroulent en Côte d’Ivoire ? qu’est-ce que la Côte d’Ivoire pourrait gagner en accueillant ces assises ? A.B.B. : Je vais vous parler franchement. Avant la crise, la règle, comme c’est le cas pour les institutions de Bretton-Woods, est que le pays hôte de la banque, le siège de la banque, organise une année sur deux les assemblées. Donc notre pays a organisé au moins vingt fois les assemblées durant la vie de la banque. En 2002, nous avons eu la crise. Depuis lors, la banque a relocalisé temporairement ses activités opérationnelles à Tunis. Alors, la banque n’a plus organisé les assemblées ici pour des raisons de sécurité, comme le disent nos partenaires. Donc, nous avons tenu à briser cette chaîne qui fait croire que la Côte d’Ivoire n’offre pas de conditions de sécurité suffisantes pour organiser les assemblées et même pour accueillir à nouveau les activités opérationnelles. Nous avons voulu briser cette chaîne en disant : «venez en Côte d’Ivoire. Vous verrez que notre pays n’a rien perdu de ses capacités à organiser les assemblées de la Banque africaine de développement !». N.V. : C’est un grand challenge… A.B.B. : Oui, si vous pensez comme vous le pensez, c’est pour cette raison là. Il fallait à un moment donné qu’on puisse dire que la Côte d’Ivoire est prête à honorer ses engagements vis-à-vis d’une institution financière africaine qui a une grande importance non seulement pour notre pays et pour notre sous-région, mais aussi pour l’ensemble de l’Afrique toute entière. C’est cette démonstration que nous voulons faire à l’occasion de ces assemblées. N.V. : Vous voulez, semble-t-il, aller plus loin aussi, œuvrer pour que la banque revienne en même temps à Abidjan, n’est-ce pas ? A.B.B. : Ecoutez, depuis la relocalisation temporaire des activités opérationnelles de la banque, mon discours n’a pas varié. Nous avons fait deux réunions à Accra. La première en décembre 2002 et la deuxième en janvier 2003. C’est au cours de la réunion de janvier 2003 que le Comité consultatif des gouverneurs, une instance intermédiaire entre le Conseil d’administration et le Conseil des gouverneurs, a fait la recommandation de la relocalisation temporaire. Et, à ces différentes réunions, nous nous sommes efforcés de démontrer que rien ne justifiait la relocalisation des activités. Mon point de vue n’a pas varié. N.V. : Peut-on évaluer aujourd’hui les engagements de la Bad envers la Côte d’Ivoire ? Ont-ils évolué ou ont-ils fléchi par rapport à la crise ? A.B.B. : Là aussi, les choses sont simples : la Bad est une banque qui prête à des clients. Ce sont les règles. Quand le client arrête d’honorer ses engagements, c’est-à-dire de rembourser, le prêteur arrête de lui prêter. En 2004, nous avons arrêté de payer la banque compte tenu des difficultés de gestion de la crise ivoirienne. Ayant accumulé des arriérés vis-à-vis de la banque, elle aussi, de son côté, a arrêté d’octroyer de nouveaux prêts à notre pays et elle a même arrêté de faire les décaissements sur des prêts anciens au profit de notre pays, sauf sur quelques projets. Notamment les projets d’appui à la gouvernance. Mais, depuis cette période jusqu’à ce qu’on revienne à la normale, c’est-à-dire qu’on apure les arriérés vis-à-vis de la banque en 2008, la banque n’a plus apporté un soutien significatif à notre pays. Mais, depuis 2008, nous avons normalisé les relations avec la banque, et, désormais, nous sommes au stade de la réévaluation du portefeuille existant pour solliciter la banque en termes d’appui à la mise en œuvre de ce nouveau portefeuille restructuré. Nous sollicitons la banque dans le cadre de la mise en œuvre de notre Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté (Dsrp). N.V. : Rencontrez-vous des oreilles attentives ? A.B.B. : Oui, nous sommes en bonne voie de bénéficier pleinement et entièrement du concours de la banque. Et je profite de cette occasion pour rendre hommage au président de la République, le président Gbagbo, parce que c’est lui qui a estimé, à l’issue du Dialogue direct, que les conditions étaient réunies pour qu’on normalise nos relations avec l’ensemble des partenaires financiers, y compris la Banque mondiale et la Banque africaine de développement, et c’est ce que nous avons fait en 2008. Cela a valu à notre pays d’atteindre le point de décision de l’initiative Pays pauvre très endetté (Ppte) au mois de mars 2009, comme vous le savez. Depuis lors, nous sommes à jour vis-à-vis de ces institutions, que ce soit la Banque mondiale ou la