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Politique Publié le lundi 14 juin 2010 | Nord-Sud

Pr Ouraga Obou (Fpi) : "Gbagbo est un dictateur constitutionnel”

© Nord-Sud Par Emma
1er mai - Les travailleurs présentent leurs doléances au président Laurent Gbagbo
Samedi 1er mai 2010. Abidjan, Palais présidentiel du Plateau. Le président Gbagbo assiste au défilé des travailleurs et à la présentation de leurs doléances
Après la commémoration du 20e anniversaire de la ``fête de la liberté`` du Front populaire ivoirien (Fpi) et après le colloque organisé du 2 au 4 juin dernier par la Convention de la société civile ivoirienne (Csci), Nord-Sud Quotidien ouvre le débat. La Côte d`Ivoire, peut-elle, après 20 ans de multipartisme prétendre être un pays démocratique ? Qu`a-t-elle pu réussir ? Quels sont les échecs qu`elle a connus ? Qu`est-ce qu`il faut parfaire ? Autant de questions auxquelles des intellectuels et des hommes politiques ont accepté d`apporter des réponses. Le premier à monter au créneau est le Pr Ouraga Obou qui fait d`intéressantes révélations sur la marche démocratique de la Côte d`Ivoire.

Depuis 1990, la Côte d`Ivoire a renoué avec le multipartisme. Pour le célébrer, le Front populaire ivoirien (Fpi) a instauré la fête de la liberté. Que pensez-vous de cette fête ?
Sur le principe de la fête de la liberté, on constate que celle-ci correspond pour nous à la commémoration de l`instauration en 1990 du multipartisme comme une chose inespérée en Côte d`Ivoire. En effet, depuis la période coloniale, la Côte d`Ivoire n`avait jamais vécu sous le joug du parti unique. Et dès l`indépendance, le multipartisme a été inscrit dans notre Constitution aux termes de son article 7. Mais, dit-on, pour des raisons de recherche de l`unité nationale, le parti unique nous a été imposé. C`était tellement devenu une réalité que le parti unique s`était enraciné dans le subconscient des uns et des autres. Au point qu`en 1967, lorsque Kragbé Gnagbé a exigé le multipartisme, le bureau politique du Parti démocratique de Côte d`Ivoire (Pdci), s`est réuni et l`a déclaré fou. Disant qu`il était juste bon pour l`asile. Et ce, sous la plume du rédacteur en chef du journal unique de l`époque. Pour nous autres qui avons milité longtemps dans la clandestinité, nous avons été pratiquement surpris par l`aboutissement heureux de notre lutte. A partir de cet instant, nous en avons fait une date anniversaire et de signification politique pour la liberté. Il s`agit de commémorer une date. Le passage de la réalité du parti unique, synonyme de pensée unique, du culte de l`infaillibilité au multipartisme, symbole de la liberté et la démocratie.
Cela doit être une date qui rappelle constamment que nous sommes des combattants de la liberté. Mais en la matière, nous devons constamment faire notre bilan. Un bilan critique et autocritique en ce qui touche la conquête et l`exercice de la liberté et la démocratie. Car aucune liberté n`est jamais définitivement acquise. Il en est de même pour la démocratie. A la limite, ce sont en fait, deux valeurs inséparables et en perpétuel devenir. Et le chemin qui conduit à l`une ou à l`autre est souvent sinueux.

Au moment où le Fpi célèbre les 20 ans de cette fête, peut-on dire que le pays est sur la voie de la démocratie?
La voie qui mène à la démocratie n`est pas forcément rectiligne. Tout comme celle qui mène au paradis n`est jamais en ligne directe. La démocratie est difficile à obtenir et à réaliser. Le régime politique le plus facile est la dictature. Parce que quand vous dites ce qui ne plait pas au prince, on a coutume de vous mettre en prison. Or, la démocratie est une contradiction. On est en droit de dire à la personne qui est au pouvoir des choses qu`elle n`aimerait pas entendre. Et pourtant, elle doit les entendre sans que son auteur ne soit inquiété dans sa vie quotidienne. Pourvu que celui-ci agisse dans les limites fixées par la loi.
Quant au bilan, il est contrasté. Car la démocratie a souvent été mal comprise et mal vécue par les acteurs. Elle n`a que 20 ans. Donc en dépit de quelques dérives, on ne peut pas dire que le bilan est totalement négatif. Il y a eu des acquis. Malgré des échecs et quelques déceptions, il faut de façon irréversible, continuer dans le sens de la conquête et l`exercice de la démocratie. Pour preuve, ceux qui combattaient, hier, la liberté et la démocratie, une fois dans l`opposition, découvrent leurs vertus.

