Après s'être rendu au domicile du président du Parti démocratique de Côte d'Ivoire, le 10 mai, le président de la République se rend aujourd'hui chez le leader du Rassemblement des républicains. Révélations sur une rencontre qui aurait pu ne pas avoir lieu.
Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara autour d'une même table. Jusqu'au 7 mai, bien peu d'analystes auraient parié sur une telle rencontre dont l'ordre du jour est toujours attendu. Tant, le fossé entre le président de la République et celui du Rassemblement des républicains (Rdr) était profond.
Alassane Ouattara passait des vacances tranquilles en France. Bien sûr, il suivait avec une attention particulière la montée de la tension autour du 15 mai, date de la marche des jeunes du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (Rhdp). Selon des sources bien informées, le leader des républicains n'était même plus dans la logique du dialogue avec le chef de l'Etat depuis que celui-ci a dissous la Commission électorale indépendante (Cei) et le gouvernement, le 12 février 2010. De là, à décréter la mort politique de Gbagbo, il n'y a qu'un petit pas que les plus hardis de ses proches avaient déjà franchi.
Du côté du pouvoir, Ouattara était devenu l'ennemi public numéro 1, le mentor de la frange la plus radicale de l'opposition. Le président de la République était peu intéressé à rencontrer un opposant que les grandes oreilles de la République indexait comme le dénominateur commun à toutes les velléités de déstabilisation. Sur les bulletins des services de renseignement de la République, circulent même les noms de plusieurs de ses proches, ainsi que des lieux précis. Certes, l'ancien ministre des Ntic a été reçu par le chef de l'Etat le 7 mai. De quoi alimenter les suspicions autour de ce cadre du Rdr. Mais, d'autres responsables du parti sont désormais pistés par les renseignements, notamment un ancien ministre du Commerce. Cette méfiance à l'égard du camp Ouattara s'est accrue avec la découverte d'une cache d'armes à Anyama, le 5 mai.
Le dialogue à la place du bain de sang
La marche du 15 mai s'annonçait alors comme celle de tous les dangers, avec des risques réels d'affrontement. Ce que confirmera le président du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (Pdci), Henri Konan Bédié, le 14 mai face à la presse.
Comment briser cette infernale spirale qui pouvait se terminer dans le sang, le 15 mai ?
En relançant le processus de paix. Le Premier ministre partagera cette conviction avec le chef de l'Etat qui lui donne son quitus. Mais, si l'idée de la rencontre avec Henri Konan Bédié ne pose aucun problème, ce n'est pas le cas avec Ouattara. Pour lever les réticences du président de la République, Guillaume Soro insiste sur le caractère républicain que doit avoir le dialogue entre Ivoiriens. Si l'un des membres du Cadre permanent de concertation (CPC) de l'Accord politique de Ouagadougou a été rencontré, il était difficile de ne pas en faire autant avec l'autre. La présence du représentant spécial du Facilitateur chez M. Bédié apporte l'onction du chef de l'Etat burkinabé, Blaise Compaoré, à l'initiative. Second argument du Premier ministre, la nécessité de renforcer son rôle d'arbitre. L'exécutif devait donc éviter de donner le sentiment de vouloir jouer avec le Pdci contre le Rdr. Le contraire ouvrirait la porte à des défiances futures vis-à-vis du processus électoral. Gbagbo d'accord, plus rien ne s'opposait à son rendez-vous avec Ouattara.
Rdr : Eviter l'isolement
Il faut dire que le leader des républicains avait pris la pleine mesure des conséquences politiques de son radicalisme. Bédié ne l'avait pas avisé avant de rencontrer le chef de l'Etat. Il n'avait même pas requis son assentiment. Des voix, au sein de l'alliance houphouétiste, le Rhdp, soutiennent que le président du Pdci aurait pu conditionner la rencontre du 10 mai à la présence de son allié. Ce qui en aurait fait un CPC ivoirien. Mais Bédié a choisi de faire cavalier seul. Il a même pris ses distances vis-à-vis de la marche, en insistant, le 14 mai, sur le fait que son objectif avait été dévoyé.
En écourtant ses vacances en France, Ouattara avait à cœur, certes, de rattraper le train du dialogue. Mais, surtout, il devait éviter l'isolement politique dans lequel il glissait inexorablement. Une hantise pour lui. Le parti à la case est en effet toujours dans une stratégie d'alliance depuis sa création. D'abord avec le Front populaire ivoirien (Fpi) jusqu'en 1999, puis avec le Pdci depuis 2005.
Plusieurs tête-à-tête avec Guillaume Soro permettront ainsi à Ouattara de se repositionner sur la scène politique. Mais, l'ordre du jour de son rendez-vous avec Laurent Gbagbo risque d'être bien maigre.
Car, le chef de l'Etat et Henri Konan Bédié ont déjà vidé tous les sujets qui fâchaient : marche du 15 mai (finalement reportée), contentieux sur la liste électorale provisoire, liste grise. Même des questions spécifiques ont été abordées : arriérés de subventions des partis politiques, arriérés de paiement des rentes viagères des chefs d'institutions, paiement des indemnités des membres du CPC. Sur toutes ces questions, le président a donné des instructions au Premier ministre qui a chargé le ministre de l'Economie d'y apporter les solutions idoines. Et, leur traitement a commencé.
Même en l'absence d'un ordre du jour alléchant, il faut se réjouir du tête-à-tête entre Gbagbo et Ouattara. Car, la rencontre pourrait être l'amorce d'un vrai dialogue constructif, gage d'élections apaisées. A condition qu'elle se tienne dans un esprit de dépassement de soi, comme celle du 10 mai. Et, surtout, qu'il ne s'agisse pas de gagner du temps avant le prochain coup tordu.