Bad. N.V. : Peut-on avoir des chiffres au niveau des efforts qui ont été fournis dans le cadre de la normalisation avec ces partenaires financiers ? A.B.B. : Ecoutez, si mes souvenirs sont exacts, on a dû payer à la Bad 120 milliards de FCFA d’arriérés. Mais on a mis en œuvre un mécanisme particulier par lequel la banque, en utilisant les facilités pour les Etats fragiles, a aidé à apurer ses arriérés. Et on a aussi utilisé un crédit-relais avec l’Afd pour faire cet apurement. Ce n’est pas le montant qui est le plus important. Le plus important c’est comment on a pu régler le contentieux financier. Je l’ai dit, il y a eu la volonté du chef de l’Etat, puis, avec le ministre des Finances et avec l’appui de la banque elle-même, nous avons pu trouver le mécanisme qui a permis de faire ce travail. N.V. : Maintenant que les relations se sont normalisées, peut-on considérer la bataille pour le retour de la Bad à Abidjan comme une bataille de prestige ? A.B.B. : Je ne vois vraiment pas pourquoi une telle bataille pourrait être une bataille de prestige ! C’est une bataille plutôt de principe. Les chefs d’Etat, à la création de la banque africaine de développement, ont décidé qu’Abidjan abrite le siège de cette institution financière africaine. C’est une décision des chefs d’Etat africains. Pour respecter le parallélisme des formes, il appartient aux chefs d’Etat africains de décider d’un autre lieu pour accueillir le siège de la banque, si le besoin se faisait sentir. Ce n’est pas encore le cas. Là, il s’agit d’une décision de gestion qui a été prise par le Conseil des gouverneurs qui, comme je l’ai dit, est constitué des membres des différents gouvernements des pays membres de la banque. C’est donc ce principe-là qu’il faut respecter. Les chefs d’Etat ont décidé et tant qu’ils n’ont pas pris une décision contraire, on ne peut pas faire autre chose. Et il nous appartient, nous Ivoiriens, de faire en sorte que ce principe soit respecté. C’est une bataille de principe que de respecter la volonté des Africains d’avoir le siège de la banque à Abidjan. S’il s’est trouvé que la Côte d’Ivoire, dans son évolution récente, a offert la possibilité aux pays membres de prendre une décision temporaire, il faut rapidement revenir à la normale. N.V. : Où en est-on donc, aujourd’hui, avec le retour de la Bad à Abidjan ? A.B.B. : Depuis la décision de la localisation temporaire aux assemblées annuelles de 2003, tous les ans, il y a une évaluation de la situation en Côte d’Ivoire qui est faite par les gouverneurs. Et tous les ans, ils sont arrivés à la même conclusion qu’Abidjan n’est pas encore prêt du point de vue sécuritaire à accueillir à nouveau les activités opérationnelles de la banque. En d’autres termes, il n’est pas encore temps que la banque revienne à son siège. Tous les ans, la même résolution a été prise et a été reconduite régulièrement à chaque assemblée. Seulement, la vérité d’une assemblée n’étant pas forcément la vérité d’une autre assemblée, j’attends avec patience, mais aussi avec confiance, les assemblées d’Abidjan pour que les gouverneurs évaluent encore une fois la situation en Côte d’Ivoire et prennent une décision qui, je l’espère, sera différente de celle qui a été prise jusqu’à ce jour. N.V. : La sécurité au niveau mondial se mesure en termes de phase. Aujourd’hui, nous croyons savoir que la Côte d’Ivoire n’est ni à la phase 4 ni à la phase 3. Pourquoi parle-t-on toujours sécurité alors que tout ce qui se passe à Abidjan se voit partout ailleurs dans les autres capitales du monde ? A.B.B. : Depuis que nous sommes revenus, selon le critère d’évaluation des Nations unies, à la phase 2 de la sécurité, normalement rien ne s’oppose au retour de la banque à Abidjan. Mais, comme je le dis, il y a les non-dits des attitudes que les uns et les autres affichent. Je pense que c’est ça la vérité, c’est ça la réalité avec laquelle il faut compter… N.V. : Monsieur le ministre, à vous entendre parler, on a l’impression que la Bad est partie sans jamais partir. Elle a maintenu quelques soutiens et nous a accordé les facilités dont bénéficient les pays fragiles comme vous le dites. En tout cas, elle nous aide. Alors, qu’est-ce qui fait trainer au juste les pas pour le retour à la normale au principe du siège à Abidjan ? A.B.B. : (Soupir…). Bon, il ne faut pas tourner autour du pot : tous les partenaires de la Côte d’Ivoire estiment que les conditions ne sont pas réunies pour abriter les activités de la Bad. Mais c’est valable pour