Dans le monde, mais surtout en Afrique, des personnes pratiquent la dépigmentation volontaire. S’en suivent des cancers de la peau et des organes vitaux. A Genève l’Hospice général organise un atelier de sensibilisation pour les requérantes d’asile africaines, alors que l’OMS refuse d’y voir un problème de santé publique.
« Femme nue, femme noire, Vêtue de ta couleur qui est vie, … » *
Comment ne pas penser aux vers du chantre de la négritude, Léopold Sédar Senghor, en constatant la propagation du phénomène de la dépigmentation artificielle ? Cette mode se répand dans le monde, surtout en Afrique, au mépris de ses conséquences pour la santé. Car les rêves de « teint clair » virent généralement vite au cauchemar.
Dans le monde
A l’heure actuelle, il est impossible de donner un chiffre, même approximatif, sur le nombre de personnes qui pratique le blanchiment volontaire dans le monde.
Effectivement, l’éclaircissement n`est pas forcément un phénomène lié à l’héritage colonial ou aux discriminations. Il témoigne surtout de l’uniformisation des critères de beauté. C’est ainsi qu’il touche aussi les femmes du Moyen-Orient, d’Asie et d’Amérique. D’après une étude effectuée en 2004 par la société Synovate, près de 40% des femmes originaires de Taïwan, d`Hong Kong, de Corée du Sud, de Malaisie et des Philippines sont utilisatrices de cosmétiques blanchissants.
Un fléau entré dans les mœurs africaines
Mais, la partie du globe qui semble la plus touchée est le continent africain car les populations qui s’adonnent à cette pratique sont pauvres et utilisent donc des mixtures constituées à base de produits bons marchés très corrosifs. Les dégâts sur la peau noire sont ainsi plus graves et visibles.
Le malheur est que ce fléau soit entré dans les mœurs africaines à tel point que des termes précis désignent l’acte d’éclaircissement volontaire au moyen de substances chimiques : Maquillage aux Congos et au Cameroun, Dorot au Niger, Khessal au Sénégal, Tcha-tcho au Mali, Bojou au Bénin, Ambi au Gabon, Akonti au Togo.
En RD Congo, Francine Mbuya, dermatologue à la Clinique kinoise de Kinshasa, note que les utilisateurs de ces produits – hommes et femmes confondus- représentent plus de la moitié de la population de Kinshasa (soit 5 millions d’habitants). Car comme l’a révélé la dermatologue sénégalaise Fatima Ly, présidente de l’Association internationale d’information sur la dépigmentation artificielle (AIIDA), au cours d’une conférence en janvier 2010, « une femme sur deux, au Sénégal, pratique la dépigmentation artificielle et en ignore les conséquences ».
Quant au dermatologue camerounais Ngol Eitel, il a affirmé en marge du 27e Congrès International de l’Association des dermatologues francophones (fevrier 2009) que «le blanchiment de la peau touchait 20% de la population camerounaise, dont une majorité de femmes et de jeunes ».
La situation en Suisse
En Suisse aucune étude précise n’a été effectuée sur l’étendue du problème. Mais certaines personnes confrontées à ce phénomène par leur métier, ont décidées de réagir.
C’est le cas, à Genève, de Catherine Tetteh, esthéticienne, propriétaire de l’Institut Guerlain et cheffe de file de la lutte contre le blanchiment de la peau en Suisse.
« Pour comprendre l’importance des effets », explique t’elle, « il faut savoir que les cosmétiques éclaircissants le teint se classent en trois groupes : ceux fabriqués à base d’hydroquinone (Fair & Lovely, L’Abidjanaise, H2o…), de corticoïdes (Diprosone, Clonovate, Movate…), de mercure (Mekako, Trois Fleurs d`Orient, Skinguard…) ».
Ces substances « ont la propriété de stopper la fabrication de la mélanine, responsable de la pigmentation qui protège la peau des agressions externes. Sa destruction engendre donc de très graves complications!».
