Dans la première partie de cette interview publiée hier, Diakité Ousmane, secrétaire exécutif du Conseil supérieur des imams (Cosim) a précisé les missions du Bureau ivoirien du hadj et de la oumra (Biho). Dans cette seconde partie, il fait des révélations sur les rapports entre le Cheikh Boikary Fofana et l’imam Idriss Koudous.
La Fédération ivoirienne pour l’organisation du pèlerinage (Fipem) se dit prête à travailler en partenariat avec le Bureau ivoirien du hadj et de l’oumra (Biho). Que répondez-vous ?
Comme je vous l’ai déjà dit (hier dans Nord-Sud), le Biho a pour mission principale la régulation. Ceux qui disent qu’ils sont spécialisés dans l’organisation du hadj y ont leur place. Le collège des imams a été mis en place pour moraliser. Si tu as signé un contrat pour rendre tel ou tel service, il faut que tu l’assures correctement. De sorte que quand tu as un bénéfice, tu l’aies honnêtement. Le Biho reste donc ouvert à tous ceux qui veulent se spécialiser dans l’organisation du hadj. Il encourage d’ailleurs la création d’organisations spécialisées comme des agences de voyage. Un des points qui nous fatigue beaucoup dans l’organisation, c’est le nombre trop important de notre délégation. Quelle que soit la bonne volonté des organisateurs, il est difficile de gérer une masse de 3.000 personnes. Dans d’autres pays, l’on fait des groupes de 500 ou de 600 personnes. Une organisation peut dire : nous, notre groupe est constitué de 100 personnes. Voilà la qualité de service que nous proposons. Le Biho est là pour le soutenir en veillant rigoureusement à ce que les engagements soient tenus.
Si d’aventure les associations de la Fipem ne souhaitent pas travailler avec le Biho, par quoi cela pourrait-il se traduire sur le terrain ?
Ça, c’est l’affaire du gouvernement. L’intérêt du gouvernement, c’est d’avoir un interlocuteur. Ce que le chef de l’Etat nous a dit, c’est que l’intérêt d’un gouvernement, c’est avoir un interlocuteur crédible et honnête dans tous les secteurs. Nous encourageons le gouvernement à faire le bon choix qui l’honore et honore la réputation de la Côte d’Ivoire. Et quel est ce choix ? C’est le fait de mettre en place une structure rigoureuse, sérieuse, lui déléguer ses prérogatives et la contrôler. Il s’agit d’assainir l’environnement de l’organisation du hadj. A l’an 2000, on ne parlait pas de milliards dans cette opération. Mais depuis que l’organisation est faite par l’Etat, on assiste à une surenchère de chiffres. Et ces chiffres ne sont, en amont, contrôlés par aucune planification. Il n’y a pas de budgétisation et au finish, on se retrouve avec des dépenses et des chiffres faramineux. Le cheikh dénonce cela parce qu’il ne voudrait pas que pour la postérité, la communauté ait à endosser une responsabilité à laquelle elle n’a pas participé. En le demandant, le Cosim n’a pas une prétention financière. Pour preuve, c’est lui qui a tiré des fonds de ses caisses pour financer certaines activités liées aux précédentes éditions. Et au jour d’aujourd’hui, l’Etat lui doit, à cet titre, un montant qui tourne autour des 7 millions de Fcfa. Nous pouvons vous présenter des documents qui le prouvent.
Pour le hadj 2009, le Cosim a dénoncé un budget très élevé pour des services approximatifs et un déficit de plus d’un milliard de Fcfa. Ne craignez-vous pas que vos exigences soient interprétées comme un manque de reconnaissance vis-à-vis d’un bienfaiteur ?
