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Économie Publié le lundi 2 août 2010 | Le Patriote

Comment l’escroquerie est organisée

Derrière un patriotisme enivrant et ostentatoire se cachait, en réalité, une vasque escroquerie. « Le Mouvement patriotique Akoudan-Ouflè n’est ni une maison de placement d’argent, ni une micro finance, encore moins une banque. C’est plutôt une sorte de tontine qui faisait appel à la cotisation de ses membres ». C’est la mise au point qu’on peut lire, en première page, sur les milliers de dépliants diffusés à travers le pays. Notre enquête a révélé que cette structure est loin d’être ce qu’elle prétend être.
« Akoundan-Ouflè », tiré de la langue baoulé (des populations originaires du centre de la Côte d’Ivoire), signifie « nouvelle mentalité ». D’où le slogan « Nouvelle vision, nouvelle mentalité, nouvelle philosophie ». Sous le terreau fertile d’un patriotisme étriqué, cette ONG est donc lancée. Et, nous avons pu nous en rendre compte, elle fera le malheur des milliers d’Ivoiriens.
« La vision prophétique du mouvement est née de l’inspiration du « professeur» Kouamé N’guessan Théodore de la galaxie patriotique, dans le contexte auquel ce mouvement s’est inscrit au plus fort de la crise militaro-politique ivoirienne, celui de la défense des intérêts économiques et sociaux de la Côte d’Ivoire.
Selon cette vision et à en croire ses initiateurs, « le temps de l’individualisme est révolu. Face à la mondialisation, seule la loi du grand nombre est source de rendement fiable et efficace. C’est dans cette optique qu’en tuant notre ego et en unissant nos forces, compétences et avoirs, nous serons capables de relever le défi de la prospérité de l’Ivoirien ».
Officiellement, cette structure vise trois objectifs : réduction de la pauvreté, amélioration des conditions de vie et frein à l’exode rural.
Le promoteur, le « professeur » Kouamé N’guessan Théodore, se dit être un modèle de jeune que la crise ivoirienne a révélé. Ancien vendeur de CD piratés, d’abord à Yopougon-Wacouboué, puis à la « Sorbonne » au Plateau où il a fait ses classes dans le maniement du discours anti-français. Avec le parapluie politique, tout est désormais possible pour s’en mettre plein les poches, à la vitesse d’un météore. « Akoudan-Ouflè » promet avec force, de « redonner aux Ivoiriens leur dignité perdue et surtout leur indépendance économique».
C’est à Yopougon, où un tel discours a des chances de prospérer, que cette nébuleuse prend ses quartiers, dans les locaux de l’ancien célèbre maquis, « la League des profs ». En attendant, l’autorisation officielle, cette ONG, pendant des mois, va étendre ses tentacules. C’est seulement le 7 février 2008 qu’au journal officiel de la République de Côte d’Ivoire que paraissait le récépissé N°66 INT.DGAT.SDVA signé du ministre Désiré Tagro. L’organisation, contrairement aux prospectus, s’est donné pour mission de revaloriser le patriotisme culturel de la Côte d’Ivoire, de promouvoir la paix, la tolérance et le pardon et enfin, d’œuvrer à l’amélioration des conditions de vie des Ivoiriens. Derrière ce bricolage, ce fourre-tout, cette variation de l’objet, le promoteur affichait déjà ses ambitions. Par voie médiatique et surtout avec la télévision qui passe en boucle les messages d’adhésion à cette organisation, un véritable battage est fait. Au secteur « Ananeraie » de Yopougon, les locaux de ‘‘La league des profs » ne désemplissent plus.

Cotisations fantaisistes !

