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Société Publié le mercredi 19 mai 2010 | Le Mandat

Enquête- Au cœur du réseau des mendiants : Comment cette industrie s’est développée

La mendicité, c’est le fait de demander la charité ou l’aumône (argent ou nourriture) à une tierce personne. Aujourd’hui, cette pratique est devenue un phénomène social voire une profession libérale, un secteur informel qui prend de l’ampleur dans nos villes en l’absence de mesures adaptées et de moyens efficaces pour la combattre ou l’éradiquer.

Combien sont-ils ? D’où viennent-ils ? Sont-ils réellement dans le besoin ou s’agit-il de ‘’professionnels’’ de la manche ? La mendicité est-il le fait d’un réseau bien organisé ? Pour commencer, il faut noter que l’on ne peut mendier n’importe où sans avoir payé une certaine somme aux propriétaires des ‘’concessions’’. Pour chaque zone, il y a un propriétaire auquel les mendiants doivent verser un droit d’occupation. Donc de mendier.

Les mendiants traditionnels

A Abidjan, tout est bon pour gagner de l’argent. Il suffit de s’armer d’une bonne dose de courage pour parvenir à ses fins. Ils sont nombreux ! Très nombreux même ces mendiants qui, chaque jour, prennent d’assaut la ville à la recherche de quoi subvenir à leurs besoins. La plupart d’entre eux sont des handicapés physiques, (non voyants, borgnes, paralytiques, manchots, perclus, etc.). Personne ne peut rester indifférent face à un mendiant qui tend la main. Les lieux publics (gares routières, marchés, carrefours) sont les plus fréquentés. Il est 7h30mn, ce mercredi 5 mai 2010. Mme Namparé Awa, 3 fois mère de jumeaux (6 enfants), s’installe sur le trottoir de Prima Center, à Marcory, avec deux fillettes. Elle place devant elles, des assiettes pour recevoir l’aumône. Des passants y mettent quelques pièces. Elle les remercie et les bénit. Par curiosité, nous faisons le même geste en remettant une pièce de 500 francs Cfa à chacune des jumelles. Cherchant à connaître la raison qui l’a poussée à venir ici, elle a déclaré que c’est la coutume qui l’exige. « Si je ne fais pas ça, mes enfants vont mourir. C’est la tradition oh ! Cette situation me permet de gagner beaucoup d’argent. Mon mari et moi ne travaillons pas. Mais Dieu nous a fait grâce en nous donnant des jumeaux. A travers eux, on gagne bien notre vie. Des personnes de bonne volonté nous donnent énormément d’argent. Mendier n’est pas un péché. Dieu dit de donner aux pauvres. Aujourd’hui, j’ai une bonne situation. C’est mon activité principale car, j’y gagne. Les gens sont en train de gâter notre métier », affirme-t-elle un peu énervée. Pour Tounkara Djafar( fervent musulman), il est normal de donner à quelqu’un qui demande votre aide au nom d’Allah, même si celui-ci est mieux habillé que vous et même s’il est plus nanti que vous. Mais, il faut remarquer que c’est justement ce qui sert d’alibi à certains pour soutirer de l’argent aux gens. Par ailleurs, les handicapés physiques pensent qu’à cause de leur état physique, ils ne peuvent faire grand-chose pour pouvoir se nourrir. Oumar Coulibaly, handicapé, exerce depuis bien longtemps dans la mendicité. Avec deux de ses amis, ils ont économisé pour faire le commerce, mais ne pensent pas arrêter cette activité qu’ils considèrent comme leur emploi. « Avec notre handicap, nous ne pouvons pas exercer un quelconque travail. Donc, nous avons des petits garçons qui travaillent pour nous. Nous sommes tellement bien organisés que nous gagnons notre vie avec ce que nous faisons», a-t-il expliqué.

Une nouvelle catégorie: « les professionnels »

La mendicité ‘’professionnelle’’ constitue un réel harcèlement pour les gens et génère beaucoup d’argent. Des personnes exercent ce métier où l’argent vient sans efforts. Elles utilisent un langage de persuasion qu’aucune école n’est capable d’enseigner. Il y en a même qui s’organisent en confrérie. En effet, dans un pays miné par la pauvreté et traversé par une crise qui a entamé son économie, la mendicité a pris une allure inquiétante. Fuyant la pauvreté, des personnes ont augmenté le taux des mendiants en Côte d’Ivoire, surtout à Abidjan. Peinant à trouver un job, on se déguise en mendiant la journée pour espérer trouver de quoi manger. Cette catégorie, on la retrouve dans des endroits insoupçonnés. Ils sont toujours à la recherche d’un renseignement ou plus généralement, d’un service. La méthode est simple. Ces ‘’professionnels’’ de la mendicité repèrent d’abord leur proie. Ils accostent le bienfaiteur ciblé avec quelquefois des prétextes incitatifs. Soit ils désirent un renseignement, soit ils vont directement au but. Et une fois que vous tendez l’oreille, presque en chuchotant, ils vous racontent leurs problèmes. Une nouveauté dans ce domaine, les églises. En ces lieux de prédilection où l’on va pour prier, certains ont d’autres idées en tête. En effet, les mendiants qu’on y trouve sont souvent munis de petits papiers qu’ils font circuler parmi les fidèles pour récolter l’argent. Des papiers sur lesquels ils inscrivent des histoires de tout genre. Cette façon de faire est une astuce pour soutirer de l’argent en douceur et « détrousser » des âmes sensibles. A la Paroisse notre Dame d’Afrique de Biétry, une femme du nom de V. Marianne reçoit un bout de papier des mains d’une jeune fille sur lequel il est marqué : « Je souffre du cancer de l’estomac. Je dois être opérée mais je manque d’argent. Pouvez-vous m’aider s’il vous plaît ? » Prise de compassion, la dame lui remet 10.000 francs Cfa, mais s’en veut parce qu’elle ne peut donner une plus grosse somme à cette pauvre fille qui a l’air de souffrir.

Les ‘‘mendiants de mariage’’
Mairie du Plateau. Samedi 8 mai 2010. Il est bientôt 11 heures. L’heure du prochain mariage. L’atmosphère est belle, joyeuse… presque parfaite ! A côté des invités, il y a des « autos-invités » d’un autre genre qui font leur apparition. Ce sont des mendiants. D’un style tout autre que celui qu’on a l’habitude de voir aux différents carrefours de la ville. Leurs spécialités, les « atalakus » (concept musical ivoirien « piqué » aux Congolais dont le but est de faire des éloges et des louanges à quelqu’un dans le but de lui soutirer quelques billets ou pièces). Discrètement, ces mendiants infiltrent les groupes. Après avoir repéré des cibles contre toute attente, ces quidams se mettent à chanter les louanges des nouveaux mariés. Les paroles sont dites le plus souvent en Dioula (langue locale) et en réclamant un billet. Le comble, c’est leur insistance car, ils vont parfois jusqu’à se plaindre ou exiger un billet précis ! En les regardant chanter, on pourrait dire que chacun fait son (petit) métier. Si les gens charitables ne font pas la différence entre les mendiants permanents par nécessité et les occasionnels, les premiers voient d’un mauvais œil l’arrivée des seconds qui, estiment-ils, leur ôteront le pain de la bouche.*

E. Djako
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