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Afrique Publié le samedi 3 juillet 2010 | Le Nouveau Réveil

Guinée Conakry : Les mendiantes du Président

Devant le ministère du Contrôle des audits, ex-assemblée territoriale, siège de la présidence sous Sékou Touré (premier président guinéen), une scène surréaliste : des dizaines de femmes d'un âge avancé, attendent le passage du convoi du Président, homme réputé généreux. Poussées par le chômage et la pauvreté des quartiers mal famés de la banlieue de Conakry, elles ont élu domicile là et attendent, chaque jour, avec la résignation de la personne qui n'a rien à perdre, que le Président, qui réside dans les encablures, passe par là et leur fasse l'aumône. Ce sont les (drôles de) mendiantes du Président. Ce vendredi 18 juin 2010, comme tous les vendredis, depuis deux mois, Fanta Diallo, la cinquantaine, veuve et mère de sept enfants, est venue de son quartier, Cité Enco 5, dans la commune de Ratoma (banlieue de Conakry), pour se rendre devant le siège du ministère du Contrôle des audits.

C'est dans ce bâtiment rénové, situé à Kaloum, siège du pouvoir de Conakry, que le " père fondateur " de la Guinée moderne, Ahmed Sékou Touré, avait tenu le pays d'une poigne de fer pendant un quart de siècle (1958-1984). Le bâtiment donne dos à la résidence luxueuse du général Sékouba Konaté, président de la transition guinéenne. Celui-ci est le nouvel homme fort du pays, depuis que le fantasque capitaine Moussa Dadis Camara a été victime d'un attentat.

Il est presque 14H. La voix du muezzin déchire le ciel ensoleillé de la ville. Fanta Diallo et ses " collègues " regardent furtivement vers la résidence du Président, les traits tirés par l'inquiétude. La prière musulmane du vendredi tire à sa fin et " El Tigre " de la transition (surnom du général Sékouba Konaté) n'est pas encore sorti de sa tanière douillette.

De son œil frappé par une cataracte sévère, Fanta Diallo interroge un vieux lieutenant au pas lourd, qui passe devant elle. Ce dernier lui lance brutalement, presqu'avec mépris : " Le Président ne sort pas maintenant. Rentre chez toi ! ".

Fanta Diallo se fait traduire en poular, sa langue, la phrase de l'officier et esquisse un sourire gêné. " Hé Allah ! Mes enfants ne vont pas manger aujourd'hui ", nous confie-t-elle, en tapant le dos d'une main mince, dont on voit les nerfs saillants, dans la paume de l'autre. C'est un geste de désespoir chez les Peulh.

" Mon mari est mort. J'ai un petit-fils malade. Son père, l'aîné de mes enfants et le seul garçon, est décédé il y a trois mois. Il se " débrouillait " au port. C'est lui qui nourrissait la famille. Aujourd'hui, il n'y a rien à manger à la maison ", nous explique-t-elle.

Mendiantes de luxe
A quelques mètres de là, en bordure de la rue KA 003, le général Sékouba Konaté, reçoit des invités dans sa résidence. Le vent de l'océan atlantique caresse doucement le poster de 3 mètres de haut et autant de large, planté devant sa résidence et sur lequel un calligraphe inspiré a marqué : " Son Excellence Général Sékouba Konaté, Sentinelle de la paix ".

Si les mendiantes n'osent pas franchir la ligne qui les sépare de la résidence, c'est bien parce que celle-ci fourmille de soldats aux bérets rouges, portant lunettes noires et ceinturons. Les mendiantes ?

" Souvent, les vendredis, jour de la grande prière à la mosquée et jour d'offrandes chez les musulmans, le Président qui est un fervent croyant, leur donne de l'argent, mais aujourd'hui, il est très occupé ", nous confie un jeune soldat, assis sur un lit picot, sous une tente devant la résidence. Ce jeune soldat se souvient qu' " avant de partir pour la France, le mois dernier, le Président a donné beaucoup d'argent aux mendiantes. Chacune a pu se tirer avec au moins 100.000 GNF (environ 10.000 FCFA, soit près de 20 dollars) ". Une aumône de luxe, pour des mendiantes habituées à recevoir 500 GNF (environ 50 FCFA, soit un peu plus de 0.1 dollar), des passants.

Dignité perdue

Tandis que certaines mendiantes commencent à déserter les lieux, d'autres, celles qui n'ont nulle part où aller, commencent à s'affairer pour passer devant le ministère du Contrôle des audits, en bordure de route, une autre nuit, à la belle étoile, le ventre creux. Parmi elles, Aissata Camara. Elle vient de Kissidougou, dans la Guinée profonde où son compagnon, un ancien combattant, est mort dans le dénuement, sans pension de retraite. " Je veux que l'Etat s'occupe de mes petits-fils. Pour l'amour de Dieu, que Tigre (sic) m'aide ! Je ne sais où aller ". Elle fait la moue, traîne le pied gauche grossièrement déformé par un éléphantiasis et se dirige vers un tas de baluchons sur lesquels jouent deux bambins de 2 et 4 ans, ses petits-fils.

D'autres femmes la rejoignent. Leurs bruyantes complaintes font sortir de leurs bureaux climatisés, quelques fonctionnaires du Conseil national de la communication (CNC). Il y a 52 ans, dans ce bâtiment dont l'architecture n'a pas changé d'une pierre, Ahmed Sékou Touré avait dit avec fierté " Non ! " au général De Gaulle, et avait immédiatement obtenu l'indépendance de son pays. Dans une allocution restée fameuse, il avait déclaré que son peuple préférait " la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l'esclavage ". Cinquante-deux ans après, trois Guinéens sur cinq demeurent dans l'esclavage économique. Au demeurant, de nombreuses femmes telles Fanta Diallo et Aïssata Camara, ont perdu au passage, leur dignité.

André Silver Konan
Envoyé spécial à Conakry
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