Kesy B. Jacob
Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara autour d'une même table. Jusqu'au 7 mai, bien peu d'analystes auraient parié sur une telle rencontre dont l'ordre du jour est toujours attendu. Tant, le fossé entre le président de la République et celui du Rassemblement des républicains (Rdr) était profond.
Alassane Ouattara passait des vacances tranquilles en France. Bien sûr, il suivait avec une attention particulière la montée de la tension autour du 15 mai, date de la marche des jeunes du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (Rhdp). Selon des sources bien informées, le leader des républicains n'était même plus dans la logique du dialogue avec le chef de l'Etat depuis que celui-ci a dissous la Commission électorale indépendante (Cei) et le gouvernement, le 12 février 2010. De là, à décréter la mort politique de Gbagbo, il n'y a qu'un petit pas que les plus hardis de ses proches avaient déjà franchi.
Du côté du pouvoir, Ouattara était devenu l'ennemi public numéro 1, le mentor de la frange la plus radicale de l'opposition. Le président de la République était peu intéressé à rencontrer un opposant que les grandes oreilles de la République indexait comme le dénominateur commun à toutes les velléités de déstabilisation. Sur les bulletins des services de renseignement de la République, circulent même les noms de plusieurs de ses proches, ainsi que des lieux précis. Certes, l'ancien ministre des Ntic a été reçu par le chef de l'Etat le 7 mai. De quoi alimenter les suspicions autour de ce cadre du Rdr. Mais, d'autres responsables du parti sont désormais pistés par les renseignements, notamment un ancien ministre du Commerce. Cette méfiance à l'égard du camp Ouattara s'est accrue avec la découverte d'une cache d'armes à Anyama, le 5 mai.
Le dialogue à la place du bain de sang
La marche du 15 mai s'annonçait alors comme celle de tous les dangers, avec des risques réels d'affrontement. Ce que confirmera le président du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (Pdci), Henri Konan Bédié, le 14 mai face à la presse.
Comment briser cette infernale spirale qui pouvait se terminer dans le sang, le 15 mai ?
En relançant le processus de paix. Le Premier ministre partagera cette conviction avec le chef de l'Etat qui lui donne son quitus. Mais, si l'idée de la rencontre avec Henri Konan Bédié ne pose aucun problème, ce n'est pas le cas avec Ouattara. Pour lever les réticences du président de la République, Guillaume Soro insiste sur le caractère républicain que doit avoir le dialogue entre Ivoiriens. Si l'un des membres du Cadre permanent de concertation (CPC) de l'Accord politique de Ouagadougou a été rencontré, il était difficile de ne pas en faire autant avec l'autre. La présence du représentant spécial du Facilitateur chez M. Bédié apporte l'onction du chef de l'Etat burkinabé, Blaise Compaoré, à l'initiative. Second argument du Premier ministre, la nécessité de renforcer son rôle d'arbitre. L'exécutif devait donc éviter de donner le sentiment de vouloir jouer avec le Pdci contre le Rdr. Le contraire ouvrirait la porte à des défiances futures vis-à-vis du processus électoral. Gbagbo d'accord, plus rien ne s'opposait à son rendez-vous avec Ouattara.
Rdr : Eviter l'isolement
Il faut dire que le leader des républicains avait pris la pleine mesure des conséquences politiques de son radicalisme. Bédié ne l'avait pas avisé avant de rencontrer le chef de l'Etat. Il n'avait même pas requis son assentiment. Des voix, au sein de l'alliance houphouétiste, le Rhdp, soutiennent que le président du Pdci aurait pu conditionner la rencontre du 10 mai à la présence de son allié. Ce qui en aurait fait un CPC ivoirien. Mais Bédié a choisi de faire cavalier seul. Il a même pris ses distances vis-à-vis de la marche, en insistant, le 14 mai, sur le fait que son objectif avait été dévoyé.
En écourtant ses vacances en France, Ouattara avait à cœur, certes, de rattraper le train du dialogue. Mais, surtout, il devait éviter l'isolement politique dans lequel il glissait inexorablement. Une hantise pour lui. Le parti à la case est en effet toujours dans une stratégie d'alliance depuis sa création. D'abord avec le Front populaire ivoirien (Fpi) jusqu'en 1999, puis avec le Pdci depuis 2005.
Plusieurs tête-à-tête avec Guillaume Soro permettront ainsi à Ouattara de se repositionner sur la scène politique. Mais, l'ordre du jour de son rendez-vous avec Laurent Gbagbo risque d'être bien maigre.
Car, le chef de l'Etat et Henri Konan Bédié ont déjà vidé tous les sujets qui fâchaient : marche du 15 mai (finalement reportée), contentieux sur la liste électorale provisoire, liste grise. Même des questions spécifiques ont été abordées : arriérés de subventions des partis politiques, arriérés de paiement des rentes viagères des chefs d'institutions, paiement des indemnités des membres du CPC. Sur toutes ces questions, le président a donné des instructions au Premier ministre qui a chargé le ministre de l'Economie d'y apporter les solutions idoines. Et, leur traitement a commencé.
Même en l'absence d'un ordre du jour alléchant, il faut se réjouir du tête-à-tête entre Gbagbo et Ouattara. Car, la rencontre pourrait être l'amorce d'un vrai dialogue constructif, gage d'élections apaisées. A condition qu'elle se tienne dans un esprit de dépassement de soi, comme celle du 10 mai. Et, surtout, qu'il ne s'agisse pas de gagner du temps avant le prochain coup tordu.
Kesy B. Jacob