Pour comprendre la position du Cosim, il faut remonter à l’échec du hadj 2006 bis. Quand les associations organisatrices du pèlerinage et le gouvernement, représenté par son ministre de l’Administration du territoire de l’épo?que ont échoué, et que plus de 2000 pèlerins sont restés bloqués à Abidjan, ce sont ces pèlerins qui ont formé une délégation pour venir frapper à la porte du cheikh Fofana, tard dans la nuit. Quand il a fini de faire sa prière, il leur a demandé les nouvelles et ils lui ont dit : nous avons payé tous les frais pour nous rendre à La Mecque, mais on nous dit que nous ne pouvons y aller. Le cheikh leur a répondu qu’il venait d’être nommé à la tête du conseil des imams. Qu’il rentrait d’un long séjour à l’extérieur du pays et qu’il ne souhaitait pas de si tôt se mêler à la question complexe du pèlerinage. Les visiteurs lui ont demandé où voulait-il qu’ils aillent si, lui, refusait de les aider. Une dame qui était de la délégation, a pris la parole pour dire ceci au cheikh : les imams t’ont choisi comme responsable de la communauté musulmane. J’ai une soixantaine d’années de vie. Dieu ne m’a pas donné la chance d’avoir un mari. Il ne m’a pas donné la chance d’avoir un enfant. J’ai passé ma vie à épargner de l’argent pour le pèlerinage. Je voulais aller demander à Dieu de me réserver, dans le paradis, tout ce qu’il ne m’a pas donné sur terre. Les larmes ont coulé des yeux de tous ceux qui étaient dans le salon du cheikh. Le cheikh avait désormais une responsabilité vis-à-vis de Dieu. C’est à la suite de cette saisine des pèlerins dans la détresse qu’il a décidé de rencontrer le chef de l’Etat. Il lui a dit que sa communauté et la Côte d’Ivoire viennent de connaître un drame. Pour la première fois, la Côte d’Ivoire n’avait pas pu organiser le pèlerinage, sauf l’Union des cadres musulmans de Côte d’Ivoire (Ucamci) qui a réussi seule à faire voyager ses pèlerins, et à laquelle nous rendons hommage au passage. Le cheikh a dit au président de la République, qu’il était venu le voir au nom de la communauté musulmane, pour qu’en tant que chef de l’Etat, il fasse en sorte que les 2000 candidats malheureux au hadj d’alors, puissent effectuer le voyage à l’édition suivante. Il lui a indiqué qu’il lui appartenait de se retourner vers les associations qui ont reçu l’argent des pèlerins et qui n’ont pas pu les faire voyager, afin de pouvoir rentrer dans ses fonds.
C’est-à-dire ?
Le rôle de l’Etat est de faire en sorte que les engagements soient tenus. Comme des engagements n’ont pas été tenus, la communauté a saisi la puissance publique pour lui demander de régler le problème et de se faire payer par ceux qui n’ont pas tenu leurs engagements. En même temps, le cheikh a dit que la communauté allait réfléchir pour lui faire des propositions afin que ce genre de situation ne se reproduise plus. Ainsi, à la demande de la communauté, l’Etat a décidé d’intervenir, et le chef de l’Etat a dit au cheikh que comme c’est lui qui a entrepris la demarche, il ferait le travail avec lui. Voilà pourquoi en 2007, on a parlé de partenariat Etat-Cosim.
Trois ans après, pensez-vous que la communauté musulmane est-elle vraiment prête à reprendre le hadj en main ?
Dieu a dit dans le Coran que le pèlerinage à La Mecque est prescrit à ceux qui en ont les moyens. Ce n’est pas dans l’organisation du hadj que la communauté musulmane attend principalement l’aide de l’Etat. Elle attend celle-ci dans le domaine de la réforme des écoles confessionnelles islamiques. A travers la mise en place d’infrastructures socio-sanitaires. C’est dans ces créneaux que les autres confessions religieuses utilisent l’aide de l’Etat. En ce qui concerne le pèlerinage, certes, l’Etat peut aider, mais la communauté musulmane est prête à financer le hadj comme elle l’a toujours fait. Ce n’est pas parce que l’Etat s’en occupe depuis 2007 que nous nous jugerons incompétents aujourd’hui.
Le Biho va-t-il organiser le hadj en 2010 ?
