«Je t'aime, moi non plus». C'est ainsi que l'observateur averti peut s'autoriser à qualifier les rapports entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara. Entre alliance, rivalité, trahison et sentiments de revanche, ces deux acteurs de la scène politique ne se sont jamais véritablement portés dans le cœur.
Le début des rapports difficiles
C'est véritablement dans les années 1990 que les chemins de MM. Ouattara et Gbagbo vont se croiser. Anciennement président du comité interministériel de coordination du programme de stabilisation et de relance économique, Alassane Ouattara est « bombardé » Premier ministre du président Félix Houphouet-Boigny dont la santé est devenue chancelante. A ce poste et bénéficiant de la totale confiance du père-fondateur de la Côte d'Ivoire, le chemin du Premier ministre va croiser celui de Laurent Gbagbo, opposant qui a le vent en poupe. A la faveur d'une marche organisée en février 1992 par les opposants qui réclamaient davantage de libertés et qui, malheureusement a dégénéré, le Premier ministre demandera à la justice de ne point accorder de circonstances atténuantes aux « casseurs ». L'un des meneurs de la marche, Laurent Gbagbo, sera jeté en prison sans ménagement. Tout naturellement, lorsque s'ouvrit la succession du président de la République, décédé en décembre 1993, Laurent Gbagbo prend fait et cause pour le rival d'alors, Henri Konan Bédié. Mais au nom de la réal politique, Laurent Gbagbo n'hésitera pas à contracter une alliance avec le parti d'Alassane Ouattara en 1995 pour s'opposer au président Henri Konan Bédié. Réunis au sein du Front républicain, l'opposant historique n'hésita pas à bouder la présidentielle d'octobre 1995 au motif que la candidature de son allié, Alassane Ouattara n'a pas été validée. Pour faire la démonstration de sa détermination à combattre l'injustice dont est victime son allié, M. Gbagbo engage le boycott actif de la présidentielle organisée par Henri Konan Bédié. Celui-ci fait plusieurs morts à travers la Côte d'Ivoire. Mais la fissure qui avait commencé à mettre à mal la cohésion du Front républicain, finira par avoir raison de l'alliance Gbagbo-ADO.
Le début des trahisons
A la faveur du coup de force de décembre 1999 qui a eu raison du régime d'Henri Konan Bédié, Laurent Gbagbo décide, sans autre forme de procédure, de rompre son alliance avec l'ancien Premier ministre. Entre calculs politiciens et rivalités, l'opposant Laurent Gbagbo réussit à imposer son amitié au chef de la junte qui a renversé Henri Konan Bédié. Ce rapprochement se fera au détriment des excellentes relations qui existaient entre Alassane Ouattara et Robert Guéï. Certains observateurs avaient vu la main du patron du Front populaire ivoirien (Fpi) dans la détérioration des relations entre le président du Rdr et le chef de file du Comité national de salut public (Cnsp). Alassane Ouattara est contraint de prendre pour la seconde fois le chemin de l'exil.
Le temps des règlements de comptes ?
C'est dans cette ambiance que Laurent Gbagbo arrive au pouvoir à la faveur des élections de 2000. Pour contester la légitimité de l'élection de son ancien allié, M. Ouattara demande à ses partisans de descendre dans les rues, arguant que le pouvoir s'y trouve désormais. Avec l'appui de l'armée qui lui était acquise, le nouveau tenant de l'exécutif réprime la fronde dans le sang. Les deux hommes sont obligés de faire la paix. Une paix d'apparence dans la mesure où l'ancien directeur général adjoint du Fonds monétaire international (Fmi) décide de quitter le pays. Il laisse cependant à son adversaire un sale dossier : celui du charnier de Yopougon qui entache le début du mandat de Laurent Gbagbo. Une affaire dans laquelle le frontiste nie toute implication. Ce qu'il ne niera cependant pas, c'est le fait que l'article 35 de la constitution ivoirienne a été « concocté » pour régler le cas ADO. Cet article stipulait que pour être candidat à la présidentielle, il faut être de père « et » de mère ivoirien. Une clause qui n'a pas permis à l'ancien Premier ministre de s'aligner pour le scrutin présidentiel de 2000. C'est à la faveur du forum de réconciliation nationale qu'il a plu au numéro un ivoirien de faire cette confession. Deux années après son accession à la magistrature suprême, le pouvoir de M. Gbagbo est attaqué par une rébellion armée, venue du Nord du pays. Un doigt accusateur est pointé en direction d'Alassane Ouattara qui est accusé d'être le véritable commanditaire de la rébellion. « Accusation fallacieuse », objecte le mis en cause. Mais les partisans de Laurent Gbagbo qui menaçaient sérieusement d'attenter à sa vie, le contraignent à s'exiler. C'est du reste l'armée française qui réussira à l'exfiltrer pour le mettre à l'abri de tout danger à Libreville, chez feu el Hadj Omar Bongo Ondimba.
