Pour le développement et le financement des secteurs des transports, des télécommunications et de l’énergie en Afrique de l’ouest, la Cedeao a mis sur pied un fonds. Il y avait de quoi. L’Afrique de l’ouest est-elle en train de changer de visage dans la plus grande discrétion ? On est tenté de répondre par l’affirmative tant les nouvelles lunettes qu’elle s’est offertes lui permettent de voir un peu plus clair. Et cette nouvelle façon de faire est à mettre sans aucun doute au compte de la jeune génération de chefs d’Etat qui ne veulent plus participer aux réunions pour participer, mais pour prendre des résolutions qui fassent avancer la sous-région. C’est ainsi que, depuis 2008, constatant que l’intégration des 15 Etats membres avec pour corollaire la disparition de la pauvreté ne peut se faire agréablement sans le développement des transports, des télécommunications et de l’énergie, la Cedeao a décidé de prendre un virage. Elle a confié au chef de l’Etat ivoirien «la coordination des actions de développement des transports et de l’énergie». Le président ivoirien se devait de faire des propositions concrètes (puisqu’il fait partie de ceux qui veulent changer l’Afrique) aux problèmes de développement qui se posent avec acuité à la sous-région. Après un état des lieux des plus désastreux, le numéro un ivoirien a proposé à ses pairs la mise sur pied d’un fonds qui aiderait au développement et au financement du secteur. Sachant qu’il était attendu au tournant de l’indépendance et de la souveraineté, Laurent Gbagbo a proposé que le financement du fonds en question soit d’abord et avant tout l’affaire des 15 Etats membres de la Cedeao. Mais alors, où chaque pays trouvera les ressources que lui exigera le fonds dont Laurent Gbagbo veut qu’il soit «un outil efficace de financement et de développement des infrastructures de transport et de l’énergie afin de garantir les emprunts et de servir au financement direct et à leur bonification» ? Le chef de l’Etat ivoirien, qui sait que la sous-région est riche en ressources naturelles et humaines, n’est pas allé chercher midi à quatorze heures pour trouver réponse à cette question. Le fonds qu’il propose devra être financé par un mécanisme de prélèvement effectué sur les recettes générées par les principaux produits (voir encadré) dans l’espace Cedeao. En d’autres termes, tous les produits qui sortent des terres Cedeao et qui sont commercialisés vont devoir verser une taxe dans le compte du Fonds. Si l’on voit la qualité et la quantité de ces produits, on peut dire que Laurent Gbagbo a vu juste. Car il s’agira de taxer l’arachide, le coton, la banane, le bois, l’ananas, le blé, le sorgho, le mil, la mangue, le riz, le manioc, le citron, le poisson, mais aussi le café, le cacao, le caoutchouc, le pétrole, le gaz, le manganèse, l’uranium, le phosphate, le nickel, l’or, le diamant, etc. Ayons seulement à l’esprit que le Nigeria est le 3ème producteur de pétrole au monde, le Niger deuxième producteur d’uranium au monde, la Côte d’Ivoire 1er producteur de cacao au monde, etc. Que va faire concrètement le Fonds ? Si l’on s’en tient à l’état des lieux fait par son initiateur, le Fonds ne chômera pas du tout. Tous les secteurs sont dans une extrême précarité. Dans le domaine des routes, tout ou presque est délabré. La conséquence de cet état de fait est que les accidents se multiplient pendant que les coûts de production accroissent vertigineusement. Plus grave, l’accès aux routes tourne autour de 30% contre 50% en Asie et en Amérique latine, deux continents en voie de développement. Il faut faire quelque chose pour ouvrir davantage de voies et restaurer celles qui existent déjà. Cela demande beaucoup de moyens, mais, à terme, ce sont des vies humaines qui seront sauvegardées, des millions d’emplois qui seront créés et un niveau de vie au-dessus de la moyenne. Le transport ferroviaire, lui, date de l’époque de la colonisation. Il est donc vétuste et inadapté à la vie moderne. Il demandera beaucoup plus de moyens pour sa rénovation et sa construction, parce que les chemins de fer ne sont pas interconnectés selon que l’on parte d’un Etat à un autre. Là aussi, il faudra faire quelque chose et le Fonds est le bienvenu dans ce secteur qui a bien besoin de souffle nouveau. Dans le transport maritime qui souffre des mêmes maux que les autres secteurs, la plus grosse plaie réside dans le fait qu’il n’y a plus d’armateurs nationaux. La lenteur dans l’exécution des tâches portuaires fait que nos ports ne sont pas très compétitifs. Là où le délai de sortie de marchandises d’un port est aujourd’hui de trois jours maximum, en Afrique de l’ouest la durée est de 15 jours minimum. Il faut trouver des moyens pour rendre plus efficaces et plus compétitifs les 13 principaux ports maritimes de la Cedeao en pensant au retour des armements nationaux. Ces moyens devraient permettre aussi d’améliorer l’informatisation des opérations douanières et portuaires et l’interconnexion des systèmes informatiques existants. De sorte à baisser le coût de passage portuaire et d’attente des navires. Quant au transport aérien qui compte 60 aéroports internationaux exploités par une trentaine de compagnies, il n’est pas non plus bien logé. La liaison entre les différentes capitales de la sous-région sont soit inexistantes, soit difficilement utilisables au grand dam de la demande intra régionale de plus en plus grande et exigeante. Les quelque 200 avions qui font la liaison sont très âgés et mal entretenus, ce qui provoque des accidents de l’ordre de trois fois supérieur à la moyenne mondiale. «Les insuffisances des ressources financières pour la réhabilitation des infrastructures et le renouvellement des équipements roulants et manutention» obligent à reconnaître le bien-fondé du Fonds. Le secteur de l’électricité n’est pas en reste. 30% seulement d’accès à l’électricité sont la moyenne sous régionale contre 70 à 90% en Asie et en Amérique latine. La sous-région a certainement le taux le plus faible au monde. Par faute de moyens conséquents, le potentiel hydroélectrique estimé à environ 26000 mégawatts n’est exploité qu’à 16%. Et pourtant ce ne sont pas les ressources qui manquent dans la sous-région. Avec le Fonds, sûr que les choses évolueront positivement quand on sait que le Nigeria (pétrole) et le Niger (uranium) sont membres de l’espace. On le sait, les télécommunications font la honte de la sous-région. Comme nous manquons cruellement d’interconnexions et d’organismes centraux, nous payons d’importantes devises chaque année pour réussir la communication intra africaine. Puisqu’il nous faut passer très souvent par les pays européens. Dans un tel cas, le développement socio écono-mique des télécommunications est difficile à promouvoir. C’est pourquoi il faut soutenir le projet de télécommunications appelé Intelcom I et II pour combler le retard accusé. Car, avec ce projet, les zones rurale et urbaine d’un pays donné seront connectées sans problème, tout comme les différents pays de la sous-région, mais, surtout, la connexion sera désormais fluide entre la sous-région et le reste du monde. On le voit bien, la mise sur pied de ce Fonds et sa gestion efficiente avec l’appui du Brésil donneront un coup d’accélérateur au développement de l’espace Cedeao. Si, bien sûr, les coups d’Etat, les rébellions et les mauvaises pratiques disparaissent dans le même temps de l’espace. Ce n’est pas de la mer à boire. Abdoulaye Villard Sanogo
Économie Publié le mercredi 7 juillet 2010 | Notre Voie