Pour bénéficier des services de cette organisation, il suffit d’être Ivoirien et rattaché à un village. Pour la somme de 48.500 FCFA dans les caisses, en plus d’être membre, on vous promet du boulot au sein de l’ONG. En réalité, un démarcheur qui pourrait appâter d’autres compatriotes.
Plusieurs départements sont ouverts à cet effet. Le département Construction de logements aura séduit le plus grand nombre de clients. La grave crise du logement a convaincu certains que l’aubaine s’est présentée. Pour un droit d’adhésion de 375 000 FCFA aujourd’hui (au départ c’était 325 000 fcfa), l’adhérent a le choix de sa maison à des prix défiant toute concurrence : 3 pièces basse : (7. 500.000 FCFA) ; 4 pièces basse : (9. 500 000 FCFA) et 4 pièces duplex basse : (19. 000 000 FCFA). Une réservation de 20% à 25 % est demandée avant tout début des travaux de construction. Dans quels quartiers ? Les prospectus sont muets sur la question. Mais un commercial rencontré au siège répond, sec : «Partout en Côte d’Ivoire ». Ce commercial rappelle tout simplement que chaque membre est rattaché à un village. Autre détail important : le souscripteur devra payer les honoraires de l’architecte que lui affecte ce mouvement patriotique.
« J’ai passé plus de deux ans et demi au sein du mouvement. Je me suis véritablement rendu compte de la supercherie, il y a de cela un an, c’est-à-dire, en 2009. Moi, je tenais à ce projet, j’avais voulu le voir se réaliser, les logements sortir de terre. J’ai fait venir des entreprises qui allaient décider de construire sur fonds propre, ensuite être remboursé par les acquéreurs, au fur à mesure que les maisons sortaient de terre. On a commencé le projet avec 33.500 FCFA, par personne, chaque souscripteur devant payer la somme de 18.000 FCFA chaque fin de mois afin d’amortir le coût de la maison pour qu’elle lui revienne définitivement. J’ai encore avec moi la liste de certains adhérents. Mais il faut reconnaître qu’après plusieurs observations, j’ai vu que cela ne m’arrangeait pas. On a eu à échanger en pleine réunion, j’ai pris le micro et je lui ai dis que je ne pouvais plus travailler avec lui. Lorsque je partais, il y avait plus de deux mille personnes », explique Koffi Ange Henri Joël, anciennement responsable du département Construction de logements. Ce jeune entrepreneur en bâtiment a perdu ses illusions depuis. Désormais, la seule évocation d’Akounda Ouflè l’irrite. En multipliant seulement la somme de 325. 000 FCFA par 2000 (chiffre non actualisé), le pactole fait 650 millions FCFA. A Bonoua par exemple, un projet de construction de 1000 logements a mobilisé les populations. Un terrain est acquis, un opérateur coopté pour monter quatre maisons-témoins. Les acquéreurs se bousculent pour y adhérer, mais depuis, cette opération est devenue un vieux souvenir. Ce projet n’a pas connu un début d’exécution.
Le département « Transport » est l’autre mamelle qui rapporte gros.
Voici les tarifs :
- Adhésion pour un taxi : 500.000 FCFA (ancien)/650 000 FCFA (tarif actuel)
- Adhésion pour une bâchée : 750 000 FCFA/850.000 FCFA.
- Adhésion pour un « Kia » : 1 million FCFA/ 1 million 200.000 FCFA.
- Adhésion pour un Massa : 1 million FCFA/ 1 million 200.000 FCFA.
Là, il est exigé une ouverture de compte : 50.000 FCFA et des frais de dossier également de 50. 000 FCFA.
Une dizaine de personnes s’est vue « attribuée » un taxi. Mais ironie du sort, les pièces administratives portent le nom du « prof » Kouamé N’guessan.
Pour une recette de 15. 000 FCFA, la répartition est la suivante : 5000 FCFA pour le mouvement, 5000 FCFA pour le propriétaire et 5000 FCFA pour le remboursement du crédit. Après deux ans de cette co-gestion, le taxi est censé revenir à l’adhérent.
Ce sont les adhérents de ce département qui seront le fer de lance de la contestation du « prof » et de la crédibilité de la structure. 600 membres ont permis d’empocher 300 millions de FCFA.
Selon le témoignage des ex-compagnons, les nombreux véhicules neufs, exposés au siège participaient d’une stratégie de séduction. Un deal passé avec une entreprise concessionnaire de véhicules, demandait que celle-ci vienne exposer ses produits en cet endroit. En général, les jours de grande affluence, le nombre imposant de véhicules exposés ne laisse indifférent. Ces engins sont alors montrés comme étant le patrimoine de ce mouvement.
L’autre stratégie payante consistait à organiser des séances de remises de chèques de financement de projet à des coordonnateurs régionaux du mouvement, sans que ces derniers ne rentrent en possession du précieux document bancaire. La scène bien montée est ensuite passée en boucle sur les antennes de la télévision première chaîne en publi-reportage. La presse écrite n’est pas non plus oubliée.
Aujourd’hui, Mme Séry, ex-responsable du produit ‘‘La cellule familiale’’, est amère. « Cette cellule consistait à faire adhérer les membres de la famille et à la fin du mois on reversait 300.000 FCFA à la famille. Et je suis partie parce que je voyais que le projet annoncé avait du mal à se mettre en route. Je n’ai pas la date exacte de mon départ, mais sachez que je suis partie avant le président du collectif. Je crois que c’était en 2009. Je ne peux pas donner un chiffre précis des souscripteurs, mais retenez qu’il y avait beaucoup de monde. Nous étions nombreux au sein de la cellule familiale. Le monsieur n’était pas honnête, et c’est cela qui m’a amené à partir. Il n’a pas tenu sa promesse. En tant que mère de famille, cette affaire me prenait beaucoup de temps. J’ai préféré arrêter pour m’occuper de ma famille. Ensuite, il a commencé à être vulgaire et grossier. Par rapport à ma confession religieuse et mon statut de femme au foyer, je ne pouvais supporter ces écarts de comportements, je suis donc partie », témoigne-t-elle.
Au département « Financement de projets », les membres sont appelés à déposer 65.000 FCFA pour bénéficier de 300.000 FCFA ; 100.000 FCFA pour 500.000 FCFA de prêt et 325.000 FCFA pour 3 millions de FCFA de prêt, remboursables en 12 mois.
Les projets, Akoudan-Ouflè en avait à profusion. Après la capitale économique, certain qu’il s’est bâti une renommée, le « prof » met le cap sur le monde rural, surtout dans les zones cacaoyères. Là-bas, il promet monts et merveilles. Aux planteurs de Guezon (à l’ouest), Akoudan Ouflè promettant d’acheter le café et le cacao, et financer divers projets agricoles, réussit à travers sa coordination, à empocher 150 millions FCFA. La grogne des paysans l’obligera à restituer 20 millions FCFA devant les cameras en faisant passer ce geste comme un respect des engagements pris. Les victimes ne se comptent plus. Alors que le maître des lieux est sous mandat de dépôt, la structure continue de fonctionner. Augmentant ainsi le nombre des victimes.
Coulibaly Brahima
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