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Société Publié le mercredi 21 juillet 2010 | Nord-Sud

Gastronomie : Le “cabrinini” prend le pouvoir à Abidjan

La soupe de cabri, considérée par certains comme un aliment ordinaire, est presque devenue un phénomène de mode dans les restaurants à Abidjan. Encore appelé « cabrinini » par ses nombreux gourmets, cette cuisson est une nouvelle façon de faire aimer la viande de cabri rejetée par beaucoup d’Ivoiriens. Reportage.

Un jour, un homme est arrivé au Trainou, il a scandé à la vendeuse qui lui a proposé un plat : «quoi, du cabri ? Je n’en ai jamais mangé et jamais je n’en mangerai». La vendeuse, impassible, lui a demandé d’essayer quand-même car c’est du bon. Le client a longtemps hésité. Mais lorsqu’il a goûté à la soupe de cabri bien pimentée qu’on lui a servie, il est revenu le lendemain accompagné de sa femme. Le couple a commandé du cabrinini. «Depuis, ce monsieur est devenu un client fidèle du resto », explique Christelle, l’une des serveuses. A chaque fois qu’il y met les pieds sous les hangars en paille, c’est la soupe de cabri que ce monsieur déguste avec bonne humeur, dans les récipients en terre cuite. Le restaurant est situé aux-deux-Plateaux et le cabri est sa spécialité. Au début, le plat était vendu à 800 Fcfa, puis, avec la demande, il est passé à 1.000 Fcfa.

Elle séduit plus vite qu’une demoiselle

Plusieurs clients, même ceux qui jugeaient sévèrement le cabri, ont fait les frais de l’irrésistible saveur du ‘‘cabrinini’’ cuit à point. En créant le restaurant en mai, Mme Gnamien Ignès, sa patronne, avait déjà vu l’effet de la soupe de cabri dans plusieurs restaurants d’Abidjan. Comment cette sauce attisait l’appétit des clients. Devenue presque un phénomène de mode dans la gastronomie abidjanaise, cette cuisson lui a donné des idées. Plusieurs restaurateurs, comme elle, n’ont pas hésité à se lancer dans l’activité. A Angré, non loin du 22ème arrondissement, se trouve l’un des points où le «cabrinini» a vu le jour à Abidjan. L’homme qui se proclame l’instigateur du phénomène s’appelle Kouyaté Jean-Marie. Son restaurant se trouve quelque part à l’entrée d’Angré. Ce matin, le restaurateur est lui-même est au four et au moulin. C’est un quarantenaire bien en mus?cles. Vêtu d’un débardeur, il cuisine, penché sur une grosse marmite qui bouillonne sur un feu de charbon. Kouyaté assaisonne sans complexe, la sauce avec du gnangnan, ce qui lui donne un goût relevé. Tout cela, sous le regard attentif de trois filles qui l’assistent et ne demandent qu’à apprendre auprès du «maître». Le cuisinier sait comment donner à la soupe de cabri cette saveur tentante qui attire tous les jours les clients sous la bâche de son restaurant. Quand on lui demande pourquoi il ne laisse pas ce soin aux filles, il répond avec certitude: « Il n’y a que moi seul qui sais comment préparer aussi bien la soupe de cabri». De la prétention ? On pourrait être tenté de le croire. Mais le ‘‘cabrinini’’ de Kouyaté parle de lui-même. Les clients quittent des communes telles que Yopougon pour venir savourer sa potion magique. «Je fais partie de ceux qui ont amené le cabrinini à Abidjan», affirme-t-il sans se vanter. Quand il finit d’assaisonner sa soupe, il attend patiemment la cuisson. Une fois que la soupe de cabri est prête, le service et tout le reste appartiennent à ses collaboratrices. Si elles sont bien sages, peut-être qu’un jour, elles auront le privilège de connaître le secret, c’est-à-dire, le doigté de Kouyaté. Il a lui-même appris à cuisiner auprès de sa grand-mère, à Aboboté. Mais il vient de Diabo (non loin de Bouaké). « Là-bas, on ne mange que du cabri», indique-t-il. En venant à Abidjan, Kouyaté s’est dit pourquoi ne pas utiliser cette culture du cabri qui vient de chez lui pour gagner de l’argent. En 2008, il se lance à la vente de cette soupe dans ce restaurant qui appartient à l’origine à son frère. La mayonnaise prend. « Grâce à ma soupe de cabri, j’ai séduit des amis qui n’en mangeaient pas autrefois».
Chez Kouyaté, le restaurant ne désemplit pas les midis. Malgré le prix du plat un peu élevé, 1.200 Fcfa, le ‘‘cabrinini’’ attire par son piment, sa saveur et la tendresse des morceaux. Dans le temps, les clients se plaignaient de la dureté de la chair de cabri. Ils estimaient qu’elle était difficile à mâcher. Les restaurateurs ont corrigé cela. « Il suffit de fumer légèrement la viande avant de la faire cuire », explique Julien, un vendeur de cabri à la Riviera II. Il s’est initié à la vente de cette viande depuis quelques mois. C’est une activité qu’il exerce sans regret parce que cet animal est très prisé dans le coin.

Le cabri difficile à trouver

Cependant, si ce phénomène prend de l’ampleur à Abidjan, une autre réalité préoccupe les restaurateurs. L’approvisionnement. Christelle et ses camarades s’approvisionnent à l’abattoir de Port-Bouët, comme bon nombre de restaurateurs. Mais là-bas, il faut y être de bonne heure au risque de revenir bredouille. «Nous faisons les commandes la veille. Mais le cabri est cher. Le moins coûteux se vend à 30.000 Fcfa», explique-t-elle. Comme le restaurant n’est pas assez grand, on peut vendre un cabri entier en deux jours. Kouyaté, lui, arrive à vendre un cabri par jour. Il n’empêche que les difficultés d’approvisionnement demeurent aussi une réalité pour lui. « J’ai essayé d’aller m’approvisionner au village, mais les villageois refusent de vendre leurs cabris », explique-t-il. Il est obligé d’aller à l’abattoir, comme les autres. Les consommateurs espèrent que les autorités arriveront un jour à développer le commerce du cabri, afin que le ‘‘cabrinini’’ survive. « C’est une soupe si spéciale qu’on ne la mange pas tous les jours », explique Lanciné O. un gourmand de la soupe de cabri. « Ce qui m’emballe, c’est le piment. Quand la soupe est bien faite avec du piment et que les morceaux sont bien cuits, il n’y a rien de tel », renchérit Sékongo, un habitué de «chez Kouyaté». Piment ou pas, le cabri attire Moussa, rien que par son parfum métamorphosé, c’est à oublier l’odeur du bouc. Depuis qu’il a commencé à consommer le ‘‘cabrinini’’, c’est devenu plus grave. Dans la rue, quand il croise un cabri, il s’arrête un moment pour le lorgner. Ah ! si Dieu n’avait pas créé le cabri, il aurait fallu l’inventer…

Raphaël Tanoh
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