Quels sont les ratés et que doit-on faire pour reprendre le bon chemin ?
Je ne peux pas faire un bilan exhaustif.

Pouvez-vous donner quelques exemples ?
Au niveau de la presse, la langue est déliée et elle l`est parfois trop. En ce qui concerne les journalistes, certains se croient permis de tout dire et tout en même temps. Alors que, à mon sens, la liberté appelle aussi un sens de devoir. Certes, sur cette question, je suis d`accord avec le président Laurent Gbagbo de ne plus mettre les journalistes en prison pour délit d`opinion. Mais, l`amende doit rappeler aux journalistes qu`ils ont un devoir. Sinon on se rapprocherait de l`animalité, synonyme d`impunité.
De l`autre côté, il y a les acteurs politiques. Il faut que ceux-ci comprennent que le pouvoir qu`ils détiennent est nécessairement limité dans le temps et dans son contenu. On est au pouvoir pour une période donnée. Et lorsqu`on l`acquiert, on accomplit une mission de service public. Celui qui va à sa conquête, peut ne pas le gagner. Ce n`est pas parce qu`on est candidat, qu`on sera forcément élu. Et celui qui est candidat à une élection, soit il gagne, soit il perd. Ce qui n`est pas suffisamment compris. Malheureusement, la violence n`a pas encore disparu de notre société. Cette violence entache le processus électoral. Elle est surtout très forte chez les jeunes dont certains se considèrent totalement impunis. Or la jeunesse, synonyme de dirigeants de demain, devrait renoncer à la violence. Renonçons définitivement au coup d`Etat ou prise du pouvoir sans le droit. Enfin, celui qui détient le pouvoir doit se conformer à la constitution, symbole de limitation de ses prérogatives.
On a aussi le combat pour l`émancipation et la promotion de la femme. Il faut que la société contribue davantage à l`émancipation et à la promotion de la femme, à l`éducation de la jeune fille. Il faut que la jeune fille parte à l`école et qu`elle ait les mêmes droits que les garçons pour pouvoir être compétitive. On devrait rendre obligatoire la scolarisation de la petite fille. De plus, il faut éliminer toutes les formes de violence et pratiques qui avilissent la femme (excision, violence domestique et conjugale, mariage précoce, harcèlement sexuel, proxénétisme, etc.)
Par ailleurs, il est aussi frappant de constater que les gens ne respectent pas toujours le droit. Pour certains, le droit ne vaut que quand ça les arrange. On l`instrumentalise. Or, la règle de droit est par définition impersonnelle et obligatoire. Donc, elle peut vous servir tout comme elle pourrait vous désavantager. Mais, la loi reste la loi, c`est- à- dire, la norme de référence sociale.

Sur le compte des ratés, peut-on ajouter le coup d`Etat de 1999 et les élections générales de 2000 qualifiées de peu transparentes et n`ayant pas permis l`expression d`un maximum de suffrage ?
Ce sont deux questions dont les réponses sont sensiblement différentes.
Oui ! Par définition, le coup d`Etat ou celui de 1999, est une alternance imparfaite au pouvoir. Ce qui n`est pas démocratique. Cependant, on peut se demander pourquoi sommes-nous arrivés à cette situation ? Je me rappelle que le chef d`Etat de l`époque est arrivé au pouvoir par l`effet de l`article 11 et que par la suite, il s`est fait élire président de la République en 1995 dans des conditions extrêmement difficiles ou peu démocratiques, notamment avec des textes qui éliminaient a priori certains de ses adversaires. En 1998, il a modifié la Constitution. Sur 76 articles de la constitution, 53 ont été modifiés. Ce que les juristes qualifient de fraude à la constitution. De fait, il nous a servi une nouvelle constitution. Mais, le plus important concerne les articles 9 et 10 de la Constitution. Il s`est arrangé de sorte que le président de la République ne soit plus élu pour cinq ans mais pour sept ans et indéfiniment rééligible. Ensuite, en cas de second tour, tous les candidats sont admis à y participer. Puis en cas d`incident majeur empêchant la proclamation des résultats ou le déroulement du scrutin, il demeure Président. C`est le sens du « coup d`Etat permanent ». A partir du moment où il porte le mandat à sept ans et est indéfiniment rééligible, il inflige au moyen de cet arsenal juridique, le désespoir aux autres. En raison de ce verrouillage, ses adversaires politiques deviennent impatients et cessent de croire à l`alternance démocratique. Ils n`ont pas d`autres voies que celle de l`alternance imparfaite. Celle-ci s`impose pratiquement à eux. On troque ainsi l`alternance parfaite contre l`alternance imparfaite ou voie extra-institutionnelle d`accession au pouvoir. Mais je pense que c`est un raté dans les deux sens.
S`agissant des élections de 2000, pour ma part, le bon jugement serait de les relativiser. D`abord, les conditions de l`article 35 n`étaient pas faites pour que tout le monde soit candidat. La Chambre constitutionnelle de la Cour suprême a été assez discriminante dans l`établissement de la liste des candidats, de sorte que certains candidats ont été éliminés arbitrairement. A part le cas singulier de M. Alassane Ouattara, je peux citer celui de M. Lamine Fadiga. Il a été écarté sur la base d`un audit confidentiel. Ce qui n`est pas normal. Le droit à la défense n`a pas été respecté. Quant à M. Emile Constant Bombet, lequel était inculpé dans une affaire pendante devant la justice, il a été lui aussi, éliminé. La présomption d`innocence n`a pas été respectée. A preuve, le procès qui a eu lieu après, l`a totalement blanchi. Ce sont des méthodes inacceptables pour une bonne justice.
Cela dit, à cette élection, le vainqueur n`est pas celui qui l`a organisée. L`organisateur a été celui qui a perdu et qui s`est autoproclamé après la dissolution de la commission électorale. Pour cette raison, il faut relativiser les résultats. Certes, les conditions d`organisation de l`élection ont été calamiteuses. Mais, le caractère de calamité n`est pas imputable au vainqueur. Il n`y est pour rien. Aujourd`hui, il est au pouvoir. S`il entrave le processus normal d`organisation des élections, il en sera comptable et il devra assumer son acte.

