La Côte d'Ivoire vient de surmonter l'une des crises les plus aiguës du processus de sortie de crise. Eclairages sur des jours brumeux qui auraient pu voir le pays basculer dans le chaos.
Une page de l'histoire de la Côte d'Ivoire s'est tournée lundi. En se rendant au domicile du président du Rassemblement des républicains (Rdr), après avoir effectué la même démarche une semaine plus tôt, avec celui du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (Pdci), le président de la République a brisé un mur de pierres. Celui qui empêchait les principaux leaders politiques de s'asseoir autour d'une même table pour parler du pays, sans médiateur ou facilitateur. Si avec Alassane Ouattara un tête-à-tête avait eu lieu, il y a deux ans, le dialogue direct avec Henri Konan Bédié était le premier du genre. Comment est-on arrivé à ce dégel soudain alors que tous les voyants de la vie politique étaient au rouge?
La reprise du contentieux sur la liste électorale achoppait sur les revendications du camp présidentiel. L'opposition refusant toute remise en cause de la liste provisoire dite blanche sur laquelle sont inscrites 5.300.000 personnes. Alors que le camp présidentiel criait à la fraude et s'arc-boutait sur des revendications. Guillaume Soro engage sans délai des consultations pour concilier les différentes positions. Le Premier ministre envoie son directeur de cabinet adjoint, Paul Koffi Koffi, rencontrer les différents partis. Cette tournée aboutit à un accord sur le découplage de la liste électorale. Le contentieux devait reprendre par la liste dite grise des 1.033.000 personnes qui avaient à justifier leur droit de figurer sur la liste électorale provisoire.
Mais, dès la publication du communiqué conjoint du Premier ministre et du président de la Commission électorale indépendante (Cei) appelant à la reprise du contentieux pour le 10 mai, l'opposition se braque. Ce blocage survient dans un climat socio-politique alourdi par la marche projetée par les jeunes du Rhdp pour le 15 mai.
Il devenait évident que la relance du processus électoral passait par la levée du blocus de l'opposition dont la jeunesse était, prête à en découdre.
Pour Guillaume Soro, il devenait urgent d'agir au risque de voir l'Accord politique de Ouagadougou (Apo) prendre l'eau de toutes parts. Le mercredi 4 mai, il rencontre le chef de l'Etat avec qui il partage sa vision de la crise. Laurent Gbagbo tient au règlement de tous les cas de fraude que ses hommes ont compilés. Il est disposé à rencontrer le président du Pdci dans le cadre d'un dialogue républicain. Des proches d'Henri Konan Bédié sont contactés. Le vendredi 7 mai, Guillaume Soro se rend chez M. Bédié qui montre son intérêt à cette initiative. Le même jour, le Premier ministre rencontre les jeunes du Rhdp à qui il fait partager ses craintes quant au dérapage possible de leur marche. Une lueur d'espoir naît. Retour chez M. Bédié dans la soirée, en compagnie du représentant du facilitateur, Bouréima Badini. Cette fois, le sphinx de Daoukro donne son accord, sans condition. Rendez-vous est pris pour le lundi chez M. Badini. Grincements de dents de ceux qui estiment qu'un tel dialogue doit se tenir dans un cadre plus local. Guillaume Soro arrive à vaincre les dernières réticences de Laurent Gbagbo qui consent, dans un sursaut d'humilité, à se rendre au domicile de son opposant. La suite, on la connaît.
Après le succès de ce tête-à-tête, le premier du genre depuis 6 ans, le Premier ministre convainc le président de la République de répéter l'exercice avec le président du Rdr (voir Nord-Sud n° 1499 du lundi 17 mai).
Dès le retour d'Alassane Ouattara de France, le samedi 8 mai, Guillaume Soro va échanger avec lui sur le blocage autour de la liste et la question de la marche. Il lui fait part de ses réserves sur la marche et les conditions pratiques de son organisation. Le président du Rdr partage ses inquiétudes sur la manifestation. Le processus du report de la marche du 15 mai est alors bien engagé. Pour convaincre un Laurent Gbagbo hésitant, Guillaume Soro insiste sur la nécessité de tourner définitivement la page de la confrontation pour sauver l'Apo. L'action discrète de la facilitation burkinabé contribue à permettre le rendez-vous du lundi 17 mai.
La méthode Soro
Au sortir de ce qu'il convient d'appeler la ''crise du 15 mai'', il est manifeste que Guillaume Soro a renforcé un peu plus le rôle d'arbitre qui lui est si cher. Si pour une raison ou une autre, l'un ou l'autre des camps en présence voulait le voir disparaître, force est de constater qu'il est devenu une sorte de régulateur de l'activité politique. Il a appris à gérer les revendications des uns et des autres avec pour objectif d'aboutir aux élections libres, transparentes, apaisées tant attendues par le pays. Ce rôle d'arbitre, il l'a construit au fil des évènements en privilégiant le dialogue et la recherche constante de la confiance. « Ce qui est de ma responsabilité, c'est de faire en sorte qu'aussi bien le Fpi que le Pdci ou le Rdr aient confiance dans l'action que nous menons. Donc, l'action que nous menons doit être concrète, transparente, limpide. Pour que, aussi bien au-delà ou dans les divergences idéologiques ou politiques, chacun puisse trouver satisfaction », expliquait-il en juin 2009 dans une interview à la télévision nationale.