d’autres considérations. N.V. : Quelles sont ces considérations ? A.B.B. : Oh, vous savez, ça ne se dit pas ouvertement, mais c’est ce que tout le monde pense : tant que nous n’avons pas eu les élections, on a l’impression qu’en Côte d’Ivoire, la normalisation n’est pas encore totale. Donc, à la limite, tout le monde attend cette normalisation par des élections avant de faire le pas. Comme je l’ai dit, même si nous continuons notre partenariat avec la banque du point de vue financier, la question de principe étant que la Côte d’Ivoire a été désignée par les chefs d’Etat comme étant le pays hôte de la banque, cette Côte d’Ivoire doit recevoir «sa» banque. N.V. : Alors, concrètement, comment vont se dérouler les travaux ? A.B.B. : Au cours de ces travaux, il y aura 4 temps forts. Le premier, c’est qu’il y aura une réunion des pays donateurs du Fonds africain de développement (Fad). Nous sommes à la reconstitution du Fad. Donc les pays donateurs vont se réunir pour décider de la reconstitution de ce fonds qui est le guichet de la banque qui appuie les pays à faible revenu et les pays fragiles. C’est un temps important parce qu’Abidjan sera le lieu où le fonds va être reconstitué. Nous sommes au 12ème Fad et ça sera le 25 mai. Le deuxième temps fort sera un forum sur les questions d’actualité, c’est-à-dire les questions relatives au changement climatique. Il y aura un séminaire ou des tables rondes autour de ce thème central qui est le changement climatique. Et, comme c’est une réunion qui regroupe tous les spécialistes des finances et de l’économie, ces rencontres offrent l’occasion d’échanger sur les questions d’intérêt pour l’ensemble de la communauté financière internationale. Le troisième temps fort ,c’est l’assemblée générale elle-même. L’ouverture solennelle va se faire le 27 mai en présence du chef de l’Etat et de ses invités avec tous les gouverneurs membres de la banque. Ici, 77 pays qui seront représentés par les gouverneurs et leurs suppléants, mais il y aura les invités de la banque qui sont les principaux responsables des institutions financières internationales. Nous aurons aussi les principaux dirigeants des grandes banques multilatérales comme la Banque islamique de développement, la Banque mondiale, Afreximbank, etc. Traditionnellement, les anciens présidents de la banque font partie des invités de la banque. Vous voyez que, outre les gouverneurs qui sont soit des ministres des Finances soit des ministres chargés de développement, outre les anciens dirigeants de la banque et les dirigeants actuels des banques multilatérales, mais aussi des banques privées, nous aurons des personnalités du monde de la politique à la cérémonie solennelle. Nous allons écouter le rapport du président de la banque et le rapport du président du Conseil des gouverneurs. Bien entendu, le chef de l’Etat va s’adresser à l’assemblée à cette occasion et un ou deux invités du chef de l’Etat seront probablement appelés à prendre la parole. Le dernier temps fort sera évidemment la cérémonie solennelle de clôture au cours de laquelle le Conseil des gouverneurs prend ses résolutions et décisions pour la gestion future, pour la vie de la banque, notamment l’élection du président de la banque. N.V. : Peut-on avoir une idée des décisions importantes attendues ? A.B.B. : Oui, la première décision attendue et qui est particulièrement importante, c’est l’augmentation générale du capital. Cette décision a été préparée au cours du mandat que nous exerçons en tant que président du Conseil des gouverneurs. Et tout porte à croire qu’à ces assemblées, les gouverneurs vont décider d’augmenter de 200% le capital de la banque. On va pratiquement tripler le capital de la banque. C’est historique ; c’est du jamais vu ! C’est la première fois que cela va arriver dans la vie de la banque. Et je ne le cache pas, c’est une immense fierté pour nous d’abriter les assemblées qui prennent cette décision. N.V. : Qu’est-ce qui motive une telle décision au moment où le monde entier traverse une crise financière féroce ? A.B.B. : Vous avez raison. En 2008, le monde a connu la crise financière la plus grave depuis la grande dépression des années 30. Mais à l’occasion, le G20 s’est réuni pour recommander qu’on renforce les ressources des institutions multilatérales qui ont pour mission d’accompagner les pays dans leur développement. A quelque chose malheur est bon : la crise financière a ouvert la porte au renforcement des institutions multilatérales de