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Société Publié le samedi 26 juin 2010 | Le Patriote

Entretien / El Hadj Vassiriki Touré, Directeur Exécutif du BIHO : “Nous allons assainir l’organisation du Hadj”

© Le Patriote Par Emma
Religion/Islam - Les imams pour la création d`un Bureau Ivoirien du Hadj et de la Oumra (BIHO)
Lundi 19 avril 2010. Abidjan, Cocody les deux plateaux Aghien. Le Conseil Supérieur des Imams (COSIM) rencontre la presse au cabinet du Cheick Boikary Fofana
Face aux nombreux échecs qui ont émaillé l’organisation du Hadj ces dernières années en Cote d’Ivoire, le Conseil supérieur des Imams a mis sur pied, le bureau ivoirien du Hadj et de la Oumra (Biho). Dans cet entretien, le directeur exécutif de cette structure nous explique les motivations et les ambitions du BIHO.


Le Patriote : Peut-on avoir un aperçu succinct de l’organisation de la communauté musulmane en Côte d’Ivoire ?

Vassiriki Touré : Merci de l’intérêt que vous accordez à notre communauté. A l’instar de tous les pays où l’on trouve des musulmans, en Côte d’Ivoire, on a des imams et des oulémas qui dirigent la communauté. Mais à la différence du christianisme, il n’y a pas de clergé formel en Islam. En Côte d’Ivoire, les Imams ont donc mis en place le conseil supérieur des Imams (COSIM). Ce conseil est la plus haute autorité spirituelle islamique de notre pays. Le Cosim a ensuite créé le conseil national islamique (CNI) avec pour mission d’orienter et de coordonner les activités de toutes les associations musulmanes en Côte d’Ivoire.

LP : Qu’est ce qui motive aujourd’hui la création du Bureau ivoirien pour le Hadj et la Oumra?

VT : Vous n’ignorez pas que depuis quelques années, il y a des difficultés dans l’organisation du Hadj.

Il y a eu une crise occasionnée à la fois par le ministère de l’Intérieur et par les associations musulmanes impliquées dans l’organisation qui a débouché sur le drame de 2006 bis. Le Cosim, en tant que haute autorité spirituelle, sollicité par les malheureux candidats au pèlerinage avait demandé au Chef de l’Etat d’aider la communauté à résoudre ce problème. C’est alors que le Président a marqué son accord à condition que le Cosim s’implique dans l’organisation en tant que son interlocuteur et porte-parole de la communauté. Après le relatif succès de 2007 sur cette base, la direction générale des Cultes du ministère de l’Intérieur a changé les règles de la collaboration en s’adressant directement aux associations musulmanes afin de contourner les exigences du COSIM. En conséquence, l’organisation du Hadj par l’Etat en 2008 et 2009 a encore enregistré des problèmes. A partir de ce moment-là, le premier responsable de la communauté, le Cheick Aïma, ne pouvait rester indifférent, parce que le Hadj est avant tout une affaire religieuse. Compte tenu donc de toutes les difficultés que le Hadj a connues ces dernières années et sur les conseils du président de la République, le Cosim a organisé des séminaires de réflexions qui ont abouti à la création du BIHO. Ce bureau fait désormais partie de l’architecture organisationnelle de l’islam en Côte d’Ivoire.

LP : Quelles sont donc les missions de cette structure ?

VT : Tirant les leçons des difficultés du passé, le Biho s’est assigné pour mission, d’assainir le milieu du Hadj et de professionnaliser son organisation. Ce faisant, il vise trois objectifs qui sont, d’abord de protéger l’intérêt du pèlerin qui est le principal acteur du pèlerinage, ensuite d’asseoir le respect et la cohésion de la communauté musulmane. Enfin, de préserver l’image de la Côte d’Ivoire à l’extérieur, notamment en Arabie Saoudite. Pour y parvenir, le BIHO a décidé de fixer des règles de gestion vertueuse du Hadj.

LP : Y a-t-il une démarcation entre le Cosim et le Biho ?