Paix des braves sournoise et échange de piques
Tout en dénonçant les accords qui suivront cette crise militaro-politique, Laurent Gbagbo accepte de laisser concourir Alassane Ouattara aux compétitions électorales dont l'objectif est d'offrir la paix aux Ivoiriens. Il consent à utiliser l'article 48 pour valider la candidature de son adversaire à la présidentielle mais ne renonce pas à le combattre sur le bien-fondé de sa participation aux consultations. L'argument utilisé, le présenter tantôt comme un fuyard, tantôt comme le candidat de la France impérialiste ou encore comme le putschiste invétéré. Signe que les deux hommes ne se portent pas vraiment dans le cœur, le chef de l'Etat sortant n'hésite pas à descendre dans la poubelle. « Si tu n'es rien, tu n'auras rien ! Tu dis donnez-moi le pouvoir, je vais donner 100 milliards de Fcfa à Dabou, 200 milliards… », lance-t-il à son adversaire le 30 décembre dernier, à la faveur du lancement de sa précampagne. Une déclaration qui a suscité le courroux du banquier qui a riposté à ces piques en ces termes : « On se connais en détails dans ce pays. On sait qui venait s'endetter auprès de nous pour 10.000 Fcfa ».
Un antagonisme larvé
Ces rapports en dents de scie se poursuivent jusqu'aujourd'hui. Car, dans l'affaire des armes de guerre découvertes à Anyama, le doigt accusateur du chef de l'Etat s'est ostensiblement dirigé vers le camp ADO. Il aurait accusé un proche de l'ancien Premier ministre de vouloir perpétrer un acte subversif avec l'arsenal saisi dans la cité de Cola. Certains observateurs vont jusqu'à dire que c'est avec cet argument que Laurent Gbagbo a convaincu Henri Konan Bédié sur la nécessité de reporter la marche du 15 mai, projetée par les jeunes houphouétistes. Et comme ce dernier a déclaré que « l'esprit, l'objectif et les conditions de préparation de cet événement qui se voulait pacifique, ont été dévoyés. Ils voulaient nous conduire à l'affrontement, à la chienlit, aux pertes en vies humaines et au risque de replonger notre pays dans la plus imprévisible des aventures », a dénoncé Henri Konan Bédié qui serait allé jusqu'à dire que les jeunes du Rassemblement pour la démocratie et la paix (Rhdp) voulaient faire une marche à caractère insurrectionnel. Des révélations qui autorisent plus d'un observateur à croire qu'effectivement, Laurent Gbagbo a réussi à convaincre M. Bédié que M. Ouattara, son allié de l'heure, est une personnalité peu fréquentable. Est-ce pour vider tout ce lourd contentieux que les deux hommes ont décidé de se voir, hier ? Les révélations sur les dessous de la rencontre ne manqueront pas d'apporter un début de réponse à cette interrogation.
Marc Dossa
Le début des rapports difficiles
C'est véritablement dans les années 1990 que les chemins de MM. Ouattara et Gbagbo vont se croiser. Anciennement président du comité interministériel de coordination du programme de stabilisation et de relance économique, Alassane Ouattara est « bombardé » Premier ministre du président Félix Houphouet-Boigny dont la santé est devenue chancelante. A ce poste et bénéficiant de la totale confiance du père-fondateur de la Côte d'Ivoire, le chemin du Premier ministre va croiser celui de Laurent Gbagbo, opposant qui a le vent en poupe. A la faveur d'une marche organisée en février 1992 par les opposants qui réclamaient davantage de libertés et qui, malheureusement a dégénéré, le Premier ministre demandera à la justice de ne point accorder de circonstances atténuantes aux « casseurs ». L'un des meneurs de la marche, Laurent Gbagbo, sera jeté en prison sans ménagement. Tout naturellement, lorsque s'ouvrit la succession du président de la République, décédé en décembre 1993, Laurent Gbagbo prend fait et cause pour le rival d'alors, Henri Konan Bédié. Mais au nom de la réal politique, Laurent Gbagbo n'hésitera pas à contracter une alliance avec le parti d'Alassane Ouattara en 1995 pour s'opposer au président Henri Konan Bédié. Réunis au sein du Front républicain, l'opposant historique n'hésita pas à bouder la présidentielle d'octobre 1995 au motif que la candidature de son allié, Alassane Ouattara n'a pas été validée. Pour faire la démonstration de sa détermination à combattre l'injustice dont est victime son allié, M. Gbagbo engage le boycott actif de la présidentielle organisée par Henri Konan Bédié. Celui-ci fait plusieurs morts à travers la Côte d'Ivoire. Mais la fissure qui avait commencé à mettre à mal la cohésion du Front républicain, finira par avoir raison de l'alliance Gbagbo-ADO.
Le début des trahisons
A la faveur du coup de force de décembre 1999 qui a eu raison du régime d'Henri Konan Bédié, Laurent Gbagbo décide, sans autre forme de procédure, de rompre son alliance avec l'ancien Premier ministre. Entre calculs politiciens et rivalités, l'opposant Laurent Gbagbo réussit à imposer son amitié au chef de la junte qui a renversé Henri Konan Bédié. Ce rapprochement se fera au détriment des excellentes relations qui existaient entre Alassane Ouattara et Robert Guéï. Certains observateurs avaient vu la main du patron du Front populaire ivoirien (Fpi) dans la détérioration des relations entre le président du Rdr et le chef de file du Comité national de salut public (Cnsp). Alassane Ouattara est contraint de prendre pour la seconde fois le chemin de l'exil.
