Elections présidentielles de 1995 : Comment les 18 milliards de l`UE ont financé la campagne de Bédié

La Côte d'Ivoire n'oubliera pas de sitôt l'affaire des 18 milliards de l'Union européenne détournés par Maurice Kacou Guikahué et sa bande. Cette affaire ayant causé trop de préjudices financiers et diplomatiques à la Côte d'Ivoire, il n'est pas superfétatoire d'y revenir en ces temps de la moralisation de la vie publique pour rappeler les nombreuses forfaitures d'Henri Konan Bédié dont les discours accusateurs font table rase de son passé. Pourtant, en 1995 c'est le ministère de la santé qui, après avoir détourné les milliards de l'Union Européenne a financé sa campagne électorale.

Présidentielle de 1995

Successeur d'Houphouët Boigny à la tête de la Côte d'Ivoire en 1993, Henri Konan Bédié doit consolider son pouvoir par une élection. Sa campagne nécessite des moyens colossaux. Les caisses du Pdci dont il vient fraichement de prendre les commandes sont vides. Il jette alors son dévolu sur les ministères juteux de son gouvernement. Le ministère de la santé qui vient de bénéficier des largesses de l'Union européenne avec un fonds de plus de 18 milliards de francs Cfa est mis à rude épreuve. De quoi s'agit-il ? A l'approche des élections, le ministre Guikahué reçoit des instructions de la part de son patron en vue de procéder à la mise en place d'un nouvel organigramme dans son département. Cette instruction répond à un souci. Celui d'éloigner carrément tous les cadres dont l'honnêteté pourrait empêcher les coups loufoques dans ledit ministère. C'est ce qu'il fait, en débarquant de son poste, le Directeur de l'Equipement, du Matériel et de la maintenance (Demm). Ce poste étant assez stratégique pour le Pdci et son premier responsable, il faut le confier à un proche parmi les proches. Ce coup réussit, l'on peut passer à la vitesse supérieure.

La Demm au service du Pdci

Après la passation des charges entre l'ancien Directeur et son successeur, la Direction de l'Equipement, du Matériel et de la maintenance (Demm) abandonne les obligations du ministère et se met au service du Pdci dont elle devient le bras séculier. Le ministre qui se frotte désormais les mains donne des instructions pour que la Demm exécute des missions pour le compte du président Bédié dans le cadre de sa campagne. C'est ainsi qu'elle se charge d'abord de trouver un magasin pour le stockage du matériel destiné à la campagne de Henri Konan Bédié. Le seul magasin dont dispose le ministère de la santé sur le Boulevard Marseille, km4 et réhabilité sur les fonds du projet Japon/ Chu Cocody est réquisitionné pour accueillir toute la logistique de campagne de Henri Konan Bédié. C'est le ministre d'Etat d'alors chargé des Institutions qui attire la curiosité des observateurs sur cette affaire de par sa visite sur les lieux. C'est lui, dit-on, qui donne son avis de non objection pour l'utilisation du magasin en question. Le ministre Kacou Guikahué jouant à fond sa carte, désigne le Directeur de l'Equipement, du Matériel et de la Maintenance comme responsable de la gestion des magasins de campagne du candidat Bédié. Une fois nommé, le Directeur déserte ses bureaux au ministère de la santé et se met entièrement à la disposition du Pdci pour la campagne de Bédié. Dans son équipe se trouve un Adjudant des Fanci à cette époque en service au ministère de la santé. C'est lui, le militaire astreint à l'obligation de réserve, qui est chargé de veiller sur le stock spécial comprenant des biens divers du ministère qui cohabitent avec ceux du Pdci. Toute la bureautique du service informatique de la Demm est mise à la disposition du Pdci. Ladite bureautique devient l'imprimerie du Pdci. Le papier et l'encre appartenant à cette direction sont consommés sans tenir compte de quoi que ce soit. La consommation dépassant toutes les normes.