Et, c'est avec beaucoup de surprise que bien d'observateurs ont vu le Premier ministre sortir vif et hardi de la grave crise qui a ballotté le processus de paix entre janvier et février derniers. L'affaire des ''429.000 enrôlés'' qui a emporté la Cei et le gouvernement posait un défi majeur au leader des Forces nouvelles (ex-rébellion). D'un côté, il y a le chef de l'Etat avec qui il a signé l'Apo et qui a perdu confiance. De l'autre, il doit gérer une opposition désabusée qui a pris la rue pour sa planche de salut. Il faut beaucoup de doigté pour empêcher le chef de l'Etat d'envoyer le dossier au pénal et, pour tempérer les appels à la défiance de l'opposition.
L'arrivée à Abidjan du président burkinabé, Blaise Compaoré, permettra de sauver l'Accord. Mais, il faudra trois semaines à Guillaume Soro pour mettre sur pied un nouveau gouvernement conforme aux accords de paix signés depuis 2003. Beaucoup de fidèles du président de la République battaient campagne pour un gouvernement réservé aux deux signataires de l'Apo. Quant à la nouvelle Cei, le camp présidentiel entendait la rééquilibrer au détriment de l'opposition. Sur tous ces points, le Premier ministre a fini par obtenir le respect des accords par toutes les parties. Le répit sera de courte durée. Le front se rallumant avec la crise du contentieux et de la marche du 15 mai qui a connu son dénouement par le dialogue républicain.
Dialogue, recherche de la confiance et du consensus, mais aussi conviction que la violence ne peut pas régler les contradictions. Une vraie mue pour celui qui a fait le coup de feu en septembre 2002. C'est sans doute là qu'il faut rechercher la force qui l'a poussé à poursuivre l'installation des magistrats à Bouaké, quelques heures après l'attentat contre son avion, le 29 juin 2007. « J'avais dit à Mangou (…) que je ne sais pas si je serais là pour voir la fin de la paix (…) Quel que soit ce qui arrive, on ne doit pas reculer et je veux qu'on continue jusqu'au bout de ce processus…
Il faut que vous alliez jusqu'à la paix. C'est pour le pays, ce n'est pas pour des individus. Le pays est au-delà des hommes, des partis politiques, des syndicats ; le pays doit demeurer et vous avez pour mission de consacrer une partie de votre vie pour préserver le pays», invitait-il plus tard ses chefs militaires après l'attentat.
Kesy B. Jacob
Une page de l'histoire de la Côte d'Ivoire s'est tournée lundi. En se rendant au domicile du président du Rassemblement des républicains (Rdr), après avoir effectué la même démarche une semaine plus tôt, avec celui du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (Pdci), le président de la République a brisé un mur de pierres. Celui qui empêchait les principaux leaders politiques de s'asseoir autour d'une même table pour parler du pays, sans médiateur ou facilitateur. Si avec Alassane Ouattara un tête-à-tête avait eu lieu, il y a deux ans, le dialogue direct avec Henri Konan Bédié était le premier du genre. Comment est-on arrivé à ce dégel soudain alors que tous les voyants de la vie politique étaient au rouge?
La reprise du contentieux sur la liste électorale achoppait sur les revendications du camp présidentiel. L'opposition refusant toute remise en cause de la liste provisoire dite blanche sur laquelle sont inscrites 5.300.000 personnes. Alors que le camp présidentiel criait à la fraude et s'arc-boutait sur des revendications. Guillaume Soro engage sans délai des consultations pour concilier les différentes positions. Le Premier ministre envoie son directeur de cabinet adjoint, Paul Koffi Koffi, rencontrer les différents partis. Cette tournée aboutit à un accord sur le découplage de la liste électorale. Le contentieux devait reprendre par la liste dite grise des 1.033.000 personnes qui avaient à justifier leur droit de figurer sur la liste électorale provisoire.
Mais, dès la publication du communiqué conjoint du Premier ministre et du président de la Commission électorale indépendante (Cei) appelant à la reprise du contentieux pour le 10 mai, l'opposition se braque. Ce blocage survient dans un climat socio-politique alourdi par la marche projetée par les jeunes du Rhdp pour le 15 mai.
Il devenait évident que la relance du processus électoral passait par la levée du blocus de l'opposition dont la jeunesse était, prête à en découdre.