10 ans après cet épisode, la Côte d`Ivoire est engagée dans un nouveau processus. Quels devront être les fondements de cette démocratie pour ne pas qu`on revive le scénario de 2000?
Une des filles de la démocratie, c`est la relativité des opinions. Nul ne détient la vérité. Chacun ne possède qu`une part de vérité et c`est la somme de ces vérités qui constitue la Vérité. Celui qui croit détenir la Vérité c`est Dieu. Si vous êtes un homme et que vous prétendez détenir la Vérité et non une partie de la vérité, c`est que vous vous substituez à Dieu. Si vous le faites, c`est que vous vous déifiez. Dans ce cas, on est un malade, un paranoïaque. Il faut se rendre compte de cette relativité et ce qui la marque, c`est la tolérance. Vous avez le droit d`avoir une opinion qui soit différente de la mienne. Et la mienne n`est pas forcément supérieure à la vôtre. Dans les échanges que nous avons, j`ai le devoir de vous écouter et de vous convaincre, au lieu de vous vaincre. C`est le sens de la tolérance, de la relativité et de l`humilité. Cette humilité prouve que je ne suis pas le détenteur absolu d`une vérité. C`est ce qui manque à la Côte d`Ivoire. On ne cultive pas le droit à la différence et l`humilité. On n`est pas suffisamment humble. Il y a des personnes qui se croient plus intelligentes que d`autres. L`on oublie souvent l`exemple du savant Galilée dans l`histoire. Même si ces personnes croient posséder le monopole de l`intelligence, les autres ont aussi leurs opinions qu`il faut respecter. Une deuxième chose importante est le respect des lois de la République. Il faut les respecter conformément à notre constitution. Pour parler du concret, je citerai les événements de février dernier. Mon opinion reste constante. C`est un droit pour les Ivoiriens et partis politiques de manifester. Sur le plan constitutionnel, cela est inscrit dans l`article 11. Mais, ce même article dit que ce droit doit s`exercer dans le cadre de la loi. Ce qui veut dire qu`il faut respecter les institutions de la République avec l`obligation de déclarer les manifestations. Et lorsque les manifestants disent qu`il faille s`attaquer aux symboles de l`Etat par tous les moyens, ils se trompent de combat et de République. S`ils arrivent à prendre le pouvoir par la violence, de quoi vont-ils disposer pour gouverner ? Du moment où on s`attaque aux symboles de l`Etat, le mouvement n`est plus républicain. Il faut l`éviter. Ce n`est pas parce qu`on est fâché qu`on doit s`attaquer à la mère patrie. Car si on le fait, de quoi disposerons-nous pour exercer le pouvoir ? Même au niveau de l`exercice de la liberté, lorsqu`on descend dans la rue sans informer les institutions de la République, cela s `appelle la rébellion. L`attroupement est un mouvement séditieux, analogue à une bêtise humaine.

