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Politique Publié le jeudi 22 juillet 2010 | Le Nouveau Réveil

Affaire "Tchimou blanchit Tagro" / Me Yao Emile (Greffier): “Les conclusions de cette enquête, pour moi, c`est une diversion”

L'enquête du Procureur de la République relative aux affaires de fraude au concours d'entrée à la police nationale, à la gestion de l'argent du Hadj des éditions 2007, 2008, 2009, à Trafigura et à la commission de 10 milliards de F Cfa que la société Sagem-sécurité aurait versés au ministre de l'Intérieur et au Premier ministre, a blanchi Tagro Désiré celui que le président de l'Assemblée nationale a accusé de favoriser les ressortissants de son village au concours de l'Ecole nationale de police. Me. Yao Emile, greffier, qui conteste les conclusions de l'enquête déclare que le procureur a fait une gymnastique inutile. Dans l'interview que Me Yao Emile (yakoem@yahoo.fr) nous a accordée, il démontre que Tagro Désiré ne peut être blanchi.



Vous avez souhaité réagir à la suite de l'enquête diligentée par le chef de l'Etat sur la fraude à l'Ecole de police, le Hadj, Trafigura et la Sagem-sécurité. Quel jugement portez-vous sur les conclusions de cette enquête ?
D'abord, il faut que je circonscrive les points qui m'inspirent parce que je voudrais qu'on reste dans le domaine purement juridique et judiciaire, c'est-à-dire, tout ce qui touche à la justice. C'est pour cette raison que je parlerai non seulement de la manipulation de l'état civil, mais également du favoritisme et de la procédure, c'est-à-dire la position du parquet.
Sur l'état civil, le Procureur a dit que le Pr Mamadou Koulibaly a soutenu que le ministre Tagro a fait entrer à la police des gens qui seraient originaires de son village. Donc, à la suite de ce point précis, une sorte d'examen chimique, politique et judiciaire s'est mis en branle. Selon ce qui a été dit, il a été mis à leur disposition tous les actes de naissance de tous les admis de la promotion concernée. Ensuite, ils ont sorti, d'après eux, ceux qui sont considérés comme originaires du village d'où vient le ministre. Dès lors, je me demande quel est l'élément qui permet, au vu des actes d'état civil, de dire que tel ou tel est originaire d'un tel village.

Vous êtes greffier, pour vous, qu'est-ce que l'état civil ?
L'état civil, c'est un ensemble de documents qui prend en compte les registres de morts, de mariages, de naissance, de divorce. Que les gens sachent qu'on n'achète pas un régime d'état civil au marché pour aller le remplir de naissance. Les registres d'état civil normaux qui contiennent cinquante feuillets avant leur utilisation sont signés, paraphés par le président du tribunal de la circonscription. Cela veut dire qu'un registre N°1 a son double et son original. Et la loi dit que lorsqu'on a fini d'utiliser un registre, lorsqu'on a utilisé les cinquante feuillets, on doit déposer le double au Greffe du tribunal concerné de sorte que s'il y a une recherche à faire, s'il ne trouve pas l'original soit à la mairie, soit à la sous-préfecture concernée, on doit pouvoir se rabattre sur le greffe du tribunal. Ce sont des actes qui sont détenus autant par ceux qui les remplissent que par le tribunal, par son greffe. Quand on prend un acte civil, on ne voit nulle part, dans les déclarations qui sont reçues au moment de la naissance, un questionnaire qui dit "quelle est votre origine ?" De sorte que quand le procureur a dit qu'après avoir vérifié, il a été donné de constater sur 109, tous corps confondus, ce sont 69 éléments qui sont originaires de Nayo et de Saïoua, qu'il dise l'élément qui permet de déterminer l'origine. Est-ce qu'on est originaire d'une ville ou d'un village parce qu'on y est né ou bien parce qu'on y réside ou bien son père y est né ou alors les parents y résident ? Je ne pense pas que ce soit des éléments qui puissent fixer l'origine de quelqu'un parce que j'ai cherché, mais je n'ai pas trouvé de sens juridique. Je n'ai pu me contenter que du sens académique dans Le Robert. L'origine, c'est d'où tu pars. Et si on pense qu'on a fait une enquête pour dire que dans le village d'origine, Digbam, du ministre de l'Intérieur, il n'y a eu qu'une dizaine d'admis au concours de police, demandez-vous si le ministre n'a que ce village. Est-ce que son père et sa mère sont du même village ? Et le père et la mère de ses parents sont-ils aussi du même village ? Dans les conclusions du procureur, on nous a servi une démonstration à faire dormir les Ivoiriens. Parce que, je reviens dessus, dans les déclarations d'une naissance qui permet de déterminer l'origine. Le mot origine, on l'utilise souvent dans le cadre de la nationalité. Mais en matière de déclaration de naissance, rien ne permet de déterminer l'origine. Que le procureur dise, à partir de mon intervention, l'élément qui permet de déterminer que telle personne parce qu'elle est née là ou parce qu'elle s'appelle ainsi, elle a son origine dans ce village.