Nous nous retrouvons aujourd’hui dans la même situation que celle d’avant 2006 où on reprochait aux associations organisatrices de toujours laisser des ardoises à La Mecque et de venir demander à l’Etat d’honorer cela. Au moment où nous parlons, l’Etat lui-même doit plus d’un milliard de Fcfa à La Mecque. Certains pèlerins de 2009 nous demandent si leur pèlerinage est valable dans la mesure où ils ont été logés à crédit et que jusqu’à ce jour des propriétaires de maison ne sont pas satisfaits. Ils disent qu’ils sont allés pour faire pardonner leurs péchés et s’interrogent si leurs prières ont été exaucées vu que ceux qui les ont hébergés, n’ont pas reçu la totalité de leur dû. Voici des questions embarrassantes que les pèlerins posent aujourd’hui aux imams. Donc, la communauté est prête à organiser le hadj. Ni la communauté, ni le cheikh, ne sont ingrats vis-à-vis du gouvernement. Mais nous faisons bien la distinction entre l’Etat et certains agents de l’Etat. Quand nous sommes devant le chef de l’Etat, nous sommes en phase avec lui. Mais, quand il n’est plus là et que nous sommes en face de certains de ses collaborateurs, nous ne retrouvons pas dans leur action l’instruction que le chef de l’Etat donne en notre présence. Les responsables de l’Etat qui organisent le hadj, savent de quoi nous parlons.
En dehors du hadj, le Cosim a d’autres chantiers dont l’identification des imams et l’immatriculation des mosquées. Il se trouve que ces projets sont boycottés par certains musulmans qui ne reconnaissent pas l’autorité du cheikh. Votre réponse.
La communauté reconnaît son cheikh. La preuve, quand elle a des problèmes, c’est vers lui qu’elle se tourne. L’exemple du hadj 2006 bis en est le témoignage frappant. Vous me parlez de ceux qui ne reconnaissent pas son autorité. Je vais vous rappeler qu’il existe des humains qui ne reconnaissent pas la puissance de Dieu. Le Prophète Mohamed, certains ne l’ont pas reconnu. D’autres l’ont reconnu plus tard. La communauté est dirigée par des imams et le cheikh des imams est l’imam des imams. Ceux qui disent qu’ils ne le reconnaissent pas sont libres dans leur choix. Mais la réalité est là.
Quel est le bilan de l’identification des imams ?
Plus de 10.000 imams ont été identifiés. Montrez-nous une autre organisation islamique qui a autant de membres.
L’imam Bakary Chérif affirme avoir demandé au cheikh Fofana de faire appel aux guides religieux pour créer l’unité. Il soutient que le cheikh n’a jamais satisfait cette demande.
Que Dieu nous pardonne tous. Un proverbe malinké dit que lorsque tu appelles les gens, si tu ne leur donne pas quelque chose, tu vas leur dire quelque chose. Depuis mars 2009, le cheikh a invité les uns et les autres à venir pour échanger sur un sujet qui intéresse tout le monde, à savoir le hadj. Le Cosim a plusieurs chantiers dont la réforme de l’éducation islamique. Mais ce n’est pas cela la préoccupation de certains guides religieux. Le sujet qui a un intérêt chez tous, c’est l’organisation du pèlerinage. Le cheikh a invité toute la communauté à venir réfléchir sur cette opération. Ils ne sont pas venus. Un responsable avance avec ceux qui veulent avancer avec lui. Mais, je reste convaincu que nous finirons par nous entendre.
L’imam Bakary Chérif ajoute qu’il a demandé au cheikh d’aller rendre une visite de courtoisie à l’imam Koné Idriss Koudous, et qu’il ne l’a pas fait jusqu’à ce jour.
L’imam Koudous était un illustre inconnu en Côte d’Ivoire. Le cheikh Boikary Fofana l’a choisi président du Conseil national islamique en dépit des réserves de ses collaborateurs. Comme vous parlez de courtoisie, je vais vous révéler quelque chose. Lorsque le cheikh Fofana est arrivé, il a rendu visite à toutes les grandes structures islamiques et à tous les leaders. Quand il a voulu se rendre chez Koudous pour le saluer, c’est ce dernier lui-même qui a dit : non, tu es l’aîné, c’est à moi de venir vers toi. Mais il n’est jamais venu.
Interview réalisée par Cissé Sindou