Pour améliorer la situation démocratique en Côte d`Ivoire, certains intellectuels proposent de reformer les institutions…
L`avant projet de Constitution de 2000 préconisait déjà la mise en place d`un Sénat en lieu et place du Conseil économique et social. On dit de ce dernier, qualifié de « refuge des battus et d`incompétents », qu`il est inutilement budgétivore. Soit on supprime le Conseil économique et social au profit du Sénat. Soit on retient les deux institutions mais avec un équilibre du nombre de ses membres, de sorte à obtenir un effectif réduit de sénateurs et de conseillers économiques et sociaux. De façon générale, le Sénat va toujours dans le sens d`une meilleure élaboration de la Loi. Parce que si l`Assemblée nationale se trompe, il revient au Sénat de corriger ses éventuelles erreurs.
Quant au changement de régime proposé par certains, rappelons que lorsque les Grecs demandèrent jadis au sage SOLON quelle était la meilleure constitution, il leur répondit : « pour quel peuple et à quelle époque » ? C`est dire que chaque peuple a sa culture, son passé, son histoire, son vécu quotidien, c`est-à-dire sa particularité. Le Régime parlementaire que certains réclament prospère en Grande-Bretagne du fait qu`il correspond à l`histoire et à la culture de ce peuple. En Allemagne, en souvenir de la Deuxième guerre mondiale, la loi fondamentale allemande de 1949 a institué le régime parlementaire rationalisé. Le régime parlementaire suppose un système suffisamment dosé. Ce qui suppose que la démocratie est ancrée dans la mentalité des gens. Et que le pays peut rester sans Premier ministre, sans gouvernement des mois durant, sans qu`on ne soit tenté de faire un coup d`Etat. On l`a vu en Italie, on le voit en Belgique. Or en Afrique, la nature a toujours horreur du vide. Peut-on rester sans Premier ministre ni gouvernement pendant un ou deux mois sans que rien ne survienne ? On est fasciné par le coup d`Etat. C`est aussi vrai que le régime présidentiel africain que les constitutionnalistes qualifient de Présidentialisme est caractérisé par un grave déséquilibre entre l`Exécutif et le Parlement. Mais ici, cela correspond à notre culture où le monarque était à la fois tout : chef de l`exécutif, législateur, chef du rituel… Le chef d`Etat africain est devant, au centre et après. Toute la vie politique se résume en lui. En soit, le régime présidentiel n`est pas mauvais. Cependant, il faut qu`il existe des dispositions démocratiques qui limitent les pouvoirs du Président, de sorte que le chef de l`Etat ne soit plus si omnipotent, omniprésent et omniscient.
C`est Etienne de La Boétie qui le dit : «Tout homme qui a du pouvoir, est un tyran en puissance ». « Le plus doux des régimes politiques peut être tyrannique » dit Alexis de Tocqueville, parce que « le pouvoir rend fou et le pouvoir absolu rend absolument fou » selon Lord Acton. Et Montesquieu nous enseigne que, c`est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est appelé à en abuser. Pour qu`on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. C`est ce que Montesquieu appelle « la faculté de statuer et la faculté d`empêcher ». De ce point de vue, je pense qu`on peut faire des réaménagements constitutionnels en demandant que le Premier ministre ait des pouvoirs qui lui soient propres. Que sa nomination et celles des hauts fonctionnaires se fassent avec le consentement du Parlement sans que cela ne conduise au régime parlementaire. Que cela ne soit pas la seule prérogative du chef de l`Etat. Il est bon que cela se fasse au plan constitutionnel. Même si cela existe au plan des textes, il faut que le peuple soit plus fort. C`est pareil pour l`élection. On peut faire les meilleurs textes mais si les acteurs n`ont pas la culture démocratique, cela ne servira à rien. On a l`exemple nigérien. Quelqu`un comme Mamadou Tandja (l`ancien président, Ndlr) a eu recours au référendum. En fait, ce n`était qu`un détournement du suffrage, synonyme de mauvaise pratique de la démocratie. Certains chefs d`Etats africains pensent à tort qu`ils sont indéfiniment indispensables. Mais depuis qu`il a été renversé, le ciel est-il tombé sur le Niger ? Nous avons aussi cru à cela chez nous à un moment donné. C`est vrai que beaucoup d`entre nous aimions le président Houphouët. Il n`est plus. Cependant, nous pouvons nous en sortir. La France a eu le Général De Gaulle. Il en avait fait sa providence. Mais après lui, la France a eu un grand président en la personne de François Mitterrand. Après celui-ci, la France est. C`est dire que chaque grande nation se construit et se forge toujours dans la douleur.