développement. Ça a été le cas pour la Banque mondiale et la Société financière internationale (Sfi) ; ça a été le cas de la Banque interaméricaine de développement et de la banque asiatique de développement. Ça va être le cas de la Bad. C’est justement parce qu’il y a eu la crise qu’on a pu voir le rôle majeur que ces institutions ont pu jouer pour endiguer en quelque sorte ses effets négatifs. On en est arrivé à la conclusion que si elles ont plus de moyens, elles pourront faire plus pour prévenir les crises futures. N.V. : Mais pourquoi une augmentation de 200% du capital pour la Bad ? A.B.B. : Avec la direction de la banque, on a pu démontrer qu’il fallait aller jusqu’à ce niveau d’augmentation pour que la banque soit véritablement solide, pour qu’elle puisse soutenir les problèmes majeurs du développement de l’Afrique, pour lutter véritablement contre la pauvreté, mais aussi soutenir le secteur privé, y compris dans les pays à faible revenu, pour que ces pays puissent créer la richesse et créer les emplois. Bref, la banque a besoin de ressources pour soutenir le développement socio-économique du continent. N.V. : Cette forte augmentation de capital ne va-t-elle pas peser sur le taux des emprunts ? A.B.B. : C’est une question qui a été soulevée par les gouverneurs et les recommandations ont été faites au management de la banque pour contenir la politique de crédit au profit de l’ensemble de la clientèle et mais particulièrement aux pays à faible revenu. Donc la direction prend des dispositions pour que les conditions financières soient supportables par les pays et surtout par le secteur privé. Vous savez, le secteur privé, que ce soit dans les pays à faible revenu ou dans les pays à revenu intermédiaire, reste le même. Il opère avec en objectif l’efficacité de ses opérations. Donc on ne devait pas avoir de souci, parce qu’il y a des critères objectifs d’évaluation. N.V. : Est-ce que tous les pays ont les ressources nécessaires pour tenir le coup de cette augmentation faite du simple au triple ? A.B.B. : Oui, justement, chaque actionnaire doit assumer. Il y a des règles au sein de la banque. Les pays africains ont un pouvoir de vote de 60% et 40% pour les pays non africains. Donc, dans l’augmentation du capital, il y a un effort significatif que chacun devait faire pour maintenir son pouvoir de vote actuel. L’autre décision qui est aussi attendue, c’est qu’on puisse faire la place à l’Afrique du Sud qui est une économie importante, une économie leader dans notre continent. Donc, à la demande des pays d’Afrique australe, nous avons concédé que l’Afrique du Sud ait une place au Conseil d’administration. N.V. : Pourquoi c’est maintenant que l’Afrique du Sud fait son entrée au Conseil d’administration de cette banque africaine ? A.B.B. : D’abord, il est juste que l’Afrique du Sud soit présente dans les instances essentielles où les décisions relativement à l’avenir économique de l’Afrique se prennent. La Banque africaine de développement étant la principale institution de financement du développement de l’Afrique, on a pensé que c’est tout à fait légitime que l’Afrique du Sud soit présente. Alors pourquoi maintenant ? Mais c’est l’histoire récente de l’Afrique du Sud elle-même qui l’explique. L’Afrique du Sud est sortie de l’apartheid en 1994. C’est à partir de là que le pays a été admis comme membre de la Banque africaine de développement qui existe depuis 1964. Mais, après quelques années de pratique, je crois que c’est une bonne chose que l’Afrique du Sud retrouve une place qui corresponde véritablement à la place que ce pays a dans l’économie africaine. Ce sont toutes ces considérations qui ont amené à la recommandation que le Comité consultatif des gouverneurs a faite, et j’espère que ces considérations seront prises en compte par le Conseil des gouverneurs pour décider de l’augmentation du nombre de sièges au Conseil d’administration. N.V. : Monsieur le ministre d’Etat, les assemblées annuelles de la Bad, si nous vous avons bien suivi, vont drainer du beau monde. La Côte d’Ivoire, qui sort d’une crise armée, a-t-elle la capacité de répondre aux attentes des invités ? A.B.B. : D’abord, la Bad a évalué elle-même les capacités de la Côte d’Ivoire tout comme elle a évalué les capacités d’autres pays candidats. Et elle a choisi la Côte d’Ivoire. C’est sur la base d’un cahier de charges que nous travaillons. Dans ce cahier de charges, la banque, en termes de facilités hôtelières, demande que la Côte d’Ivoire propose 1.350 