Pour Guillaume Soro, il devenait urgent d'agir au risque de voir l'Accord politique de Ouagadougou (Apo) prendre l'eau de toutes parts. Le mercredi 4 mai, il rencontre le chef de l'Etat avec qui il partage sa vision de la crise. Laurent Gbagbo tient au règlement de tous les cas de fraude que ses hommes ont compilés. Il est disposé à rencontrer le président du Pdci dans le cadre d'un dialogue républicain. Des proches d'Henri Konan Bédié sont contactés. Le vendredi 7 mai, Guillaume Soro se rend chez M. Bédié qui montre son intérêt à cette initiative. Le même jour, le Premier ministre rencontre les jeunes du Rhdp à qui il fait partager ses craintes quant au dérapage possible de leur marche. Une lueur d'espoir naît. Retour chez M. Bédié dans la soirée, en compagnie du représentant du facilitateur, Bouréima Badini. Cette fois, le sphinx de Daoukro donne son accord, sans condition. Rendez-vous est pris pour le lundi chez M. Badini. Grincements de dents de ceux qui estiment qu'un tel dialogue doit se tenir dans un cadre plus local. Guillaume Soro arrive à vaincre les dernières réticences de Laurent Gbagbo qui consent, dans un sursaut d'humilité, à se rendre au domicile de son opposant. La suite, on la connaît.
Après le succès de ce tête-à-tête, le premier du genre depuis 6 ans, le Premier ministre convainc le président de la République de répéter l'exercice avec le président du Rdr (voir Nord-Sud n° 1499 du lundi 17 mai).
Dès le retour d'Alassane Ouattara de France, le samedi 8 mai, Guillaume Soro va échanger avec lui sur le blocage autour de la liste et la question de la marche. Il lui fait part de ses réserves sur la marche et les conditions pratiques de son organisation. Le président du Rdr partage ses inquiétudes sur la manifestation. Le processus du report de la marche du 15 mai est alors bien engagé. Pour convaincre un Laurent Gbagbo hésitant, Guillaume Soro insiste sur la nécessité de tourner définitivement la page de la confrontation pour sauver l'Apo. L'action discrète de la facilitation burkinabé contribue à permettre le rendez-vous du lundi 17 mai.
La méthode Soro
Au sortir de ce qu'il convient d'appeler la ''crise du 15 mai'', il est manifeste que Guillaume Soro a renforcé un peu plus le rôle d'arbitre qui lui est si cher. Si pour une raison ou une autre, l'un ou l'autre des camps en présence voulait le voir disparaître, force est de constater qu'il est devenu une sorte de régulateur de l'activité politique. Il a appris à gérer les revendications des uns et des autres avec pour objectif d'aboutir aux élections libres, transparentes, apaisées tant attendues par le pays. Ce rôle d'arbitre, il l'a construit au fil des évènements en privilégiant le dialogue et la recherche constante de la confiance. « Ce qui est de ma responsabilité, c'est de faire en sorte qu'aussi bien le Fpi que le Pdci ou le Rdr aient confiance dans l'action que nous menons. Donc, l'action que nous menons doit être concrète, transparente, limpide. Pour que, aussi bien au-delà ou dans les divergences idéologiques ou politiques, chacun puisse trouver satisfaction », expliquait-il en juin 2009 dans une interview à la télévision nationale.
Et, c'est avec beaucoup de surprise que bien d'observateurs ont vu le Premier ministre sortir vif et hardi de la grave crise qui a ballotté le processus de paix entre janvier et février derniers. L'affaire des ''429.000 enrôlés'' qui a emporté la Cei et le gouvernement posait un défi majeur au leader des Forces nouvelles (ex-rébellion). D'un côté, il y a le chef de l'Etat avec qui il a signé l'Apo et qui a perdu confiance. De l'autre, il doit gérer une opposition désabusée qui a pris la rue pour sa planche de salut. Il faut beaucoup de doigté pour empêcher le chef de l'Etat d'envoyer le dossier au pénal et, pour tempérer les appels à la défiance de l'opposition.
L'arrivée à Abidjan du président burkinabé, Blaise Compaoré, permettra de sauver l'Accord. Mais, il faudra trois semaines à Guillaume Soro pour mettre sur pied un nouveau gouvernement conforme aux accords de paix signés depuis 2003. Beaucoup de fidèles du président de la République battaient campagne pour un gouvernement réservé aux deux signataires de l'Apo. Quant à la nouvelle Cei, le camp présidentiel entendait la rééquilibrer au détriment de l'opposition. Sur tous ces points, le Premier ministre a fini par obtenir le respect des accords par toutes les parties. Le répit sera de courte durée. Le front se rallumant avec la crise du contentieux et de la marche du 15 mai qui a connu son dénouement par le dialogue républicain.
Dialogue, recherche de la confiance et du consensus, mais aussi conviction que la violence ne peut pas régler les contradictions. Une vraie mue pour celui qui a fait le coup de feu en septembre 2002. C'est sans doute là qu'il faut rechercher la force qui l'a poussé à poursuivre l'installation des magistrats à Bouaké, quelques heures après l'attentat contre son avion, le 29 juin 2007. « J'avais dit à Mangou (…) que je ne sais pas si je serais là pour voir la fin de la paix (…) Quel que soit ce qui arrive, on ne doit pas reculer et je veux qu'on continue jusqu'au bout de ce processus…
Il faut que vous alliez jusqu'à la paix. C'est pour le pays, ce n'est pas pour des individus. Le pays est au-delà des hommes, des partis politiques, des syndicats ; le pays doit demeurer et vous avez pour mission de consacrer une partie de votre vie pour préserver le pays», invitait-il plus tard ses chefs militaires après l'attentat.
Kesy B. Jacob