Dans notre cas, le chef de l`Etat dispose de l`article 48 avec lequel il peut tout faire. Valider les candidatures, dissoudre la Commission électorale indépendante (Cei) etc…
C`est un mauvais procès. D`abord, le chef de l`Etat actuel n`a pas inventé l`article 48. C`est nous qui avons, par référendum constituant d`octobre 2000, adopté la présente constitution dont l`article 48. Celui-ci prend ses origines lointaines dans la dictature romaine de salut public. Tous les pouvoirs étaient conférés à un homme pour une période déterminée en vue de sauver la République en péril. Le Général De Gaulle, dans son discours de Bayeux du 19 juin 1939, a voulu l`introduire dans la Constitution de 1946. On lui a opposé une fin de non recevoir. Mais dès qu`il est arrivé au pouvoir en 1958, il l`a introduit dans la Constitution. C`est l`article 16 de la Constitution française dont l`équivalent était l`article 19 de notre défunte Constitution, et devenu l`article 48 dans la constitution de 2000.
Contrairement à ce qui se dit ou s`écrit, dans notre cas d`espèce, ce n`est pas le chef de l`Etat qui a eu délibérément recours à l`article 48 pour valider la candidature de quelqu`un. C`est nous qui lui avons demandé d`y recourir selon l`Accord de Pretoria, afin de valider la candidature de ceux qui avaient été précédemment déclarés inéligibles. Nous lui avions même demandé, après l`Accord d`Accra, de recourir à l`article 48 pour modifier la Constitution alors même qu`il est porté atteinte à l`intégrité du territoire. A cette époque, il ne l`a pas fait, mais, il a cédé à la tentation de valider la candidature de ceux qui n`étaient pas éligibles pour préserver la paix sociale. En le faisant, il porte atteinte à l`article 35 de la constitution selon notre volonté. Enfin, nous lui avons demandé à partir de l`article 48 de modifier certaines dispositions du Code électoral. Pour tous ces cas, il reste un « bon dictateur constitutionnel » du fait que cela correspond à nos intérêts. Mais quand il constate le blocage au niveau de la Commission électorale indépendante et recourt à l`article 48 pour dissoudre la Commission électorale indépendante en vue de sauver la République menacée par le risque d`absence d`élections, alors il cesse d`être le « Dictateur constitutionnel » pour devenir un « vulgaire dictateur ». Quel paradoxe ? D`autre part, il n`avait même pas besoin de recourir à l`article 48 pour dissoudre le gouvernement puisque l`article 41 de la constitution lui donne le droit de révoquer le gouvernement ad nutum. Lisons la constitution pour comprendre qu`il n`a enfreint aucune règle. Comment ceux qui ont exigé le remplacement du Premier ministre indéboulonnable issu de l`Accord de Lina Marcoussis peuvent-ils se plaindre de la dissolution du gouvernement dérivant de l`Accord politique de Ouagadougou ? L`Accord de Linas Marcoussis ne disait-il pas que le Premier ministre, inoxydable, devait rester en place jusqu`à l`élection présidentielle ? En droit, nous disons que nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes. C`est nous qui offrons la chicotte et quand on la reçoit, c`est en ce moment que nous décrions la douleur qu`elle nous procure.

Peut-on avoir un Etat fort sans un président fort ?
Un Etat peut déjà être fort lorsque l`on respecte les institutions de la République. Quand le chef de l`Etat a été démocratiquement élu, il jouit d`une grande légitimité ou popularité. Cette légitimité fait de lui un président fort à la tête d`un Etat fort. Surtout s`il est élu au moins avec plus de 50%. On n`a pas besoin d`être élu à 99% ou 100%. La dictature n`est pas un critère de grandeur. C`est l`arme par excellence des faibles.

Selon vous en 2000, les acteurs politiques ivoiriens auraient dû reconnaître le régime de Laurent Gbagbo ?
C`était d`abord le moindre mal. Même si les élections ne se sont pas déroulées comme on le voulait. Il vaut mieux parfois pour un pays d`avoir un président mal élu que de ne pas en avoir. Regardez ce qui se passe en Somalie. Pire, il est parfois mieux d`avoir un dictateur que de ne pas avoir de Président. Le Soudan a, à sa tête, un dictateur. Il est un mal chronique. Mais, il vaut mieux avoir celui-là que de ne pas en avoir. Sinon, ce serait le chaos.