Le temps des règlements de comptes ?
C'est dans cette ambiance que Laurent Gbagbo arrive au pouvoir à la faveur des élections de 2000. Pour contester la légitimité de l'élection de son ancien allié, M. Ouattara demande à ses partisans de descendre dans les rues, arguant que le pouvoir s'y trouve désormais. Avec l'appui de l'armée qui lui était acquise, le nouveau tenant de l'exécutif réprime la fronde dans le sang. Les deux hommes sont obligés de faire la paix. Une paix d'apparence dans la mesure où l'ancien directeur général adjoint du Fonds monétaire international (Fmi) décide de quitter le pays. Il laisse cependant à son adversaire un sale dossier : celui du charnier de Yopougon qui entache le début du mandat de Laurent Gbagbo. Une affaire dans laquelle le frontiste nie toute implication. Ce qu'il ne niera cependant pas, c'est le fait que l'article 35 de la constitution ivoirienne a été « concocté » pour régler le cas ADO. Cet article stipulait que pour être candidat à la présidentielle, il faut être de père « et » de mère ivoirien. Une clause qui n'a pas permis à l'ancien Premier ministre de s'aligner pour le scrutin présidentiel de 2000. C'est à la faveur du forum de réconciliation nationale qu'il a plu au numéro un ivoirien de faire cette confession. Deux années après son accession à la magistrature suprême, le pouvoir de M. Gbagbo est attaqué par une rébellion armée, venue du Nord du pays. Un doigt accusateur est pointé en direction d'Alassane Ouattara qui est accusé d'être le véritable commanditaire de la rébellion. « Accusation fallacieuse », objecte le mis en cause. Mais les partisans de Laurent Gbagbo qui menaçaient sérieusement d'attenter à sa vie, le contraignent à s'exiler. C'est du reste l'armée française qui réussira à l'exfiltrer pour le mettre à l'abri de tout danger à Libreville, chez feu el Hadj Omar Bongo Ondimba.
Paix des braves sournoise et échange de piques
Tout en dénonçant les accords qui suivront cette crise militaro-politique, Laurent Gbagbo accepte de laisser concourir Alassane Ouattara aux compétitions électorales dont l'objectif est d'offrir la paix aux Ivoiriens. Il consent à utiliser l'article 48 pour valider la candidature de son adversaire à la présidentielle mais ne renonce pas à le combattre sur le bien-fondé de sa participation aux consultations. L'argument utilisé, le présenter tantôt comme un fuyard, tantôt comme le candidat de la France impérialiste ou encore comme le putschiste invétéré. Signe que les deux hommes ne se portent pas vraiment dans le cœur, le chef de l'Etat sortant n'hésite pas à descendre dans la poubelle. « Si tu n'es rien, tu n'auras rien ! Tu dis donnez-moi le pouvoir, je vais donner 100 milliards de Fcfa à Dabou, 200 milliards… », lance-t-il à son adversaire le 30 décembre dernier, à la faveur du lancement de sa précampagne. Une déclaration qui a suscité le courroux du banquier qui a riposté à ces piques en ces termes : « On se connais en détails dans ce pays. On sait qui venait s'endetter auprès de nous pour 10.000 Fcfa ».
Un antagonisme larvé
Ces rapports en dents de scie se poursuivent jusqu'aujourd'hui. Car, dans l'affaire des armes de guerre découvertes à Anyama, le doigt accusateur du chef de l'Etat s'est ostensiblement dirigé vers le camp ADO. Il aurait accusé un proche de l'ancien Premier ministre de vouloir perpétrer un acte subversif avec l'arsenal saisi dans la cité de Cola. Certains observateurs vont jusqu'à dire que c'est avec cet argument que Laurent Gbagbo a convaincu Henri Konan Bédié sur la nécessité de reporter la marche du 15 mai, projetée par les jeunes houphouétistes. Et comme ce dernier a déclaré que « l'esprit, l'objectif et les conditions de préparation de cet événement qui se voulait pacifique, ont été dévoyés. Ils voulaient nous conduire à l'affrontement, à la chienlit, aux pertes en vies humaines et au risque de replonger notre pays dans la plus imprévisible des aventures », a dénoncé Henri Konan Bédié qui serait allé jusqu'à dire que les jeunes du Rassemblement pour la démocratie et la paix (Rhdp) voulaient faire une marche à caractère insurrectionnel. Des révélations qui autorisent plus d'un observateur à croire qu'effectivement, Laurent Gbagbo a réussi à convaincre M. Bédié que M. Ouattara, son allié de l'heure, est une personnalité peu fréquentable. Est-ce pour vider tout ce lourd contentieux que les deux hommes ont décidé de se voir, hier ? Les révélations sur les dessous de la rencontre ne manqueront pas d'apporter un début de réponse à cette interrogation.
Marc Dossa