VT : Le Cosim est la plus haute autorité spirituelle de la communauté musulmane. Quand il a créé le Cni, il ne s’est pas ingéré dans sa gestion quotidienne. La seule chose que le Cosim a exigée en créant le BIHO, est qu’il y ait un Conseil des Imams et des Oulémas qui veille sur la gestion. La nouveauté, c’est aussi le fait que le Cosim a demandé que les membres du BIHO, le conseil d’administration et le Conseil des imams et des oulémas prêtent serment sur le coran. Pour éviter d’être juge et partie, le BIHO a créé un commissariat au Hadj qui est son bras opérationnel. Les membres de ce commissariat ont eux-aussi prêté serment. Tout organisateur qui voudra obtenir un agrément du BIHO pour organiser le pèlerinage sera tenu de prêter serment sur le Coran.

LP : Pensez-vous que la communauté musulmane est prête à s’affranchir de la tutelle de l’Etat quant à l’organisation du Hadj ?

VT : L’organisation du hadj a évolué de la marche à pied à l’organisation massive avec les moyens modernes de transport que nous avons aujourd’hui. Beaucoup de personnes se sont improvisées dès lors, organisateurs du Hadj et certains même en font une profession sans en avoir ni les moyens ni la compétence. C’est ce qui pose les problèmes que nous connaissons actuellement. En ce qui concerne la gestion de l’Etat, nous estimons qu’il y a eu des avancées. L’organisation de 2007 était très prometteuse parce que le Cosim a été associé à tous les niveaux de prises de décision. Mais après 2007, le COSIM attendait une analyse critique de l’organisation précédente en vue d’une évaluation corrective. Mais au lieu de cela, ses critiques ont été mal reçues par les fonctionnaires de la Direction Générale des Cultes du Ministère de l’Intérieur qui ont décidé de l’exclure. Malheureusement en 2008 et en 2009, les mêmes problèmes ont resurgi.

LP : Quels sont alors ces problèmes?

VT : D’abord, la date de retour des pèlerins n’a pas tenu compte de certains cultes importants du pèlerinage. De sorte que des pèlerins n’ont pu effectuer des rites obligatoires dans les conditions idoines. Le second problème est qu’en 2009, le pèlerinage s’est soldé par une dette vis-à-vis des prestataires de service saoudiens d’environ 1,4 milliards FCFA. Une telle situation est gravissime vis-à-vis des autorités saoudiennes. Enfin, la réservation des logements ne s’est pas faite à temps à Médine au point que l’immeuble Taïba (ndlr : bâtiment principal) qui est le plus proche du « Haram » que la délégation ivoirienne avait obtenu en 2007 et en 2008 a été perdu en 2009 au profit de 14 sites disséminés à travers la ville. C’était un problème d’organisation.

LP : Est-ce pour ces griefs que le Cosim exige un audit des éditions 2008 et 2009 du Hadj ?

VT : Il faut voir l’audit demandé par le Cosim à plusieurs niveaux. En 2007, le Cosim a proposé une commission financière en vue de l’élaboration d’un budget et des états financiers en fin d’activité pour mettre les gestionnaires à l’aise. Cette demande a été refusée par la direction générale des Cultes du ministère de l’Intérieur. Au même moment, des chiffres particulièrement élevés sont avancés en ce concerne l’organisation du Hadj. Ainsi, selon l’administration, le pèlerinage de 2008 aurait coûté 8,223 milliards FCFA et près de 13 milliards FCFA en 2009. Dès lors que des chiffres aussi importants sont engagés au nom de la communauté musulmane, il est normal que les responsables de la communauté demandent une clarification et s’assurent de l’usage fait de cet argent. L’apport des pèlerins tourne autour de 3 à 4 milliards et le reste serait une subvention de l’Etat. Or pour qu’il y ait subvention, il faut qu’il y ait une demande et qu’il y ait une traçabilité comptable. C’est ce que le Cosim demande, c’est plus une question de bonne gouvernance qu’autre chose. En islam, rendre compte d’un dépôt ou d’une gestion est une exigence.

LP : On est tenté de dire que le hadj génère beaucoup d’argent. Le Cosim serait-il tenté ?