En Afrique, nous constatons un pouvoir judiciaire beaucoup plus en retrait que les autres pouvoirs. Comment expliquez-vous cela ?
C`est souvent lié à leur légitimité. Les pouvoirs exécutif et parlementaire sont des pouvoirs élus par le peuple. Ce n`est pas pareil pour le pouvoir judiciaire, qui procède souvent de l`exécutif. Dans notre système dérivé de celui de la France, le juge étudie le droit et est diplômé de l`Ecole de la magistrature. Mais, c`est le chef de l`Etat qui le nomme. Et, dans la plupart des constitutions, celui-ci est le Président du Conseil supérieur de la magistrature, garant de l`indépendance des magistrats. Quand on prend l`article 101 de la Constitution, il y est dit que le pouvoir judiciaire est indépendant des pouvoirs législatif et exécutif. Au temps où j`étais au Conseil supérieur de la magistrature, des magistrats ont reproché aux rédacteurs de la constitution d`avoir fait de l`article 101 une disposition laconique, en ce qui concerne notamment l`indépendance de la justice. Je leur ai demandé ce qu`ils voulaient de plus, quand il est écrit qu`ils sont indépendants du pouvoir exécutif et législatif ? A l`époque, il n`y avait pas de pouvoir judiciaire en Côte d`Ivoire. C`était une autorité judiciaire. On en a fait un pouvoir judiciaire. En fait, la valeur d`une institution, c`est moins la valeur des textes qui la consacrent que la qualité des hommes et des femmes qui l`animent. Si ces hommes ne sont pas indépendants dans leur tête, l`institution ne sera jamais indépendante. En la matière, je rappelle souvent la fameuse phrase de Robert Badinter à propos du Conseil constitutionnel français, lors de sa prestation de serment en tant que président de ce conseil. Il a dit ceci à son ami François Mitterrand : « Je vous remercie M. le président de m`avoir nommé mais j`ai envers vous un devoir d`ingratitude ». Pour dire que désormais, il doit accomplir sa mission, celle de servir la République. Mais, si vous pensez que vous devez absolument renvoyer l`ascenseur à celui qui vous a nommé, il est évident que vous serez un détail de l`histoire.

Comment dire non à son bienfaiteur ?
Si vous aspirez en permanence à un bien-être social, à gravir l`échelon de la hiérarchie sociale, il est évident que cela serait difficile. Le « non » a une conséquence. C`est Chamfort, un auteur anglais qui le dit. Il soutient que : « La plupart des hommes sont esclaves parce qu`ils ne savent pas prononcer la syllabe NON ». Parce que ce mot emporte de lourdes conséquences pour celui qui le prononce. On aime mieux dire Oui. Comme le disent les Ivoiriens, le oui n`entraîne pas de palabre. C`est le non qui est source de conflit

Surtout que l`exécutif exerce toujours une pression…
Le chef de l`Etat jouit d`une légitimité populaire. D`une manière ou d`une autre, il cherchera toujours à aliéner la justice. C`est un instrument qui est important pour lui. Il reste aux magistrats d`avoir des syndicats, d`être forts, intègres et compétents. Pour les universitaires que nous sommes, la liberté ne nous a pas été octroyée, notamment les franchises universitaires. Chaque couche sociale doit être capable de se battre pour sa liberté. C`est à ce prix que la société civile sera forte. Malheureusement chez nous, la société civile est en marge de la réalité. Pour être précis, aujourd`hui il y a un grand nombre de personnes qui se plaignent de ne s`être pas enrôlées. Le risque, c`est que ces personnes ne peuvent pas jouir de leur qualité de citoyen aussi longtemps qu`elles n`auront pas leur pièce d`identité.

Mais pendant tout le processus d`identification, où était la société civile ? Est-elle allée dans les villages, hameaux, maisons, usines pour demander aux populations d`aller se faire enrôler ? Notre société civile n`attend que la faute du gouvernement pour l`évaluer et le sanctionner. Si elle s`était rendue dans la rue, sur les lieux de travail, chez des personnes pour les obliger à se faire enrôler, peut-être qu`on aurait eu moins de problèmes. Certains se sont sentis exclus et nous avons eu la guerre. On ne sait pas ce que, demain, ceux qui n`ont pas été enrôlés pourront nous réserver.

La société civile a donc un rôle important à jouer dans l`enracinement de la démocratie ?
Il y a les partis politiques et la société civile. On peut être de la société civile et appartenir à un parti politique. Il n`y a pas d`incompatibilité. Vous pouvez être d`un parti politique et militer dans une organisation de défense des droits de l`homme. Seulement vous ne devez pas être le porte-parole de votre parti. La Ligue ivoirienne des droits de l`homme (Lidho) est une création du Front populaire ivoirien (Fpi). Elle est l`œuvre de l`ambassadeur Pascal Kokora. Puisque nous étions pour la plupart marqués politiquement, nous avons cherché à placer à la tête de cette institution quelqu`un qui l`était le moins. Ce qui a justifié le choix du Pr René Dégny Ségui.