Catherine Tetteh insiste : «Tous ces produits provoquent bien des dégâts : acné, troubles de la pigmentation, vergetures irréversibles, insuffisance rénale, diabète, hypertension artérielle, grossissement, augmentation de la pilosité, mauvaises odeurs corporelles, cancer de la peau, problèmes gynécologiques, stérilité…»
«Ils peuvent avoir des effets sur le système nerveux central », poursuit la spécialiste togolaise, « et déclencher des excitations ou des dépressions. Quant à la cortisone, elle dénature la peau, empêche la cicatrisation et favorise les infections. »
L’Hospice général réagit
Egalement confrontées aux réalités du terrain, deux assistantes sociales, Jeanne Gribi et Lefteri Hasanaj, travaillant à l’Unité d’accompagnement du Foyer de Saconnex (Hospice général- ARA) ont pris l’initiative de proposer à leur hiérarchie l’organisation d’un atelier sur le thème de la dépigmentation artificielle.
A titre de prévention et d’information sur les risques encourus, elles réuniront le 28 juin des requérantes d’asile d’origine africaine autour de Catherine Tetteh, du docteur Andrew Kunz et de Muriel Golay, directrice du Service pour la promotion de l’égalité entre homme et femme (SPPE). Cette dernière compte mettre en avant le poids social qui pèse sur les épaules des femmes en général, en termes de beauté, afin de correspondre à l’image véhiculée par les médias. Il ne s’agit pas de stigmatiser mais d’informer.
Un problème de santé publique
Depuis plus de 10 ans, des membres de la société civile se lèvent à travers le monde pour attirer l’attention des pouvoirs publics et de l’Organisation Mondiale de la Santé sur ce fléau.
Pour Catherine Tetteh, « il serait utile de former les dermatologues aux symptômes découlant de cet acte car le déni de la pratique est fréquent. De plus, les femmes qui utilisent des produits éclaircissants pour unifier leur teint ne se considèrent pas comme adeptes du blanchiment. C’est un sujet tabou ! » Le docteur Antoine Petit, dermatologue, qui dirige une consultation –peaux noires- à l’hôpital Saint-Louis de Paris, abonde dans ce sens et déclare qu’ « il ne faut pas négliger la dimension adictive de la dépigmentation volontaire. Mais rien n’est fait pour interdire la fabrication et la commercialisation de ces cosmétiques.
Contactée, l’OMS déclare qu’elle « n’a pas de programme qui s’intéresse à cette pratique parce que les produits utilisés ne sont pas des produits pharmaceutiques ou des médicaments, mais plutôt des produits à visée cosmétique.»
Catherine FIANKAN-BOKONGA / Infosud
* : (Femme noire, extrait du recueil Chants d’ombre, 1945)
ENCADRE : Un marché mondial juteux
La Chine, l’Union Européenne et la Suisse sont les régions qui ont interdits l’utilisation de l’hydroquinone dans les cosmétiques. Les produits de blanchiment de peau fabriqués dans le reste du monde ne sont pas soumis à la même législation. Ils font donc l’objet d’un trafic persistant depuis plusieurs années. Ils sont acheminés et vendus de manière illégale. En 2006, les douanes du Havre ont réalisé une saisie record: 15 tonnes de crèmes et de médicaments dans deux bateaux en provenance d`Afrique. Mais le web demeure l’outil de prédilection des vendeurs de produits éclaircissants. Une opération internationale contre le trafic illégal en ligne a eu lieu en Suisse en novembre 2009. Les autorités suisses et 26 pays ont participé à cette action qui a entrainé la fermeture de 72 sites. A la même période les autorités belges se sont attaquées à la vente, sous le manteau, des produits éclaircissants en traquant systématiquement les vendeurs. Selon Swissmedic, autorité suisse de contrôle et d`autorisation des produits thérapeutiques, les produits destinés à la dépigmentation de la peau arrivent en troisième position au hit-parade des produits illégaux importés.
Le marché qui draine plusieurs milliards de dollars par an est tellement juteux que les grandes marques de cosmétiques (Nivea, Kanebo, Dior, Unilever…) ont développé des produits pour répondre à l’attente de la clientèle. Le leader mondial des cosmétiques, l’Oréal (4,7 milliards d’Euros au premier trimestre 2010), l’a bien compris car, par l`intermédiaire de certaines de ses marques, il est le chef de file des vendeurs de crèmes blanchissantes en Asie (L’Oréal Paris White perfect, Bi-White de Vichy, Blanc expert de Lancôme).