Comment qualifiez-vous donc les conclusions de cette enquête ?
Pour moi, c'est une diversion. On ne nous a pas dit ce pour quoi le Pr Mamadou Koulibaly a dû se plaindre. On n'a pas fait des investigations dans ce sens. On s'est cantonné sur le mot originaire.

Maître, les conclusions du Procureur disent qu'il a été constaté que les gens qui viennent du village de Saïoua et de Nayo qui sont concernés par cette affaire sont 66 sur 1.505. Il estime que ce n'est rien par rapport aux accusations portées sur le ministre Tagro.
Je ne suis même pas encore au niveau du favoritisme. Mais parlant d'état civil, dans les conclusions, on parle tantôt de ressortissants tantôt d'originaire. Quelle est la corrélation entre ces deux mots ? Ressortissant de tel village, qu'est-ce que ça veut dire juridiquement ? Est-ce que cela veut dire qu'on est né là-bas ? Le Procureur de la République, qui est le chef d'état civil, qui est chargé de la sécurité des Ivoiriens, quand il sort ces mots, peut-il dire ce que ça veut dire juridiquement ?

Mais vous êtes greffier, pour vous originaire et ressortissant veulent dire quoi ?
Justement, je ne sais pas ce que cela veut dire juridiquement. Je peux le dire quand on est dans un maquis, mais je ne peux pas dire juridiquement que tel est ressortissant de tel endroit.

Quel est donc le problème que cela pose ?
Le problème que ça pose, c'est qu'on est en train de nous démontrer quelque chose qu'on ne peut pas démontrer. C'est un évènement chimérique. On ne peut pas démontrer que telle personne est originaire de tel village. On n'a pas le résultat, cela veut dire que celui qui accuse ment. Or, ce n'est pas cela qu'il fallait démontrer. Ce sont des amitiés, la vie qu'on a en commun avec des gens qui nous amènent à favoriser des gens. C'est justement cela que, je pense, Pr. Mamadou Koulibaly dénonce. Sinon, comment peut-on démontrer que tel est originaire de tel village ? Par exemple, feu le président Félix Houphouët-Boigny, on le sait, est de Yamoussoukro, mais il est aussi originaire de Didiévi. Donc s'il avait une faveur à faire, il la ferait autant aux gens de Yamoussoukro qu'à ceux de Didiévi. On ne peut donc pas le fixer à un seul village. Donc quand on fixe Tagro à un village, ce n'est pas juste. Ce n'est pas normal qu'on dise qu'un ministre, une autorité ait une origine qu'un seul petit village. Ce n'est pas possible.

Finalement, c'est le Pr Mamadou Koulibaly qui porte l'accusation que vous dénoncez ou le procureur de la République que vous attaquez par rapport à ses conclusions de l'enquête ?
Sur l'état civil, je ne suis pas d'accord avec les conclusions du ministère public, c'est-à-dire le procureur de la République. Parce que le procureur de la République fait une enquête, si l'enquête est complète, il saisit un juge d'instruction. Le procureur de la République est là pour avoir des preuves avant de poursuivre. Donc, même si le Président de la République dit : " il faut saisir (c'est normal, le Président peut donner des ordres au parquet) ", si c'est cela, il doit saisir un juge d'instruction. En l'espace d'un mois, avec autant de chefs d'accusation, il ne peut pas avoir bouclé. Nous sommes à Saïoua, il y a un procureur là-bas, il y a un parquet là-bas. On ne dit pas que avant d'aller faire des vérifications, le parquet qui gère Saïoua, est-ce que le parquet de Daloa a pu y prendre part ? C'est-à-dire que vous ne pouvez pas quitter Abidjan pour aller à Abengourou en tant que procureur, en tant qu'officier de police judiciaire, pour mener une enquête sans l'avis du procureur d'Abengourou.

Normalement, comment une telle procédure devrait se dérouler ?
Une telle procédure, étant donné que la personne qu'on accuse réside à Abidjan, le procureur qui a été interpellé par le président de la République saisit un cabinet d'instruction. Il saisit un juge d'instruction. Je prends le cas des gens du café-cacao. Cela fait deux ans qu'ils sont à la Maca. Le juge d'instruction cherche toujours des preuves. C'est parce qu'il n'a pas encore bouclé son enquête qu'il n'a pas encore traduit ces personnes-là devant le tribunal en passant par le procureur. Une affaire aussi complexe, le procureur de la République, en l'espace d'un mois d'enquête, s'est senti obligé de dire ce qu'il a dit là. En définitive, le ministre Tagro n'a pas qu'un seul village. Il doit avoir d'autres villages avec la famille élargie. C'est une réalité en Afrique. Là-bas aussi, il faut mener des enquêtes.