chambres, de standing dans les hôtels d’au moins 3 étoiles pour ses participants. Dans le dossier de la Côte d’Ivoire, nous avons proposé mieux, 1.600 chambres et le pays a été retenu sur cette base. Nous sommes donc tranquilles. L’autre élément du cahier de charges, c’est d’avoir les facilités en termes de centres de conférences. Comme je l’ai dit, la Côte d’Ivoire a déjà organisé les assemblées de la banque au moins vingt fois. Et l’Hôtel Ivoire a été régulièrement le lieu de la tenue des assemblées. Le gouvernement ivoirien a donc décidé de la rénovation de l’Hôtel Ivoire, de la rénovation du Palais des Congrès, de la Salle des fêtes et des salles annexes qui tiennent lieu de réunion de la banque. Ce travail de rénovation est achevé. Au moment où je vous parle, le Palais des Congrès de l’Hôtel Ivoire a été entièrement rénové et est opérationnel. L’Hôtel Ivoire présente aujourd’hui fière allure et, à la demande de la banque, nous y avons dressé 4 chapiteaux dont 2 grands réservés aux opérations techniques de l’élaboration et distribution de badges, un autre chapiteau où l’on vient exposer le savoir-faire ivoirien en termes industriel et artisanal, et quelques espaces au prochain pays qui va organiser les assemblées 2011. Bref, la Salle des fêtes est refaite et la tour de l’Hôtel Ivoire, qui va abriter 200 participants, est refaite. Il est prévu que les premiers invités soient accueillis le 15 mai. N.V. : Au niveau sécuritaire, le gouvernement est-il prêt à accueillir ces assemblées annuelles ? A.B.B. : Alors là, c’est très amusant parce que moi, je pensais avoir de grandes idées sur ce qu’il faut faire pour assurer la sécurité. J’ai eu une rencontre avec le premier responsable de la sécurité et j’ai exposé mes grandes idées. Quand j’ai fini, il y a un des officiers qui m’a dit : «Monsieur le ministre d’Etat, si vous pensez que c’est ça qu’il faut faire pour que vous soyez confortables, on va le faire, mais nous avons pensé à trois fois plus que ce que vous avez dit». J’ai répondu : «Bon, ne m’expliquez plus rien» (Rires…). C’est très amusant. Même les évaluations internes de la banque sont tout à fait positives. Donc, moi, je suis tranquille et confortable de ce point de vue. N.V. : Malgré tout cela, certaines formations politiques continuent de croire qu’il suffit de marcher pour faire annuler les assemblées générales de la Bad. N’ont-elles pas raison ? A.B.B. : Au moment où je vous parle, je ne vois vraiment pas par quel mécanisme on pourrait prendre une décision contraire à celle que nous connaissons déjà et qui est que les assemblées se tiennent à Abidjan. On a vu dans divers pays, à l’occasion de ces grands rendez-vous, des manifestations hostiles à la tenue de ces réunions, mais ces réunions se sont toujours tenues. L’exemple le plus spectaculaire, ce sont les assemblées annuelles des instances de Bretton-Woods. A ces assemblées, les participants ont dû être évacués, je pèse mes mots, évacués par métro du lieu de réunion, mais ils sont revenus faire la réunion avec quelques décalages. Je me souviens encore que, l’année dernière, au mois de septembre, il y a eu les réunions des assemblées annuelles du Fonds et de la Banque à Istambul, en Turquie. Dans la rue, c’était la bagarre entre manifestants et forces de l’ordre. Quand je parle de bagarre, je ne parle pas de jets de pierres et de gaz lacrymogène. Je parle d’une vraie bagarre avec des casses et c’étaient des manifestations contre la tenue des réunions ; mais ces réunions se sont tenues. Parce que les gouvernements de ces pays ont pris les précautions qu’il fallait pour protéger les réunions. Je pense que notre pays a les capacités de protéger les réunions de la Banque africaine de développement. Heureusement que dans notre cas aussi, je n’ai pas connaissance de ce qu’il y ait des projets de manifestations contre la tenue des assemblées de la Bad à Abidjan. Alors, pour la Côte d’Ivoire elle même, ce serait bien qu’on offre une image qui corresponde à notre propre devise. N.V. : Union, Discipline et Travail ? A.B.B. : Vous l’avez dit ; mais ajoutez aussi le pays de la fraternité et de l’hospitalité. Interview réalisée par César Etou, AVS, J-S Lia et Benjamin Koré
Économie Publié le mercredi 12 mai 2010 | Notre Voie
Assemblées générales annuelles de la Bad - Bohoun Bouabré : “La Côte d’Ivoire offre le meilleur profil pour ces assemblées”
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Photo d`archives. Le ministre Paul Antoine Bohoun Bouabré (FPI)