Catherine Fiankan-Bokonga
Catherine Fiankan-Bokonga
Journaliste,
Accréditée au Palais des Nations Unies
Salle de Presse 1
1211 Genève 10; Suisse
« Femme nue, femme noire, Vêtue de ta couleur qui est vie, … » *
Comment ne pas penser aux vers du chantre de la négritude, Léopold Sédar Senghor, en constatant la propagation du phénomène de la dépigmentation artificielle ? Cette mode se répand dans le monde, surtout en Afrique, au mépris de ses conséquences pour la santé. Car les rêves de « teint clair » virent généralement vite au cauchemar.
Dans le monde
A l’heure actuelle, il est impossible de donner un chiffre, même approximatif, sur le nombre de personnes qui pratique le blanchiment volontaire dans le monde.
Effectivement, l’éclaircissement n`est pas forcément un phénomène lié à l’héritage colonial ou aux discriminations. Il témoigne surtout de l’uniformisation des critères de beauté. C’est ainsi qu’il touche aussi les femmes du Moyen-Orient, d’Asie et d’Amérique. D’après une étude effectuée en 2004 par la société Synovate, près de 40% des femmes originaires de Taïwan, d`Hong Kong, de Corée du Sud, de Malaisie et des Philippines sont utilisatrices de cosmétiques blanchissants.
Un fléau entré dans les mœurs africaines
Mais, la partie du globe qui semble la plus touchée est le continent africain car les populations qui s’adonnent à cette pratique sont pauvres et utilisent donc des mixtures constituées à base de produits bons marchés très corrosifs. Les dégâts sur la peau noire sont ainsi plus graves et visibles.
Le malheur est que ce fléau soit entré dans les mœurs africaines à tel point que des termes précis désignent l’acte d’éclaircissement volontaire au moyen de substances chimiques : Maquillage aux Congos et au Cameroun, Dorot au Niger, Khessal au Sénégal, Tcha-tcho au Mali, Bojou au Bénin, Ambi au Gabon, Akonti au Togo.
En RD Congo, Francine Mbuya, dermatologue à la Clinique kinoise de Kinshasa, note que les utilisateurs de ces produits – hommes et femmes confondus- représentent plus de la moitié de la population de Kinshasa (soit 5 millions d’habitants). Car comme l’a révélé la dermatologue sénégalaise Fatima Ly, présidente de l’Association internationale d’information sur la dépigmentation artificielle (AIIDA), au cours d’une conférence en janvier 2010, « une femme sur deux, au Sénégal, pratique la dépigmentation artificielle et en ignore les conséquences ».
Quant au dermatologue camerounais Ngol Eitel, il a affirmé en marge du 27e Congrès International de l’Association des dermatologues francophones (fevrier 2009) que «le blanchiment de la peau touchait 20% de la population camerounaise, dont une majorité de femmes et de jeunes ».
La situation en Suisse
En Suisse aucune étude précise n’a été effectuée sur l’étendue du problème. Mais certaines personnes confrontées à ce phénomène par leur métier, ont décidées de réagir.
C’est le cas, à Genève, de Catherine Tetteh, esthéticienne, propriétaire de l’Institut Guerlain et cheffe de file de la lutte contre le blanchiment de la peau en Suisse.
« Pour comprendre l’importance des effets », explique t’elle, « il faut savoir que les cosmétiques éclaircissants le teint se classent en trois groupes : ceux fabriqués à base d’hydroquinone (Fair & Lovely, L’Abidjanaise, H2o…), de corticoïdes (Diprosone, Clonovate, Movate…), de mercure (Mekako, Trois Fleurs d`Orient, Skinguard…) ».
Ces substances « ont la propriété de stopper la fabrication de la mélanine, responsable de la pigmentation qui protège la peau des agressions externes. Sa destruction engendre donc de très graves complications!».