Vous avez touché du doigt la question de la démocratie et du développement. Nous avons l`exemple de la Tunisie qui se porte bien malgré le caractère dictatorial du pouvoir de Ben Ali. La démocratie rime-t-elle avec le développement ?
Le constat est que la plupart des pays de l`hémisphère nord sont riches et démocratiques. En revanche, dans l`hémisphère sud, on a globalement des pays pauvres et moins démocratiques. Avec ce classement, on se rend compte qu`il y a un lien solide et indissociable entre la démocratie et le développement. Il y a cependant des exceptions. Les pays d`Asie du Sud-Est, appelés Dragons d`Asie, ont des chefs d`Etats dont certains sont des dictateurs mais des visionnaires pour leur pays. Ils ont réussi à faire un développement sans la démocratie comme la Chine, et autrefois la Corée du Sud. Ce contraste est perceptible entre la Corée du Nord, pauvre et dictatoriale et le Sud riche et démocratique. En Tunisie, Ben Ali a réussi un développement relatif sans la démocratie, comme ce fut le cas de la Côte d`Ivoire. Mais, que deviendra la Tunisie sans Ben Ali ? Aura-t-elle cette providence tous les dix ans ? Nous étions l`oasis dans le désert sous le parti unique, négateur de la démocratie. Et après ? Ce qui se fait en Tunisie, sans le discréditer est un épiphénomène. C`est pareil pour la Libye. C`est aussi le cas du Zimbabwe. Aujourd`hui, on peut qualifier le président zimbabwéen d`un vrai diable. C`est une malédiction. Je pèse mes mots. Les Occidentaux n`ont rien compris lorsqu`il a dit adopter la démocratie et se soumettre au verdict des élections pluralistes. Tous ont cru qu`il avait changé. Après le premier tour, avant même la proclamation des résultats, il a annoncé qu`il allait au deuxième tour. Au 2nd tour, avant la proclamation des résultats du scrutin, il s`est dit élu. Selon lui, c`est Dieu qui l`a mis là et il ne quittera pas le pouvoir sans la volonté divine. Quel péché les citoyens de ce pays ont-ils commis pour mériter ce sort ?

Au vu de ce qui se fait dans les pays africains, ne donnerons-nous pas raison à Jacques Chirac qui disait que l`Afrique n`était pas prête pour la démocratie ?
J`ai un grand respect pour M. Chirac. Mais à ce niveau, je crois qu`il ignore sa propre histoire. La démocratie n`est pas tombée du ciel en Europe. Dans Germinal, Emile Zola, nous décrit les souffrances des pauvres comme Sembène Ousmane nous décrit celle des travailleurs africains (Les bouts de bois de » dieu). Dans les années 1930, des Occidentaux ont voulu revenir au système des partis uniques. C`est la seconde guerre mondiale qui a montré les limites et les excès des régimes politiques sans la démocratie. C`est elle qui a fait comprendre aux gens que ce qui peut sauver le monde, ce n`est pas la dictature, c`est plutôt la démocratie. En témoigne la chute de la dictature communiste. Comment peut-il dire que nous ne sommes pas mûrs pour la démocratie ? C`est un mépris relevant du racisme. La démocratie est l`aboutissement d`un long processus. C`est un long combat. C`est un processus qui avance et recule par moments. Mais le processus doit être irréversible.

N`a-t-on pas dans le contexte actuel tendance à lier démocratie et alternance ?
Attention. Il ne faut pas faire la confusion entre les élections irrégulières organisées à intervalles régulier tous les cinq ans et les élections régulières dont l`issue est incertaine et capable de conduire à l`alternance. On ne réclame pas l`alternance pour l`alternance. Lorsque les élections sont organisées de façon régulière et parfaite et que le peuple arrive à renouveler autant de fois le mandat de celui qui est au pouvoir selon les normes démocratiques en vigueur, pourquoi devrait-on se plaindre ?

Donc alternance ne signifie pas démocratie ?
Non ! Il y a deux types d`alternance. Elle peut être imparfaite. On a l`exemple du coup d`Etat et toute forme de changement qui se produit par la violence. Se maintenir au pouvoir par la violence et la fraude, n`est pas la démocratie. En revanche, il y a alternance parfaite, lorsque les élections sont régulières. Elle postule une rotation démocratique au pouvoir. Lorsque le peuple use de son pouvoir électoral et révoque celui qui est au pouvoir, on a une alternance parfaite. Mais le peuple peut décider de le récompenser et le maintenir au pouvoir. Dans ce cas, l`alternance ou facteur de changement n`aura pas lieu.