Donc vous estimez qu'il y a vraiment du favoritisme ?
Justement, il y a du favoritisme parce que quand on prend 66 personnes, en face de 1505 personnes, faites le taux pour voir si la densité de la population à Saïoua et à Nayo correspond à ce taux. Je vais plus loin pour parler du tribalisme. Le ministre Tagro a pour chef de cabinet son frère du village. Ensuite, il a pour chargé de mission auprès d'une institution son demi-frère. Qui serait en fuite. Tout cela, le parquet n'y a pas vu du favoritisme ni du tribalisme dans la gestion de l'Administration. Qu'est-ce qu'il veut qu'on trouve encore ? Peut-être qu'un jour, le ministre va dire qu'il ne vient plus de Digbam et démontrer que tous ceux qu'il a pris a Digbam ne sont pas ses parents.

Que doit-on retenir globalement de cette affaire ?
Ce qu'on doit retenir, c'est que le parquet, qui est le gardien de la sécurité de tous les Ivoiriens, qui est chargé d'éclairer les gens, s'il n'a pas vu d'élément…

Dans cette enquête, le chef de l'Etat a dit expressément qu'il attendait les résultats dans l'espace d'un mois. Est-ce que le procureur pouvait aller au-delà de cette période ?
De toutes les façons, le ministre Tagro, il ne faut pas l'oublier, est un magistrat. Or, en Côte d'Ivoire, je vous mets au défi de me prouver le contraire, on n'a jamais poursuivi un magistrat. On a poursuivi tous les corps (médecin, greffier, etc) sauf un magistrat. C'est justement parce que Tagro est magistrat et qu'il est protégé. N'oublions pas non plus que le président de la République est le président du Conseil supérieur de la magistrature. Or, pour qu'on poursuive un magistrat, il faut que le Conseil supérieur de la magistrature donne l'autorisation pour que la procédure soit engagée. Cela veut dire que même ce que le procureur fait là est une gymnastique inutile. Cela veut dire que le procureur pouvait dire que c'est vrai, les faits sont concordants contre le ministre, mais il reste magistrat. Donc il faut que le président de la République, lui-même, qui est le président du Conseil supérieur de la magistrature donne son autorisation avant qu'on le poursuive. Il y a donc deux raisons qui font qu'on ne peut poursuivre un magistrat. Soit les magistrats se protègent entre eux, soit c'est un instrument du pouvoir pour opprimer le peuple. Une chose est certaine, c'est que toute cette affaire laisse croire que les magistrats ont reçu un impératif pour protéger le pouvoir en place de sorte qu'il ne faut pas toucher à un magistrat. C'est-à-dire si on touche à un magistrat, c'est comme si on le pousse à ne plus protéger le pouvoir en place.

A propos donc des conclusions de l'enquête, vous voulez dire que Tchimou n'a pas dit le droit ?
En tout cas, il ne peut dire le droit parce qu'il est parti là où le droit n'est pas. Cela veut dire qu'il est parti là où il n'allait pas trouver ce qu'alléguait Mamadou Koulibaly. Or, il y a des voies. Qu'il donne le dossier à un juge d'instruction. Et puis quand on dit que son frère a fui parce qu'il a reçu de l'argent. Qu'est-ce qui prouve que cet argent qu'il a reçu, il l'a dépensé seul ? Parce que, c'est le seul élément sur lequel il affirme avoir reçu de l'argent. Et celui qui a reçu de l'argent, on ne le voit pas. Le ministre de la Sécurité, on ne voit pas son frère. En Côte d'Ivoire, il n'a pas pu mettre la main sur lui. Si lui ne peut le voir, qui pourra le voir ? Personne.

Cela veut-il dire que les Ivoiriens sont en danger avec la justice de Côte d'Ivoire ?
La justice est un instrument de jeu pour le pouvoir de sorte qu'aucun Ivoirien ne peut sentir la sécurité vis-à-vis de sa justice. Vous ne pouvez pas courir pendant qu'on vous chasse dehors pour entrer à la justice pour dire que je suis en sécurité parce que l'insécurité est plus grande à la justice. C'est-à-dire le droit n'est pas dit de façon équitable. Il ne peut pas avoir trois pouvoirs en Côte d'Ivoire parce que le Conseil supérieur de la magistrature est présidé par le président de la République et c'est lui qui nomme les magistrats. Alors, peuvent-ils être indépendants vis-à-vis de celui qui les nomme ?
Interview réalisée par Patrice Yao
Coll : François Konan

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