Catherine Tetteh insiste : «Tous ces produits provoquent bien des dégâts : acné, troubles de la pigmentation, vergetures irréversibles, insuffisance rénale, diabète, hypertension artérielle, grossissement, augmentation de la pilosité, mauvaises odeurs corporelles, cancer de la peau, problèmes gynécologiques, stérilité…»
«Ils peuvent avoir des effets sur le système nerveux central », poursuit la spécialiste togolaise, « et déclencher des excitations ou des dépressions. Quant à la cortisone, elle dénature la peau, empêche la cicatrisation et favorise les infections. »
L’Hospice général réagit
Egalement confrontées aux réalités du terrain, deux assistantes sociales, Jeanne Gribi et Lefteri Hasanaj, travaillant à l’Unité d’accompagnement du Foyer de Saconnex (Hospice général- ARA) ont pris l’initiative de proposer à leur hiérarchie l’organisation d’un atelier sur le thème de la dépigmentation artificielle.
A titre de prévention et d’information sur les risques encourus, elles réuniront le 28 juin des requérantes d’asile d’origine africaine autour de Catherine Tetteh, du docteur Andrew Kunz et de Muriel Golay, directrice du Service pour la promotion de l’égalité entre homme et femme (SPPE). Cette dernière compte mettre en avant le poids social qui pèse sur les épaules des femmes en général, en termes de beauté, afin de correspondre à l’image véhiculée par les médias. Il ne s’agit pas de stigmatiser mais d’informer.
Un problème de santé publique
Depuis plus de 10 ans, des membres de la société civile se lèvent à travers le monde pour attirer l’attention des pouvoirs publics et de l’Organisation Mondiale de la Santé sur ce fléau.
Pour Catherine Tetteh, « il serait utile de former les dermatologues aux symptômes découlant de cet acte car le déni de la pratique est fréquent. De plus, les femmes qui utilisent des produits éclaircissants pour unifier leur teint ne se considèrent pas comme adeptes du blanchiment. C’est un sujet tabou ! » Le docteur Antoine Petit, dermatologue, qui dirige une consultation –peaux noires- à l’hôpital Saint-Louis de Paris, abonde dans ce sens et déclare qu’ « il ne faut pas négliger la dimension adictive de la dépigmentation volontaire. Mais rien n’est fait pour interdire la fabrication et la commercialisation de ces cosmétiques.
Contactée, l’OMS déclare qu’elle « n’a pas de programme qui s’intéresse à cette pratique parce que les produits utilisés ne sont pas des produits pharmaceutiques ou des médicaments, mais plutôt des produits à visée cosmétique.»
Catherine FIANKAN-BOKONGA / Infosud
* : (Femme noire, extrait du recueil Chants d’ombre, 1945)
ENCADRE : Un marché mondial juteux
La Chine, l’Union Européenne et la Suisse sont les régions qui ont interdits l’utilisation de l’hydroquinone dans les cosmétiques. Les produits de blanchiment de peau fabriqués dans le reste du monde ne sont pas soumis à la même législation. Ils font donc l’objet d’un trafic persistant depuis plusieurs années. Ils sont acheminés et vendus de manière illégale. En 2006, les douanes du Havre ont réalisé une saisie record: 15 tonnes de crèmes et de médicaments dans deux bateaux en provenance d`Afrique. Mais le web demeure l’outil de prédilection des vendeurs de produits éclaircissants. Une opération internationale contre le trafic illégal en ligne a eu lieu en Suisse en novembre 2009. Les autorités suisses et 26 pays ont participé à cette action qui a entrainé la fermeture de 72 sites. A la même période les autorités belges se sont attaquées à la vente, sous le manteau, des produits éclaircissants en traquant systématiquement les vendeurs. Selon Swissmedic, autorité suisse de contrôle et d`autorisation des produits thérapeutiques, les produits destinés à la dépigmentation de la peau arrivent en troisième position au hit-parade des produits illégaux importés.
Le marché qui draine plusieurs milliards de dollars par an est tellement juteux que les grandes marques de cosmétiques (Nivea, Kanebo, Dior, Unilever…) ont développé des produits pour répondre à l’attente de la clientèle. Le leader mondial des cosmétiques, l’Oréal (4,7 milliards d’Euros au premier trimestre 2010), l’a bien compris car, par l`intermédiaire de certaines de ses marques, il est le chef de file des vendeurs de crèmes blanchissantes en Asie (L’Oréal Paris White perfect, Bi-White de Vichy, Blanc expert de Lancôme).
Catherine Fiankan-Bokonga
Catherine Fiankan-Bokonga
Journaliste,
Accréditée au Palais des Nations Unies
Salle de Presse 1
1211 Genève 10; Suisse