L'affairisme et le népotisme de Guikahué

De cette affaire, le ministre Maurice Kacou Guikahué ne veut pas sortir perdant. En même temps qu'il transforme son ministère en un cabinet du Pdci, et lutte pour la victoire de Bédié, l'enfant de Djikouéhipalégnoa ne s'oublie pas. Les gros marchés de la campagne, susceptibles de générer des fonds sont confiés soit à ses frères soit à l'un de ses beaux-parents. C'est ainsi que le marché du papier est confié au jeune frère de son épouse quand celui du recrutement d'une compagnie de sécurité est l'affaire de son cousin.

Financement de la campagne de Bédié

Dans le financement de la campagne de Bédié, la Demm joue encore un rôle de premier plan. Sa stratégie est toute simple. Elle met en place un mécanisme pouvant biaiser l'attribution des marchés du ministère aux entreprises. Un code d'attribution est alors élaboré. Ce code fait obligation à toutes les entreprises désireuses d'accéder aux marchés du ministère de la santé pilotés par la Demm de participer au financement de la campagne du candidat Henri Konan Bédié. C'est également une exigence pour qu'elles perçoivent leur argent après la réalisation des travaux. Plusieurs entreprises vont alors défiler chez le ministre de la santé pour lui remettre en mains propres des plis contenant de l'argent destiné au financement de la campagne. Celles qui ne peuvent pas respecter ce préalable se voient dans l'obligation de signer des engagements avec le ministère de la santé pour défalquer leurs côtes parts sur leurs dus. Concernant les entreprises locales,les tractations se font au domicile du ministre lui-même, très tôt le matin entre 6h et 7h. A la demande de son patron, Guikahué, le Directeur de la Demm, lui-même est allé un jour accompagner trois responsables des entreprises en question au domicile du ministre de la santé .Quant aux entreprises étrangères, elles sont invitées à discuter directement en privé avec le ministre de la santé dans les chambres d'hôtels pendant ses missions à l'extérieur. Certaines entreprises qui n'ont pas pu respecter la clause ont vu leurs factures impayées. L'argent mis à la disposition du ministère en question pour financer les projets Bad, Kfw, et Fed étant reversé dans les caisses destinées à la campagne du sphinx de Daoukro.

Réquisition et réimmatriculation des véhicules de l'Etat

Pour la première campagne du successeur d'Houphouët Boigny, les voleurs du Pdci ne font pas les choses à moitié. Usant de leurs différentes prérogatives à tous les niveaux du département ministériel, les hommes du prince " Nambê "réquisitionnent tous les véhicules d'Etat affectés aux cabinets et aux différentes directions centrales des Epn. L'opération de dénumérotation et de réimmatriculation qu'ils engagent se déroule sous la supervision du Directeur de l'équipement, du matériel et de la maintenance. Les véhicules du projet Bad, Kfw, Fed et Japon vont subir le même sort. Le but étant de trouver des moyens de locomotion pour la campagne électorale. Dans la même veine, tous les véhicules à quatre roues motrices de type double cabine ou de familiale de 7 places, tels les Patroles ou les Pajero acquis par le financement de la Bad et Kfw sont remis après maquillage à des particuliers qui n'appartiennent ni aux effectifs du ministère de la santé ni aux effectifs de l'administration générale. Les deux camions de la Pharmacie de la santé publique sont également maquillés pour servir de moyen de déplacement à certains cadres du Pdci. Cela pour le ramassage des posters géants de Bédié, les pamphlets publicitaires, les livres programme du candidat et les joggings en provenance de l'étranger. Pour cette opération, les chauffeurs sont triés sur le volet. Pour se mettre à l'abri de tout soupçon, ceux qui sont chargés de l'exécution de toutes ces tâches opèrent entre 19h et 21h.Voici exposée la laideur morale de ces hommes et femmes du Pdci qui pensent séduire le peuple de Côte d'Ivoire avec des mensonges. Les Ivoiriens n'ont donc pas tort de demander que l'on étende les enquêtes sur les scandales du règne de Bédié.

gbogoupierre@yahoo.fr