Pouvez-vous nous éclairer sur le lien entre la démocratie et l`indépendance ? Le président Gbagbo a toujours dit que parce qu`il fait la promotion de la démocratie, il est combattu par la France.
La résistance de la Côte d`Ivoire, comme plusieurs Etats africains, prend sa source dans la conférence de Berlin de 1885 où il a été fait le partage du monde. Chacun a eu son précarré et la Côte d`Ivoire fait partie de celui des Français. L`Angleterre a eu son précarré. Les USA ont l`Amérique du sud. Les Chinois ont leur précarré. A ce niveau, l`ancienne puissance a, à la fois, des intérêts politiques, économiques et militaires. Lorsque vous essayez de remettre en cause ces intérêts, ne croyez pas que vous serez applaudi. C`est normal que l`ancienne puissance, par instinct de conservation, puisse réagir et parfois violemment ou de manière disproportionnée. Lorsque le président de la République est arrivé au pouvoir en 2000, n`aurait t-il pas mis fin aux privilèges ou avantages immérités de certains ? Ceux-ci ne se font-ils pas les complices de l`ancienne puissance contrariée par la volonté d`indépendance du Président ivoirien ? Mais à la longue, il sera récompensé de son devoir de résister.
Est-ce ce qui explique l`ouverture symbolisée par la majorité présidentielle ?
Aujourd`hui, il y a deux choses. Il y a le programme électoral et le Fpi. Le parti doit avoir son identité. Nous sommes des socialistes. Notre intérêt réside dans l`ancrage à gauche. Mais il en va autrement dans la recherche des électeurs pour gagner. Dans cette tactique, qu`est-ce que nous pouvons céder à ceux qui ne sont pas des nôtres ? Il y a des gens sincères. Mais, il y a aussi ceux que j`appelle des voltigeurs. Ceux-là sont comme des oiseaux sur un arbre. Au petit bruit, ils s`envolent. Aujourd`hui, il y a des personnes qui sont avec nous parce qu`on a gagné. Si demain nous perdons, ce sont ces mêmes qui diront que nous étions mauvais et vont vouloir rejoindre leur famille originelle. Si cette famille perd après, ils reviendront avec nous. Mais la vie électorale est ainsi faite. Aussi, faut-il distinguer le militant de l`électeur. La fidélité est pour le militant. Ce qui est différent pour l`électeur à la recherche du gain.

Comment expliquez-vous le fait que parmi ces personnes, se trouvent d’anciens opposants à la démocratie ?
En politique, il n`y a pas de rancune. La politique consiste à gagner et à partager les dividendes. Celui qui m`a giflé, hier, peut me donner son bulletin afin que je gagne. C`est l`essentiel. C`est celui qui ne fait pas de politique qui est rancunier. La politique est l`addition des dividendes pour avancer. L`addition vaut mieux que la soustraction. Le seul chiffre qui ne donne pas d`abondance, c`est zéro. Quand on additionne zéro, ça donne toujours zéro. Ainsi en politique, à défaut de pardonner, il faut laisser venir l`oubli.

Comment se vit la démocratie au sein du Fpi ? Avec l`exemple de Mamadou Koulibaly qui est très critiqué au sein de ce parti. (Ndlr, l`interview a été réalisée avant l`éclatement de la crise actuelle entre M. Koulibaly et la direction du parti).
J`ai ma vision du Fpi. C`est la critique qui fait avancer. Si vous n`êtes pas critique, vous devenez un conservateur. Il faut se remettre en cause. Je ne suis peut-être pas un disciple de Trotski, qui parlait de la révolution permanente. Mais je crois, avec beaucoup de recul, que nous avons besoin de la révolution sociale permanente pour faire progresser les mentalités. Mais, je n`oublie pas en tant que politique, que nous devons gagner. Par rapport à cela, les critiques et autocritiques doivent avoir lieu à l`intérieur du parti et selon la discipline du parti. Le socialisme, c`est la pensée, c`est la révolution, c`est le mouvement. Or, tout ce qui est mouvement doit apporter un changement mais avec une certaine rationalité.

Dénoncez-vous alors l`enrichissement rapide dont on accuse les membres de votre famille politique ?
Personnellement, je ne suis pas contre l`enrichissement. Mais, je suis contre ce que les juristes appellent l`enrichissement sans cause. Un enrichissement illicite et disproportionné à l`effort. C`est mauvais et contraire à notre éthique. Les coupables doivent subir la rigueur de la loi. C`est le sens de notre combat. Sinon, s`enrichir de façon normale, c`est-à-dire par le travail n`est nullement déshonorant. Personne ne lutte pour être pauvre. On peut être digne dans la pauvreté, mais, ne jamais être fier d`être pauvre. Car la pauvreté est un mal, un handicap chronique.

Interview réalisée par Kesy B. Jacob et Marc Dossa Coll : Sanou Amadou (stagiaire)
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