VT : Avant la création du BIHO, l’organisation du Hadj était pour la communauté musulmane une préoccupation. Elle a commencé à réfléchir à l’organisation rationnelle du hadj depuis 1990. En 1993 quand le Conseil national Islamique (Cni) a été créé, parmi les doléances faites au président Houphouët-Boigny à l’époque, figurait la question de l’organisation du Hadj. C’est dans ce cadre que le Comité National d’Organisation du Pèlerinage à la Mecque (Cnopm) a été créé. Aujourd’hui, la réflexion fait ressortir que le maillon manquant de l’organisation du Hadj est le BIHO, en d’autres termes, une structure de régulation. Pour mieux vous permettre de comprendre, comme nous sommes en pleine coupe du monde, l’Arabie Saoudite est considérée en matière de Hadj comme la FIFA. C’est elle qui édicte les règles et dispose des moyens de contrôle des différents contrats. Cependant, elle s’est dotée de sa propre fédération nationale du pèlerinage représentée par les Mouassassat de Médine et de la Mecque. Le BIHO, fédération ivoirienne du Hadj a été conçu sur ce schéma. Vous savez, il y a des gens qui viennent dans le Hadj parce qu’ils pensent qu’il y a de l’argent facile à gagner. Le BIHO s’engage à mettre fin à ces pratiques qui n’honorent pas la communauté.

LP : Le BIHO se veut donc une instance de régulation ?

DI : En effet. Le pouvoir régalien appartient à l’Etat et le Biho demande sur ce point précis une concession pour exercer ce droit, le Hadj étant une activité religieuse. Ainsi donc, il y aura désormais des règles de jeu pour tous les acteurs du Hadj. Ensuite le BIHO veillera à ce que chacun respecte le cahier des charges qui est le sien. Il est temps d’en finir avec l’opacité qui jette le discrédit sur l’ensemble de la communauté. On ne peut pas dire que tous ceux qui sont dans le secteur sont sans moralité. II faudra désormais des contrats bien déterminés parce qu’en Arabie Saoudite cela est exigé, même vis-à-vis du pèlerin.

LP : Le Cosim n’est donc pas intéressé par l’argent du Hadj ?

VT : Je voudrais vous rassurer que ce n’est pas le but du Cosim. Permettez-moi de vous rappeler que le Cosim existe depuis 1986 et que depuis tout ce temps, il ne s’est jamais intéressé à titre principal à l’organisation du Hadj. Il avait délégué ses prérogatives au Cni à travers le CNOPM. Il n’est intervenu dans le Hadj qu’en 2007 à l’occasion du drame national que nous avons connu. Si l’argent était sa motivation, il se serait intéressé à ce secteur depuis longtemps. Je voudrais aussi faire remarquer que quand le Cosim est intervenu en 2007, il a engagé des frais qui ne lui ont pas encore été remboursés jusqu’aujourd’hui. L’Etat doit donc au Cosim près de 6,7 millions FCFA. Et puis le Hadj n’est pas le seul pilier de l’Islam. Il y a bien d’autres chantiers sur lesquels, le Cosim travaille actuellement, notamment la Fondation Zakat, la Fondation Hinè…

LP : Le BIHO intègrera t-il les associations traditionnelles qui organisaient le Hadj ?

VT : La circulaire 2003 de l’Arabie Saoudite définit le privé comme étant les sociétés touristiques, les agences de voyage, les associations de bienfaisances et les groupes. Si nous avons des agences ou des structures crédibles qui s’intéressent à l’organisation du Hadj, qui ont des moyens et qui remplissent les conditions fixées par l’Arabie Saoudite, le Biho se fera le plaisir de leur délivrer des agréments. S’il y a des individus ou des structures capables de relever les défis, notre rôle sera simplifié. A défaut, le Biho organisera le Hadj pour donner l’exemple. Aucun groupe ne sera privilégié par rapport à un autre, parce que le Biho veut donner l’exemple. Il ne s’agit donc pas d’exclure quelqu’un mais tout simplement d’assainir et de professionnaliser l’organisation du Hadj.

LP : Quelle est donc la place des démarcheurs dans le nouveau schema ?

VT : Le rôle des démarcheurs a évolué parce que c’est eux qui sillonnaient les villes pour repérer les pèlerins et les envoyer vers les compagnies aériennes. Plus le démarcheur amenait des pèlerins, plus il gagnait en ristourne ou en billets d’avion. Sur place en Arabie Saoudite, il avait aussi droit à des commissions en fonction du nombre de pèlerins qu’il dirigeait vers les logeurs. Le démarcheur était donc incontournable dans la chaîne de l’organisation du Hadj. Mais aujourd’hui, avec la proximité de l’administration en ce qui concerne les formalités administratives et les moyens de transports existant, celui qui prend l’initiative d’effectuer le pèlerinage n’a plus les mêmes contraintes qu’avant. Dès lors, la mission du démarcheur doit être réévaluée.

Interview réalisée par Alexandre Lebel Ilboudo
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